Une femme «sensationnelle

Datum: 14.10.2013
Tribune de Genève SA
1211 Genève 11
022/ 322 40 00
www.tdg.ch
Medienart: Print
Medientyp: Tages- und Wochenpresse
Auflage: 48'688
Erscheinungsweise: 6x wöchentlich
Themen-Nr.: 310.13
Abo-Nr.: 1032028
Seite: 32
Fläche: 55'117 mm²
Rencontre avec Jeanne Matti
Une femme «sensationnelle»
Thierry Mertenat
Courtepointière jour et nuit
reine du jour, c'est elle. Le sens de l'ordre et du classement. Son
Assise au premier rang, sur métier de courtepointière a sans doute
un fauteuil Voltaire, sa pré- aiguisé ce talent naturel pour la décorasence illumine l'assistance. tion d'intérieur. «J'ai travaillé toute ma
Les mannequins qui défi- vie, parfois jour et nuit, jusqu'à l'âge de
lent lui jettent un sourire 96 ans. La santé a été la plus grande
complice avant de repartir chance de mon existence. Elle m'a permis
en coulisses. Normal. Jeanne Matti est la d'entretenir des liens dans la durée avec
doyenne des clientes fréquentant la bou- d'anciens clients qui ont continué à me
tique de Caritas, sise à la rue de Carouge. solliciter pour des petites commandes.»
Petites aujourd'hui, grandes hier, les
Sociétaire à vie de l'institution caritative.
«Sensationnelle», la vie. Cet adjectif commandes à honorer. Coussins, voilaqu'elle affectionne la résume. En deux ges, tapis de lit; mais d'abord et surtout,
La
minutes d'entretien improvisé, on a com- les rideaux de cinéma. De Genève jusqu'à
pris: Jeanne est une femme formidable. Zurich. Quand le Molard ouvre sa salle,
De celles que l'on rêve de revoir sitôt on pense à Madame Matti et à ses quatre
après l'avoir quittée.
employées. Equipe soudée et efficace,
Poupées et bottes à pilule
faiseuses de miracle dans un espace de
travail minuscule: «J'ai eu des milliers de
Rêve exaucé dès le surlendemain. Le fau- mètres de tissus dans les mains.»
teuil a changé, la personne reste la même.
Ils sont encore aujourd'hui suspendus
«Oui, j'aime la vie et j'adore les gens. Joli dans des lieux prestigieux. Les rideaux
défilé l'autre soir, n'est-ce pas? Ils se sont aux fenêtres et portes du Grand Théâtre,
donné de la peine. Je suis une bonne c'est elle. «Avec le temps, je suis un peu
cliente de Caritas, c'est vrai. J'y vais tous devenue une artiste. Des galons, j'en ai
les jours. C'est devenu ma promenade encore plein chez moi. Ils finiront un jour
quotidienne.» Intéressée, la promenade: chez Caritas.» Sociétaire et donatrice, jus«J'affectionne les objets de seconde main. que dans ce grand âge qui ne se voit pas.
nous entourent.» Heureux convives qui
chaque semaine dînent avec une femme
bien dans son époque. «Jeanne est vraiment extraordinaire», glisse l'un d'eux,
admiratif. Oui, c'est cela: juste sensationnelle!
Jeanne Matti
Bio express
1914 Naissance à Genève. Parents italiens
arrivés en Suisse en 1885.
1930 Ecole ménagère
à
la rue Rousseau.
1932 Apprentissage au Grand-Passage.
1934 Première vendeuse à l'ameuble-
ment.
1937 Naissance de sa première fille,
Claire-Lise. Deux autres enfants suivront,
Marinette et André.
1960 Ouvre son atelier de courtepointière.
2014 Fêtera le 11 janvier son 100e anniversaire.
Quand j'en vois un sur les rayons, je ne
résiste pas, je l'achète. Cela m'occupe. J'ai
un tempérament de chineuse, le goût ancien de la collection. J'ai commencé il y a
longtemps avec les chiens et les poupées
en porcelaine. Puis j'ai renoncé aux vaches, qui prenaient trop de place, pour
me rabattre sur les boîtes à pilule.»
Pas étonnant alors que les enfants de
l'immeuble sonnent souvent à sa porte.
Une famille de clowns les attend sitôt
franchi le seuil. Sirop pour tous. Jeanne
est la gardienne généreuse de ce musée
du jouet à l'ancienne. Zélée aussi, dotée
d'une mémoire du rangement incroyable. «Je connais par coeur le contenu de
chaque tiroir. On me demande une pièce
La meringue au goûter
Jeanne est une tonique, une loquace, une
presque centenaire à l'énergie rayonnante. Secrets de longévité? L'hygiène de
vie ne s'interdit pas les petits plaisirs. Le
dimanche, demi-douzaine d'escargots
dans une brasserie du centre-ville. Le filet
de sole du jour dans le restaurant du
quartier s'accompagne d'un verre de
blanc («Il est délicieux»). A l'heure du
goûter, après la sieste quotidienne, une
coque de meringue, sans oublier la chantilly.
Et le soir? «J'invite régulièrement du
monde. Fondue bourguignonne, raclette
ou crêpes. C'est sensationnel comme requi n'est pas exposée, je la ressors illico.» pas: on est à table et on ne bouge plus, en
profitant pleinement des convives qui
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Jeanne Math, la plus ancienne cliente de la boutique Caritas. Sa passion de chineuse se transforme en musée. OLIVIER VOGELSANG
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