Réponse à James Watson sur la question des races
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Réponse à James Watson sur la question des races
33072_617.qxp 29.2.2008 9:05 Page 1 en marge Réponse à James Watson sur la question des races O n se souvient peut-être de la dernière provocation publique de l’Américain James Dewey Watson codécouvreur, avec Francis Crick et Rosalind Franklin, de la structure de l’ADN. Interrogé en octobre 2007 par le Sunday Times dans le cadre de la promotion de son dernier ouvrage (Avoid Boring People, Oxford University Press), le Prix Nobel de médecine 1962, aujourd’hui âgé de 79 ans, avait déclaré qu’il était «profondément pessimiste sur le futur de l’Afrique» parce que «toutes nos politiques de développement sont basées sur le fait que leur intelligence [celle des Africains] est la même que la nôtre [Occidentaux blancs], alors que tous les tests disent que ce n’est pas vraiment le cas.» (Revue médicale suisse du 30 octobre 2007). Poursuivant son propos, Watson indiquait que «son espoir est que tous les hommes sont égaux» mais ajoutait que «les gens qui ont eu affaire à des employés noirs se sont rendus compte que ce n’était pas vrai». Il avançait enfin que «le gène à l’origine des différences au niveau de l’intelligence humaine» pourrait être identifié d’ici dix à quinze ans. Les réactions ne tardèrent guère. Annulation de la tournée européenne qu’il avait commencée en Grande-Bretagne. Piteux retour à son domicile américain. Suspension de toutes ses fonctions au sein du prestigieux Cold Spring Harbor Laboratory. Opprobre planétaire. Comment comprendre ? Faut-il voir là les errements isolés d’un vieil homme ou la résurgence d’une droite déterministe et anglo-saxonne, ce courant de pensée scientiste pouvant ne pas être incompatible avec le racisme ? Il importe ici de replacer les choses dans leur contexte et d’observer à quel point les derniers acquis de la génétique peuvent nourrir ce courant de pensée. Aucune exagération ici : proposons sur ce thème un exercice pratique : expliquer en quoi cette toute récente dépêche de l’Agence France Presse pourrait être utilisée par ceux qui se sont félicités des déclarations de James Watson. «La diversité génétique de l’homme diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’Afrique, ont constaté des scientifiques 1 Jordan B. L’humanité au pluriel ; la génétique et la question des races ; Editions du Seuil, 226 p. ISBN : 978-2-02096658-0. L’auteur note qu’il existe peu de livres récents traitant en langue française de la question de la race, «terme qui semble quasiment tabou dans notre beau pays». 00 centes de la génétique nuancent cette américains dans une étude publiée jeudi affirmation et que l’étude fine du génome par la revue britannique Nature. Une autre étude du même magazine montre que les humain montre l’existence de différenAméricains blancs sont plus vulnérables ciations héréditaires stables qui, au-delà aux mutations génétiques que les noirs. des seules apparences (couleur de peau, Les personnes d’origine africaine sont chevelure, etc.), rendent possible de replus variées génétiquement que celles monter aux origines géographiques loinoriginaires du Moyen-Orient, qui sont eltaines des individus, ou peuvent parfois les-mêmes plus difexpliquer leur vulnéférentes les unes des rabilité à certaines «… nous ne sommes pas autres que les Euromaladies. identiques, mais les diffépéens ou les Asia«Certes, les grourences ou les variations ne tiques, selon les trapes ainsi repérés ont changent rien au fait que vaux d’une équipe de des limites floues, nous faisons partie de la l’Université du Michileur diversité interne gan et du National est élevée, et aucun même espèce …» Institute of Aging (Insclassement hiérarchititut national du vieillissement). La diverque global ne peut être justifié à partir sité est encore moindre chez les Amérinde ces éléments, souligne Bertrand Jordiens, Homo sapiens n’ayant conquis que dan. Les "races", au sens classique du tardivement le continent américain. terme, n’existent effectivement pas. NéanLes chercheurs sont arrivés à ce consmoins, la pluralité humaine, telle qu’on tat en comparant 500 000 paires de base peut l’appréhender avec les techniques d’ADN (sur quelque trois milliards au total) les plus modernes, est plus grande et de 485 personnes réparties en 29 endroits plus subtile qu’on ne voulait le croire...». à travers le monde. Qu’il s’agisse des différences de quo«Maintenant que nous avons la technotient intellectuel ou de performances muslogie pour observer des milliers et même culaires en fonction de la couleur de la des centaines de milliers de marqueurs peau, l’auteur n’élude ici aucune des génétiques, nous pouvons reconstituer les questions et des affirmations qui sousrelations entre populations et les ancientendent le discours et les convictions nes migrations avec un niveau de préciracistes. Il fait le point de manière pédasion sans précédent», explique Noah Rogogique en se situant à égale distance senberg, de l’Université du Michigan. La d’un angélisme incompatible avec la réadiversité a été érodée par les processus lité biologique et des démons qui hande migrations. tent ceux qui veulent, coûte que coûte, Selon l’autre étude réalisée par l’Unihiérarchiser les hommes. Son message, versité de Cornell, le séquençage de 10000 au fond, est particulièrement rassurant. gènes de quinze Américains d’ascendanNon, nous ne sommes pas identiques, loin ce africaine et de vingt Américains de de là, mais les différences ou les variasouche européenne montre que ces dertions ne changent rien au fait que nous niers ont 15,9% de chances d’être exposés faisons partie de la même espèce. On à des variations génétiques potentielleaimerait que James Watson lise ce livre ment dommageables, contre 12,1% pour et la leçon qu’il nous donne. La plus belle celles d’ascendance africaine, sans pour sans doute des leçons que nous devons autant que cela permette de prédire des transmettre à nos enfants. conséquences sur leur état de santé.» Jean-Yves Nau Les temps changent et la vigilance s’impose plus que jamais. C’est ce que nous dit avec lucidité et courage le biologiste moléculaire Bertrand Jordan dans son dernier ouvrage.1 «L’humanité est-elle séparée en races différentes ? Vérité scientifique au XIXe siècle et durant une bonne partie du XXe, cette affirmation a été battue en brèche après la Seconde Guerre mondiale, nous rappelle-t-il. Au cours des dernières décennies, la biologie a nié la pertinence même de la question, au motif que tous les humains auraient en commun 99,9% de leur patrimoine génétique.» Il ajoute que les avancées toutes ré- Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 mars 2008 617