Les Lingenheld, bâtisseurs de dynastie
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Les Lingenheld, bâtisseurs de dynastie
ECONOMIE SAMEDI25MAI2013 P DÉVELOPPEMENT Soixante entrepreneurs qui font la région L’AGENDA ÉCONOMIE Les Lingenheld, bâtisseurs de dynastie STRASBOURG Créacité : l’Alsace, terre d’entrepreneurs Q JEUDI 30 MAI. La couveuse d’entreprises Créacité, que préside Claire Grignon, propose à l’issue de son assemblée générale une table ronde sur le thème « Alsace, terre d’entrepreneurs » (assemblée générale à 17h, manifestation à 18h à l’hôtel du Département, place du Quartier Blanc à Strasbourg). Avec la participation du vice-président du conseil régional François Loos, du directeur général de l’Adira Vincent Froehlicher et du directeur général de Flma’s SA Eric Senet. Accès libre. 18 Entre Moselle et Alsace, le groupe familial Lingenheld, aux origines modestes, est devenu un fleuron des entreprises moyennes françaises. Regard croisé de deux générations et quarantième volet de notre série. l’Allemagne, admirée au moins sur ce point. C’est ce qui a justifié l’attribution en avril dernier à Paris du Grand prix de l’entreprise patrimoniale au titre de la pérennité et de la transmission (DNA du 17 avril), remis par l’association ASMEP-ETI que préside le charismatique Yvon Gattaz. La fiscalité du patrimoine « à la française » a eu bien du mal à intégrer une réalité sociale assez élémentaire : une transmission réussie est un carburant économique plus puissant que la création pure, et elle permet de gagner du temps. STRASBOURG Soirée prospective : travailler à distance Q JEUDI 6 JUIN. Le pôle formation de la CCI de Strasbourg et du Bas-Rhin organise en collaboration avec la CCI de Région Alsace une nouvelle soirée prospective sur le thème « Travailler à distance : quels modèles pour quels résultats ? » (de 18 h à 20 h au Pôle formation de la CCI, 234 avenue de Colmar à Strasbourg). Le philosophe Bernard Stiegler, président d’Ars Industrialis, Esra Tat, co-dirigeante de Terracités, Catherine Ledig, directrice de l’ADEC, Audrey Lalante, référent télétravail chez CGI-Est, Jean-Georges Perrin, directeur de Greenivory, JeanChristophe Uhl, directeur du télécentre de Reichstett, Yann Klis, vice-président d’Alsace Digitale, François d’Ambra, directeur du développement chez Steelcase et Jérôme Creutz de la Direccte feront le point sur l’évolution de ce nouveau mode de travail, en Alsace. Inscription avant le 3 juin au ✆ 03 88 43 08 40 ou par mail : [email protected] STRASBOURG Le handicap dans l’entreprise Q JEUDI 6 JUIN. IMS – Entre- prendre pour la cité et plusieurs partenaires proposent une soirée-événement de formation et sensibilisation sur le thème « Le handicap dans l’entreprise » (de 18h30 à 20h30, amphi 8 de l’école de management, 61 avenue de la Forêt-Noire à Strasbourg). À travers des jeux, saynètes et quiz, appuyée par l’intervention du président de l’IMS Jean-Paul Bailly, par ailleurs président de La Poste, l’association veut contribuer à changer le regard des managers sur le handicap entreprise. Participation uniquement sur inscription à [email protected] ALSACE Concours « Un des Meilleurs Ouvriers de France » Créé en 1924 dans le but de présenter l’excellence de l’artisanat français, le concours national « Un des Meilleurs Ouvriers de France » fêtera en 2013 sa 25e édition. Il est organisé sur le principe suivant : inscription en 2013, épreuves dans les départements en 2014, et évaluations finales en 2015. Cette 25e session sera ouverte dans plus de 200 métiers (ou classes) de l’artisanat. Les inscriptions sont ouvertes depuis le 1er février et se clôtureront le 30 septembre 2013. Renseignements : www.meilleursouvriersdefrance.org ou [email protected] Georges Lingenheld : « Nous disons que l’entreprise est un outil de travail » Dans le puits de lumière du siège de Dabo, Georges Lingenheld et son fils Franck, désormais aux commandes du groupe. PHOTO DNA - MARC ROLLMANN E n ce matin de mai perdu de brouillard, la proue du vaisseau Lingenheld domine l’horizon noyé de Dabo. De la dunette, Georges Lingenheld, 63 ans, et son fils Franck, 45 ans, jouissent des creux et du ressac de la forêt mosellane, sous l’œil définitif de leurs trophées de chasse. C’est ici, au cœur de ces puissantes hêtraies, paradis forestier, que la lignée a percé et grandi. Florent, l’arrière-grand-père de Franck, était charbonnier. Son grand-père Joseph charriait du bois et sous-traitait du transport pour le compte d’entreprises de construction. Georges a pris la relève et fait du groupe qui porte son nom une entité diversifiée, et forte à son tour sous la houlette de son fils Franck. L’homme du relais a seize ans et se prénomme Ludovic. Il est déjà bien informé du caractère volontaire, tenace et patient de sa famille. Un chiffre d’affaires multiplié par quatre en dix ans À mi-chemin de Strasbourg et de Metz, deux pôles urbains qu’il travaille méthodiquement, Lingenheld est un groupe de taille intermédiaire aujourd’hui fort de quelque 500 salariés pour 119 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et sans doute une des rares entreprises familiales françaises à avoir maintenu son siège dans le berceau familial, une commune de moins de 2700 habitants à l’ombre de son rocher dédié à saint Léon IX. Et ses dirigeants vivent sur place, profondément attachés à leur territoire. Une famille de Moselle très rhénane, avec une dizaine d’établissements en Alsace. Trait d’union assumé : le père est élu de la CCI du Bas-Rhin, le fils membre associé de la CCI de Metz. En septembre 2005, honorée d’une des dernières sorties publiques de Pierre Messmer, la famille a inauguré son nouveau siège ultramoderne, colonne de béton et de verre sur sept niveaux, étonnamment bien inté- grée dans le village par son architecte Jean Yves Valentin, de Sarrebourg. Quelque 55 salariés y veillent au développement de la galaxie des sociétés rassemblées dans le groupe, les exploitations étant réparties près de Strasbourg, Colmar, Haguenau et Metz. À chacune des quatre divisions son étage : le génie civil, métier historique, qui occupe 335 salariés, les activités de production de granulats et d’enrobés, 12 personnes, les nombreux métiers de l’environnement, 92 collaborateurs, et l’aménagement et promotion immobilière, 9 personnes. Ainsi armé et diversifié, le vaisseau tient bien la haute mer et les creux de conjoncture qui fragilisent tant de sociétés de travaux souvent très dépendantes de la commande publique. « 2013 va assez bien se passer. J’ai plus d’inquiétudes pour 2014, avec les élections municipales », commente le directeur général Franck Lingenheld. C’est largement à lui que le groupe doit sa diversification assez récente et très volontariste dans l’environnement : dépollution des sols et des nappes souterraines, désamiantage, traitement et stockage de déchets du BTP, les Lingenheld sont convaincus de l’énorme potentiel de ces métiers qui dopent sa croissance : en moins de dix ans, le groupe a multiplié son chiffre d’affaires par quatre et a intégré 300 emplois supplémentaires, dont une partie issue d’acquisitions. « Notre politique c’est l’investissement dans l’entreprise, la préservation de l’outil de travail et de l’environnement social », résume Georges Lingenheld, un PDG qui prend peu à peu ses distances avec la marche quotidienne d’une entreprise dont il a vu la taille humaine croître d’un facteur 10 au cours de sa carrière. Le chef d’entreprise a déjà parlé d’homme à homme avec son petit-fils : « Quand on s’appelle Lingenheld, on ne peut pas faire n’importe quoi. Il faut donner le bon exemple ». Unir, grandir et transmettre, transmettre, grandir et unir : quoi de plus intimement familial que ce cycle ? Franck Lingenheld : « J’ai eu la chance de pouvoir terminer mes études ! » Trente-sept ans après avoir pris la direction de l’affaire et lui avoir donné une impulsion décisive dans les travaux publics, Georges semble serein et apaisé. La transmission a été minutieusement réfléchie et préparée : « Il faut s’y mettre très tôt, j’ai commencé dès l’âge de 45 ans », ditil. Son fils Franck, à la direction générale depuis 2005, est déjà actionnaire à plus de 60 %. Mais il l’admet bien volontiers : compte tenu de la croissance accélérée du groupe, sa succession à lui sera plus difficile. Il mûrit sa propre stratégie en attendant la majorité de son fils, dans deux ans. Le fil de la vie est si ténu, à Dabo comme ailleurs. Lorsque le frère de Georges décède prématurément dans un accident d’avion, la tentation est grande d’écourter les études de son neveu Franck. A fortiori dans une famille qui se forme, depuis toujours, sur le tas et en tire fierté et leçon de vie : « J’ai eu la chance de pouvoir terminer mes études ! » sourit Franck Lingenheld, titulaire d’un diplôme d’ingénieur franco-allemand. A-t-il ressenti une pression de sa famille ? « Reprendre une entreprise est une chance extraordinaire, mais il faut aimer le métier. On démarre à 6 h pour terminer à 20 h », glisse-t-il. Comme son père, il a eu très jeune accès aux machines, aux engins, aux camions : « J’ai démarré à 14 ans, autour des engins. Pour les garçons, les gros moteurs, les mètres cubes, ça plaît ! C’est la partie agréable du métier… » Depuis toujours, les Lingenheld choient leurs outils de production, employant aujourd’hui pas moins de vingt mécaniciens et investissant dans un nouveau centre de maintenance en cours de construction à Oberschaeffolsheim, à l’ouest de Strasbourg. Le nouveau bâtiment sera aussi le siège social de la partie environnement, en lisière d’un des trois centres de valorisation exploités par la famille. Dans un secteur où les grands des TP raflent les marchés publics, le groupe de Dabo a su se faire une place. La compétition est féroce, on ne gagne pas à tous les coups. Mais l’entreprise a pu se faire admettre sur le chantier de la ligne à grande vitesse LGV Est, 15 millions d’euros dans la deuxième phase sur un marché global de génie civil estimé à 1,3 milliard. Opiniâtre, endurant comme à la chasse ou sur son vélo de course dans la montée du Valsberg, Georges Lingenheld ne cesse de rappeler aux élus et aux journalistes le rôle moteur des travaux, et surtout l’ancrage local que permet une structure de taille moyenne. Cet enracinement lui a permis de remporter, associé à Bouygues, le marché du futur pont du tramway entre Strasbourg et Kehl. Une revanche sur le pont routier Pierre-Pflimlin qui était allé à d’autres. Indépendant, d’une taille modeste mais respectable, en croissance, le groupe Lingenheld a su se faire remarquer au plan national comme un archétype des entreprises de taille intermédiaire (250 à 5000 salariés) dont la France manque : elle en compterait 4 600 pour 3 millions d’emplois, la moitié de ce qu’aligne Ainsi, ce que l’État perdrait en droits de succession, en favorisant la conservation des entreprises en mains familiales, serait largement récupéré par la conservation et la croissance d’activités pérennes. Source de recettes fiscales autrement plus dynamiques. « Nous disons que l’entreprise est un outil de travail et devrait donc, à ce titre, être exonérée de droits de succession. Nous voulons montrer l’exemple d’une entreprise dont les dirigeants n’ont pas besoin de descendre sur la Côte d’Azur et de fumer un cigare », s’enflamme Georges Lingenheld. Façon indirecte de dire que, s’il ne méprise pas la réussite matérielle, la pérennité des emplois et de la communauté lui importent davantage que la valorisation à court terme. C’est plus clair comme ça. Malicieux, il précise : « Un cigare, je peux aussi bien le fumer à Dabo… » Éthique familiale, esprit d’entreprise et adaptation au marché Les Lingenheld ont certes bénéficié du « pacte Dutreil », créé il y a dix ans, qui permet de réduire de 75 % l’assiette taxable au titre des droits de succession, sous conditions et au prix d’un montage minutieux : « J’ai compris que le dispositif Dutreil sera maintenu par le gouvernement actuel, affirme Georges Lingenheld. Mais je crois qu’il faut aller beaucoup plus loin dans le cadre intra-familial en échange d’un engagement de pérennité ». Il est vrai que la fiscalité la plus favorable ne remplacera jamais une éthique familiale, l’esprit d’entreprise et l’adaptation au marché. On s’apprête à le démontrer à Dabo au fil d’une cinquième génération de dirigeant à venir. ANTOINE LATHAM R Q Dernière parution dans cette série créée à l’occasion des soixante ans de l’Adira, Jean-Michel Ricard et Jean-Daniel Muller le 27 avril 2013. RTE 06