AGRICULTURE ET BIODIVERSITÉ : EXEMPLE DU STATUT DU
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AGRICULTURE ET BIODIVERSITÉ : EXEMPLE DU STATUT DU
AGRICULTURE ET BIODIVERSITÉ : EXEMPLE DU STATUT DU FERMAGE COMME EXPRESSION D’UNE TENSION IRRÉSOLUE ENTRE DROIT DE PROPRIÉTÉ ET LIBERTÉ D’EXPLOITATION Carole HERNANDEZ-ZAKINE Docteur en droit, responsable équipe expertises, manager, Agrosolutions, (filiale expertise-conseil du groupe coopératif InVivo) Résumé : Il existe différentes façons de traiter en droit les liens entre agriculture et biodiversité. Cet article a fait le choix de partir du constat suivant : la biodiversité évolue sur les terres agricoles qui sont autant d’écosystèmes et d’habitats. Ces terres conditionnent son maintien et son développement. La biodiversité sur nos territoires dépend donc en grande partie des choix agricoles d’exploitation et d’aménagement de ces terres. Constat est fait qu’en droit les deux tiers des exploitants agricoles français louent leurs terres et dépendent ainsi du dispositif du statut du fermage qui constitue le socle de la construction du droit rural et d’une vision très particulière de l’acte de production. Tout au long de cet article nous verrons que le législateur tente de trouver un équilibre entre les droits des propriétaires et les droits des exploitants, entre le droit de propriété et la liberté d’exploitation, dans un contexte juridique environnemental de plus en.plus marqué. Aujourd’hui ces tentatives aboutissent à encore plus de tensions entre le droit de propriété et la liberté d exploitation. En effet, les réformes réalisées au coup par coup restent superficielles car elles évitent de mener une réflexion de fond sur la nécessaire répartition équilibrée des.charges environnementales à trouver entre propriétaire et exploitant. Ce qui suppose de s intéresser au revenu agricole et au revenu du propriétaire. En décidant de faire de l’agroécologie un nouveau modèle de développement agricole, la loi agricole de 2014 impose néanmoins de réfléchir autrement les liens entre agriculture et biodiversité en s’engageant dans une transition juridique fondée en particulier sur la complémentarité explicite et organisée entre le socle réglementaire environnemental et les démarches volontaires de droit privé. Il existe différentes façons d’aborder les relations entre agriculture et biodiversité. Cependant, les débats portent rapidement sur la question de savoir si les activités agricoles sont génératrices de biodiversité ou destructrice de 604 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif biodiversité ?1 À question tranchée, il existe une tentation de réponse tranchée et la tentation est grande de déclarer par principe « l’agriculture conventionnelle » destructrice de la biodiversité. Cependant, la réalité des rapports entre agriculture et biodiversité appelle des réponses beaucoup plus nuancées. En particulier parce qu’il est impossible de parler de « biodiversité » malgré l’apparente simplicité de la définition internationale2 reprise par le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages3. Il convient de parler « des » biodiversités avec leurs écosystèmes ce qui empêche d’avoir une vision homogène des rapports entre agriculture et biodiversité. Les impacts de l’agriculture ne seront pas les mêmes sur le sanglier, le ver de terre, l’outarde canepetière, le grand hamster, la vache, les parasites. Chaque espèce a ainsi ses propres exigences rendant très difficiles les discours homogènes en la matière. Cette biodiversité, qualifiée dans sa globalité, de patrimoine commun de la nation dans le projet de loi relatif à la biodiversité, est en réalité multiple, complexe, en perpétuel mouvement, et sujette à appréciations différenciées en fonction des analyses scientifiques, agronomiques, économiques, sociales, culturelles, sociologiques, environnementales et juridiques. La complexité de la biodiversité dans ses interrelations, ses évolutions permanentes et par principe compliquées à prévoir avec certitude sont difficiles à saisir par la science et encore plus par le droit. C’est pourquoi, nous nous contenterons de constater que toutes modifications volontaires ou involontaires des écosystèmes qui sont autant d’habitats pour les espèces animales entraînent des conséquences sur l’évolution de la biodiversité présente. L’agriculture, celle qui exploite les sols4 a eu historiquement et a encore des conséquences directes5 sur ces espèces en termes de prélèvements6, mais aussi en termes de Carole Hernandez-Zakine, « L’agriculture détruit-elle ou non la biodiversité ? », Agriculteurs de France n° 562, 4 avril 2014, http://www.agriculteursdefrance.com/fr/LaLettreInternet.asp? ThemePage=2&Rubrique=1&Num=466 2 « Diversité biologique : Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. », Article 2 de la Convention de Rio sur la diversité biologique, 1992, http://www.cbd.int/doc/legal/cbd-fr.pdf 3 « On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants », Article 1er de la loi pour la reconquête de la biodiversité, sénat petite loi du 12 mai 2016. 4 Nous excluons de notre réflexion l’agriculture hors sol qui fait néanmoins partie de la définition des activités agricoles au sens du Code rural en vertu de l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime. 5 Notons qu’aux effets de l’agriculture, il convient de rajouter le morcellement du territoire, les infrastructures et les aménagements, l’imperméabilisation des sols. 6 À l’origine toutes les espèces jugées comestibles étaient chassables. En outre, toutes les espèces inutiles ou nuisibles à l’agriculture étaient détruites. Tout agriculteur était chasseur pour protéger ses récoltes et pouvait se défendre contre les bêtes fauves. J. de Malafosse, « Nature et liberté: les acquis de la révolution française, la liberté de cultiver et de détruire le gibier », RDR n° 178, 1 Carole HERNANDEZ-ZAKINE 605 conséquences indirectes en transformant les écosystèmes en agrosystèmes7. Ces agrosystèmes sont autant d’habitats pour les espèces animales et végétales qui y sont inféodées. Les espèces animales, en particulier, les plus symboliques de nos campagnes dépendent des pratiques agricoles et des espaces que crée l’agriculture : les espaces pastoraux et le tétras lyre, le boccage et les amphibiens, reptiles, poissons, mammifères, oiseaux et insectes de toute sorte, les vignobles et les lièvres et perdrix rouges, les zones herbagères de moyenne montagne et la petite faune, l’outarde canepetière et les espaces de polyculture-élevage etc.8 D’une façon générale, de la présence ou non d’éléments qualifiés de « fixes », de « vivant » du paysage9, d’infrastructures écologiques10, d’éléments de la trame verte et bleue comme les haies, talus, fossés, petits boisements, de mares, de milieux humides, mais également de mosaïques de cultures, de bandes enherbées (bandes tampons le long des cours d’eau) dépendra la présence plus ou moins importante de la biodiversité. Dans ces conditions, la biodiversité peut être considérée comme un « produit du sol », qui doit être cultivé à bon escient11 et non comme un produit de la chasse avec les lâchers ou simple produit des services écosystémiques12, sorte de don du ciel. Ce terme de produit doit alors être compris dans le sens civiliste de « fruit »13 afin de bien insister sur le fait que cette biodiversité est conditionnée à l’exploitation des sols et ne devrait pas les amoindrir. Néanmoins, si nous concevons que la biodiversité est déc.1989, p.489. Le rattachement de la chasse au Ministère de l’agriculture à la fin du XIXe siècle, jusque-là dépendante du ministère de l’intérieur, symbolise le fait que la chasse est « presque un besoin puisque tout en ayant un fusil sur l’épaule, l’agriculteur visite ses cultures et veille à ses champs », J. de Malafosse, « Droit de la chasse et protection de la nature », PUF, 1979, p. 19. 7 « Le fait que l’agrosystème soit piloté par l’homme lui confère un ensemble de spécificités auxquelles ne répond pas le concept d’écosystème », in Jacques Tassin, « Un agrosystème est-il un écosystème ? », Cah Agric, vol. 21, n° 8 1, janvier-février 2012, p. 57s. 8 « Spécial Agrifaune, Concilier agriculture et faune sauvage » Bulletin technique et juridique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, n° 291, avril - juin 2011. 9 « Les éléments de paysage peuvent être liés notamment au vivant ou au bâti et sont caractéristiques d’un paysage donné. Il peut s’agir notamment de haies, de bosquets, d’arbres isolés, d’alignements d’arbres, de mares ou encore de matériaux, de typologies de constructions ou d’espaces publics. », Article 72 du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, projet n° 359, 25 mars 2015. 10 Article R. 411-9-11-2 du Code rural : « Pour l’application du précédent alinéa, sont notamment considérés comme infrastructures écologiques les haies, bosquets, arbres isolés ou alignés, jachères, bordures de champs, fossés, murets, banquettes, mares, vergers de haute tige. » 11. J. de Malafosse, Droit de la chasse et protection de la nature, LGDJ / Montchrestien, 1979, p. 351 ; Carole Hernandez-Zakine, Influence du droit de l’environnement sur le droit rural, conservation de la faune sauvage sur l’espace rural, Thèse, Panthéon Sorbonne, 1997. 12 Les services écosystémiques correspondent à l’ensemble des services que procurent les écosystèmes au bien-être des êtres humains. Ces services correspondent aux bénéfices retirés par l’homme des processus biologiques. Cette notion met en lumière le fait que les écosystèmes sont utiles à la société et notamment aux activités économiques. 13 Dans le langage juridique, les fruits naturels représentent la partie d’une plante (récoltes, fruits des arbres fruitiers et coupe des arbres) ou d’un animal (le miel des abeilles, la laine des moutons, le lait des animaux) engendrée naturellement et périodiquement au cours du cycle de leur croissance. Contrairement aux « produits », les « fruits » peuvent être récoltés ou recueillis par l’homme sans que la plante ou sans que l’animal ne soient sacrifié. 606 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif produite par l’action agricole, nous précisons qu’elle n’appartient pas à son producteur car elle relève du patrimoine commun et d’une démarche qui relève de l’intérêt général14. Ce qui suppose que la démarche d’exploitation réponde aussi aux préoccupations d’intérêt général. D’un point de vue juridique, la traduction de ce lien entre agriculture et biodiversité pose la question de l’articulation concrète à organiser entre d’un côté la biodiversité considérée comme un patrimoine commun des êtres humains par la Charte de l’environnement, en tant qu’élément de l’environnement et l’acte de production et d’exploitation des terres agricoles, qui comme leur dénomination l’indique ont une finalité agricole, donc une finalité de productions de biens alimentaires et non alimentaires. Nous souhaitons montrer dans cet article que seule une articulation juridique explicite et bien clarifiée entre activité agricole privée et préservation de la biodiversité, entre le droit rural, branche du droit civil à l’origine, et le droit de l’environnement, principalement composé de règles de droit public, entre le droit d’exploitation des terres et le droit de propriété peut conduire à la fois à une valorisation durable de la biodiversité et à un développement durable de l’activité agricole. Et ce dans un contexte d’agriculture durable, qualifiée « d’agroécologie » par l’article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime15 c’està-dire une agriculture dont le développement s’appuie sur la « triple »16 performance c’est – à-dire les trois piliers de l’économie, du social et de l’environnement pour satisfaire à la fois les besoins des générations présentes et des générations futures. Nous situons notre réflexion dans le cadre d’une activité agricole qui est une activité économique qui doit, juridiquement parlant, intégrer une biodiversité qui n’est pas toujours perçue comme directement utile aux agrosystèmes par les agriculteurs17. La question se pose alors de voir comment intégrer la biodiversité, dans son ensemble, dans la conduite de l’entreprise et le revenu des agriculteurs18. C’est pourquoi, nous envisagerons de façon privilégiée le cas des propriétaires de droit privé et non de droit public afin de nous Carole Hernandez-Zakine, « Les paiements pour services environnementaux : contractualiser pour produire de l’environnement et augmenter ses revenus », décembre 2014, SAF agr’iDées, p. 10, http://www.safagridees.com/publication/paiements-pour-services-environnementaux-pseen-agriculture-contractualiser-pour-produire-de-lenvironnement-et-augmenter-ses-revenus/ 15 V. Carole Hernandez-Zakine « Loi d’avenir pour l’agriculture : l’agroécologie comme nouveau modèle agricole », Droit de l’environnement, n° 232, mars 2015, p. 109s. 16 La lecture de l’article L. 1-II du Code rural révèle que l’agroécologie correspond au respect de quatre performances : économie, social, environnement et santé. 17 Il ne s’agit pas de cantonner la biodiversité aux auxiliaires des cultures ou aux espèces en lien avec l’agriculture, http://observatoire-agricole-biodiversite.fr/sites/oab.mnhn.fr/files/upload/ attached/document_de_synthese_indicateurs_de_biodiversite_en_milieu_agricole.pdf, même s’ils sont aussi des indicateurs de biodiversité des milieux, http://innophyt.univ-tours.fr/servlet/ com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1284470302651&ID_FICHE=6924 3 18 Nous n’aborderons pas dans le cadre de cet article, les prédations à l’égard des récoltes, ainsi que les maladies qui sont l’expression négative de la biodiversité à l’égard de l’agriculture. Néanmoins, cet aspect de la biodiversité ne peut être ignoré sous peine de ne percevoir la biodiversité que dans ses aspects positifs et donc incomplets, ce qui rend les politiques publiques en la matière inachevées voire inapplicables. 14 Carole HERNANDEZ-ZAKINE 607 situer dans un contexte agricole économique de marché de façon à ne pas déconnecter notre réflexion de la réalité de l’agriculture en tant qu’activité rentable de production. Dans ces conditions et pour traiter des liens entre agriculture et biodiversité, nous sommes contraints de simplifier à l’extrême les relations entre agriculture et biodiversité, entre production de biens alimentaires et non alimentaires et écosystèmes et habitats, pour nous concentrer de façon très générale sur les opportunités qui s’offrent aux agriculteurs de rendre leurs terres plus ou moins accueillantes à la biodiversité en général. Et ce, en agissant en particulier sur les éléments vivants du paysage qui investissent aujourd’hui l’univers juridique, en raison des règles de droit de l environnement et de droit rural. Ce faisant, ces porteurs d’environnement se heurtent aux règles d’exploitation des terres agricoles soumises au droit rural. En particulier, il convient de distinguer parmi les agriculteurs ceux qui possèdent leurs terres et les exploitent en faire valoir direct, et ceux qui louent leurs terres et les exploitent en faire valoir indirect. Ce qui oblige à se pencher sur le dispositif du statut du fermage, dispositif d’ordre public monument du droit rural « dressé comme la statue du commandeur »19. En France, le statut du fermage est le mode d’exploitation agricole le plus courant des terres depuis 1980. En 2010, les deux tiers des exploitants agricoles français étaient soumis au faire valoir indirect sur une superficie de de 19902000 pour une SAU globale de 25101000 ha soit 77 %20. Ce statut plonge ses racines dans la protection du preneur et sa grande liberté dans la conduite de son projet d’entreprise et une liberté culturale totale, sauf exception prévue par la loi (I). L’état d’esprit du statut du fermage est aujourd’hui bousculé par le besoin de protéger l’environnement et l’intervention possible du propriétaire pour encadrer et donc limiter la liberté d’exploitation du preneur, sans toutefois parvenir à un équilibrer les rapports entre droit de propriété et liberté culturale (II). La propriété devient alors le signe d’une défense écologique des fonds agricoles. Des tensions apparaissent entre le droit de propriété et la liberté d’exploitation avec à la clé la question centrale d’un équilibre encore à trouver autour d’un partage des droits et devoirs de chacun à préserver et valoriser la biodiversité et l’environnement en général21. 19. « L’idéologie alliée au réalisme allait donner naissance dans ce statut à des règles impératives d’ordre public, dressées dans ses parties essentielles comme la statue du commandeur », in « Fautil modifier ou rénover le statut du fermage ? », J.- F. Lepetit, B. Peignot, M. - P. Madignier, G.Tetu et S. Moreau, RDR n° 233, mai 1995, p. 226. 20 B. Peignot, A. Guyvarc’h, P. Van Damme, Le statut du fermage, Éditions France Agricole, 2014, p. XII. 21 « Article 1er. Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Article 2. Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. », Charte de l’environnement, 2004. 608 I. L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif Approche traditionnelle du statut du fermage : liberté d’exploitation du preneur, expression d’un choix en faveur d’une « certaine » entreprise agricole Depuis l’origine, le preneur est considéré comme la partie à protéger dans le contrat qui l’unit au propriétaire. En effet, il est perçu comme répondant mieux aux besoins de l’entreprise agricole et du développement de l’activité agricole. C’est pourquoi, les choix du preneur en matière de conduite de son exploitation ont toujours été préservés et considérés comme distincts de la protection de leur support, le foncier. La prise en compte de l’environnement dans la conduite de l’exploitation agricole par le preneur ne peut se faire de façon indépendante du statut du fermage et de son état d’esprit. Il convient d’examiner cette prise en compte à la lumière de la protection de ce preneur et de son obligation d’exploiter en bon père de famille c’est-à-dire de ne pas avoir « d’agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ». Dans ces conditions, son propriétaire ne pourra demander la résiliation du bail. A contrario, le preneur a le droit d’agir et d’exprimer sa liberté d’exploiter librement les terres dès lors qu’il se comporte en « bon père de famille » ou en homme « raisonnable » selon l’expression traditionnelle du Code civil reprise à l’article L. 411-27 du Code rural22. Nous verrons tout d’abord les fondements de la liberté d’exploitation (A), et examinerons ensuite la nature des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds (B). Nous constaterons que le statut du fermage n’a pas été construit contre la biodiversité. Il l’a tout bonnement ignorée, conformément à l’état d’esprit de l’époque. A. Les fondements de la liberté d’exploitation L’historique du statut du fermage est essentiel car il explique encore aujourd’hui les difficultés qui existent entre preneurs et bailleurs au sujet de l’environnement. Le droit a été un facilitateur du changement des modes d’exploitation agricole à la fin de la seconde guerre mondiale. « Droit économique d’une agriculture productiviste, le droit issu des lois d’orientation de 1960 et 196223 », a marqué le contenu du droit rural actuel en consommant la rupture du droit rural avec le droit civil et en validant une présence très forte de l’État dans l’orientation agricole. Un peu avant, l’orientation avait été tracée par l’adoption du statut du fermage qui est un système particulier de location des terres agricoles. Constitue un bail rural soumis au statut du fermage toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole24. L’ordonnance du 17 octobre 1945 et la loi Nous utiliserons l’appellation de Code rural tout au long de l’article. L. Lorvellec, Droit rural, Masson, 1988, n° 8. 24 En vertu de l’article L. 411-1 du Code rural, « Toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole définie à 22 23. Carole HERNANDEZ-ZAKINE 609 du 13 avril 1946 relative au statut des baux ruraux, formulées une première fois sous le gouvernement de Vichy, expriment l’idée selon laquelle « la notion qui vient au premier rang n’est plus celle de possession d’une chose, c’est l’exploitation d’une activité25 ». La terre est à celui qui l’exploite selon la formule consacrée. Ce statut particulier des baux ruraux puisqu’il est d’ordre public en vertu de l’article L. 415-12 du Code rural26, résulte de l’idée d’exploitation telle qu’elle est apparue dès le début du XXe siècle en réaction contre l’ordre individualiste et la liberté du Code civil. Il est « la pierre angulaire de l’exploitation agricole »27. Il est le point de départ d’une nouvelle alliance entre le capital et la terre. « L’exploitation est à la fois une cellule économique dont la dimension et la structure doivent être calculées et imposées pour assurer l’optimum de production et une cellule sociale permettant à une famille paysanne de vivre; elle constitue aussi l’affirmation des droits de l’exploitant face à ceux du propriétaire.28 » C’est pourquoi, le bail rural peut être défini de la façon suivante : « Le bail rural est le contrat par lequel le propriétaire abandonne à un locataire l’exploitation d’un domaine moyennant une redevance fixée par avance périodiquement et indépendante des résultats obtenus. »29 La loi du 13 avril 1946 ainsi que les lois postérieures ont eu pour objectif de permettre aux preneurs de moderniser leurs exploitations agricoles, avec la stabilité nécessaire, sous-tendant un minimum d’intervention des bailleurs. Le statut du fermage a été élaboré afin d’assurer la protection de celui qui était considéré comme le plus faible, le preneur, contre celui qui était considéré comme le plus fort le propriétaire. Le choix du preneur s’explique également par le fait qu’il a été considéré comme le plus à même de défendre la viabilité de l’entreprise agricole, d’en satisfaire les besoins30. À cette fin les preneurs se sont vus reconnaître de multiples prérogatives qui confirment le principe selon lequel « Le contact avec la terre a toujours créé obscurément un droit sur la terre. Les législateurs désireux de stimuler la production soumise aux exigences l’article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l’article L. 411-2. Cette disposition est d’ordre public ». 25. G. Ripert, Les forces créatrices du droit, 2e éd., LGDJ, 1955, reprint LGDJ 1998, p. 211. 26 « Le statut du fermage est un droit spécial qui a un caractère impératif. En effet, il est interdit de déroger au statut du fermage lorsque les éléments constitutifs du bail rural sont réunis. La liberté contractuelle n’est possible qu’en l’absence de textes impératifs. Or l’article L. 415-12 du Code rural pose un principe : “Toutes dispositions des baux, restrictive des droits stipulés par le présent titre [statut du fermage et métayage] est réputée non écrite”. À quelques exceptons près, l’ensemble de la réglementation relative aux baux ruraux est d’ordre public. », B. Peignot, A. Guyvarc’h, P. Van Damme, Le statut du fermage, op. cit. p. 19. 27. J. de Malafosse, « Agriculture et environnement, amélioration des conditions d’exploitation », op. cit., n° 101. 28. P. Ourliac, « Préface » du J. Cl. droit rural. 29 B. Peignot, A. Guyvarc’h, P. Van Damme, Le statut du fermage, op. cit. p. 19. 30 R. - J. Aubin – Broute, Le contrat en agriculture, contribution à l’étude du contrat comme instrument de l’action publique, Thèse, LGDJ, 2013, n° 26 610 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif économiques n’ont pu que le reconnaître.31 » C’est pourquoi, le preneur est tenu de jouir de façon active du fonds agricole en le cultivant et en l’entretenant32, il ne peut se cantonner à une simple activité de mise en culture du fonds33. Le statut du fermage sous-tend une exploitation active du fonds définie comme « une culture ou entretien des parcelles34 » et comme « l’utilisation à des fins de rentabilité économique35 ». B. Les agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds : expression d’une normalité agricole Conformément au Code civil de 1804 (article 1766 du Code civil) et en vertu de l’article L. 411-27 du Code rural, le preneur est chargé de cultiver en « bon père de famille » et désormais « raisonnablement », en apportant des améliorations culturales au fonds. Sans vouloir entrer dans la polémique qui a agité les parlementaires autour de la notion de « bon père de famille »36, il est important de bien préciser l’utilité de l’expression d’une normalité agricole au regard du statut du fermage. L’expression « bon père de famille » a été jugée « désuète, discriminatoire à l’égard des femmes, comme étant un stéréotype fondé sur le sexe, daté d’un autre âge qui renvoie à une conception patriarcale de la famille »37. C’est pourquoi, le bon père de famille du Code civil et du Code rural est devenu « un homme raisonnable » à l’Assemblée nationale38, puis un homme « prudent et diligent » au Sénat39 pour redevenir raisonnable dans la loi finale du 4 août 31. P. Ourliac et M. de Juglart, Fermage et métayage dans la législation récente, Ed. Techniques, 3e éd. 1948, n° 2, p. 7. 32. C. Dupeyron, J.-P. Theron et J.-J. Barbieri, Droit agraire, droit de l’exploitation, op. cit. n° 326. 33 B. Peignot, A. Guyvarc’h, P. Van Damme, Le statut du fermage, op. cit. p. 7. 34. Cass. civ. 29 janvier 1970, BC III, n° 67. 35. L. Lorvellec, Droit rural, op. cit., n° 182. 36 B. Peignot, « Requiem pour un bon père de famille », Agriculteurs de France, n° 212, juillet – août 2014, p. 24s. 37 Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes porté par le ministère en charge de la justice a eu comme conséquence inattendu de mettre fin à la notion de bon père de famille. Il revient à l’Assemblée nationale d’avoir introduit en première lecture un article 5 quinquies pour supprimer cette expression. Le Sénat a suivi en proposant juste d’autres expressions, Lire les travaux parlementaires sur cet article pour comprendre à quel point le bon père de famille, au sens littéral du terme, n’a plus sa place au XXIe http://www.legifrance.gouv.fr/ affichLoiPreparation.do?idDocument=JORFDOLE000027654910&type=general 38 L’article 5 sexies A (nouveau) du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 janvier 2014, (http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/ta/ta0282.pdf ) remplace les termes de « bon père de famille » dans le Code civil par les termes « raisonnablement, raisonnable » en fonction des articles visés. 39 Le Sénat a modifié le texte de l’Assemblée nationale en deuxième lecture http:// www.senat.fr/leg/tas13-101.html Carole HERNANDEZ-ZAKINE 611 201440. Au-delà de la polémique, il est nécessaire de garder à l’esprit l’utilité même de cette notion de « bon père de famille ». Le vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant, sous la direction du professeur Gérard Cornu définit le « bon père de famille » comme le « type de l’homme normalement prudent, soigneux et diligent, auquel se réfère le Code civil pour déterminer notamment les obligations qui pèsent sur celui qui a la conservation (articles 1137, 1880 et 1962 du Code civil), l’administration (articles 450 et 1374 du même code) ou la jouissance (articles 601, 1728 et 1806 du même code) du bien d’autrui, en supposant chez le père de famille, érigé en modèle, la vertu moyenne d’une gestion patrimoniale avisée ; référence traditionnelle comparable à celle de la personne raisonnable ». S’intéresser à un fermier prudent et diligent, c’est s’intéresser à la normalité agricole puisque le statut du fermage devient le curseur du comportement attendu d’un individu de référence, le preneur. « Le bon père de famille est utilisé par le juriste comme un mètre étalon pour définir dans un contexte donné, la norme comportementale en se rapportant à un individu de référence », cet individu pouvant être un homme, une femme, personne physique ou morale41. C’est en cela que le preneur, homme ou femme, « bon père de famille » ou « raisonnable », nous intéresse car il exprime la normalité agricole à l’égard de l’environnement et plus particulièrement de la biodiversité. À l’époque, le juge, chargé d’apprécier ce qu’est un « bon père de famille » dans la situation particulière de l’exploitation d’un fonds, a pu en définir les contours au cas par cas. Il s’agit bien pour le juge de décider des manquements contractuels du preneur qui pourront justifier une résiliation du bail à la demande du bailleur en vertu de l’article L. 411-31 du Code rural42. Dans tous les cas, ces améliorations seront sanctionnées si elles sont jugées de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. Le fermier s’expose alors à la résiliation (L. 411-31 du Code rural) ou au non renouvellement de son contrat de bail sur demande du bailleur (art. L. 411-53 du Code rural). « La loi ne sanctionne donc que l’incurie économique et non la violation des obligations Article 1766 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 - art. 26 « Si le preneur d’un héritage rural ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s’il abandonne la culture, s’il ne cultive pas raisonnablement, s’il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou, en général, s’il n’exécute pas les clauses du bail, et qu’il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail. » 41 B. Peignot, « Requiem pour un bon père de famille », op.cit. p. 24. 42 Article L. 411-31 : « I. -Sauf dispositions législatives particulières, nonobstant toute clause contraire et sous réserve des dispositions des articles L. 411-32 et L. 411-34, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s’il justifie de l’un des motifs suivants : 1° Deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits revenant au bailleur ayant persisté à l’expiration d’un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l’échéance. Cette mise en demeure devra, à peine de nullité, rappeler les termes de la présente disposition ; 2° Des agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu’il ne dispose pas de la main-d’œuvre nécessaire aux besoins de l’exploitation ; 3° Le non-respect par le preneur des clauses mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 411-27. » 40 612 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif contractuelles elles-mêmes43 ». Conformément aux exigences économiques d’après-guerre, les améliorations culturales ont été définies comme « des actes de culture du fermier qui ont accru durablement, et sans se spécialiser les uns par rapport aux autres, la productivité de la terre44 » En dehors de toute préoccupation relative à la conservation de la propriété, le fermier doit s’occuper du fonds agricole en réalisant des améliorations culturales qui lui ouvriront le droit à indemnité due par le bailleur en vertu de l’article L. 411-69 du Code rural45. Celles-ci conformément à l’esprit d’origine du statut du fermage doivent déboucher sur une augmentation de la production et de la productivité des terres46. Les défrichements, l’irrigation, le drainage, l’apport d’engrais chimiques étaient alors présentés comme des améliorations culturales par excellence47. A contrario, l’apport insuffisant d’engrais48 et la présence de friches et de plantes sauvages49 ont été considérés comme allant à l’encontre d’une bonne exploitation du fonds car ils provoquaient une chute de rendements. Le gel des terres tel que prévu par le règlement n° 2078/92 du Conseil a ainsi conduit le législateur à intervenir pour préserver les preneurs de bailleurs mécontents50, et sécuriser l’intervention des juges en faveur de l’ordre juridique communautaire. De même, il fut un temps où le changement de culture en mode de culture biologique51 était sanctionné par les tribunaux. Ces différents jugements expriment la frilosité des propriétaires à l’égard de démarches environnementales, tout comme celle des juges. Ces derniers ont pu s’inspirer en la matière de l’article L. 43. C. Dupeyron, J.-P. Theron et J.-J. Barbieri, Droit agraire, droit de l’exploitation, op. cit. n° 355. R. Savatier, Les baux ruraux, 1973, n° 341. 45 Pour être indemnisé, il est indispensable que le preneur ait obtenu de la part du bailleur l’autorisation précise et préalable d’effectuer les travaux, B. Peignot, A. Guyvarc’h, P. Van Damme, Le statut du fermage, op. cit., p. 237. 46. Les modalités d’octroi des indemnités accordées au preneur sortant pour les travaux de transformation du sol incitent à l’augmentation du potentiel de production par l’utilisation accrue d’engrais, art. L. 411-71 § 3 du Code rural; l’article L. 411-28 quant à lui permet de réunir les parcelles attenantes par la suppression des éléments fixes du paysage dès qu’il en résulte une amélioration des conditions d’exploitation. 47. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une Cour d’appel avait pu déduire la preuve d’améliorations culturales d’une comparaison entre le rendement des cinq dernières années de culture. L’augmentation de rendement des productions entre l’entrée et la sortie du fermier a été considérée comme une amélioration culturale sans aucun examen de l’état du sol, Cass. civ. 26 janvier 1982, Gaz. Pal. I 1983, p. 220. 48. Cass. civ. 19 mars 1980 Epoux Portais, JCP 1980, éd. G, IV p. 212. 49. Cass. civ. 14 octobre 1980, JCP 1981IV p. 2; Cass. civ. 20 décembre 1983, RDR 1984, p. 478 ; Cass. civ. 5 juin 1984, RDR 1985, p. 50. 50 Article L. 332-1 du Code rural, en 1993 : « En cas de retrait de production des terres arables dans les conditions prévues par le titre 01 du règlement CEE du Conseil des communautés européennes n° 797-85 du 12 mars 1985 modifié, les droits et obligations résultant de l’application du livre VII du Code rural sont appréciés, pendant la durée du retrait, comme si ces terres restaient affectées aux productions agricoles pratiquées l’année précédant ce retrait. Le preneur qui procède à un retrait de production de terres arables et qui assure l’entretien minimum prévu par le règlement du 12 mars 1985 précité est réputé en assurer l’exploitation prévue par le livre IV du présent code. Les dispositions du présent article s’appliquent à compter de la date d’effet de chaque retrait. » 51. Cass. civ. 20 mai 1985, Epoux Fransonnet c/ Dame Jacquelet, JCP 86 éd. N. II p. 39. 44. Carole HERNANDEZ-ZAKINE 613 411-28 du Code rural, présenté par les détracteurs environnementaux du statut du fermage, comme l’expression caricaturale d’une liberté d’exploitation du preneur destructrice de la biodiversité. Cet article dispose que : « Pendant la durée du bail, le preneur peut, pour réunir et grouper plusieurs parcelles attenantes, faire disparaître, dans les limites du fonds loué, les talus, haies, rigoles et arbres qui les séparent ou les morcellent, lorsque ces opérations ont pour conséquence d’améliorer les conditions de l’exploitation. » Cet article a été considéré comme le symbole de l’économie productiviste du statut du fermage52. C’est pourquoi, il a été modifié dès 1995 en confiant au propriétaire la charge d’avoir un regard « environnemental » sur les demandes de disparition des haies etc. par son preneur, comme nous le verrons ci-après. Il est intéressant de noter que dans le même temps, le législateur a commencé à envisager les preneurs comme des acteurs de l’environnement. L’article 12 de la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 a complété l’article L. 411-27 du Code rural afin que les méthodes de culture favorables à l’environnement ne soient pas, en elles-mêmes, source de résiliation. « Le fait que le preneur applique sur les terres prises à bail des pratiques ayant pour objet la préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, des paysages, de la qualité des produits, des sols et de l’air, la prévention des risques naturels et la lutte contre l’érosion ne peut être invoqué à l’appui d’une demande de résiliation formée par le bailleur en application du présent article. » Cette évolution de texte a pour conséquence de préserver le preneur qui souhaite s’engager dans une gestion environnementale des terres d’un bailleur hostile à ces méthodes, dès lors que ces pratiques environnementales ne sont pas considérées comme des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. L’esprit du statut du fermage n’est pas modifié même si la démarche du législateur en 1999 est bien de préserver les initiatives écologiques du preneur. Ce faisant, le législateur a incité les juges à faire évoluer leur appréciation des agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. Les juges ont ainsi accepté l’agriculture biologique dès lors que les adventices comme les 52. Quelques exemples : J.-P. Tomasi, Droit rural et protection de l’environnement, Thèse, Lyon III, 1990 ; « Dans le statut du fermage, le preneur se voit reconnaître, par des dispositions considérées parfois d’ordre public, le droit d’utiliser les ressources naturelles sans aucune préoccupation de protection de l’environnement », J. de Malafosse, « Gestion du patrimoine naturel », J. Cl. environnement, fasc. 302, 1997, n° 18 ; Le statut du fermage est présenté comme une atteinte permise à la protection de la nature, « Faut-il modifier ou rénover le statut du fermage? », J.F. Lepetit et B. Peignot, RDR mai 1995, n° 233, p. 234 ; « Il suffit pour démontrer la totale imperméabilité du statut du fermage à l’écologie de mettre en exergue quelques articles du Code rural et de la pêche maritime ainsi que la jurisprudence à laquelle ils ont donné naissance », « De l’agriculture à l’environnement: contrats, initiatives privées », J.-M. Gilardeau, RDR, mai 1992, n° 203, p. 217 ; « Un intrus dans les rapports bailleurs et preneurs, l’intégration de la contrainte “environnement” dans le statut du fermage », « l’Entreprise agricole et le statut du fermage », Comptes rendus du Congrès national de droit rural, Angers, Oct. 1994; « Statut du fermage et environnement », Conseil supérieur du Notariat, 12 oct. 1994. 614 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif baisses de rendements sont conformes aux méthodes de cette agriculture53. On sent néanmoins, l’attachement du juge à l’état d’esprit du statut du fermage qui est la protection des capacités de production des terres agricoles54. Nous sommes bien dans un contexte agricole d’intégration de l’environnement et non dans un contexte environnemental nécessitant une approche agricole. II. Des rapports entre bailleur et preneur bousculés par l’environnement Nous verrons que le bailleur s’est vu reconnaître le droit de limiter la liberté culturale du preneur en étant désigné par le législateur comme le gardien de l’environnement, dont la biodiversité, ce qui est un facteur de tensions entre preneurs et bailleurs55(A). Ces tensions montrent bien que l’exclusion de l’exploitant en faveur du propriétaire ou vice versa ne permettra pas de rénover durablement le statut du fermage à la lumière de la biodiversité et de l’environnement en général. Il convient aujourd’hui de rechercher une meilleure articulation entre les droits et devoirs de chacun, d’une meilleure répartition de la valeur et des revenus, ce qui suppose de dépasser les tensions entre droit de propriété et liberté d’exploiter (B). A. Une préférence légale en faveur du propriétaire pour limiter la liberté d’exploitation L’évolution du statut du fermage est marquée par le choix fait par le législateur de protéger l’environnement et plus précisément les éléments vivants du paysage sur les terres agricoles. Le législateur a décidé de confier au propriétaire la mission de gardien de l’environnement en renforçant ses prérogatives à l’égard de la liberté d’exploitation du preneur. La loi associe ainsi le propriétaire à une mission d’intérêt général dite environnementale et augmente ses prérogatives pour encadrer la liberté économique du preneur mais uniquement dans les cas qu’elle définit. La loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement a introduit une modification symbolique dans le statut du fermage en soumettant la liberté du preneur de l’article L. 411-28 du Code rural à l’accord préalable du propriétaire56. Cet accord ne doit pas être motivé par une dégradation du fonds comme pour l’article L. 411-29 du Code rural. Cet article dispose que « Nonobstant les dispositions de l’article 1766 du Code civil mentionnées à l’article L. 411-27, le preneur peut, afin d’améliorer les CA d’Aix en Provence, n° rôle 07/12141, 17 mars 2008. Cass.civ.3, 4 janvier 2012. Inédit, pourvoi n° 11-11451. 55 « Environnement, statut du fermage et contractualisation », Le journal du fermier et du métayer, n° 625, avril 2013. 56 « Le bailleur dispose d’un délai de deux mois pour s’opposer à la réalisation des travaux prévus à l’alinéa précédent, à compter de la date de l’avis de réception de la lettre recommandée envoyée par le preneur. Passé ce délai, l’absence de réponse écrite du bailleur vaut accord. » 53 54 Carole HERNANDEZ-ZAKINE 615 conditions de l’exploitation, procéder soit au retournement de parcelles de terres en herbe, soit à la mise en herbe de parcelles de terres, soit à la mise en œuvre de moyens culturaux non prévus au bail. À défaut d’accord amiable, il doit fournir au bailleur, dans le mois qui précède cette opération, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une description détaillée des travaux qu’il se propose d’entreprendre. Le bailleur peut, s’il estime que les opérations entraînent une dégradation du fonds, saisir le tribunal paritaire, dans un délai de quinze jours à compter de la réception de l’avis du preneur. Le preneur peut s’exécuter ou faire exécuter ces travaux si aucune opposition n’a été formée ou si le tribunal paritaire n’a pas admis la recevabilité ou le bien-fondé des motifs de l’opposition du bailleur. » Précisons que si le preneur ne respecte pas ces procédures d’accord préalable, la résiliation du contrat de bail ne pourra être décidée qu’à la condition que les agissements soient considérés comme compromettant la bonne exploitation du fonds. Ce qui signifie que le simple fait d’arracher des haies sans l’accord du propriétaire n’entraîne pas de droit une sanction de la part des juges57. La loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 a décidé d’aller plus loin dans les prérogatives environnementales reconnues au bailleur en prévoyant la possibilité d’introduire dans un bail rural soumis au statut du fermage des clauses dites environnementales (article L. 411-27 du Code rural)58. Ce dispositif a été précisé par un décret n° 2007-326 du 8 mars 2007. La particularité majeure de ce « bail rural environnemental » est de confier au bailleur la responsabilité de l’exécution des clauses environnementales. En décidant à l’article R. 411-911-4 que « le bail incluant des clauses mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 411-27 fixe les conditions dans lesquelles le bailleur peut s’assurer annuellement du respect par le preneur des pratiques culturales convenues », le Code rural donne au bailleur la responsabilité de la bonne exécution des clauses environnementales avec à la clé la possibilité de résilier le bail pour nonexécution des clauses, sans que la preuve d’un agissement de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds soit exigée. Dans ces conditions, le bailleur devient le gardien des comportements non-écologiques du preneur au regard des pratiques strictement définies par le Code rural et de la pêche maritime à l’article R. 411-9-11-1. Néanmoins, ces clauses ne peuvent être insérées qu’au moment de la conclusion d’un nouveau bail ou lors du renouvellement d’un bail et non à tout moment et ceci sous la seule décision du propriétaire. Ce bail a un caractère optionnel et ne peut être conclu qu’après accord des deux parties (bailleur et preneur). Cependant, rien n’interdit au propriétaire, au moment de la conclusion d’un nouveau bail, de privilégier l’inclusion de clauses environnementales et d’écarter les preneurs récalcitrants59. CA Dijon, Chambre sociale n° rôle 08/00609, 19 mai 2009, RDR 209, n° 377, p. 41, note S. Crevel. 58 L. Bodiguel, « Les clauses environnementales dans le statut du fermage », R. D. rural 2011, étude 16 ; Environnement et développement durable 2011, étude 10. 59 Il existe des dispositifs juridiques autorisant expressément les bailleurs publics à exiger de leurs preneurs au moment du renouvellement du bail l’inclusion de clauses environnementales : ex. 57 616 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif En raison de tous ces éléments que l’on peut qualifier de « tensions » entre les propriétaires et leurs preneurs, le dispositif de 2006 a été limité : limité à certains bailleurs (personne morale de droit public, association agréée de protection de l’environnement, personne morale agréée « entreprise solidaire », fondation reconnue d’utilité publique ou fonds de dotation) qui peuvent introduire ces clauses partout sur le territoire ; limité à certaines parcelles situées dans des espaces soumis à des réglementations environnementales spécifiques mais ouverts à tous les bailleurs y compris privés pour des clauses énumérées dans le Code rural mais conformes au document de gestion officiel de l’espace protégé considéré60. Le Code rural considère dans son article L. 411-1161 que le prix du fermage sera établi aussi en fonction des clauses environnementales contenues dans le contrat de bail. Cet article précise que « Les minima arrêtés par l’autorité administrative ne s’appliquent pas au loyer lorsque le bail comporte des clauses mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 411-27 », ce qui suppose que le prix du loyer de ce bail devrait varier à la baisse, au titre de la compensation des charges reposant sur le preneur. Ce qui suppose finalement que le propriétaire accepte de prendre à sa charge le coût de l’environnement, ce coût étant supposé ne pas être intégré dans la démarche d’entreprise du preneur et dans le déroulement normal de la vente et de la valorisation de ses produits. Ce type de bail ne s’est pas développé pour l’heure. Il concentre aujourd’hui plus de tensions que de solutions environnementales en donnant certains pouvoirs et responsabilités aux propriétaires, tout en accordant aux preneurs en place la possibilité de ne pas accepter les clauses environnementales. Il convient également d’accepter l’idée que tous les propriétaires ne voient pas ce dispositif environnemental d’un œil favorable. C’est pourquoi, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a souhaité modifier l’ensemble du dispositif avec à l’origine une volonté de le libéraliser. Il s’agissait de passer d’un dispositif dérogatoire avec l’inclusion de clauses environnementales dans certains baux classiques, soumis au statut du fermage, à certaines conditions tenant aux personnes et aux lieux à un dispositif de droit commun avec l’introduction possible de clauses environnementales pour des contrats soumis au statut du fermage partout sur le territoire sans regarder la qualité des bailleurs. À noter aujourd’hui, que bon l’article L. 231-8-2 du Code de l’environnement permet à l’agence de l’eau de s’opposer au renouvellement du bail en cas de refus du preneur après l’avoir indemnisé. Même dispositif prévu à l’article L. 211-13 du Code de l’environnement, précisé à l’article R. 211-106. 60. V. les listes : article 411-27 du Code rural et de la pêche maritime (avant modification de la loi agricole de 2014). 61 Article L. 411-11 : « Le prix de chaque fermage est établi en fonction, notamment, de la durée du bail, compte tenu d’une éventuelle clause de reprise en cours de bail, de l’état et de l’importance des bâtiments d’habitation et d’exploitation, de la qualité des sols ainsi que de la structure parcellaire du bien loué et, le cas échéant, de l’obligation faite au preneur de mettre en œuvre des pratiques culturales respectueuses de l’environnement en application de l’article L. 411-27. Ce prix est constitué, d’une part, du loyer des bâtiments d’habitation et, d’autre part, du loyer des bâtiments d’exploitation et des terres nues. » Carole HERNANDEZ-ZAKINE 617 nombre d’acteurs institutionnels et environnementaux62, en particulier les acteurs non publics, sont de plus en plus incités par l’État lui-même à acheter les terres agricoles et non agricoles63 afin d’en assurer une protection jugée meilleure. D’où leur demande forte d’un assouplissement du statut du fermage. Les discussions autour de cet article ont été très fortes et la loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 201464 a accouché d’un dispositif repris à l’article L. 411-27 du Code rural, modifié, précisé par le décret n° 2015-591 du 1er juin 2015, qui pose plus de questions qu’il n’en résout65. L’article L. 411-27 du Code rural dispose désormais que « des clauses visant au respect par le preneur de pratiques ayant pour objet la préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, des paysages, de la qualité des produits, des sols et de l’air, la prévention des risques naturels et la lutte contre l’érosion, y compris des obligations de maintien d’un taux minimal d’infrastructures écologiques, peuvent être incluses dans les baux » Ces clauses sont toujours énumérées à l’article R. 411-9-11-1 du Code rural, enrichi avec le décret de 201566. La loi agricole a maintenu les deux situations particulières de conclusion des baux environnementaux à savoir le statut de personnes publiques qui ouvre droit à une contractualisation sur tout le territoire et la localisation particulière des terres agricoles avec des bailleurs publics et privés. Cependant, la loi ajoute une troisième possibilité qui est de conclure des clauses permettant de « garantir, sur la ou les parcelles mises à bail, le maintien de ces pratiques ou Fiches outils de nature contractuelle mobilisables pour la Trame verte et bleue, Ouvrage collectif piloté par les parcs naturels régionaux et les Conservatoires d’espaces naturels, mars 2013, http://www.parcs-naturels-regionaux.fr/upload/doc_telechargement/grandes/TVB%20recueil %20de%20fiches%202013BD.pdf 63 « Stratégies foncières locales et mobilisation des outils fonciers en faveur de la biodiversité », Ministère de l’écologie, CETE Méditerranée, Guide méthodologique, mars 2013, http:// agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Guide_Methodologique_Mars_2013_cle0febb3.pdf 64 Loi n° 2014 1170 du 13 octobre 2014, JORF n° 0238 du 14 octobre 2014. 65 L. Bodiguel, « Quand le droit agroenvironnemental transcende le droit rural », Revue Droit rural, février 2015, p. 43. 66 « Les clauses pouvant être incluses dans les baux ruraux dans les cas prévus aux troisième à sixième alinéas de l’article L. 411-27 portent sur les pratiques culturales suivantes : 1° Le nonretournement des prairies ; 2° La création, le maintien et les modalités de gestion des surfaces en herbe ; 3° Les modalités de récolte ; 4° L’ouverture d’un milieu embroussaillé et le maintien de l’ouverture d’un milieu menacé par l’embroussaillement ; 5° La mise en défens de parcelles ou de parties de parcelle ; 6° La limitation ou l’interdiction des apports en fertilisants ; 7° La limitation ou l’interdiction des produits phytosanitaires ; 8° La couverture végétale du sol périodique ou permanente pour les cultures annuelles ou les cultures pérennes ; 9° L’implantation, le maintien et les modalités d’entretien de couverts spécifiques à vocation environnementale ; 10° L’interdiction de l’irrigation, du drainage et de toutes formes d’assainissement ; 11° Les modalités de submersion des parcelles et de gestion des niveaux d’eau ; 12° La diversification de l’assolement ; 13° La création, le maintien et les modalités d’entretien de haies, talus, bosquets, arbres isolés, arbres alignés, bandes tampons le long des cours d’eau ou le long des forêts, mares, fossés, terrasses, murets ; 14° Les techniques de travail du sol ; 15° La conduite de cultures ou d’élevage suivant le cahier des charges de l’agriculture biologique ; 16° Les pratiques associant agriculture et forêt, notamment l’agroforesterie.» 62 618 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif infrastructures. » À la lecture des débats parlementaires, il ressort que l’idée du législateur en 2014 est au moins de maintenir les pratiques vertueuses préexistantes sur tout le territoire, comme l’agriculture biologique, en rendant possible leur contractualisation à tous les types de bailleurs en particulier privés. Mais il s’agit bien de « maintien » de pratiques ou d’infrastructures et non de pratiques environnementales ou d’infrastructures nouvelles. L’article R. 411-911-2 I du Code rural et de la pêche maritime précise que : « I. - Lorsque l’une des clauses du bail prévoit le maintien d’un taux minimal d’infrastructures écologiques, la nature de celles-ci et, le cas échéant, le taux minimal de maintien à respecter sont fixés par les parties en tenant compte des infrastructures répertoriées dans l’état des lieux prévu au deuxième alinéa de l’article L. 411-4. Si une stipulation du contrat le prévoit, le maintien peut être limité à une ou plusieurs infrastructures choisies par les parties parmi celles répertoriées dans l’état des lieux. Pour l’application du précédent alinéa, sont notamment considérées comme infrastructures écologiques les haies, bosquets, arbres isolés ou alignés, jachères, bordures de champs, fossés, murets, banquettes, mares, vergers de haute tige. II. - Pour l’application du quatrième alinéa de l’article L. 411-27, quels que soient le bailleur et la localisation des parcelles, les pratiques à maintenir sont choisies parmi celles figurant à l’article R. 411-9-11-1 qui étaient mises en œuvre par le précédent exploitant, ou qui sont de nature à garantir le maintien des infrastructures constatées dans l’état des lieux prévu au deuxième alinéa de l’article L. 411-4 effectué au moment de la conclusion du bail. » Cet article soulève plusieurs questions : quelles sont les pratiques à maintenir ? Comment comprendre le II de l’article R. 411-9-11-2 I du Code rural ? Doit-on envisager les pratiques qui figuraient déjà dans le précédent contrat de bail sous forme de clauses environnementales ou qui n’y étant pas répondaient néanmoins aux exigences des clauses environnementales et dont les résultats se concrétisent sous forme d’infrastructures constatées dans l’état des lieux ? Le maintien des infrastructures ne semble concerner que les infrastructures répertoriées dans l’état des lieux. L’état des lieux, en vertu de l’article L. 411-4 du Code rural et de la pêche maritime « est établi contradictoirement et à frais communs dans le mois qui précède l’entrée en jouissance ou dans le mois suivant celle-ci ». L’état des lieux intervient également un fin de bail : « L’état des lieux a pour objet de permettre de déterminer, le moment venu, les améliorations apportées par le preneur ou les dégradations subies par les constructions, le fonds et les cultures. Il constate avec précision l’état des bâtiments et des terres ainsi que le degré d’entretien des terres et leurs rendements moyens au cours des cinq dernières années ». Dans ces conditions, seule la présence constatée de ces infrastructures et non le respect préalable de clauses environnementales entrera en ligne de compte. L’évolution de la PAC et les exigences de maintien des infrastructures écologiques seront à l’origine d’une présence renforcée de celles-ci sur le territoire. Les baux ruraux pourront Carole HERNANDEZ-ZAKINE 619 alors renforcer contractuellement leur présence ou alors rajouter une couche juridique inutile car non complémentaire67. Se pose également la question du moment d’introduction des clauses environnementales dans le contrat de bail : lors du renouvellement du bail, dans un nouveau bail, à tout moment en cours de bail, dès lors que les parties sont d’accord68. Les débats parlementaires n’apportent pas de réponse tranchée alors même que le parlement a décidé de supprimer une précision très importante de l’ancien article L. 411-27 du Code rural qui précisait bien que : « Des clauses visant au respect par le preneur de pratiques culturales mentionnées au deuxième alinéa peuvent être incluses dans les baux, lors de leur conclusion ou de leur renouvellement, dans les cas suivants ». En ce qui concerne les clauses de maintien, la rédaction de l’article R. 411-9-11-2 du Code rural reste très ambigüe car donnant le sentiment de ne viser que la conclusion des baux et non leur renouvellement. En effet, cet article vise les clauses mises en œuvre par le « précédent exploitant », ainsi que les infrastructures figurant dans l’état des lieux prévu à l’article L. 411-4 du Code rural, état des lieux réalisé à l’entrée ou à la sortie du preneur. Néanmoins, rappelons qu’en raison de la suppression à l’article L. 411-27 du Code rural de la possibilité explicite de recourir à l’introduction de clauses environnementales lors du renouvellement du bail, les conditions de renouvellement seront celles prévues par le statut du fermage et concernent en principe le maintien des conditions du bail antérieur et non l’introduction de nouvelles conditions. Ce qui supposerait que toute clause environnementale déjà présente dans le contrat de bail précédent puisse être reprise dans le cadre du renouvellement de ce bail. En revanche, l’introduction de nouvelles clauses semble exclue en raison du silence de la loi69. Quel que soit la réponse à ces questions, et qui ne manqueront pas de se poser aux tribunaux, notons que le droit rural met en œuvre le principe de non régression du droit70 que souhaite introduire à terme le projet de loi relatif à la biodiversité dans le Code de l’environnement71. En effet, il s’agit bien de ne pas revenir en arrière dans la préservation de pratiques environnementales et V. infra S. Besson, H. Bosse-Platière, F. Collard et B. Travely, « La loi d’avenir pour l’agriculture ou la légende de l’agriculteur colibri », JCP N 2014, 1320. 69 « En l’absence de décision de justice claire, le débat reste ouvert : littéralement, rien ne s’oppose à cette interprétation ; mais le caractère d’ordre public du statut du fermage pourrait porter plutôt à rejeter ce que la loi ne prévoit pas expressément ou clairement. », L. Bodiguel, « Quand le droit agroenvironnemental transcende le droit rural », op. cit., p. 44. 70 Selon ce principe, l’effet cliquet serait perpétuel et la simplification des textes rejetée dès lors qu’elle serait considérée comme permettant une protection moins forte de l’environnement, La non régression en droit de l’environnement, sous la direction de M. Prieur, G. Sozzo, Bruylant, 2012. 71 L assemblée nationale a décidé d introduire ce principe dans le code de l environnement: « 9° (nouveau) Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante. », petite loi, TA N 706 17 mars 2016. 67 68 620 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif d’infrastructures. Le nouveau dispositif inscrit à l’article L. 411-27 du Code rural a ainsi pour effet d’empêcher tout retour considérer en arrière sous la surveillance des bailleurs aussi bien lors du déroulement du bail que lors de son déroulement en vertu de l’article R. 411-9-11-4 du Code rural. Certains bailleurs publics, d’ailleurs, ont des velléités d’aller vers des obligations de moyens et de résultats avec à la clé des contrôles et des sanctions. Le ministère de l’écologie cherche à proposer des cahiers des charges types pour aider ces bailleurs « environnementaux ». Ce qui ne devrait pas apaiser les tensions entre preneurs et bailleurs mais ce qui devrait donner naissance à des contrats de droit privé soumis au statut du fermage fortement encadrés au nom de l’environnement. B. Dépasser les tensions entre droit de propriété et liberté d’exploiter dans un contexte juridique en mouvement Tout au long de l’article, nous avons vu comment le législateur interfère dans les relations contractuelles entre propriétaires et preneurs au nom de l’environnement et plus particulièrement de la biodiversité en agissant en particulier sur les infrastructures écologiques. Néanmoins, de nombreuses questions juridiques restent en suspens en ce qui concerne la compréhension des évolutions législatives, évolutions qui ne modifient pas explicitement dans le fond l’état d’esprit du statut du fermage. Ainsi, l’extension des clauses environnementales dans des conditions juridiques encore à mieux déterminer ne modifie pas fondamentalement l’état d’esprit du statut du fermage puisque la règle pour la résiliation du bail en vertu de l’article L. 411-31 du Code rural demeure la nécessité de prouver les agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. « Autant dire que le preneur ne peut être sanctionné que s’il n’a pas suffisamment exploité ou produit c’est-à-dire tiré le maximum de la terre au détriment des intérêts économiques du bailleur. »72 L’environnement et les méthodes culturales qui lui sont favorables ne sont donc pas considérés comme des comportements normaux par principe dans le cadre du statut du fermage. Et le dispositif de non-respect des clauses environnementales justifiant une résiliation du bail reste une exception. En outre, les évolutions législatives ne permettent pas de répondre au nouvel environnement juridique agricole car le législateur n’a pas résolu au fond la délicate question de la répartition équilibrée des charges environnementales entre propriétaires et preneurs. Même si le projet de loi biodiversité apporte des éléments intéressants en la matière. Se pose ainsi de plus en plus la question de savoir qui du propriétaire ou de son preneur doit signer un contrat avec un tiers afin de modifier les pratiques agricoles, d’implanter des haies, de créer des mares, des zones humides sur des terres agricoles intéressantes pour la biodiversité ? Cette question se pose de façon très particulière dans le cadre de la compensation écologique que le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des 72 B. Peignot, A. Guyvarc’h, P. Van Damme, Le statut du fermage, op. cit. p. 259. Carole HERNANDEZ-ZAKINE 621 paysages souhaite préciser dans un article 33A73. « Les mesures de compensation sont les mesures rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire, pour compenser, dans le respect de leur équivalence écologique, les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d’un projet de travaux ou d’ouvrage ou par la réalisation d’activités ou l’exécution d’un document de planification. »74 Pour être plus précis, les mesures de compensation sont des mesures obligatoires pour les maîtres d’oùvrage, et ce sur un très long terme, afin de répondre aux principes de prévention, puis pollueur-payeur75. D’où une responsabilité à l’égard de l’autorité administrative dont les maîtres d’ouvrage ne peuvent se défaire en la transférant sur l’opérateur de compensation76 ou les exécutants des mesures de compensation. Ces mesures ne sont donc pas obligatoires au sens réglementaire du terme pour les agriculteurs qui doivent accepter de les mettre en œuvre sur leurs terres. La question se pose de savoir comment organiser en droit la réalisation des mesures de compensation sur les terrains d’autrui, des terrains qui n’appartiennent ni au maitre d’ouvrage, ni à l’opérateur de compensation ? Rappelons qu’il ne s’agit pas d’organiser la mise à disposition, à titre onéreux, de terres agricoles pour réaliser des éoliennes par exemple, mais de développer sur des terres agricoles des mesures consistant à planter des haies, installer des mares, les entretenir mais aussi à porter des changements de pratiques agricoles et de productions qui soient favorables aux espèces, aux écosystèmes et habitats concernés. En vertu des règles du statut du fermage, le propriétaire ne peut imposer à son preneur de modifier ses pratiques agricoles, sauf à passer par les clauses environnementales. Le preneur peut seul décider de modifier ses modes d’exploitation des terres qu’il loue. Il prend alors le risque en passant un contrat avec un tiers de voir le propriétaire demander la résiliation du bail pour agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. En ce qui concerne les haies, le fermier est autorisé à décider seul de leur implantation. En vertu de l’article L. 411-69 du Code rural, « le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l’expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit Le dispositif de compensation écologique a été réactivé par les lois Grenelle : l’article 23 de la loi Grenelle 1 pose comme principe la compensation des atteintes portées aux milieux, aux espèces naturelles et aux continuités écologiques. La loi Grenelle 2 a décidé d’une réforme des études d’impact afin de rendre le dispositif existant conforme aux exigences communautaires (Directive 85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 modifiée concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement). 74 Rapport n° 607, 8 juillet 2015, rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable par J. Bignon, Tome I, p. 228. 75 « Les mesures destinées à éviter, réduire et, lorsque c’est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l’environnement ou la santé humaine », article L. 122-1 du Code de l’environnement. 76 « III. - Un opérateur de compensation est une personne publique ou privée chargée, par une personne soumise à une obligation de mettre en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité, de les mettre en œuvre pour le compte de cette personne et de les coordonner à long terme. », article 33A du projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 mars 2015. 73 622 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif la cause qui a mis fin au bail ». Le fermier qui a planté des haies en cours de bail en est le seul propriétaire pendant toute la durée du contrat. Le droit de propriété du fermier présente donc un caractère temporaire puisqu’il prend fin avec la fin du bail. Néanmoins, une fois cette haie plantée, il devra demander au propriétaire son accord pour la détruire en vertu de l’article R. 411-28 du Code rural et en fin de bail, la haie deviendra la propriété du bailleur. Dans ces conditions, comment envisager le contrat passé avec un tiers pour décider de la plantation de haies, qui ont vocation à durer, ainsi que de leur entretien ? Doiton faire cosigner le preneur uniquement ? Et ou son propriétaire pour plus de sécurité juridique ? C’est le choix du projet de loi biodiversité pour l’heure77. Enfin, ce même preneur ne peut décider seul de créer des plans d’eau (étangs, mares) qui appartiennent aux propriétaires et qui seuls pourront en décider la création en respectant la procédure instaurée au titre de la législation sur l’eau. Le développement des mesures de compensation montre bien aujourd’hui la nécessité de régler les relations entre propriétaire et exploitant afin d’inscrire ces mesures favorables à la biodiversité sur le long terme, mais également d’en faire des éléments essentiels de la stratégie d’entreprise et donc du revenu agricole. Ce qui suppose de réfléchir la répartition des éventuels bénéfices financiers dus au respect de ces mesures de compensation. La rédaction inchangée ajourd’hui du futur article L. 162-2 du Code de l’environnement, figurant à l’article 33A du projet de loi relatif à la biodiversité, issue du rapport de M. Jérôme Bignon réalisé au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat78, est intéressante en terme de conciliation des visions entre propriétaire et preneur. Cet article précise « qu’un contrat conclu avec le propriétaire et, le cas échéant, le locataire ou l’exploitant définit la nature des mesures de compensation […] ». La rédaction de l’article montre le choix du législateur en faveur du propriétaire comme cocontractant de principe des contrats de mesures de compensation et ce en raison de l’approche d’origine79. Ce choix ne respecte pas la réalité juridique du statut du « Art. L. 163-2. – Lorsque des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité sont mises en œuvre sur un terrain n’appartenant ni à la personne soumise à l’obligation de mettre en œuvre ces mesures, ni à l’opérateur de compensation qu’elle a désigné, une convention conclue avec le propriétaire et, le cas échéant, le locataire ou l’exploitant définit la nature des mesures de compensation et les modalités de leur mise en œuvre, ainsi que leur durée », article 33A, Projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, 24 mars 2015. 78 Rédaction qui reprend l’essentiel de l’écriture du projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. 79 La commission du développement durable de l’Assemblée nationale qui a introduit le dispositif sur la compensation écologique n’a envisagé à l’origine que la signature du propriétaire : « Une convention sera alors établie entre le maître d’ouvrage – ou l’opérateur auquel il a délégué la réalisation de ses obligations de compensation – et le propriétaire du terrain. À l’issue de la convention, le propriétaire du terrain utilisé comme support de l’obligation de compensation conservera la liberté de l’affecter à un autre usage, dans le respect des règles d’urbanisme en 77 Carole HERNANDEZ-ZAKINE 623 fermage puisque nous avons vu que le preneur seul peut décider de modifier ses pratiques agricoles et implanter des haies car cela relève de sa liberté d’exploitation. Néanmoins, la possibilité de faire du preneur un cosignataire d’un contrat devenu tripartite peut permettre d’apaiser certaines tensions, certaines suspicions. Ce contrat tripartite qui demeure sur bien des aspects un contrat que l’on peut qualifier de « pédagogique », a l’ambition, à l’occasion des mesures de compensation, de mettre à une même table de discussion les propriétaires et leurs preneurs. Mais il conviendra que ces contrats, qui se surajoutent aux contrats conclus sous l’emprise du statut du fermage, soient rédigés en conséquence et ne laissent pas penser aux propriétaires qu’ils peuvent, comme avec le dispositif des clauses environnementales, imposer à leurs preneurs une conduite écologique contre leur volonté. Ainsi est rédigé l’article 33 du projet de loi biodiversité sur les obligations réelles environnementales80. L’accord du preneur néanmoins, ne réglant pas concrètement la question de son implication éventuelle dans la réalisation de ces obligations. Le propriétaire devant alors passer par la conclusion d’un bail environnemental dans le respect des règles posées par le statut du fermage. Notons que cette approche tripartite suppose bien évidemment l’accord de trois parties pour conclure les contrats. Cette exigence peut être bloquante en termes de réalisation des projets. C’est pourquoi, au lieu d’un accord tripartite, il serait peut plus intéressant et efficace de viser uniquement l’information de la partie non nécessaire au contrat au regard des exigences du statut du fermage. Pour conclure, sur ces questions juridiques qui restent aujourd’hui en suspens, s’ajoutent une question de fond sur les clauses environnementales possibles en vertu de l’article L. 411-27 du Code rural mais également des exigences environnementales au nom des mesures de compensation, en raison des règlements de la PAC. En effet, les mesures environnementales devront en principe aller au-delà du socle environnemental obligatoire du premier pilier, et même du socle environnemental contractuel du second pilier81, sous peine de financer deux fois une même pratique. Ainsi, le paiement de base du premier pilier est complété par une condition de verdissement et d’éléments de conditionnalité (respect de réglementations et de bonnes conditions agroenvironnementales). Certaines haies, bosquets, mares, bandes tampon de l’exploitation relèvent de ces conditions pour permettre aux exploitants d’obtenir la totalité de leurs paiements. Se pose alors la question du rehaussement de la vigueur. » Rapport relatif à la biodiversité (n° 1847) fait par Mme Geneviève Gaillard devant l’Assemblée nationale. 80 « Le propriétaire qui a consenti un bail sur son fonds ne peut, à peine de nullité absolue, accepter de telles obligations réelles environnementales qu’avec l’accord préalable et écrit du preneur. », projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. 81 C. Hernandez-Zakine « Une approche PAC de l’agroécologie : une nouvelle normalité agricole », Droit de l’environnement, n° 230, janvier 2015 ; C. Hernandez-Zakine, « Les paiements pour services environnementaux : contractualiser pour produire de l’environnement et augmenter ses revenus », op. cit., p. 6. 624 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif normalité agricole en raison de la perception des aides publiques PAC. Plus ce socle réglementaire sera élevé et moins il y aura de place pour des initiatives privées sauf pour ces dernières à aller en complément des mesures réglementaires de la PAC, en allant par exemple plus vers le qualitatif que le quantitatif82. En outre, ces règles de la PAC conditionnent le maintien des aides du premier pilier à la-non-destruction des infrastructures écologiques. Ce qui signifie que si le preneur a toujours le droit, avec l’accord de son propriétaire de les détruire, il perdra, ce faisant, ses aides au titre de la PAC. La résolution de ces différentes interrogations juridiques doit aujourd’hui se faire dans le contexte de l’agroécologie. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 reconnaît le principe du développement durable en décidant de l’objectif de la triple performance économique, sociale et environnementale (et santé), dénommée « agroécologie »83. Si l’agroécologie reste encore à un niveau plus conceptuel84 qu’opérationnel85, elle n’en n’est pas moins pour l’heure un objectif à atteindre pour l’ensemble des politiques publiques. Cet objectif irrigue l’ensemble du droit rural concerné par la loi agricole de 201486. L’agroécologie, n’est pas un simple principe écologique. Elle a pour objet de concilier plus efficacement et durablement les enjeux socio-économiques (notamment compétitivité), les enjeux environnementaux. Le défi majeur de l’agroécologie est de concilier les performances environnementales et des rendements élevés dans un contexte démographique en questionnement à l’échelle planétaire87 et de crise généralisée88. S’intéresser aux espèces ligneuses qui composent les haies, leur taille, leur entretien adapté, ainsi que le positionnement des haies par rapport aux impératifs des espèces visées. 83 Article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime : « Les politiques publiques visent à promouvoir et à pérenniser les systèmes de production agroécologiques, dont le mode de production biologique, qui combinent performance économique, sociale, notamment à travers un haut niveau de protection sociale, environnementale et sanitaire. » 84 « Nous montrerons que l’agroécologie renvoie à la fois à une discipline scientifique, à un ensemble de pratiques agricoles et à un mouvement social, et que sa mise en œuvre nécessite un changement d’échelle voire de paradigme. », L’agro-écologie : des définitions variées, des principes communs, Centre d’études et de prospective du ministère en charge de l’agriculture, n° 59, Juillet 2013 http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Analyse_CEP_59_Agroecologie_definitions_ variees_principes_communs_cle051634.pdf. 85 Un comité national de suivi et d’orientation du projet politique de l’agroécologie travaille sur les indicateurs de l’agroécologie, preuve en est que l’agroécologie reste à construire. 86 SAFER, contrôle des structures, schéma régional des exploitations agricoles, la formation, l’enseignement agricole doivent être revus à l’aune de l’agroécologie. 87 Les crises alimentaires de 2007 et 2008 ont remis sur le devant de la scène la question de la sécurité alimentaire et du droit à l’alimentation. V. B. Bachelier, Sécurité alimentaire : un enjeu global, Fondapol, FARM, Novembre 2010 ; S. Abis, Pour le futur de la Méditerranée : l’agriculture, Bibliothèque de l’IReMMO, 2012. 88 Les ménages français souffrent de la crise et l’étude de l’Insee intitulée Les comportements de consommation en 2011 précise que : « Pour certains ménages modestes, faire face aux dépenses alimentaires devient plus difficile ». Cette étude montre que les comportements contraints et à risques de certains ménages ont recours à l’alimentation comme variable d’ajustement, pour 82 Carole HERNANDEZ-ZAKINE 625 L’agroécologie n’a donc pas pour ambition de mettre fin à la fonction productrice de l’agriculture. Bien au contraire89. Le défi est bien de continuer à produire mais dans un contexte de raréfaction des ressources pétrolières et de pollutions de l’eau, de l’air, des sols. Les agronomes se voient alors obligés d’élargir leur champ de réflexion aux questions environnementales. Le champ cultivé, en tant qu’agrosystème devient un enjeu économique et environnemental majeur90. En 2015, l’exploitant « raisonnable » doit s’orienter vers une production alimentaire suffisante, tout en intégrant les exigences environnementales et sociales pour mieux produire. Cette recherche volontaire du mieux environnemental, alliée à un nécessaire mieux dans la compétitivité est d’abord le signal politique d’une prise de conscience lancée à toutes les filières matérielles et immatérielles agricoles des bénéfices économiques possibles pour l’agriculture elle – même, induits par un mieux environnemental91. C’est parce que l’agroécologie a pour vocation d’inspirer tous les maillons des filières agricoles qu’elle pourra être appliquée aussi par les fermiers, les propriétaires mais aussi les juges. Ceux – ci devraient être clairement incités à apprécier ce que sont désormais les comportements raisonnables d’un « bon père de famille » revus à l’aune de l’agroécologie. L’agroécologie doit devenir un modèle de développement agricole partagé par tous pour devenir la norme agricole y compris dans les relations contractuelles du statut du fermage. Ce qui suppose pour le droit d’enclencher sa transition en s’interrogeant sur la complémentarité à organiser entre le socle réglementaire environnemental qui augmente et le déploiement de démarches de droit privé, marquées par des préoccupations de durabilité et de rentabilité. En ce qui concerne la biodiversité, cela suppose que les agriculteurs, encore principaux occupants des terres en France, soient bien considérés comme des gestionnaires de la biodiversité, en agissant en premier lieu sur les écosystèmes et habitats. Dans ces atteindre aujourd’hui des niveaux planchers incompressibles après quelques années de baisse, http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1458 89 Article L. 1 du Code rural et de la pêche maritime : « I.- La politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation, dans ses dimensions internationale, européenne, nationale et territoriale, a pour finalités : 1° Dans le cadre de la politique de l’alimentation définie par le Gouvernement, d’assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, produite dans des conditions économiquement et socialement acceptables par tous, favorisant l’emploi, la protection de l’environnement et des paysages et contribuant à l’atténuation et à l’adaptation aux effets du changement climatique ». 90 « Cette évolution vers une adaptation des systèmes de culture conduit à considérer le champ cultivé comme un agro système dans lequel les techniques culturales modifient les caractéristiques physiques, chimiques et biologiques des milieux. Les agronomes travaillent alors sur la conception de systèmes de cultures dont les pratiques agricoles sont combinées pour remplir des objectifs tenant compte des composantes de l’agroécologie », in C. Colnenne-David, G. Grandeau, T. Dore, « Concilier performances environnementales et rendements élevés : premières évaluations de systèmes de culture innovants sous contraintes », Courrier de l’environnement de l’INRA, décembre 2012, p. 6. 91 Un coût qui peut être maîtrisé grâce aux leviers agronomiques, « Facture fongicide : poser les jalons avant semis », Cultivar, septembre 2013, p. 30s. 626 L’agriculture durable – Essai d’élaboration d’un cadre normatif conditions, la biodiversité peut être considérée comme un « produit du sol », qui doit être cultivé à bon escient et ne pas être considérée comme un simple produit des services écosystémiques. C’est en cela que l’agriculteur rend des services environnementaux92 permettant le maintien des services écosystémiques93. Les premiers services mettent en avant l’action de l’homme qui peut faire l’objet d’une rémunération via des paiements pour services environnementaux organisés via des contrats, en priorité de droit privé, dit PSE94. C’est en insérant l’élément économique dans la démarche agricole de biodiversité que cette dernière sera durable car comme le rappelle fort justement le rapport Bignon, il convient « de dépasser l’opposition binaire entre économie et environnement95», afin « d’associer les exploitants agricoles comme producteurs de services environnementaux, valorisés économiquement »96. Ce qui supposera de développer les rapports contractuels, aussi pour limiter les atteintes au foncier agricole, et donc de mieux les organiser et les préciser juridiquement. CONCLUSION D’un point de vue juridique, force est de constater que l’environnement depuis la loi du 10 juillet 1976, est d’intérêt général, justifiant alors l’intervention accrue et légitime de l’État, en tant que gardien naturel de l’intérêt général et du patrimoine commun des êtres humains. Cette intervention étatique se traduit aujourd’hui par une élévation constante du socle réglementaire environnemental. Mais elle se traduit également par la volonté de l’État d’interférer dans La reconnaissance des services environnementaux permet de mettre en avant l’action positive de l’homme sur l’environnement et sa capacité de produire de l’environnement favorable à ses activités et son bien-être. « Qu’il s’agisse de captation et de stockage de carbone, d’érosion des sols, de façonnage des paysages ou simplement du maintien du potentiel productif d’écosystèmes transformés par l’action de l’homme », La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, 2007, payer les agriculteurs pour les services environnementaux, Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2007, http://www.fao.org/docrep/010/a1200f/a1200f00.htm 93 La réflexion sur les services écosystémiques existe depuis les années 1970 et émerge fortement en 1997 avec la parution d’articles de référence. V. Muriel Bonin et Martine Antona, « Généalogie scientifique et mise en politique des services écosystémiques et services environnementaux », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 12 numéro 3, décembre 2012, mis en ligne le 15 décembre 2012, URL : http://vertigo.revues.org/13147 ; DOI : 10.4000/vertigo.13147, n°6s. 94 Carole Hernandez-Zakine, « Les paiements pour services environnementaux : contractualiser pour produire de l’environnement et augmenter ses revenus », op. cit. 95 « La valorisation économique de la préservation et du développement d’éléments de biodiversité, et son miroir, le financement du coût des impacts négatifs sur la biodiversité dans une logique pollueur/payeur doivent permettre d’inciter les acteurs socio-économiques à une meilleure prise en compte de la biodiversité dans leurs projets et dans leurs activités. Dans l’intérêt de tous l’écologie incitative doit être privilégiée autant que possible c’est-à-dire lorsqu’elle permet d’assurer une protection équilibrée et durable du patrimoine naturel. », Rapport n°607, 8 juillet 2015, rapport fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable par J. Bignon, Tome I, p. 30. 96 Ibid, p. 230. 92 Carole HERNANDEZ-ZAKINE 627 des relations de droit privé, comme celles du statut du fermage, en donnant une prédominance à l’une ou l’autre des parties contractantes, celle qui est jugée la plus à même de remplir la mission environnementale. Cependant, constat est fait que les différentes modifications du statut du fermage se font au coup par coup, sans vision d’ensemble. Elles donnent au propriétaire la possibilité d’encadrer la liberté d’exploiter du preneur soit en lui interdisant de détruire les éléments vivants du paysage présents sur les terres soit en décidant l’introduction de clauses environnementales. Le propriétaire et son droit de propriété sont alors perçus comme les gardiens de l’environnement en raison de leur stabilité sur le long terme. Soit ces modifications législatives protègent le preneur qui décide de préserver l’environnement des velléités de résiliation du propriétaire. Le preneur, et sa liberté d’exploitation, étant alors perçus comme la meilleure façon de préserver l’environnement sur les terres agricoles. Ces modifications expriment toujours la volonté du législateur d’intervenir dans les relations, qui ne sont pas libres, entre les propriétaires et leurs preneurs en faveur de l’environnement. Mais à force de vouloir rétablir des équilibres dans le domaine environnemental, le législateur donne le sentiment de ne pas avoir de stratégie en la matière. En outre, ces modifications législatives en n’agissant pas sur les règles de fond du statut du fermage laissent entier un certain nombre de questions juridiques qui expriment une absence de vision politique. Enfin, il apparaît aujourd’hui que les évolutions du statut du fermage ne permettent pas d’enclencher une transition juridique marquée par une recherche explicite de complémentarité entre démarches volontaires de droit privé et montée en puissance du socle réglementaire (mesures de compensation, PAC). L’exemple du statut du fermage montre bien ainsi qu’une mauvaise organisation contractuelle conduit à des impasses à l’égard du développement de pratiques agricoles et d’infrastructures favorables à la biodiversité. Le droit n’étant qu’un outil au service d’une politique, observons que pour l’heure la politique mériterait d’être précisée dans un sens permettant d’apaiser les tensions entre propriétaires et preneurs, entre droit de propriété et liberté d’exploitation, entre droit rural et droit de l’environnement.