Comment sortir Pôle emploi de la confusion

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Comment sortir Pôle emploi de la confusion
Comment sortir Pôle emploi de la
confusion
LE MONDE ECONOMIE | 28.01.2013 à 11h39 • Mis à jour le 01.02.2013 à 14h49Par Jean-Baptiste
Chastand et Anne Rodier
Monsieur, je vous écris car j'ai été radié de la liste des demandeurs d'emploi. Ceci
sans avoir reçu aucun avertissement avant radiation, ni de courrier m'informant des
motifs et la date de cette radiation. Je l'ai appris indirectement par une lettre du Pôle
emploi, datée du 2 décembre 2011, me réclamant le remboursement d'un trop-perçu
d'un montant de 476,47 euros pour le motif d'une radiation de la liste des
demandeurs d'emploi." Ce courrier, envoyé au médiateur de Pôle emploi en 2011, a
été suivi de nombreux autres l'année suivante.
Le haut niveau de chômage, avec 4,6 millions de personnes inscrites à Pôle emploi
fin décembre 2012 - et tenues de faire des "actes positifs de recherche d'emploi" -,
selon les derniers chiffres publiés par le ministère, vendredi 25 janvier, nécessiterait
un renforcement de la prise en charge des demandeurs d'emploi.
Mais Pôle emploi est encore empêtré dans de nombreux dysfonctionnements nés de
la fusion de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et des Association pour l'emploi
dans l'industrie et le commerce (Assedic) en 2009, qui laissent chômeurs et
conseillers entre désarroi et colère.
Le médiateur national, Jean-Louis Walter, qui remettra le 31 janvier au conseil
d'administration de Pôle emploi un rapport sur la gestion des listes d'emplois et les
radiations, indique que "les 6,5 millions de dossiers traités par l'organisme public
dans l'année génèrent 560 000 réclamations". La plupart sont examinées dans les
agences. C'est le cas de nombreuses radiations "abusives" pour absence à
convocation, qui sont annulées en cours de procédure.
"Les convocations qui arrivent par mail ne sont pas toujours repérées par les
demandeurs d'emploi, car ils sont identifiés comme des spams [courriels
indésirables] par certains fournisseurs d'accès", indiquait au médiateur une directrice
d'agence pour justifier l'annulation d'une radiation. Il y a en moyenne 40 000
radiations effectives chaque mois.
20 000 RÉCLAMATIONS PAR AN
Quelque 20 000 réclamations par an remontent au médiateur sous forme de
saisine. "En 2012, la majorité des cas portent sur des questions d'indemnisation",
précise-t-il. Pourquoi ? La multiplication des situations particulières, dont le nombre a
augmenté avec la crise : "62 % des erreurs de calcul d'indemnisation concernent des
demandeurs d'emploi en activité réduite", indique M. Walter.
L'autre raison : le manque de polyvalence des agents. "Comme il y a de moins en
moins de spécialistes, il y a des problèmes réguliers sur certains profils", explique
Rose-Marie Péchallat, de l'association Recours radiation. Elle connaît bien les
rouages internes de l'opérateur public pour y avoir travaillé durant vingt ans, jusqu'en
juillet 2010.
Quelle qu'en soit l'origine, ces erreurs placent les demandeurs d'emploi dans des
situations économiques périlleuses, seuls face à leurs factures et leurs agios. Les
associations de défense des chômeurs auditionnées, le 16 janvier, à l'Assemblée
nationale par la mission d'information sur Pôle emploi et le service public,
rapportaient à tour de rôle "la confusion", "la catastrophe", "les
dysfonctionnements" qu'incarne, pour les demandeurs d'emploi, l'organisme public.
"Dans le Languedoc-Roussillon, un chômeur s'est vu réclamer 2 200 euros d'indus.
Mais c'est Pôle emploi qui va lui rembourser 16 000 euros : il y avait eu une
mauvaise analyse du dossier d'indemnisation, témoigne Luiza Benbouzid, de CGTChômeurs. Les chômeurs rentrent à Pôle emploi avec la crainte de ne pas avoir le
bon papier."
Le malaise est partagé par les conseillers. Dans l'émission "Les Infiltrés" que France
2 diffusera vendredi 1er février, le reportage des journalistes dans deux agences,
réalisé en mai et mi-novembre, montre des agents écrasés par l'explosion du
chômage et par les rigidités administratives de l'organisme. Ceux-ci n'arrivent pas à
suivre les chômeurs au moins une fois par mois, contrairement à l'objectif officiel
formulé jusqu'à peu.
UNE MOYENNE DE 165
Il faut voir comment, lors de l'entretien d'embauche d'une conseillère, en réalité la
journaliste "infiltrée", le responsable des ressources humaines de l'agence explique
que son job sera notamment d'"écraser" les projets de formation des chômeurs qui
voudraient s'orienter vers des secteurs peu porteurs. Et il faut voir comment la
journaliste découvre que, dans son planning, elle n'aura qu'une demi-journée par
semaine pour recevoir les demandeurs d'emploi de son "portefeuille", au nombre de
160.
Qu'il est loin, l'objectif de 60 demandeurs d'emploi par conseiller annoncé par
Christine Lagarde, ministre de l'économie lors de la fusion ! Pôle emploi indique une
moyenne de 165 avec de grandes disparités. "La moyenne est largement au-dessus
de 200", indique Sébastien Socias, secrétaire général de FO-Personnels publics.
Des conseillers de région parisienne font ainsi état de portefeuille de 331
demandeurs d'emploi actifs à Villejuif (Val-de-Marne), de 250 à suivre à Stains et de
368 à Aulnay (Seine-Saint-Denis), où "les entretiens durent en moyenne une
vingtaine de minutes", selon les conseillers. Pour analyser, diagnostiquer,
comprendre les attentes et les capacités de chaque demandeur, cela tient de la
gageure.
Pourtant, depuis 2009, Pôle emploi n'a cessé d'évoluer pour améliorer la prise en
charge des chômeurs. Les sites mixtes réunissant les services de l'ANPE et de
l'Assedic ont été créés afin que les demandeurs d'emploi ne se rendent plus que
dans un seul lieu. La plate-forme téléphonique du 39 49 - passage obligé avant
l'inscription - a été mise en place pour désengorger les agences et donner
rapidement une information de premier niveau. Le premier entretien regroupe
désormais les questions liées à l'inscription, l'indemnisation et le diagnostic.
Mais "l'effectif face au public étant insuffisant, il est difficile de recevoir tout le monde
rapidement en tenant compte des besoins des demandeurs d'emploi", constate
Bernie Billey, délégué syndical central CFDT-Pôle emploi.
DÉBUT D'AMÉLIORATION EN 2010
De plus, quatre ans de fusion n'ont pas suffi à doter les agents de Pôle emploi de la
double compétence "indemnisation", propre aux anciens agents de l'Assedic, et
"accompagnement", qu'assuraient ceux de l'ANPE. Encore aujourd'hui, "tous les
agents ne sont pas susceptibles de donner des informations de premier niveau", note
Françoise Kermorgant, déléguée syndicale centrale de FO-Pôle emploi. "Le parent
pauvre de la multi-compétence telle que voulue par la fusion, c'est
l'indemnisation", estime M. Socias.
Un début d'amélioration du service de Pôle emploi a été enregistré dès 2010 sur le
délai d'inscription, mais pas sur le traitement des dossiers. "Il y a des cas complexes,
qui nécessitent une compétence à la fois informatique, comptable et
d'accompagnement. Ce profil de conseiller, c'est la perle rare qui n'existe pas !",
insiste M. Socias.
Le médiateur note, pour sa part, une avancée sur la question des indus réclamés
après des radiations abusives, dans la mesure où la rétroactivité des radiations est
supprimée depuis le 1er janvier 2013. Il constate, en revanche, que la situation se
dégrade sur deux points : le ton du courrier est de plus en plus violent, insultes à
l'appui, et un phénomène nouveau est apparu en 2012 : la judiciarisation. "Ce sont
des avocats qui écrivent désormais au médiateur, alors qu'on recevait auparavant
des courriers très personnels", note-t-il.
Depuis la fusion, les moyens déployés pour Pôle emploi n'ont jamais été à la hauteur
de la progression du chômage. Pire, l'espoir d'un retour de la croissance en 2011 a
été à l'origine d'une politique de stop-and-go sur le recrutement. Après avoir
embauché 1 840 agents supplémentaires pour réagir à la forte hausse du chômage
de 2009, le gouvernement, pariant sur un retour de la croissance, a supprimé 1 800
postes en 2011. Un turnover qui a été dommageable à la polyvalence des agents.
A son tour, mi-2012, le ministre du travail, Michel Sapin, annonçait 2 000
recrutements de plus comme l'instrument du succès de la nouvelle offre de service
de Pôle emploi.
Depuis la fusion, "compte tenu de l'évolution du nombre de chômeurs, de l'évolution
insuffisante en parallèle des effectifs de Pôle emploi, le métier évolue vers des
traitements de masse, avec une segmentation des publics suivant leur difficulté
présumée d'accès au travail", dit Dominique Simon, membre du bureau national du
SNU-FSU Pôle emploi. Il s'agit de constituer des portefeuilles par profil sociologique,
fonction du degré d'autonomie du demandeur d'emploi. La stratégie 2015 présentée
par Jean Bassères, le directeur général de Pôle emploi, va dans ce sens.
Les solutions d'accompagnement différenciées préconisées par Pôle emploi 2015
prévoient un accompagnement renforcé pour les publics "les plus éloignés de
l'emploi", à raison d'une limitation de 70 personnes par portefeuille, un
accompagnement guidé pour les demandeurs ayant des difficultés moindres dans le
cadre de portefeuilles pouvant osciller entre 100 et 150 demandeurs d'emploi, et,
enfin, un simple suivi pour les demandeurs les plus autonomes, dans le cadre de
portefeuilles pouvant aller de 200 à 350 personnes.
Lancé dans un contexte de crise aggravée, où la hausse du chômage doit se
conjuguer avec la réduction des dépenses publiques, le succès de Pôle emploi 2015
tient du défi.
Jean-Baptiste Chastand et Anne Rodier