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Symposium "Féminisation : quel impact pour les soins de santé?" 18 septembre 2012 Pourquoi parler de la féminisation des soins ? "Soucieuses de la pérennité et de la qualité du système de soins belge dont elles sont co-gestionnaires, les Mutualités Libres souhaitent dès aujourd’hui initier un débat qu’elles jugent essentiel", a annoncé en guise d'ouverture au symposium, Valérie Nys, Executive Director Opérations & Expertise aux Mutualités Libres. Celles-ci souhaitent plus particulièrement aborder les questions suivantes avec les acteurs du secteur: Les conséquences de la féminisation sur l’organisation des soins en Belgique: formation des prestataires de soins, type de pratique médicale, accès aux services, volume d’activité, etc. La planification de la main-d’œuvre : la féminisation de la profession entraîne une baisse du niveau moyen d’activité des prestataires, ce qui à terme devrait influencer le nombre de médecins nécessaires par habitant. De plus, quels seront les métiers en pénurie demain compte tenu de la préférence marquée des femmes pour certaines spécialités médicales? La manière dont la féminisation peut améliorer la qualité de la relation patient-médecin et le système de soins en général ? Plusieurs études montrent que les femmes consacrent plus de temps au patient et ont une approche davantage axée sur la prévention. Ces éléments influencent-ils positivement le taux de satisfaction des patients et l’efficacité du traitement ? Le problème de la sous-représentation des femmes dans les sphères de décision et postes de gestion. Les compétences et valeurs des femmes sont actuellement sous-utilisées : quelles actions faudrait-il mettre en place pour favoriser l’équité? L'iInfluence de la féminisation sur les valeurs de la profession: participation du patient à son traitement, équilibre vie privée/vie professionnelle, etc. Des chiffres parlants La Ministre des Affaires Sociales et de la Santé Publique, Laurette Onkelinx a introduit le sujet en exposant des chiffres soulignant clairement la féminisation croissante des professions de santé. Ainsi, par exemple, les pharmaciens sont des femmes à raison de 68 %, mais elles sont moins de 57% chez les 60-64 ans et 81,5 % chez les moins de 30 ans. Les médecins généralistes âgés de 60 à 64 ans sont des femmes à raison de 11,3 % mais le pourcentage grimpe à 70 % si on considère le groupe des 25-29 ans. Les médecins spécialistes enfin sont des femmes à raison de 23,4 % s’ils sont âgés de 60 à 64 ans, mais plus de 60% s’ils ont entre 30 et 34 ans. Cette tendance se marque aussi pour les futurs prestataires puisque les médecins généralistes en formation sont à près de 72 % des femmes, les candidats spécialistes près de 60 %, les dentistes en formation à plus de 65 % des femmes, et 84 % pour la spécialisation en orthodontie. Une question de génération ? Au-delà de cette évidente féminisation du secteur, la Ministre a tenu a rappeler que sa préoccupation première était d'assurer l’accessibilité et la continuité des soins professionnels dans des domaines complémentaires. "Ces professionnels ne sont pas tous en activité dans un des secteurs de la santé et tous ceux qui y travaillent n’y exercent pas à temps plein. L’élément le plus souvent évoqué pour expliquer cette situation est que les femmes cherchent davantage à équilibrer vie de famille et vie professionnelle". Mais cet équilibre ne concerne plus seulement les femmes, comme le souligne Laurette Onkelinx : "la question du sexe ne doit pas occulter les exigences et attentes des nouvelles générations : travailler et vivre autrement ". Assurer continuité et qualité Ce souhait d'un équilibre entre les vies professionnelle et privée doit être mis en balance avec les contraintes d'un métier desquelles il est difficile de se dégager. "Qu’il s’agisse de la première, deuxième ou troisième ligne, les patients ne pourront jamais limiter leurs besoins de soins à un horaire dit "de bureau", explique la Ministre. "Les organisations des institutions et des professionnels eux-mêmes doivent s’adapter, les modalités de financement et de rémunérations également. Notre pays a un système de santé raisonnable quant à son coût : il doit conserver cet équilibre coût / qualité. Et il doit aussi rester accessible à tous. Ce résultat est une responsabilité partagée" a-t-elle conclu. Gagner du temps Nathalie Bekx, CEO du bureau d'analyse de tendances Trendhuis, a continué fort en déclarant que si les hommes quittaient certains métier, c'était parce qu'ils n'étaient plus assez lucratifs ! Les femmes, elles, sont à la recherche de temps. Donc elles choisiront un travail qui leur permettra d'en gagner : elles sont notamment plus demandeuses que les hommes d'horaires flexibles et de temps partiels. Elles travaillent aussi pour plus qu'un salaire : se sentir utile ou s'épanouir, par exemple. "Elles ne veulent pas choisir, elles veulent tout faire, explique Nathalie Bekx. Mais lorsqu'il s'agit de choisir entre un boss qui crie et son bébé qui rit, c'est vite tranché!". La maternité est en effet un moment clé de la vie professionnelle d'une femme. Le "rythme professionnel" de la femme n'est pas reconnu dans notre culture : le temps d'élever une famille, l'employée peut donner moins de priorité à son travail mais elle peut revenir plus ambitieuse que jamais lorsque ses enfants ont grandi et qu'elle récupère du temps pour sa carrière. Cette évolution est généralement peu acceptée par les entreprises. Ces tendances se retrouvent dans les métiers de la santé : l'équilibre privé-professionnel est recherché à tout prix. "En comparaison, les femmes médecins travaillent moins d'heures que les hommes, se tournent facilement vers les fonctions à temps partiel et se retrouvent donc moins dans des fonctions dirigeantes", explique Nathalie Bekx. Les valeurs professionnelles des femmes prestataires de soins sont différentes de celles des hommes. Elles ont un meilleur esprit d'équipe et choisissent d'ailleurs souvent de travailler en pratique de groupe. Elles accordent aussi beaucoup d'attention à la relation avec le patient : à la recherche d'une meilleure communication et en y passant plus de temps. Equilibre vie privée/vie professionnelle La féminisation marque aussi les collègues masculins qui rêvent également d'un meilleur équilibre entre les deux sphères de leur vie. Et la féminisation influence l'approche de la santé : plus soucieuses du bienêtre général d'un patient, les femmes médecins ont une vision plus globale, plus collaborative avec le patient et mettant plus l'accent sur la prévention. L'oratrice suivant e, Lieve Peremans, médecin et professeur au Département Soins de première ligne et interdisciplinaires à l'Université d’Anvers, a elle aussi relevé la proportion de plus en plus grande de femmes médecins généralistes (voir tableau) ainsi que les spécialisations médicales favorites des femmes : dermatologie, ophtalmologie, pédiatrie, psychiatrie ou encore radiothérapie. Lorsqu'on interroge les étudiants sur leurs intentions de carrière, les femmes sont aussi plus enclines à choisir la voie de la médecine générale. Au niveau du personnel soignant (infirmiers, sages-femmes, aides-soignants), on remarque une forte dominante féminine sauf dans les fonctions dirigeantes… On remarque cependant que les hommes reviennent à la médecine générale : à l'Université d'Anvers, les nouvelles inscriptions témoignent d'un équilibre 50/50 entre étudiantes et étudiants. Etre femme = exercer une autre médecine ? Lieve Peremans relève aussi que la féminisation induit un autre modèle de pratique, également plébiscité par les jeunes médecins hommes : réduction du nombre d’heures de travail, pratiques de groupe, combinaison vie privée/vie professionnelle, horaires flexibles. Les femmes médecins voient plus de jeunes patientes, comprennent mieux leurs besoins et leurs problèmes de santé typiquement féminins, et de manière générale, accordent plus d'attention au patient, montrent plus d'empathie avec lui et les invitent à participer au traitement. Peu d'études ont été réalisées sur l'apport de l'aspect féminin dans la médecine mais on observe généralement que les femmes médecins se concentrent plus sur la prévention et ont de meilleurs résultats. Le professeur de l'Université d'Anvers met aussi en lumière le fait que le monde académique ne reflète pas assez la tendance à la féminisation : il manque de modèles et de stages avec des médecins combinant travail et vie de famille et il n'y a pas assez de femmes dans l'enseignement et la recherche. Harmonie et mixité "Harmonie, cohérence et équilibre", a enchaîné Anne Gillet, médecin généraliste et vice-présidente du GBO (Groupement belge des omnipraticiens). En tant que syndicaliste, Anne Gillet a tenu à préciser que la revendication d'un meilleur équilibre entre le travail et la vie de famille n'était pas uniquement féminine. La féminisation n'est qu'un des aspects d'un métier en crise qui doit aussi composer avec un système de santé insuffisamment structuré, une collaboration mal développée entre lignes de soins et des pénuries partielles. Les jeunes médecins, hommes et femmes, se détournent de la profession à cause de sa pénibilité (pas toujours reconnue) et de l'insuffisance des revenus. Anne Gillet propose dès lors des financements alternatifs qui permettraient de soutenir tous les types de pratiques, de créer une solidarité entre jeunes médecins et ceux en fin de carrière, de prendre en compte le travail non rémunéré à l'acte et aussi la féminisation du métier et de ses difficultés (congés de maternité, temps partiels, etc). Un soutien financier est aussi nécessaire pour la pratique de groupe, les services de garde et une protection sociale plus étendue. Cela permettrait de manière globale de favoriser l'attractivité de la médecine générale. Prise de pouvoir hésitante A la question de savoir pourquoi les femmes sont peu présentes dans les lieux de décisions, en particulier dans le syndicalisme médical, Anne Gillet n'avance pas d'explications définitives mais explique par exemple que de nombreuses femmes médecins sont présentes dans les formations continues. "Comme si elles accordaient plus d'attention au rapport au patient qu'à l'approche organisationnelle de leur métier". Anne Gillet plaide finalement pour un équilibre tout court : "Il faut réhabiliter les hommes dans tous les métiers d’éducation et de soins d’où ils disparaissent parce que la société a besoin d’eux. Pour atteindre l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, il faut mettre en place des moyens indispensables à l’exercice d’une solidarité entre tous les membres de la profession, hommes comme femmes, pour que l’apport spécifique des femmes, indispensable, ne devienne pas une fragilité et que leurs revendications légitimes ne finissent par affaiblir la qualité et l’organisation des soins de santé au lieu de l’enrichir". Pour clôturer l'après-midi, Isabella Lenarduzzi, managing director de Jump Forum, a brossé un tableau général de la place de la femme dans le monde du travail et plus particulièrement dans les organes de décision. Elle a rappelé que les postes de décision restent majoritairement masculins et ce, même dans des institutions de soins comme les hôpitaux où le personnel est majoritairement féminin. "Les talents féminins sont la ressource renouvelable la moins souvent utilisée", a-t-elle lancé. L'enjeu de la mixité dans l’entreprise, selon elle, est de créer des entreprises plus performantes, d'augmenter le PIB (une augmentation estimée à 27% pour l'Europe), de combler les pénuries et les compétences et de préserver la sécurité sociale. Pour le moment, le seul moyen utilisé pour obtenir la mixité, ce sont les quotas. A l'image de ce qui se fait dans les pays scandinaves. Un autre débat à ouvrir…