une étude conjointe de l`INRA et de AgroParisTech

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une étude conjointe de l`INRA et de AgroParisTech
Vaches laitières: pourquoi il faut diversifier
leur patrimoine génétique
Publication: 04/07/2014 14h03 CEST Mis à jour: 07/07/2014 17h07 CEST
La domestication des animaux s'est opérée sur plusieurs millénaires, de concert avec
l'évolution des sociétés humaines, entraînant de profondes modifications chez les espèces
animales concernées.
Elle a notamment favorisé le foisonnement d'une diversité qui n'a pas d'équivalent dans la
faune sauvage (voir chez le chien, par exemple, les différences entre un chihuahua et un
dogue allemand), et qui constitue une composante à part entière de la biodiversité. Cependant,
depuis une soixantaine d'années, l'élevage est devenu une activité de plus en plus spécialisée.
Dans les pays industrialisés, les races animales les plus productives se sont imposées. Les
autres races ne se sont maintenues que dans des contextes d'élevage, comme par exemple en
zone de montagne, présentant des particularités ou des contraintes qu'il est difficile de niveler
par la maîtrise du milieu d'élevage. Certaines races ont ainsi maintenant de très petits effectifs,
alors que pour d'autres les effectifs sont très importants. Mais ces dernières présentent-elles
une variabilité génétique intra-race suffisante?
Pourquoi préserver la variabilité génétique?
La variabilité génétique est le "carburant" de l'adaptation des animaux aux modifications des
milieux et de l'évolution des qualités recherchées chez les animaux. Une exploitation
"minière" de cette ressource n'est pas durable: une trop faible variabilité ne permettra pas de
trouver dans les reproducteurs les caractéristiques favorables pour l'élevage dans le futur. On
le comprend bien si on pousse le raisonnement à l'extrême: si toutes les vaches se
ressemblaient fortement, on ne disposerait plus de marge de manœuvre, de réservoir de
diversité, pour faire évoluer les populations animales. Préserver cette variabilité génétique est
ainsi nécessaire pour porter un effort de sélection efficace sur les aptitudes fonctionnelles des
animaux (fertilité, longévité...), dont l'importance en élevage s'accroît sensiblement. C'est
également la condition pour que les populations puissent s'adapter progressivement à un
contexte climatique changeant. De façon concomitante, veiller à diversifier les origines des
reproducteurs est un moyen de limiter l'accroissement de la consanguinité (relations de
parenté entre membres d'un couple) ainsi que l'incidence des anomalies génétiques.
La Holstein est la race laitière la plus répandue en France. La variabilité génétique estimée
au sein de cette race est cependant modérée.
(crédit: AgroParisTech)
La variabilité génétique des races de vaches laitières est en voie d'érosion
La France compte environ 3,7 millions de vaches laitières, réparties chez 76.000 éleveurs.
Trois races représentent à elles seules 92% de ce cheptel: la Holstein (65%), la Montbéliarde
(17%) et la Normande (10%). Avec nos collègues Grégoire Leroy, d'AgroParisTech, ainsi que
Sophie Moureaux et Mickaël Brochard, de l'Institut de l'Elevage, nous avons analysé
l'évolution de la variabilité génétique au sein des huit principales races (les trois ci-dessus plus
cinq autres ayant des effectifs supérieurs à 10.000 vaches). Les résultats de cette étude ont été
publiés dans la revue scientifique Journal of Animal Breeding and Genetics.
L'analyse des probabilités d'origine des gènes donne une image de l'importance des
"fondations" génétiques d'une population. Par exemple, 13% des gènes de l'ensemble des
deux millions de vaches Holstein nées entre 2004 et 2007 en France proviennent d'un seul
ancêtre. La variabilité génétique totale de cette race est équivalente à celle d'une population
qui aurait seulement 26 ancêtres différents contribuant de façon équitable au patrimoine
génétique, ce qui est vraiment très peu! Un autre indicateur, la taille efficace de la population,
permet de prédire la réduction à venir de variabilité génétique ainsi que l'accroissement de la
consanguinité. Les valeurs estimées pour les races laitières prévoient une poursuite de la
diminution de variabilité génétique si les pratiques de sélection ne sont pas modifiées.
L'Abondance est une race locale adaptée à l'élevage en montagne et bien valorisée par des
productions fromagères sous appellation d'origine protégée.
(crédit: Organisme de Sélection des races alpines réunies)
La situation préoccupante des races de vaches laitières, plus que dans d'autres espèces
domestiques où des analyses similaires ont été effectuées, s'explique par les pratiques usuelles
de diffusion des reproducteurs mâles. Dans ces populations, environ 85% des vaches se
reproduisent par insémination. Cette technique est très bien maîtrisée chez les bovins, un
taureau d'insémination pouvant procréer des dizaines de milliers de filles, voire plus. Or, au
cours des années 1970-2000, les choix de sélection se sont concentrés sur une élite très peu
nombreuse de taureaux, qu'il s'agisse des choix collectifs opérés par les coopératives
d'insémination pour le recrutement des pères des futurs taureaux, ou des choix individuels des
éleveurs pour la procréation de leurs futures vaches.
Comment inverser la tendance?
En plus de mesures visant le maintien de races menacées d'abandon, il est nécessaire de
disposer d'outils et de méthodes permettant aux éleveurs de poursuivre des opérations de
sélection tout en préservant la variabilité génétique des populations. Un premier point est de
disposer d'informations synthétiques permettant d'apprécier l'évolution de la variabilité
génétique. Or jusqu'à présent, ces éléments n'étaient rendus disponibles qu'à l'occasion
d'études spécifiques. A partir de 2015, un observatoire de la variabilité génétique des races de
ruminants et d'équidés fournira ces informations en routine (projet VARUME piloté par
l'Institut de l'Elevage).
Ensuite, tout en bénéficiant des résultats des programmes de sélection et de la technique
d'insémination, il est possible d'adopter des pratiques plus "amicales" vis-à-vis de la
variabilité génétique. Cela passe notamment par une offre plus nombreuse et plus diversifiée
de taureaux d'insémination et par une limitation volontaire de l'utilisation de ces
reproducteurs. C'est typiquement ce à quoi on assiste aujourd'hui du fait de la mise en œuvre,
chez les trois plus importantes races, d'une nouvelle méthode de sélection qui valorise les
données de génétique maintenant disponibles d'une manière massive (sélection génomique).
Cette méthode entraîne une vraie révolution des pratiques de sélection, y compris dans un
sens plus favorable à la variabilité génétique.
La Bretonne Pie Noir est une race à petits effectifs, qui bénéficie d'un programme de
conservation. Elle connaît aujourd'hui une dynamique de développement, dans le cadre de
systèmes de production originaux et de circuits courts de commercialisation.
(crédit: Coralie Danchin-Burge)
Enfin, la mise en cryobanque de matériel génétique constitue à la fois une assurance pour
l'avenir et la constitution d'une réserve dans laquelle il est possible de puiser pour, soit
réintroduire certaines aptitudes délaissées à une époque donnée et redevenues intéressantes ou
nécessaires, soit réintroduire de la variabilité génétique. En France, la Cryobanque nationale
(créée en 1999) contient en stock 310 000 échantillons relevant de 13 espèces domestiques,
dont les bovins.
Préserver la variabilité génétique des populations domestiques est un impératif pour la
durabilité des activités d'élevage, elles-mêmes indispensables à nos sociétés. C'est aussi la
condition pour une bonne transmission du patrimoine génétique aux générations futures. Une
information régulière auprès des gestionnaires, la mise en œuvre de méthodes adéquates de
sélection et la constitution de réserves génétiques en cryobanque devraient nous permettre
d'atteindre ces objectifs!