DD un autre partage est possible Faucheux

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DD un autre partage est possible Faucheux
3_Le partage : une nouvelle façon de « vivre ensemble »
Le partage : une nouvelle façon de « vivre ensemble »_3
Ernst & Young. Vous vous passionnez depuis longtemps pour le développement durable. Quel sens donnez-vous à votre engagement ?
Sylvie Faucheux. Investir sur le développement durable, et singulière-
INTE R VIE W
Sylvie Fa ucheux
Présidente de l’université
de Versailles-Saint-Quentinen-Yvelines
Développement
durable, un autre
partage est possible
ment à l’université, ce n’est pas du bénévolat, encore moins une sorte de
lubie pour intégristes de l’écologie comme on le pense encore parfois dans
notre pays, c’est décider de se donner les moyens de faire repartir la
croissance sur d’autres bases, avec
de nouveaux produits et services
mais aussi de nouveaux métiers, en
particulier pour les jeunes. Alors
que l’on observe depuis plusieurs
années un désintérêt croissant de la
jeunesse pour les sciences dures,
ces nouveaux métiers les intéressent dans la mesure où ils marient
sciences et sciences sociales. Investir sur le développement durable
c’est aussi défendre et améliorer la
compétitivité de notre pays alors
que l’on est devancé dans ce domaine par de nombreux pays à
commencer par les États-Unis. C’est enfin initier une nouvelle manière de
dialoguer entre les différents acteurs du public et du privé, entre différentes disciplines, à partir de la mise en œuvre de projets concrets. Dans
un pays aussi centralisateur que le nôtre, l’approche du développement
durable est aussi une opportunité unique d’amener les acteurs à débattre,
à échanger et plus encore à travailler ensemble. De faire évoluer notre
culture collective de résolution des problèmes.
Le développement
durable est une
occasion unique de
faire évoluer notre
manière de résoudre
les problèmes.
Ernst & Young. Quel est votre projet pour l’université de VersaillesSaint-Quentin-en-Yvelines ?
T
itulaire de la première thèse universitaire en
économie de l’environnement et du développement durable, Sylvie Faucheux se passionne
depuis longtemps pour l’économie écologique.
Présidente de l’université de Versailles-Saint-Quentin-enYvelines depuis 2002, elle met depuis son énergie et sa force
de conviction au service d’un foisonnement d’initiatives « durables » et rêve de faire de Versailles-Saint-Quentin l’un des
premiers Smart Campus européens, une faculté pilote en matière de nouvelles technologies de l’information et de mobilité durable.
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Sylvie Faucheux. J’ai toujours été passionnée par ce qu’au niveau international on appelle l’ecological economics (« économie écologique »), qui
consiste à aborder l’économie autrement, en tenant compte à la fois de la
dimension écologique et de la dimension sociale. Par ailleurs, j’ai toujours
cru aux vertus de l’interdisciplinarité. Lorsque j’ai pris la présidence de
l’UVSQ en 2002, mon projet était de faire en sorte que cette université, qui
avait déjà des points forts dans le domaine du développement durable,
notamment en matière de santé publique et d’environnement, se donne
les moyens de les valoriser encore davantage. Parallèlement, il s’agissait de
mettre en place toute une série de masters professionnels (nous en proposons actuellement vingt-cinq), dans des domaines aussi divers que l’écoconstruction, la mobilité durable, la responsabilité sociale des entreprises,
entre autres. Ces masters en sciences de l’environnement, du territoire et
de l’économie sont tous conçus avec des industriels, s’appuient sur les
compétences de recherche présentes au sein des laboratoires de l’université et comportent tous une phase d’apprentissage.
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Ernst & Young. L’interface avec le monde des entreprises, déjà présente
au sein des masters, a été renforcée par la création de Fondaterra en 2004.
Quelles sont vos ambitions avec cette fondation ?
Sylvie Faucheux. La Fondation européenne pour des territoires durables (Fondaterra) est la première fondation partenariale française. Nous
l’avons créée avec de prestigieux membres fondateurs afin de constituer
un réseau d’institutions multidisciplinaires à la fois publiques et privées
pour fédérer des compétences de recherche, de formation, de médiation
des connaissances et d’expertise sur les champs du développement durable (santé-environnement, climat, aménagement urbain, mobilité durable et énergie).
Sa vocation est d’être dans ces domaines un
réservoir d’innovation capable d’irriguer
l’économie territoriale. Elle remplit trois
missions essentielles : d’abord, la recherche
sur des projets cofinancés et coréalisés par
des intérêts à la fois publics et privés (rénovation de zones industrielles, de zones urbaines…), le plus souvent un partenariat
entre les collectivités locales, les entreprises
et les laboratoires de recherche ; ensuite, le
montage de formations pour combler des besoins révélés par les projets de recherche (sur l’efficacité énergétique des
bâtiments, par exemple, Fondaterra nous a aidés à mettre en place une licence professionnelle par apprentissage) ; enfin, l’organisation de débats
entre chercheurs, industriels, associations et ONG, collectivités locales sur
les sujets qui fâchent (écologie, agriculture durable…) afin d’organiser une
véritable médiation des connaissances entre les sciences et la société.
Un label
développement
durable pour
attirer les
talents.
Ernst & Young. L’université constitue votre premier champ d’expérimentation du développement durable dans la vie quotidienne. Qu’avezvous mis en place pour vos étudiants et vos personnels ?
Sylvie Faucheux. Nous avons créé une commission développement durable où personnels et étudiants sont représentés et lancé plusieurs actions
à partir des idées qui remontent du terrain. Cela va du tri sélectif des déchets aux panneaux photovoltaïques, en passant par toute une série d’initiatives sur le plan social. Nous n’oublions pas non plus que nous sommes
insérés dans un territoire. Nous avons mis en place toute une série d’actions
(tutorats, conférences proposées par de jeunes chercheurs, etc.) en direction des élèves des zones défavorisées des Yvelines. Le développement durable est également, chaque fois que possible, au cœur de la gestion de
l’université. Et sur ce terrain, les défis sont immenses. Nous avons lancé un
partenariat public-privé (PPP) sur un projet de « low bâtiment », le premier
du genre en France. C’est un grand projet pour l’université (30 millions
d’euros) qui va déboucher sur la rénovation du parc immobilier et sur une
modification de nos choix énergétiques (géothermie, photovoltaïque). Il
sera entièrement autofinancé, à charge pour le PPP de nous faire des propositions de services annexes afin de diminuer la facture mensuelle. Nous
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avons également déposé avec d’autres universités européennes un magnifique projet baptisé Smart Campus pour faire du site de Saint-Quentin-enYvelines un pilote en matière d’usage des nouvelles technologies de l’information et de la mobilité durable. Nous travaillons par exemple sur un
projet de véhicule électrique avec Alstom, Bouygues et Renault. C’est une
aventure qui me tient particulièrement à cœur. Voilà l’occasion d’avoir en
France un écocampus comme laboratoire de tout ce qu’il est possible de
faire dans le domaine du développement durable en matière de recherche,
de formation, de créations d’emploi. Pour nos partenaires, c’est aussi une
formidable vitrine de la recherche et de l’industrie françaises.
Ernst & Young. Vous avez également mobilisé la Conférence des présidents d’université (CPU) sur les enjeux du développement durable…
Sylvie Faucheux. À l’été 2008, j’ai proposé à la CPU la création d’une
charte des universités françaises en faveur du développement durable. Aujourd’hui, elle réunit chaque mois ses soixante-douze membres pour une
séance de travail. Nous travaillons un peu tous azimuts sur l’éducation,
bien sûr, mais aussi sur la gouvernance, la labellisation, etc. Il s’agit à la
fois de mener des recherches, d’initier des projets, d’adapter les meilleures
pratiques afin de mutualiser autant que possible les progrès réalisés dans
les différents domaines. Là encore, l’interdisciplinarité est la règle. Un partenariat a, par exemple, été mis en place avec la Caisse des dépôts sur l’efficacité énergétique et le bilan carbone de tous les bâtiments universitaires. C’est un travail gigantesque, mais ce sera un outil précieux
d’optimisation de la consommation d’énergie des universités. Toujours en
coopération, et cette fois avec les grandes écoles, nous avons anticipé les
directives du plan Vert (inscrites dans la loi dite Grenelle 1) et élaboré un
référentiel commun, une batterie d’indicateurs qui permettra à chaque
établissement d’évaluer ses performances en matière de développement
durable. Nous bataillons également pour que l’Agence d’évaluation des
universités intègre ces indicateurs, lors de l’évaluation de nos contrats
quadriennaux. Pour le moment, trois ont été retenus sur cent vingt. C’est
un début ! Comme toujours, en France, la principale difficulté est de faire
bouger les choses sur le terrain et de mobiliser les acteurs. Mais ceci vaut
aussi bien pour nos propres étudiants ou pour les présidents d’université.
Ernst & Young. Avez-vous le soutien de vos autorités de tutelle ?
Sylvie Faucheux. Je suis bien obligée de reconnaître que la démarche
est rarement considérée comme prioritaire dans nos ministères. C’est pour
nous un sujet supplémentaire de frustration. Nous n’avons, au ministère
de tutelle, ni interlocuteur ni moyens dédiés. Or, le développement durable va devenir de plus en plus un critère de différenciation, un label,
entre les universités au niveau international. En Californie, par exemple,
c’est déjà une réalité. La France doit absolument se mobiliser pour faire en
sorte que ses facultés restent dans la course à l’excellence, car c’est un élément essentiel de la compétitivité des nations. Or, j’en suis sûre, le label
développement durable constituera de plus en plus un atout, notamment
pour attirer les chercheurs comme les étudiants du monde entier. n
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