Actualité Juridique Famille 2007 p. 230 Les fruits et

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Actualité Juridique Famille 2007 p. 230 Les fruits et
Actualité Juridique Famille 2007 p. 230
Les fruits et revenus de biens propres ont le caractère de biens communs
Arrêt rendu par Cour de cassation, 1re civ.
20 février 2007
n° 05-18.066 (n° 223 FS-P+B)
Sommaire :
M. X et Mme Y se sont mariés en 1954 sous le régime conventionnel de la communauté
réduite aux acquêts. En 1967, ils acquièrent ensemble une parcelle de terre située à
Vetraz-Monthoux sur laquelle une maison a été ensuite édifiée. En 1987, ils procèdent par
acte notarié à une déclaration de remploi faisant de ce bien un propre de l'épouse à compter
de son acquisition. Les époux louent la maison pendant environ vingt ans et consacrent les
loyers au financement du solde de la construction. Dans le cadre de leur divorce, M. X estime
que son épouse est redevable d'une récompense au profit de la communauté. Il est débouté
par la Cour d'appel de Nîmes, ce que désapprouve la première Chambre civile de la Cour de
cassation (1) :
Texte intégral :
« Vu l'article 1498, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 65-570 du
13 juillet 1965 ; - Attendu que les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de
biens communs ; que, dès lors, donne droit à récompense au profit de la communauté
l'emploi des revenus d'un bien propre à son amélioration ; [...] ;
Attendu que, pour juger que Mme Y ne devait aucune récompense à la communauté pour
l'immeuble de Vetraz-Monthoux, l'arrêt retient que la maison a été louée pendant environ
vingt ans et que les loyers ont largement suffi au financement du solde de la construction ;
qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Mots clés :
REGIME MATRIMONIAL * Liquidation * Régime conventionnel de la communauté réduite aux
acquêts * Déclaration de remploi * Récompense * Bien propre * Revenu
(1) La nature juridique des revenus des biens propres a longtemps été discutée. Rares sont
les décisions qui en traitent. De ce point de vue, l'arrêt rendu le 20 février 2007 par la
première Chambre civile de la Cour de cassation doit être remarqué car il déclare, sans
aucune ambiguïté, que « les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de biens
communs ».
Certes, cette solution n'est pas nouvelle. La première Chambre civile l'a adoptée depuis son
arrêt Authier rendu le 31 mars 1992. Pour autant, il faut observer un changement de ton :
l'arrêt Authier n'a affirmé que très timidement la nature commune des revenus tirés des biens
propres. En effet, il a refusé d'accorder une récompense au patrimoine commun pour avoir
réglé les intérêts de l'emprunt souscrit en vue de l'acquisition d'un actif propre, au motif que
cette dépense est une charge usufructuaire relevant du passif définitif de la communauté. Les
mots sont feutrés, et ce n'est qu'implicitement que la Cour y admet la nature commune des
revenus, tout simplement parce que les conséquences produites par sa décision s'avèrent
incompatibles avec le caractère commun des revenus des biens propres. Il faudra attendre
quelques années avant que cette même Chambre décide, cette fois-ci directement et sans
aucune équivoque, que les revenus des propres tombent en communauté (V. Civ. 1re, 4 janv.
1995 ; 24 oct. 2000). L'arrêt commenté s'inscrit dans ce courant. Dès lors, la solution était
évidente. Schématiquement, le raisonnement opéré par la Cour a été le suivant : la maison
donnée en location appartient en propre à l'épouse, en vertu d'une déclaration de remploi ;
les loyers tirés de cette location correspondent à des revenus d'un bien propre, lesquels ont la
nature de biens communs ; ces revenus, qui ont été employés à financer le solde du coût de
la maison, participent de ce fait à l'acquisition d'un bien propre ; partant, la communauté a
droit à récompense puisque des deniers communs ont permis l'acquisition d'un bien propre.
Sur un point - et non des moindres -, le présent arrêt se distingue néanmoins des précédents
: pour affirmer la nature commune des biens propres, la Cour se place sur le terrain de
l'article 1498, alinéa 2, du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 65-570 du 13
juillet 1965. Il ne pouvait en être autrement puisque, en l'espèce, les époux s'étaient mariés
avant l'entrée en vigueur de cette loi. Or, l'ancien article 1498, alinéa 2, du code civil laissait
entendre, sans grande hésitation, que les fruits et revenus des biens propres tombaient en
communauté. Cette conception s'expliquait par le fait que, à cette époque, la communauté
avait encore l'usufruit des propres. La suppression de cet usufruit, qui a rendu moins évidente
l'appartenance des revenus des propres à la masse commune, ainsi que la coexistence de
plusieurs nouveaux textes dont la cohérence d'ensemble n'est pas évidente ont donné
naissance à une importante controverse sur la nature juridique des revenus des propres.
Plusieurs opinions se sont longtemps affrontées. Sans y revenir, nous soulignerons
simplement que le débat s'est apaisé sous l'empire de la loi du 23 décembre 1985 qui a opéré
un choix implicite en faveur de la nature commune des revenus des propres.
Patrice HILT
Doctrine : I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux, LGDJ, 2004, n° 211 s. ; J. Flour et G.
Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., Armand Colin, n° 264 s. ; Ph. Malaurie et
L. Aynès, Les régimes matrimoniaux, Defrénois, 2004, n° 334 ; F. Terré et Ph. Simler, Les
régimes matrimoniaux, Dalloz, 4e éd. 2005, n° 292 s. - Jurisprudence : Civ. 1re, 31 mars
1992, RTD civ. 1993. 401, obs. Lucet et Vareille ; Défrénois 1992, art. 35348, obs. G.
Champenois ; 4 janv. 1995, Defrénois 1996, art. 36358, obs. G. Champenois ; 24 oct.
2000, D. 2001. Somm. 2936, obs. Nicod ; RTD civ. 2001. 650, obs. B. Vareille .
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