NOTICE - Venezia mi amore TEXTE COURT - jah v2

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NOTICE - Venezia mi amore TEXTE COURT - jah v2
Splendeur, théâtre et invention
La Venise musicale de la fin de la Renaissance à la naissance du classicisme :
voilà toute une promenade ondoyante qu’offre Arion, au gré de créateurs
rivalisant d’inventivité selon leur époque et leur langage propre, et faisant écho
aux œuvres magnifiques accrochées aux murs du Musée des beaux-arts de
Montréal, tout à côté.
Trois institutions ont encouragé à cette époque l’éclosion du génie musical
vénitien : l’Église, le théâtre et les hospices pour orphelins, ou ospedale.
Giovanni Gabrieli (v. 1555-1612), organiste à la basilique Saint-Marc et neveu
d’Andrea, fait paraître son magistral recueil Sacrae Symphoniae en 1597 : on y
retrouve 16 canzone et sonates purement instrumentales. Les canzoni per sonar
(chansons à faire « sonner », jouer) ne se distinguent que peu des pièces
nommées sonates, si ce n’est que les premières sont dérivées de la chanson
franco-flamande de la Renaissance et les secondes, en valeurs souvent plus
longues, du style ricercar dont le contrepoint est plus élaboré.
Dans sa Canzon duodecimi toni à 8 voix, en deux « chœurs », Gabrieli ouvre avec
une mélodie sur le rythme typique de la canzona (longue, suivie de deux brèves),
traitée en imitation serrée, et l’identifie comme les autres du recueil par l’un des
douze « tons », ou anciens modes ecclésiastiques, par opposition au système
tonal émergeant. Le douzième choisi ici, l’équivalent du do majeur moderne,
était à l’époque associé à la victoire, au triomphe. Malgré ces références
archaïsantes, cela nous vaut une œuvre vive, aux sonorités splendides et à
l’esprit inventif qui présage le tournant du siècle, ce dont témoignera
particulièrement la Sonate XXI pour trois violons et basse continue, empreinte de
nouveauté. En effet, c’est l’une des toutes premières œuvres instrumentales à
faire usage d’une basse continue, l'accent étant mis sur les trois parties aiguës
« concertantes », d’une tessiture rapprochée.
De Dario Castello (v. 1590- v. 1630 ou v. 1658), presque rien ne nous est
parvenu, hormis les trente œuvres qui nous sont parvenues. Les pages de titre
des recueils de sonates nous apprennent qu’il a dirigé à Venise un groupe de
piffari (cuivres, vents et violes) et qu’il a été musicien à Saint-Marc.
Les sonates de Castello varient dans le choix et le nombre d’instruments. On y
retrouve à la fois l’influence de la canzona associée à Giovanni Gabrieli — avec
ses sections contrastées en tempo et en métrique — et des virtuoses de
l’improvisation que furent les cornettistes Girolamo Dalla Casa et Giovanni
Bassano — avec des envolées et des notes rapides en succession associées au
stile concitato. Parfaitement illustrés dans la Sonata decimasesta, ces éléments
de contraste et de variété correspondent au chiaroscuro et aux formes fluides en
peinture d’un Tintoret, par exemple. Ces sonates de Castello ont connu une large
diffusion au cours de la première moitié du XVIIe siècle, ayant bénéficié de
plusieurs réimpressions jusqu’en 1658.
Antonio Vivaldi (1678-1741) a certainement été un inventeur infatigable dans
presque tous les genres musicaux de son époque, mais en particulier celui du
concerto. En tant que maître de violon à l’Ospedale della Pietà de Venise, il a pu
compter sur un bassin de jeunes femmes virtuoses. Son imagination s’est ainsi
déployée dans plusieurs opus de concertos, dont L’Estro armonico, opus 3 et Il
Cimento dell'Armonia e dell’Inventione, opus 8. Ces recueils de douze concertos
chacun comptent parmi les plus célèbres du prêtre roux. En effet, c’est son
premier recueil de concertos, L’Estro armonico (ou « Caprice harmonique »), qui
le fit connaître partout en Europe, et il renferme ses œuvres jusqu’alors les plus
accomplies. L’envoûtant Concerto pour quatre violons en si mineur est assez
connu par sa transcription pour quatre clavecins par J.S. Bach.
Quant au contenu de l’opus 8 de Vivaldi (dont le titre signifie « Le combat de
l’harmonie et de l’invention »), il est assez rare d’entendre d’autres concertos
que ceux nommés Les Quatre Saisons. Pourtant, le Concerto en sol mineur est
un joyau de couleur, de langueur et de virtuosité, à l’image de la Cité des Doges.
Né à Burano, près de Venise — d’où son surnom « Il Buranello » —, Baldassare
Baldassare
Galuppi (1706-1785) a surtout laissé sa marque comme l’une des figures de
proue du développement de l’opera buffa. Il œuvra comme Vivaldi dans les
hospices et comme compositeur d’opéra à Venise, puis au Théâtre du Haymarket
à Londres, comme maître de chapelle à Saint-Marc, et dirigea des opéras à
Saint-Pétersbourg et à Moscou sous le patronage de Catherine II. Il a cependant
relativement peu écrit d’œuvres purement instrumentales ; celles-ci se limitent
principalement à des sonates pour le clavier et à quelques œuvres pour petit
orchestre. Le Concerto a quattro illustre bien son style, à l’orée du classicisme,
d’une belle facture à la fois limpide et séduisante.
De Gabrieli à Galuppi, donc, on aura navigué à travers presque deux siècles de
splendeurs musicales vénitiennes, marquées de théâtralité et d’invention.
© Jacques-André Houle