Biologie de la peur

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Biologie de la peur
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Biologie de la peur
Gerald Hüther
Extrait
Nous connaissons maintenant les deux types de réactions de stress. L’une qui est brève et que
nous pouvons encore arrêter ou gérer parce que nous trouvons une solution. Et l’autre qui se
prolonge pendant des jours ou même des semaines faute de trouver une solution pour éviter un
changement dans notre vie quotidienne jugé dangereux ou menaçant, ou parce que tout ce que
nous pensons faire est irréalisable ou inopérant. Le sentiment de départ dans les deux cas, c’est la
peur. Les changements déclenchés dans notre corps et dans notre cerveau au cours de ces
réactions ne sont pas qu’un peu différents, ils le sont radicalement. Si un stress s’avère
contrôlable, tout rendre tout de suite dans l’ordre, la menace évolue en défi, la peur se mue en
confiance et en courage, l’impuissance se fait volonté et à la fin quand on a réussi, nous sentons
combien notre confiance en nos connaissances et nos capacités a grandi. Nous sommes fiers,
satisfaits et contents, nous pouvons nous estimer heureux. Nos sentiments se transforment tout
autrement quand il faut admettre que nous ne trouvons aucune possibilité pour esquiver à temps
un danger menaçant. La peur se change alors en colère et en désespoir, l’indécision du début
grandit jusqu’à devenir une impuissance permanente, la légère inquiétude se transforme en doute
cruel. Notre confiance en nous-mêmes s’amenuise, le courage nous quitte, nous nous sentons
misérables et désespérés, insatisfaits et malheureux.
C’est étonnant de voir le nombre de mots qui nous servent à décrire toutes les modifications des
émotions que nous, humains, ressentons quand la peur qui était là au début de la réaction de
stress disparaît ou s’accroît. Pourquoi un lièvre qui est parvenu à échapper à un chien qui courait
après lui ne serait-il pas aussi soulagé, content, heureux et satisfait qu’une personne qui a réussi
un examen ? Pourquoi des mots comme désespoir, impuissance, colère et résignation ne nous
viennent-ils pas à l’esprit pour décrire ce qu’éprouve un cochon quand il est envoyé à l’abattoir ?
Tout ce qu’il est possible de mesurer chez ce cochon, en allant de l’activité électrique cérébrale
modifiée, au taux croissant d’hormones de stress dans le sang, indique qu’il vit la même réaction
de stress incontrôlable que nous quand, désemparés, il ne nous reste plus qu’à nous résigner face
à … oui, face à quoi ? Qu’est-ce qu’il faut pour créer en nous un sentiment de détresse totale ?
La réponse à cette question est en même temps une réponse à la question de la possibilité de
transmettre nos émotions non seulement aux animaux mais aussi aux autres personnes. Un
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Anglais dirait : « It depends… », ce qui est vrai puisque ce sont les expériences faites au fil de
notre vie qui déterminent la façon dont on interprète un changement survenant soudainement
dans notre cadre de vie. Ce qu’une personne perçoit comme une menace incontrôlable peut
représenter un défi bienvenu pour une autre. Pour un solitaire comme le lièvre, le seul fait de
chercher un partenaire pour la reproduction met en jeu sa propre survie et suffit à provoquer chez
lui une réaction de stress incontrôlable. Pour les mammifères organisés socialement comme les
cochons, la séparation d’avec le troupeau est une menace incontrôlable. Chez l’homme,
l’ensemble des expériences est marqué dès la naissance par des facteurs sociaux, par le
comportement des autres humains, dès lors n’importe quel changement dans ses relations avec
autrui peut déclencher une peur incontrôlable. La perte d’un proche tout comme sa présence
permanente, l’éloignement croissant de même que le rapprochement menaçant, excès de froideur
ou de chaleur humaine, trop de responsabilité comme trop peu de confiance … la liste est
infiniment plus longue que chez les cochons ou même chez nos plus proches cousins, les singes.
Mais il n’y a pas que cela. Notre cerveau ne perçoit pas uniquement les changements
extrêmement subtils du tissu social de relations dans lequel nous vivons. Les expériences
particulièrement décisives avec les autres personnes sont enregistrées sur de longues périodes,
ainsi le souvenir d’une humiliation vécue, d’un échec cuisant, d’une violence faite contre notre
volonté peut devenir un stress incontrôlable continu qui ressurgit de plus belle à la moindre
occasion.
Une autre faculté nous distingue aussi des singes et des autres animaux. Toutes les expériences,
celles que nous faisons dans la vie et celles dont d’autres personnes nous parlent, font apparaître
dans notre cerveau des conceptions sur le monde tel qu’il devrait être, comment il s’est fait tel
qu’il se présente et ce que lui et nous-mêmes allons devenir après l’avoir quitté. Même si nul ne
peut vérifier la validité de ces idées et hypothèses, il n’empêche que nous y tenons et nous y
croyons. Chaque ébranlement de ces représentations par ce que nous vivons tous les jours
constitue une menace et, comme si une personne pointait son revolver derrière notre nuque,
devient un déclencheur de réaction de stress incontrôlable.
Bref, il n’y a que l’être humain pour avoir une telle imagination qu’il lui suffit de se représenter
des événements pour déclencher une réaction de stress pesante. Parfois, il se réveille, trempé de
sueur et prend conscience avec soulagement qu’il a seulement fait un cauchemar, d’autres fois il
a des sueurs froides mais sait qu’il peut à tout moment éteindre la télé ou mettre de côté son
roman policier.
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