Transcrire Scarlatti

Transcription

Transcrire Scarlatti
Transcrire Scarlatti
La découverte du piano et de ses interprètes est intimement liée dans ma vie aux sonates de
Domenico Scarlatti. Tout d’abord Horowitz que je découvris à douze ans, peu après mon
arrivée en France, à travers son célèbre enregistrement de sonates du compositeur. Les
occasions d’entendre des disques de grands interprètes avaient été rares en Albanie. Cet
enregistrement devint rapidement l’un de mes favoris. J’eus rapidement le sentiment de
connaître par cœur ces courtes œuvres racées, souvent mélancoliques ; tout naturellement
elles se transposaient dans ma tête sur mon violon sur lequel je me plaisais à jouer quelques
fragments. Je finis cependant un jour par tenter de coucher sur le papier l’une d’elles en entier,
d’oreille (la Kk 54) expérience qui mit rapidement fin à ma témérité; j’avais douze ans, l'oeuvre
que j’écrivis néanmoins jusqu’au bout, ne me parut jouable qu’au prix d’efforts qui chasseraient
chez l’auditeur tout plaisir comparable à celui que j’avais éprouvé à l’écoute du disque de
Horowitz.
Cette démarche me parut longtemps par la suite une forme d’onanisme, pitoyable, d’autant
plus que comme à dessein, cette grimaçante réalisation, dépassant mes moyens techniques de
l’époque, demeurait mieux gravée dans ma tête et mes doigts que bien des concertos sur
lesquels j’avais passé infiniment plus d’heures. De surcroît, sans doute à cause de cette
absence d’aboutissement, elle me revenait souvent dans mes sensations d’instrumentiste avec
une persistance dont l’inutilité n’avait d’égale que l’incongruité.
Mais cet épisode malheureux que j’attribuais à un vice de violoniste n’entachait
heureusement en rien mon amour pour Scarlatti. Après Horowitz je découvris émerveillé les
deux uniques sonates gravées par Lipatti qui me firent croire qu’il y avait peut-être quelque
vérité dans une interprétation lorsqu’une expressivité immense était encadrée par une immense
humilité. Puis ce fut au tour de Michelangeli dont les sonorités semblaient surplomber un
silence plus profond que les autres, Argerich diabolique dans la Kk141, Christian Zacharias
faisant surgir de très Ibériques aspérités, enfin Scott Ross qui m’apprit que le chiffre de 555
sonates n’était pas qu’une simple expression et que les pianistes étaient loin de s’être
départagé tous les bijoux que recelait ce trésor.
Le souvenir de la tentative avortée de mes douze ans demeurait néanmoins vivace dans
ma mémoire. Un accord en particulier sur lequel je butais dans ma tête dès la quatrième
mesure de la Kk 54 me semblait injouable à moins d’avoir deux archets. Puis un jour, il y a trois
ans, je me dis que de consulter les partitions du Maître sans me fier à ma seule oreille d’enfant
serait peut être une bonne idée. Ce fut alors le début d’un passionnant travail, plus heureux que
frustrant, malgré des moments de doute et dont le résultat se trouve présenté dans cet
enregistrement.
Tedi Papavrami
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