Lire l`éditorial d`Alain Masson
Transcription
Lire l`éditorial d`Alain Masson
POSITIF Photo de couverture : Joaquin Phoenix dans Her de Spike Jonze ÉDITORIAL Revue mensuelle de cinéma Directeur de la publication Michel Ciment Comité de rédaction Ariane Allard, Nicolas Bauche, Fabien Baumann, Albert Bolduc, Jean-Loup Bourget, Michel Ciment, Éric Derobert, Élise Domenach, Pierre Eisenreich, Jean-Christophe Ferrari, Franck Garbarz, Jean A. Gili, Adrien Gombeaud, Dominique Martinez, Alain Masson, Jean-Dominique Nuttens, Hubert Niogret, Eithne O’Neill, Philippe Rouyer, Paul Louis Thirard, Yann Tobin, Grégory Valens, Christian Viviani Collaborateurs Vincent Amiel, Jean-Pierre Berthomé, Pierre Berthomieu, Pascal Binétruy, Marc Cerisuelo, Michel Cieutat, Olivier Curchod, Matthieu Darras, Olivier De Bruyn, Antony Fiant, Philippe Fraisse, Fabien Gaffez, Bernard Génin, Stéphane Goudet, Noël Herpe, Franck Kausch, Yannick Lemarié, Lætitia Mikles, Vincent Thabourey, François Thomas, Alexandre Tylski Correspondants Gerhard Midding (Allemagne), Floreal Peleato (Espagne), Jean-Pierre Coursodon, Michael Henry (États-Unis), Mark Le Fanu, Isabelle Ruchti (Grande-Bretagne), Lorenzo Codelli (Italie), Jan Aghed (Suède) Secrétaire de rédaction Jacqueline Perney Conception et réalisation graphique Saluces pour Actes Sud et Institut Lumière Coordination de la rédaction Michel Ciment et Christian Viviani Photographe Nicolas Guérin Fondateur Bernard Chardère Rédaction Positif Éditions SARL 38 rue Milton – 75009 Paris Tél. : 01 43 26 17 80 - Fax : 01 43 26 29 77 Mail : [email protected] Site : www.revue-positif.net Photothèque Christian Viviani Éditeurs Actes Sud - B.P. 90038 13633 Arles Cedex Le Méjan, Place Nina-Berberova www.actes-sud.fr Institut Lumière 25, rue du Premier-Film 69008 Lyon www.institut-lumiere.org Partenariats-Publicité Institut-Lumière - Joël Bouvier Tél : 04 78 78 36 52, [email protected] Hors captif : Didier Derville, MAD Tél : 01 41 34 77 84 Relations abonnés Institut-Lumière - Joël Bouvier Tél : 04 78 78 36 52, [email protected] Abonnement Editions Actes Sud / Positif Daudin services 628, avenue du Grain d’or - 41350 Vineuil Canada et USA Expressmag – www.expressmag.com 8155 rue Larrey, Anjou (Québec) H1J2L5 Canada Tél : 00 1 877 363-1310 Impression Imprimerie de Champagne Mensuel. Le numéro 7,80 €, numéro double 10 €, Positif est indexé annuellement dans International Index of Film Periodicals Ce magazine contient un encart abonnement broché entre les pages 32 et 33. La Rédaction reçoit sur rendez-vous. Les manuscrits ne sont pas rendus. Les articles n’engagent que leurs auteurs. © Les auteurs, Positif, 2011. Tous droits réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Imprimé en France / Dépôt légal à parution CPPAP en cours d’attribution - ISSN 0048-4911 N°637 mars 2014 Le devoir des juges Les œuvres nous plaisent ou elles ne nous plaisent pas. Il n’y a pas lieu de surmonter la subjectivité de notre goût. Il convient seulement de disqualifier ceux de nos jugements que nous savons reposer sur des préjugés, des passions individuelles, des intérêts politiques. Mais comme notre propos est de convaincre, nous voilà dans l’embarras. Ici commence notre travail. Quand il s’agit de cinéma, les explications, les justifications et les éloges risquent d’autant plus de s’empêtrer qu’ils ne s’adressent pas à un public éclairé et restreint, mais à une foule indistincte et qu’ils envisagent un art dont toute la tradition demeure présente : une revue comme la nôtre, lue surtout par des amateurs passionnés et cultivés, vise dans ses choix le monde entier des spectateurs et n’entend pas se cantonner à des films élus par le snobisme. D’autre part, le cinéma est encore trop jeune pour que ses chefs-d’œuvre les plus anciens n’éclairent pas nos analyses. L’hostilité de quelques critiques à l’égard de 12 Years a Slave laisse supposer qu’ils en ont jugé à la hâte. C’est une position politique qui dicte à Libération cette condamnation : « L’ignominie de l’esclavage est tout entière contenue dans son caractère institutionnel, dans le fait qu’il répondait à des besoins économiques précis. » C’est faux : l’esclavage définit un système économique, d’ailleurs déjà périmé au XIXe siècle, et que son utilité n’eût pas suffi à rendre odieux. C’est de plus dépourvu de pertinence : que la représentation de la servitude repose sur la déshumanisation des Noirs, au moyen de l’oppression par la violence, le choix est aussi intéressant que celui de montrer le commerce du coton, et le tableau de Degas sur Le Bureau du coton à La Nouvelle-Orléans (1873) ne laisse guère percevoir de blâme à l’égard d’un système de production à peine différent. Un inusable préjugé impose aux Cahiers du cinéma et aux Inrockuptibles, pareillement programmés, la référence à Rivette et au prétendu effet esthétisant de Kapo, dont Thirard a rappelé qu’il n’existait pas (Positif n° 543), mais la vérité peut-elle triompher de l’Opinion ? Ils ne remarquent pas qu’ils n’ont pas regardé le film, vu combien sa peinture de l’esclavage était inédite, observé que la nécessité des sévices et la diversité de leurs formes y répondent au fait que l’esclave, lui trop savant, elle trop désirable, dément la nature qu’on veut lui attribuer, celle d’être humain capable seulement d’obéissance. Cela constitue une critique radicale de la théorie esclavagiste héritée d’Aristote. Le critique de Transfuge traduit ces partis pris moralisateurs de la façon la plus édifiante : la « maîtrise » du cinéaste incite les spectateurs à « une jouissance d’esthète » aux dépens des « esclaves, exploités pour notre plaisir ». Quel scrupule touchant ! Dommage que la compassion de ce prédicateur aille à des personnages fictifs ! Et le terme de jouissance n’est-il pas excessif et sommaire quand il s’agit des sentiments et des pensées du public. La séquence où le village nègre reprend ses travaux derrière Solomon pendu ne distrait pas notre regard du supplicié, comme l’affirme le contresens décisif de cet article : elle accuse un contraste, décrit les frontières extrêmes de l’état d’esclave, dénote l’horreur de l’habitude, résume une impuissance. Rien n’empêchera pourtant Transfuge de dénoncer dans ce film une « imposture chic ». Quant à Sofilm dont le solécisme qui lui sert de titre révèle qu’il s’agit d’un organe francophone mais pas trop, il considère Hollywood comme une marque d’infamie et déplore la vision « binaire » de McQueen, « bien loin des mille nuances des négriers de Tarantino » : en somme les planteurs du Sud ne méritent pas une réprobation sans distinguos, mais un ratatinage irisé. Les films de Wiseman, de Spike Jonze et de Schlöndorff qui ont attiré notre attention ce mois-ci courent eux aussi le risque du jugement sommaire. Invitons donc à ne pas les lire, les démasquer ni les évaluer avant de les avoir regardés. Alain Masson