II- PERCEPTION DES SYMPTOMES DE L?ANEMIE

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II- PERCEPTION DES SYMPTOMES DE L?ANEMIE
Anémie en Tunisie
T R O IS IE M E P A R T IE
R é sul t a t s d e l ’ e nq uê t e q ua l i t a t i v e
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Anémie en Tunisie
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Anémie en Tunisie
Les résultats de l’enquête qualitative sont présentés en six grandes sections. Les citations
mentionnées sont données à titre d’illustration ou parce que particulièrement parlantes. Les
codes entre crochets renvoient au groupe de discussion focalisée (tableau C I) et à l’unité
d’analyse codifiée sur QSR NUD*IST.
Tableau C I : Liste des groupes de discussion focalisée réalisées
Région
GRAND TUNIS
SUD OUEST
Code
Groupe
Age
Effectif
GT1 AN+30
Anémiques
Age ≥ 30 ans
7
GT2 AN+30
Anémiques
Age ≥ 30 ans
9
GT3 NA+30
Non anémiques
Age ≥ 30 ans
8
GT4 NA+30
Non anémiques
Age ≥ 30 ans
7
GT5 NA-30
Non anémiques
Age < 30 ans
7
GT6 AN-30
Anémiques
Age < 30 ans
6
GT7 NA-30
Non anémiques
Age < 30 ans
6
SO1 NA-30
Non anémiques
Age < 30 ans
6
SO2 NA+30
Non anémiques
Age ≥ 30 ans
9
SO3 AN+30
Anémiques
Age ≥ 30 ans
6
SO4 NA+30
Non anémiques
Age ≥ 30 ans
9
SO5 AN+30
Anémiques
Age ≥ 30 ans
6
SO6 AN-30
Anémiques
Age < 30 ans
6
SO7 NA-30
Non anémiques
Age < 30 ans
7
SO8 AN-30
Anémiques
Age < 30 ans
6
SECTION I
Perception des symptômes de l’anémie et de la carence en fer
Les symptômes perçus de l’anémie diffèrent selon que les femmes ont été confrontées ou non
à ce problème de santé. Nous présenterons donc les résultats concernant ces deux groupes
séparément.
1. Perception des symptômes de l’anémie par les anémiques
La fatigue, les vertiges et la pâleur sont les symptômes les plus fréquemment perçus par les
femmes anémiques. Les femmes utilisent différentes expressions pour décrire leur épuisement
physique.
Moi, les périodes où je suis fatiguée sont plus nombreuses que celles où je suis en forme.
Je sens tout le temps la fatigue, j’ai des vertiges, je n’ai pas envie de lever le petit doigt,
je suis comme de la pâte molle, je n’arrive pas à rassembler mes os et à vaquer à mes
tâches quotidiennes. Cet état, je le vis tout le temps et dès le réveil. Ceci s’explique car je
suis anémique. [SO3 AN+30 ; 14]
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Anémie en Tunisie
Moi, je suis fatiguée, j’ai des vertiges. Pendant la crise de l’anémie, je me sens lasse, je
ne peux rien faire, je suis pâle. [SO6 AN-30 ; 20]
Je souffre d’anémie. J’ai des vertiges et je suis très fatiguée tout le temps, faible et
épuisée. [GT2 AN+30 ; 16]
Moi, j’ai une anémie depuis que je suis jeune fille. Parfois je suis bien et parfois je sens
des vertiges et une fatigue. [GT2 AN+30 ; 56]
L’anémie a comme signes la pâleur, la fatigue et les vertiges. [GT6 AN-30 ; 126]
Le sommeil agité et l’insomnie sont également évoqués. Une petite majorité de femmes se
plaint de difficultés à trouver le sommeil. Elles en souffrent beaucoup. Même les enfants en
souffrent comme le rapportent ces femmes. L’insomnie est une manifestation clinique sévère
de l’anémie.
Je suis insomniaque à cause de mon anémie. Je dors très peu la nuit. [SO5 AN+30 ; 27]
Je dors très difficilement. Je veux dormir mais je ne peux pas. En pleine crise d’anémie,
je ne dors plus. [SO5 AN+30 ; 28]
Mon frère est anémique. Il dort mal. [SO8 AN-30 ; 48]
Une minorité de femmes insiste sur la douleur ressentie et souligne que leur humeur et leurs
relations avec autrui sont perturbées.
Je dors très mal la nuit. Quand je me réveille le matin, je suis nerveuse, irritable. J’ai
des courbatures partout, tous mes os me font mal et ceci depuis deux ans, depuis que je
suis anémique. Je suis très irritable. Moi qui étais très patiente, très calme, je ne me
reconnais plus. [GT2 AN+30 ; 25]
Les douleurs osseuses et articulaires, les maux de tête et l’éblouissement sont ressentis par
certaines femmes. D’autres parlent de troubles digestifs (nausées, manque d’appétit). D’autres
se plaignent encore de palpitations, de tremblement et de transpiration. La fièvre, liée à des
infections traînantes et répétées qui peuvent induire une anémie, est également évoquée par un
petit nombre de femmes anémiques. Il s’agit-là d’un tableau de manifestations physiques
complexes identifiées par la médecine comme étant les signes cliniques des anémies sévères
et perçus également par ces femmes chez les enfants.
Je reconnais les signes de l’anémie avant la crise. Je me réveille avec des maux de tête et
des douleurs articulaires. Puis je commence à voir des mouches qui scintillent devant les
yeux et un éblouissement. [SO5 AN+30 ; 20]
Je n’ai pas d’appétit, j’ai de la fièvre, je tremble et je transpire. [SO3 AN+30 ; 15]
J’ai les jambes lourdes. J’ai de la fièvre, des nausées et des vertiges. [SO6 AN-30 ; 16]
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Anémie en Tunisie
Mon frère a six ans. Il est très maigre. Il est tout le temps pâle, fatigué. Il a des vertiges.
Il vomit, mange mal, dort mal et a des diarrhées répétées. Quand nous l’avons emmené
chez le médecin, il a dit qu’il est anémique. [SO8 AN-30 ; 48]
De très rares femmes évoquent les ongles cassants et la chute de cheveux comme symptômes
de l’anémie.
L’anémie fait que les ongles sont cassants et que les cheveux tombent. [GT6 AN-30 ;
127]
Finalement, quelques femmes ne perçoivent pas, chez elles, les signes de l’anémie et cela
malgré le fait qu’elles soient bien informées sur ce problème et qu’elles en connaissent les
symptômes physiques. Il s’agit probablement de cas d’anémie modérée asymptomatique où
les signes cliniques tendent à se développer lentement et donc à ne pas êtres immédiatement
perceptibles.
J’ai fait des analyses et on m’a dit que j’étais anémique. Pourtant, je n’ai pas les signes
de l’anémie, ni vertiges, ni fatigue, ni pâleur. J’étais tout à fait normale (. . .). [GT2
AN+30 ; 124]
Un grand nombre de femmes confrontées à des sensations corporelles douloureuses et
inhabituelles les mettent en relation avec d’autres maladies. C’est souvent après un diagnostic
médical qu’elles ont appris leur maladie.
Je n’ai jamais pensé à l’anémie. J’ai toujours cru que mes problèmes physiques
venaient de mon hypotension. Mais dernièrement, les médecins m’ont dit que je suis
anémique. [SO6 AN-30 ; 16]
J’ai pensé à une chute de tension. Mais le médecin que j’ai consulté m’a dit que je suis
anémique. [SO3 AN+30 ; 18]
1.1. Comparaison interrégionale
La fatigue est le premier symptôme d’anémie reconnu immédiatement par la grande majorité
des femmes du Sud Ouest. La pâleur est beaucoup plus fréquemment mentionnée par les
femmes du Sud Ouest, et l’est très rarement par celles du grand Tunis.
Au-delà de ces différences, la description des sensations corporelles perçues par les femmes
diffère selon qu’elles sont originaires du Sud Ouest ou du Grand Tunis. Les premières se
plaignent et décrivent des symptômes beaucoup plus nombreux, et elles insistent avec
émotion sur leur vécu de la maladie. Les secondes sont moins prolixes sur leur ressenti. Ces
réactions diverses sont peut-être à relier au contexte social de chaque région. En effet,
l’anémie est plus répandue dans le Sud Ouest où les gens mènent une vie plus
“ communautaire ”. Il existerait, de ce fait, une communication sociale plus intense à propos
de l’anémie, laquelle ne serait plus seulement ressentie comme un problème individuel, mais
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Anémie en Tunisie
aussi comme un problème collectif : les symptômes perçus par chacune sont ressentis par
l’ensemble de la population.
1.2. Comparaison selon l’âge
La perception des symptômes de l’anémie n’est pas influencée par l’âge. Seule l’expérience
de la maladie semble déterminer la reconnaissance ou non des signes de l’anémie par les
femmes jeunes et moins jeunes.
2. Perception des symptômes de l’anémie par les non anémiques
Les femmes non anémiques ont plus de difficulté à identifier et à décrire les symptômes de
l’anémie que les femmes anémiques. Ceci est probablement à mettre en relation avec le vécu
subjectif de la maladie de ces dernières.
Les femmes non anémiques du Sud Ouest perçoivent surtout les signes classiques et habituels
de l’anémie, à savoir, les vertiges, la fatigue et la pâleur.
L’anémie entraîne les vertiges, la fatigue et la pâleur. [SO7 NA-30 ; 159]
La malnutrition entraîne une pâleur et des lèvres exsangues et donc une anémie. [SO4
NA+30 ; 60]
Ma sœur souffre d’anémie. Elle est pâle, fatiguée. Tout le temps, elle a les yeux cernés.
Elle arrive à peine à se mettre debout sur ses pieds. [SO4 NA+30 ; 197]
Une minorité de femmes non anémiques de la région du Grand Tunis arrive à décrire les
symptômes corporels de cette maladie que ce soit chez elles ou chez les jeunes enfants. Seuls
les signes cliniques les plus usuels, notamment la pâleur et la faiblesse, sont identifiés par
quelques femmes non anémiques comme étant des symptômes de l’anémie.
On dit que l’anémie donne une faiblesse avec une pâleur du visage (. . . ). [GT7 NA-30 ;
31]
Moi, j’ai le sentiment que je suis anémique. Tout le monde dit que je suis pâle et puis
tout le temps, je suis fatiguée. [GT7 NA-30 ; 72]
Le sujet qui est anémique est faible. [GT3 NA+30 ; 192]
De rares femmes ne perçoivent pas les symptômes de l’anémie chez des personnes qui en sont
affectés, alors qu’elles ont quelques notions théoriques des symptômes les plus classiques.
Ceci pourrait s’expliquer soit par le fait que la maladie est encore asymptomatique chez ceux
qui en sont affectés, soit que les symptômes sont présents mais que ces femmes ne les
décèlent pas.
Notre voisin est en très bonne santé, il se porte bien. Quand il a fait des analyses, le
médecin lui a dit qu’il a une anémie. Quand tu le regardes, tu ne penses jamais qu’il est
anémique. Il n’a ni malaise, ni vertiges. [GT5 NA-30 ; 187]
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Anémie en Tunisie
3. Perception des symptômes de l’anémie chez l’enfant
Qu’elles soient anémiques ou non anémiques, du Grand Tunis ou du Sud Ouest, aucune
femme n’arrive vraiment à décrire clairement les symptômes de l’anémie chez l’enfant et ceci
malgré le fait que certaines d’entre elles ont des enfants anémiques. Pour celles qui s’en
rapprochent, les signes les plus fréquemment perçus sont la pâleur et le manque d’entrain.
La fatigue de mes enfants est due à un rhume ou une angine, c’est tout. Ils mangent
bien et sont très turbulents. [SO2 NA+30 ; 33] (Deux de ses enfants sont anémiques).
Moi, heureusement que mes enfants sont en bonne santé. Ils ne tombent pas malades,
sauf bien sûr des petits bobos comme tous les gosses. [SO3 AN+30 ; 8] (Cette femme a un
enfant anémique).
Visage blanchâtre et yeux pâles sont les signes de l’anémie chez les enfants. C’est ce que
m’a dit le médecin. [GT5 NA-30 ; 263]
Moi, j’ai deux cousins anémiques. Ils sont toujours pâles. Ils ne bougent pas beaucoup
comme les gosses de leur âge. [SO8 AN-30 ; 30]
Mon petit frère est pâle. Il a des cernes sous les yeux. Il n’arrive pas à jouer comme les
autres gosses. Le médecin nous a dit qu’il est anémique. [SO8 AN-30 ; 28]
4. Relation perçue entre fatigue et anémie
Confrontées aux symptômes de la fatigue physique, de la pâleur et parfois des vertiges, la
majorité des femmes pense à l’anémie.
Ceci ne peut être que l’anémie. [SO3 AN+30 ; 32-37]
L’anémie, sûrement l’anémie. [SO5 AN+30 ; 32]
Cette association est perçue plus facilement par les anémiques que par les non anémiques.
Ceci est à mettre en relation avec le vécu que les femmes anémiques ont de la maladie.
C’est signes-là, je les sens tout le temps, je vis avec car je suis anémique. [SO3 AN+30 ;
46]
Notons que la relation entre fatigue et anémie est plus fortement établie dans la région du Sud
Ouest, les citations positives étant six fois plus nombreuses que les citations négatives, alors
que, pour la région du Grand Tunis, le rapport n’est que d’une fois et demi (tableau C II).
Tableau C II : Nombre de citations positives et de citations négatives concernant la relation
entre la fatigue et l’anémie
AN
NONAN
Grand Tunis
Sud Ouest
Plus 30 ans
Moins 30 ans
RFAP
24
13
12
25
18
19
RFAN
6
6
8
4
7
5
RFAP : relation fatigue-anémie positive ; RFAN : relation fatigue-anémie négative ; AN : anémiques ; NONAN :
non anémique ;
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Anémie en Tunisie
La sensation de fatigue physique fait évoquer pour un certain nombre de femmes, surtout
parmi les non anémiques de la région du Grand Tunis, des pathologies diverses, comme le
diabète, la malnutrition, le manque de calcium, l’hypotension, le manque de fer ou encore le
stress ou le surmenage.
Le stress, le surmenage ou la malnutrition peuvent donner ces signes. [GT1 AN+30 ;
135]
Ceci peut-être un manque de calcium. [GT5 NA-30 ; 30]
C’est peut-être un manque de fer. [GT2 AN+30 ; 35]
Beaucoup de femmes, surtout parmi les anémiques, disent avoir eu recours au diagnostic
médical pour identifier la cause des symptômes dont elles, ou l’un de leurs proches,
souffraient.
Après mon dernier accouchement, j’ai eu cette fatigue avec beaucoup de vertiges. Je ne
pouvais pas me mettre debout. Je suis allée voir le médecin, il m’a dit que j’étais
anémique. [SO5 AN+30 ; 19]
La relation entre la fatigue et l’anémie est perçue de la même manière chez les femmes jeunes
et chez les femmes moins jeunes.
5. Comparaison des symptômes perçus avec les signes cliniques connus
Les signes cliniques majeurs de l’anémie varient selon la gravité de la maladie. Ces signes ont
souvent tendance à s’aggraver avec l’effort (cf. annexe1 : rappel physiopathologique des
anémies).
L’anémie peut se développer insidieusement pendant une longue période de temps et de ce
fait être bien tolérée et il n’est donc pas rare que le diagnostic soit posé fortuitement à
l’occasion d’un bilan de santé. Ce qui explique que quelques femmes ne se sont pas rendus
compte qu’elles étaient anémiques.
Les femmes, surtout les anémiques, ont rapporté les symptômes suivants de l’anémie :
-
pâleur de la peau et des muqueuses : ce signe clinique a été décrit par un très grand
nombre de femmes. Pâleur du visage, teint blafard, conjonctives blanchâtres, lèvres
exsangues sont les termes utilisés pour définir ce signe ;
-
l’asthénie : plusieurs femmes ont reconnu ce signe de l’anémie. Elles se plaignent de
fatigue, d’épuisement, de lassitude, d’incapacité de faire le moindre effort physique ;
-
maux de tête : de nombreuses femmes se plaignent de maux de tête qui accompagnent
leur carence en fer ;
-
palpitations et dyspnée d’effort : Certaines femmes rapportent qu’au moindre effort leur
cœur bat très fort et qu’elles respirent difficilement en haletant ;
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Anémie en Tunisie
-
l’anorexie : ce signe a été rapporté par plusieurs femmes qui se plaignent de manque
d’appétit ;
-
apathie et irritabilité : certaines femmes constatent qu’elles sont devenues nerveuses et
irritables, alors que d’habitude elles sont très calmes et disposes ;
-
perte de poids : quelques rares femmes ont constaté un amaigrissement depuis la
découverte de leur anémie ;
-
lipothymie : ce signe est décrit par quelques femmes qui parlent d’épisodes
d’évanouissement et de malaises ;
-
troubles cutanés et des phanères : certaines femmes anémiques remarquent que leurs
ongles sont devenus cassants et que leurs cheveux se sont raréfiés ;
-
une pâleur de la peau et des muqueuses, particulièrement bien visible aux conjonctives et
aux ongles ;
-
syndromes inflammatoires articulaires : quelques femmes se plaignent de douleurs
osseuses, localisées au niveau des membres. Ce syndrome s’observe dans les anémies
héréditaires ou hémoglobinopathies ;
-
lésions oculaires : des femmes anémiques rapportent une sensation d’éblouissement ou de
mouches devant les yeux ;
-
sueurs, refroidissement : quelques rares femmes souffrent de transpiration ou de frisson
en cas de crise d’anémie.
SECTION II
Compréhension de l’anémie
L'anémie reste une maladie mal connue des femmes tunisiennes. Que ce soit dans le Grand
Tunis ou dans le Sud Ouest, la grande majorité des femmes dit ne pas connaître ce qu’est
l’anémie ni ses origines. Pour le Grand Tunis, ces femmes étaient majoritaires, pour le Sud
Ouest elles venaient au deuxième rang.
Je ne sais pas. [GT1 AN+30 ; 120]
Moi non plus. [GT1 AN+30 ; 121]
Le sang manque de quelque chose, d'une ou de plusieurs substances. [SO7 NA-30 ; 161]
Je n’ai aucune idée. [SO2 NA+30 ; 160]
On notera qu’à la fin des groupes de discussion focalisée, beaucoup de femmes ont exprimé le
souhait de mieux comprendre l’anémie. Elles se plaignent du manque d’informations
diffusées à ce sujet en particulier par le corps médical.
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Anémie en Tunisie
C’est vrai nous voudrions que vous nous expliquiez ce que c’est l’anémie et d’où nous
pouvons l’attraper. [GT2 AN+30 ; 38]
Quatre “définitions” de l’anémie semblent coexister chez les femmes tunisiennes : 1) un
manque de fer, 2) un “sang pauvre”, 3) l’hypotension et 4) des variations dans le nombre de
globules blancs ou rouges.
1. Un manque de fer
Un nombre important de femmes associe l'anémie à un manque de fer. Cette association est
plus marquée dans le Grand Tunis que dans le Sud Ouest et auprès des anémiques qu’auprès
des non anémiques. L’âge ne semble pas influencer cette relation.
J'ai eu une carence en fer. [GT1 AN+30 ; 129]
C'est une baisse de la quantité de fer dans le sang (. . .). [GT2 AN+30 ; 49]
(. . .) je manque de fer (. . .). [SO3 AN+30 ; 6]
L'anémie, c'est un sang pauvre. Au fait c'est un sang pauvre en fer (. . .). [GT6 AN-30 ;
125]
J'ai un jeune voisin qui est mort d'anémie et ce n'est pas le seul, car un corps sans fer,
c'est un corps faible et on peut en mourir. [GT6 AN-30 ; 128]
(. . .) moi, on me dit que je manque de fer (. . .). [SO3 AN+30 ; 72]
(. . .) c'est un manque de fer dans le sang (. . .). [SO3 AN+30 ; 75]
2. Un sang pauvre1
Un grand nombre de femmes du Sud Ouest définissent l'anémie comme un “ sang pauvre ” ou
peu concentré. Très peu de femmes du Grand Tunis la définissent ainsi. Cette conception est
plus commune chez les femmes de plus de 30 ans.
L'anémie est un manque de sang ou un sang faible. [SO1 NA-30 ; 123]
Un anémique est quelqu'un qui a un sang pauvre. [SO5 AN+30 ; 102]
(. . .) c'est un sang pauvre comme son nom l'indique (. . .). [GT7 NA-30 ; 166]
3. L’hypotension
Aussi bien dans le Grand Tunis que dans le Sud Ouest, chez les anémiques ou les non
anémiques, presque toutes les femmes associent fortement l’anémie à l’hypotension, ou
confondent complètement ces deux pathologies. La relation est complexe et différents cas de
figure peuvent être distingués.
1
En arabe, anémie veut dire “ sang pauvre ”.
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Anémie en Tunisie
Pour beaucoup de femmes, l’anémie n’est autre que l’hypotension. Selon leur propre
définition de l’anémie, c’est un “ sang abaissé ” (dãm tayah) ou encore un “ sang faible ”
(dãm dhaïf) et elles évoquent alors les chiffres de leur tension systolique nettement audessous de 10 cm de mercure, ce qui correspond bien à la définition médicale de
l’hypotension.
Ma sœur a une anémie. Son sang est faible, elle a entre 8 et 9 de tension. [GT1 AN+30 ;
30]
La citronnade, je ne la bois pas car il paraît qu’elle abaisse le sang et moi j’ai une
anémie. [SO3 AN+30 ; 141]
C'est vrai on dit que le citron abaisse le sang, d'ailleurs on ne le donne pas à quelqu'un
qui a l'anémie. [SO7 NA-30 ; 90]
Pour d’autres femmes, l’hypotension est un des symptômes de l’anémie. Elles sont anémiques
et elles se plaignent de fatigue, d’hypotension, de douleurs articulaires, de la fièvre, etc.
Je suis anémique. Durant mon dernier accouchement, j’ai eu 5 de tension. [SO3
AN+30 ; 14]
Je suis anémique depuis de longues années. J’ai tout le temps entre 8 et 9 de tension.
[SO3 AN+30 ; 16]
J’ai eu une forte anémie, des douleurs au niveau des articulations et une chute de
tension. [SO5 AN+30 ; 15]
Pour d’autres encore, l’hypotension peut entraîner une anémie si elle n’est pas prise en charge
et traitée.
Quand j’ai eu mon deuxième enfant, j’ai eu une chute de sang et depuis je souffre
d’anémie. [GT1 AN+30 ; 16]
Au début, l’anémie est une chute de sang. Si la personne ne se traite pas, ceci évolue
vers l’anémie. [GT4 NA+30 ; 154]
Selon cette logique, certaines femmes hypertendues s’étonnent lorsqu’elles apprennent
qu’elles sont aussi affectées par l’anémie puisqu’on ne peut pas, toujours selon elles, avoir en
même temps une “chute de sang ” (dhoof dãm) et un “ sang élevé ” (dhaght dãm ou dãm
talaa) ou hypertension.
J’ai de la tension. J’ai 16 de tension. C’est pourquoi j’étais étonnée quand on m’a dit
que j’ai une anémie. [GT1 AN+30 ; 125]
Celui qui présente une hypertension ne peut pas avoir une anémie. [GT4 NA+30 ; 135]
Il est possible que cette confusion entre anémie et hypotension soit renforcée par l’expression
populaire qui définit de la même manière les deux pathologies “ sang faible ” (dãm dhaïf).
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Anémie en Tunisie
Notons que même le personnel médical utilise cette expression pour désigner ces deux
pathologies aux patients :
Je suis analphabète…quand j’ai demandé à mon médecin ce que c’est que l’anémie, il
m’a répondu : ton sang est exactement comme de l’eau de rinçage d’un morceau de
viande. C’est un sang qui n’est pas concentré. Ton sang est très faible. [GT4 NA+30 ;
137]
Cette confusion semble beaucoup moins fréquente chez les femmes de la région du Sud
Ouest.
4. Une variation du nombre de globules rouges ou blancs
Pour un bon nombre de femmes, l’anémie correspond à un manque de globules rouges ou de
globules blancs ou encore à une variation du nombre de globules rouges et des globules
blancs. Cette conception est répandue dans les deux régions d’enquête et on la retrouve chez
les femmes anémiques et non anémiques et dans les deux groupes d’âge.
Il y a chute soit des globules rouges soit des globules blancs. [SO4 NA+30 ; 18]
C'est une augmentation de la quantité de globules blancs (. . .). [GT1 AN+30 ; 122]
C'est la baisse des globules rouges. [GT1 AN+30 ; 124]
C'est soit une chute de globules blancs soit une chute de globules rouges. [SO8 AN-30 ;
182]
Mais les explications sont parfois plus complexes…
Celui qui a un manque de globules blancs a aussi un manque de fer et celui qui a une
chute de sang a un manque de globules rouges. L’anémie, c’est soit une chute de
globules rouges soit une chute de globules blancs. [SO4 NA+30 ; 182]
Finalement, on notera que certaines (rares) femmes associent l'anémie à un manque de
calcium ou de vitamines.
C’est un manque de fer, de calcium. [SO3 AN+30 ; 45]
D’autres relient leur anémie à une “ chute de sucres dans le sang ”. D’ailleurs, le traitement
personnel de l’anémie, lors des épisodes de crise, est souvent un aliment sucré : eau de
géranium avec du sucre, lait bien sucré, dattes, etc. (cf. section VI).
SECTION III
Les origines perçues de l’anémie chez les femmes et les enfants
1. Perception générale
Avant de nous pencher sur les origines perçues de l’anémie par les femmes, il est utile de se
rappeler qu’une grande majorité de celles-ci disent ne pas connaître cette maladie ni ses
- 96 -
Anémie en Tunisie
origines (cf. section II) et sont intéressées à recevoir de l’information à ce sujet. Cette
demande est surtout le fait des femmes du Grand Tunis.
Une grande majorité de femmes, toutes catégories confondues (femmes anémiques et non
anémiques, âgées de moins de 30 ans ou plus, du Grand Tunis ou du Sud Ouest) pense que la
malnutrition est à l’origine de l’anémie2.
De nombreuses femmes décrivent la malnutrition comme une alimentation mal équilibrée,
laquelle est associée à un manque de moyens financiers et à un niveau de vie modeste. Ces
femmes souhaiteraient varier leur alimentation, mais elles n’en ont pas les moyens.
Les moyens financiers jouent un rôle important dans l’apparition de l’anémie. Vous
savez, il y a des familles qui mangent uniquement du couscous cuit dans de l’eau et des
tomates pendant des jours et des jours. C’est certainement une des causes de l’anémie
qui est très répandue parmi nous (. . .). [GT7 NA-30 ; 172]
La viande, le lait, les petits pois secs, les lentilles, les féculents sont des aliments que doit
prendre particulièrement l’anémique et non de temps en temps. Le problème c’est qu’on
sait tout ça, les médecins l’ont dit, mais on n’a pas toujours les moyens de les acheter.
C’est pour ça qu’on a beaucoup d’anémiques dans cette région, presque dans chaque
famille il y a une personne anémique. [SO6 AN-30 ; 80]
Nous n’avons pas beaucoup de moyens, donc nous mangeons ce qu’il y a. [SO3 AN+30 ;
65]
Une malnutrition ou une alimentation pauvre peut engendrer l’anémie. [SO6 AN-30 ;
64] (Cette femme a une anémie héréditaire)
Oui c’est une malnutrition. Quand l’alimentation est pauvre et qu’elle n’est pas variée,
elle peut donner une anémie. [GT7 NA-30 ; 172]
Mais est-ce que tu manges des aliments qui sont riches en fer (. . .). Ces aliments, on ne
le mange pas tout le temps, on n’a pas les moyens (. . .). [SO3 AN+30 ; 83]
Une seconde série de femmes, également nombreuses, a une perception différente des causes
de l’anémie. Pour elles, les légumes sales et le manque d’hygiène provoqueraient l’anémie par
l’entremise des microbes. La plupart de ces femmes sont convaincues qu’une mauvaise
hygiène de la maison, une consommation d’aliments contaminés par les parasites ou encore la
consommation d’une eau impure contribuent à la formation de l’anémie.
La saleté, les légumes mal lavés et les maisons sales sont pleins de microbes. On peut
attraper ces microbes et l’infection donne l’anémie (. . .). [SO1 NA-30 ; 137]
La saleté peut provoquer l’anémie si l’alimentation n’est pas propre. [SO2 NA+30 ; 156]
2
La relation entre alimentation et anémie est traitée de manière plus approfondie à la section IV.
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Anémie en Tunisie
La saleté peut donner l’anémie (. . .). On doit bien laver les légumes. [GT3 NA+30 ;
210]
L’anémie peut être secondaire à la saleté, surtout les aliments sales. Quand on les
mange, on est contaminé par les microbes et les microbes peuvent donner une anémie.
[GT2 AN+30 ; 59]
Les parasites donnent l’anémie. [SO1 NA-30 ; 138]
L’anémie peut être transmissible par les bactéries (. . .). [SO7 NA-30 ; 171]
De nombreuses femmes (anémiques et non anémiques, jeunes et moins jeunes) considèrent
que la fatigue due au travail, aux tâches domestiques, à la prise en charge des enfants et du
mari, que la femme doit assumer toute seule, peut entraîner une anémie.
Je suis anémique, je m’occupe des enfants, de la cuisine, de la maison, de mon mari, je
n’en peux plus. [SO3 AN+30 ; 16]
Le surmenage peut donner tous les signes de la fatigue (. . .). Cela peut aboutir à une
anémie. [SO4 NA+30 ; 55]
L’entretien de la maison et la prise en charge des enfants peuvent donner l’anémie.
[ SO4 NA+30 ; 111]
Une grande majorité de femmes anémiques est consciente que les grossesses multiples et
rapprochées, les avortements, les règles abondantes, le wham3 sont des facteurs essentiels
dans la genèse de l’anémie. Cette origine n’a été relevée que dans de faibles proportions dans
le groupe de femmes non anémiques et est moins partagée par les femmes du Grand Tunis.
Quelques femmes mettent en cause la contraception (stérilet).
Moi le stérilet me fatigue (. . .). J’ai des hémorragies ce qui aggrave l’anémie. [SO5
AN+30 ; 135]
Quelques femmes pensent que le fait de manger l’argile, de la terre ou du charbon peut donner
l’anémie, pour les enfants ou les femmes enceintes. On retrouve cette association chez les
femmes anémiques et non anémiques du Sud Ouest.
Effectivement, la terre, l’argile peuvent donner l’anémie et rendent la personne malade.
Moi j’ai perdu un frère qui avait 8 ans, il mangeait beaucoup la terre. [SO6 AN-30 ; 68]
L’anémie peut être causée par l’argile. Il y a des femmes qui pendant leurs grossesses
mangent la terre et l’argile. [SO5 AN+30 ; 120]
L’enfant qui mange la terre est pâle, il peut avoir une anémie comme l’adulte. [SO4
NA+30 ; 212]
3
Les signes sympathiques de la grossesse.
- 98 -
Anémie en Tunisie
Un grand nombre de femmes surtout du Sud Ouest sont convaincues que le climat chaud et la
terre aride, le manque de pluies et de verdure peuvent être à l’origine de l’anémie.
On peut la guérir avec un climat propre et oxygéné. Les gens qui vivent dans des
endroits verdoyants et un climat tempéré ont certainement moins d’anémiques que ceux
qui vivent ici où le soleil est brûlant dix mois sur douze. [SO6 AN-30 ; 78]
Les causes suivantes ont été mentionnées une seule fois par les femmes du Sud Ouest : les
cigarettes, le louben4 et le jaoui5.
2. Comparaison interrégionale
Lorsqu’on compare les réponses des femmes du Grand Tunis par rapport à celles du Sud
Ouest, on remarque quelques différences. En premier lieu les femmes du Grand Tunis disent
en majorité ne pas bien connaître l’origine de l’anémie alors que les femmes du Sud Ouest,
même si elles sont également nombreuses à dire leur ignorance, mettent majoritairement en
avant un problème d’alimentation. La fatigue et le surmenage, qui apparaissent comme causes
essentielles de l’anémie selon les femmes du Sud Ouest, sont rarement cités par les femmes
du Grand Tunis. Inversement, on notera que davantage de femmes du Grand Tunis rendent le
stress responsable de l’anémie.
Moi, je pense que le stress, l’émotion peuvent baisser le sang. [GT4 NA+30 ; 152]
Moi, je m’énerve beaucoup, c’est peut être ça la cause de mon anémie. [GT2 AN+30 ;
104]
Les grossesses multiples et rapprochées et la géophagie sont des causes citées plus souvent
par les femmes du Sud Ouest.
L’hérédité joue aussi un rôle important dans la genèse de l’anémie selon la plupart des
femmes anémiques et non anémiques, surtout dans la région du Sud Ouest où plusieurs
membres d’une même famille peuvent être anémiques.
Je crois que je suis anémique et je l’ai hérité de ma mère (. . .). [SO2 NA+30 ; 164]
Toutes ne sont cependant pas d’accord.
Non l’anémie n’est pas héréditaire. [ SO4 NA+30 ; 196]
3. Comparaison selon l’âge
Toutes les origines énumérées ci-dessus ont été citées de la même façon et dans les mêmes
proportions dans les deux groupes d’âge. Toutefois, l’hérédité a été plus souvent citée dans les
groupes de femmes âgées de plus de trente ans et dans le Sud Ouest.
4
5
Gomme arabique.
Encens.
- 99 -
Anémie en Tunisie
L’anémie peut être héréditaire. Nous sommes trois sœurs anémiques dans la même
famille. [SO6 AN-30 ; 59]
4. Origines de l’anémie chez les enfants
Les origines perçues de l’anémie chez les enfants ne diffèrent pas fondamentalement des
origines de l’anémie perçues par les femmes. La malnutrition est citée par la grande majorité
et en second lieu les problèmes liés à l’hygiène et aux microbes. On notera cependant la plus
grande insistance des mères du Sud Ouest sur la géophagie comme facteur pouvant entraîner
l’anémie chez l’enfant. Quelques femmes croient aussi que l’anémie peut se transmettre de la
mère au fœtus par voie sanguine ou qu’elle peut se transmettre par le lait maternel.
(. . .) ceci se transmet aussi de la mère au bébé, soit au cours de la grossesse, soit au
cours de l’allaitement. [SO7 NA-30; 175]
SECTION IV
Relations perçues entre alimentation, anémie et fatigue
1. Les relations perçues entre alimentation et anémie
De manière générale, de nombreuses femmes établissent une relation entre alimentation et
anémie. Quoique perçue comme importante, cette relation est cependant loin d’être toujours
très forte et unidimensionnelle. En effet, l’alimentation n’apparaît souvent que comme l’un
des facteurs déterminant ou favorisant l’apparition de l’anémie.
Cette relation s’exprime parfois de manière implicite. On notera par exemple qu’une des
raisons pour lesquelles les hommes seraient moins affectés par l’anémie que les femmes serait
leur meilleure alimentation.
Les femmes établissent clairement une relation entre l’anémie, la diversité et la richesse du
régime alimentaire. Pour elles, il s’agit moins d’une question de quantité que de mettre
l’accent sur l’importance des aliments riches en fer. Ceci est aussi le cas chez les non
anémiques.
Comme nous l’avons vu dans l’analyse des données traitant des origines perçues de l’anémie
(cf. section III) beaucoup d’autres facteurs sont perçus comme pouvant entraîner l’anémie.
Dans de nombreuses citations, le rôle de l’alimentation est associé à d’autres types de facteurs
considérés comme importants. Par exemple :
une alimentation peu variée et insuffisante peut donner une anémie. Un surmenage peut
donner aussi une anémie. [SO1 NA-30 ; 140]
quand vous m'avez fait les analyses, j'étais contente. Je me suis dit, ils vont trouver la
cause de mon anémie. Mais n'empêche, je pense à une malnutrition ou peut être au
stress ou encore à l'hérédité. [SO5 AN+30 ; 110]
- 100 -
Anémie en Tunisie
c’est une malnutrition, l'entretien de la maison et la prise en charge des enfants. Le
stress, l'énervement et les soucis peuvent donner l'anémie. [SO5 AN+30 ; 111]
je ne sais pas exactement ce que c'est. Je sais que c'est un sang pauvre, en quoi je ne
sais pas. On peut l'attraper par une saleté ou malnutrition. Les microbes qui passent
dans le sang, le sucent et la personne s'affaiblit. [SO6 AN-30 ; 58]
quand les enfants sont bien nourris et que leurs parents s'occupent bien d'eux, je pense
qu'ils ne tombent pas malades ou du moins rarement, mais ils sont laissés dans la
nature, comme c'est le cas de la plupart des gosses et ils mangent n'importe quoi, surtout
de la terre, presque tous les gosses mangent la terre, alors ils tombent malades et ils ont
l'anémie. [SO8 AN-30 ; 51]
La relation entre alimentation et anémie semble plus fortement établie chez les anémiques, ce
qui est probablement à mettre également en relation avec les conseils reçus par les médecins.
Elle semble jouer plus au niveau préventif que curatif, certaines anémiques étant convaincues
que l’essentiel au niveau du traitement reste les médicaments.
L'alimentation est importante mais c'est surtout les médicaments qui sont importants.
Sans eux on ne guérit pas. [GT1 AN+30 ; 49]
Le traitement médical est meilleur contre ce type de fatigue, bien sûr il faut aussi
manger. [GT4 NA+30 ; 175]
On notera que la reconnaissance d’une relation entre alimentation et anémie n’implique pas
nécessairement une adaptation du régime et des comportements alimentaires. Plusieurs jeunes
femmes du Sud Ouest qui se savent anémiques mentionnent ce fait explicitement et le mettent
en relation avec les difficultés socio-économiques qu’elles rencontrent.
Il faut mentionner que certaines femmes, peu nombreuses toutefois, n’associent pas qualité de
l’alimentation et anémie. Ces femmes sont majoritairement anémiques et âgées de plus de 30
ans.
Moi je mange le poisson, la viande, le poulet, je suis anémique et ça ne change rien pour
moi, ce n'est que quand je prends les médicaments que je me sens mieux. [GT1 AN+30 ;
112]
L’anémie ce n'est pas l'hypotension quand on a 8 ou 9 de tension, on peut remédier à ça
par l'alimentation comme le foie et autres choses alors que l'anémie, on ne peut pas la
guérir avec l'alimentation donc je suis d'accord avec elle l'anémie c'est une maladie. Je
ne sais comment ou quoi, il faut des médicaments pour la guérir. [SO3 AN+30 ; 84]
Moi ma sœur s'alimente bien, son niveau de vie est meilleur que le mien et pourtant elle
souffre d'anémie (. . .). [SO4 NA+30 ; 197]
- 101 -
Anémie en Tunisie
On peut penser qu’il s’agit de femmes plus âgées qui cumulent l’anémie à d’autres problèmes
de santé importants.
2. Les relations perçues entre alimentation et fatigue
Toutes les catégories de femmes associent fréquemment alimentation et fatigue. Les non
anémiques établissent plus facilement cette association que la relation entre alimentation et
anémie. Cette relation est aussi perçue en ce qui concerne la fatigue des enfants.
De la même façon que pour la relation entre alimentation et anémie, les femmes insistent sur
l’importance de consommer des aliments riches et variés. Elles accordent une importance
encore plus grande à l’alimentation durant certaines périodes à risque comme les grossesses,
les accouchements, les menstruations (cf. section V).
Quelques rares femmes n’établissent pas cette association. On notera qu’il s’agit pour la
plupart de femmes qui se plaignent d’être malades et qui ne parviennent pas, semble-t-il, à
guérir malgré les conseils reçus en matière d’alimentation.
On notera enfin que la reconnaissance d’une relation entre alimentation et fatigue n’implique
pas nécessairement une adaptation du régime et des comportements alimentaires.
SECTION V
Perception des groupes et des périodes à risque
Dans cette section, nous nous intéressons à la question de savoir si les femmes sont
conscientes d’être, avec leurs enfants, un groupe à risque pour l’anémie et particulièrement
durant certaines périodes de leur vie.
1. La femme
Dans leur majorité, les femmes, toutes catégories confondues, estiment qu’elles constituent un
groupe à risque. Elles attribuent cette caractéristique au fait que la femme en général, en plus
d’avoir une constitution fragile, traverse des périodes sensibles, notamment la grossesse et
l’allaitement. D’après-elles, ces périodes sont propices à l’apparition de l’anémie ou à
l’aggravation d’une anémie déjà existante.
Moi je pense que l'anémie touche essentiellement les femmes enceintes, surtout quand
elles ne s'alimentent pas bien et ne boivent pas le lait. Elles manquent de nourriture,
alors qu'elles nourrissent leur bébé de leur propre corps. [GT2 AN+30 ; 75]
Il est important de noter que les femmes sont conscientes que l’anémie peut les toucher à tout
âge.
L'anémie ne touche pas uniquement les femmes enceintes ou allaitantes, même les
jeunes filles en souffrent. Elles sont pâles, ont des vertiges et sont fatiguées. [SO5
AN+30 ; 48]
- 102 -
Anémie en Tunisie
Les femmes avancent des explications à leur vulnérabilité. Elles incriminent les pertes
sanguines au cours des menstruations et pendant l’accouchement.
Pendant l'accouchement, la femme perd beaucoup de sang, donc elle peut avoir
l'anémie. Moi je l'ai eu lors de mon premier accouchement. [SO8 AN-30 ; 66]
Moi je pense que la différence provient uniquement des règles, de l'accouchement et de
l'allaitement. C'est la loi de la nature qui a fait que la femme a subit tout ça. Moi c'est
l'accouchement qui a entraîné mon anémie. Sinon, je mange bien, je suis heureuse en
ménage, mon mari s'occupe des enfants au même titre que moi. [SO8 AN-30 ; 62]
Parmi les non anémiques, deux femmes ont cité les contraceptifs, surtout le dispositif intrautérin, comme responsable de l’apparition de l’anémie.
A cause du stérilet. Moi j'utilise le stérilet et chaque mois, j'ai des règles très abondantes
qui m'épuisent et me vident le corps. [SO2 NA+30 ; 70]
En plus des pertes de sang, leurs besoins augmentent particulièrement au cours des grossesses
et de l’allaitement.
Les femmes enceintes présentent toujours un manque de fer dans leur organisme. Elles
doivent prendre du Féfol (fer médicamenteux). [GT2 AN+30 ; 76]
Moi, je suis fatiguée, j'ai consulté un médecin ; il m'a dit que je manque de fer. C'est dû
à l'allaitement. Je prends des comprimés de fer. Je mange comme d'habitude je n'ai pas
modifié mon alimentation. [SO1 NA-30 ; 41]
(. . .) parce que les femmes tombent enceintes et allaitent. [GT5 NA-30 ; 255]
La situation devient plus critique lorsque ces besoins accrus ne sont pas couverts par une
alimentation convenable.
Il ne faut pas oublier que, pendant la grossesse, elle forme un organisme à partir de ses
réserves ; ensuite, elle l'allaite de son corps. Si la femme se nourrit bien, elle peut vite
récupérer, mais si elle a une alimentation pauvre, elle reste faible. [SO6 AN-30 ; 46]
En dehors des pertes sanguines et des besoins augmentés, les anémiques attribuent leur état à
la surcharge de travail occasionnée par les contraintes familiales.
Moi aussi, comme ma voisine, je suis anémique. Je suis tout le temps fatiguée et mes
charges familiales n'arrangent pas les choses, le mari, les gosses, la maison. Mon état
s'est aggravé quand je suis tombée enceinte de ma dernière fille, j'ai eu sept de tension et
on m'a hospitalisée. Ils m'ont donné des comprimés et m'ont fait des injections. [SO3
AN+30 ; 18]
- 103 -
Anémie en Tunisie
2. L’enfant
Les femmes sont conscientes que l’enfant aussi peut constituer un groupe à risque pour
l’anémie, mais ce fait est moins souvent mentionné.
Rares sont les enfants touchés par l'anémie. Il arrive que les enfants soient fatigués,
n'ont pas d'appétit et ont de la fièvre, mais c'est passager. Ils récupèrent vite après. Moi,
je m'occupe très bien de mes enfants, j'examine tout le temps leurs yeux, leur bouche, je
vérifie s'ils n'ont pas de fièvre. [SO5 AN+30 ; 49]
La “négligence maternelle” et le grand nombre d’enfants en bas âge seraient à l’origine de
l’atteinte éventuelle des enfants.
Il y a aussi le fait que la femme a beaucoup d'enfants en bas âge. Elle ne s'en occupe
pas bien. Ils sont délaissés et mangent n'importe quoi. Regarde dans la rue. Tu vois
plein d'enfants pâles et maigres. [SO6 AN-30 ; 50]
L’enfant peut être anémique et l’alimentation inadéquate de la mère peut en être l’origine.
Ma fille a l'anémie. Son poids de naissance est de 2kg250g. Elle est chétive, parce que
pendant ma grossesse je n'avais pas bien mangé, je n'ai pas pris les comprimés de fer
alors j'ai eu une fille fragile qui ne veut pas manger. [GT3 NA+30 ; 205]
Oui, si la nourriture est insuffisante. [GT5 NA-30 ; 259]
L’anémie peut apparaître chez les enfants qui ne mangent pas ou quand le lait de leur mère est
pauvre en vitamines.
Cet état peut apparaître chez les enfants qui ne mangent pas ou quand le lait de leur
mère est pauvre en vitamines. [SO7 NA-30 ; 52]
3. Les hommes
L’homme, d’après les femmes, serait moins concerné par l’anémie.
Moi je pense que le taux d'anémie chez les hommes n'est pas important. Voilà, je
regarde autour de moi. Ce sont surtout les enfants et les femmes qui sont fatigués. Peut
être parce qu'ils sont moins fatigués et qu'ils mangent mieux. [SO8 AN-30 ; 61]
Moi je pense que le risque d’anémie est de 80% pour les femmes et 20% pour les
hommes, car les femmes subissent les grossesses et celles-ci sont nombreuses (. . .).
[SO5 AN+30 ; 44]
Les femmes pensent aussi que, dans le cas où il en serait atteint, l’homme récupère plus vite
que la femme.
- 104 -
Anémie en Tunisie
La relative immunité des hommes semble être acquise grâce à la qualité de son alimentation et
aux stress réduits qu’il subit. Mais sa constitution, plus robuste que celle de la femme,
interviendrait aussi.
Oui, c'est vrai que les hommes sont la plus part du temps fatigués physiquement dans
leur travail. Mais, il suffit qu'ils se reposent un peu et qu'ils mangent bien pour qu'ils
récupèrent après. Ce n'est pas cette fatigue et ces vertiges que nous ressentons tout le
temps même si nous sommes au lit. Dans notre cas, c'est le corps qui est malade, qui lui
manque quelque chose. [SO5 AN+30 ; 45]
Je crois que ce sont les femmes qui sont les plus touchées. Les hommes par nature sont
plus forts. Leur organisme est plus fort. [SO8 AN-30 ; 54]
Je crois que jamais les hommes ne seront atteints ou presque jamais. Ils sont forts, ils
mangent bien et ils ont moins de responsabilités que la femme. [GT1 AN+30 ; 137]
L’homme a une constitution plus forte donc il sent moins la fatigue et en plus il ne se
plaint pas. [GT7 NA-30 ; 49]
L’allaitement, les grossesse, les règles, le travail à la maison, l’éducation des enfants,
tout ça fait que la femme se fatigue plus que l’homme. De plus, l’homme mange mieux
que la femme, il a la meilleure part du plat, soi disant parce que c’est lui qui entretient la
famille. [SO8 AN-30 ; 65]
4. Comparaison interrégionale
L’analyse des données ne révèle pas de différences interrégionales très marquantes. Les
femmes sont le groupe le plus vulnérable que ce soit dans le Grand Tunis ou au Sud Ouest,
toujours en raison des périodes critiques mentionnées plus haut.
La femme est toujours fatiguée. Elle travaille à la maison, s’occupe des gosses.
L’homme est moins fatigué (...). De plus, chaque mois, la femme a les règles et pour moi,
c’est une semaine de vertiges continues. [SO8 AN-30 ; 55]
La femme est sujette à l’anémie à cause des règles, des grossesses et des avortements.
[GT1 AN+30 ; 138]
Les femmes, surtout celles de la région du Sud Ouest, pensent cependant que l’enfant peut
être touché en raison d’une alimentation insuffisante mais aussi par l’effet de la géophagie.
Les enfants aussi, si la mère a beaucoup d’enfants. Elle ne s’en occupe pas beaucoup et
ils peuvent manger n’importe quoi et devenir anémiques. [SO8 AN-30 ; 67]
La terre peut donner l’anémie. Il y a des gosses qui mangent la terre et qui sont
toujours pâles. [GT1 AN+30 ; 60]
- 105 -
Anémie en Tunisie
Dans la région du Sud Ouest, la notion de saison et l'influence du climat sur la santé est
évoquée, contrairement à Tunis où les variations climatiques seraient plus faciles à supporter.
En été, je suis le plus mal. En hiver c'est beaucoup mieux. [SO8 AN-30 ; 64]
L’été est très dur à Tozeur, cette chaleur est responsable de beaucoup de problèmes, elle
rend les hommes, les femmes et les enfants fatigués. [SO4 NA+30 ; 109]
La perception de l’influence de l’âge existe chez les femmes du Grand Tunis et au Sud Ouest.
Les personnes âgées sont considérées comme un groupe plus vulnérable.
Ce sont surtout, les femmes qui ont cette fatigue et les personnes âgées, surtout la femme
qui a la responsabilité des enfants, elle travaille beaucoup. [GT3 NA+30 ; 71]
La notion de multiparité comme facteur aggravant de l’anémie se retrouve surtout au Sud
Ouest. Ceci est probablement du à la fécondité plus élevé dans cette région due à une
utilisation insuffisante des méthodes contraceptives modernes.
Moi aussi, j’ai 5 enfants, j’ai perdu 2 et j’ai fait 4 avortements. Depuis des années, je
suis soit enceinte, soit allaitante. Je viens juste d’accoucher. [SO5 AN+30 ; 129]
SECTION VI
Attitudes, pratiques et connaissances alimentaires
1. Traitement médical de l’anémie
De manière générale, les données recueillies indiquent que des conseils diététiques sont
prodigués aux femmes lors des consultations médicales. A travers l’ensemble des groupes de
discussion focalisée, de nombreuses femmes ont utilisé des phrases telles que : “ Le médecin
m’a dit qu’il faut manger… ”.
Aussi, d’après les dires des femmes, les traitements médicaux semblent être suivis
(transfusions, prise de comprimés de fer). Cependant, comme déjà mentionné, les conseils
nutritionnels ne sont pas toujours suivi de changements en termes de comportements.
Moi, j'ai une fatigue, j'ai consulté un médecin ; il m'a dit que je manque de fer c'est dû à
l'allaitement. Je prends des comprimés de fer. Je mange comme d'habitude. Je n'ai pas
modifié mon alimentation. [SO1 NA-30 ; 41]
Moi, mon problème, c’est que je ne suis pas régulière ni dans mon traitement, je le
prends pendant une courte période et j’arrête, ni dans mon alimentation, je mange
n’importe quoi. Sincèrement, je ne fais pas attention à ma santé. Le maximum de ce que
je fais, je me repose quand j’ai le temps. [SO3 AN+30 ; 62]
A nouveau, ce comportement est souvent mis en relation avec des questions de moyens,
surtout dans la région du Sud Ouest où plus d’importance semble être accordée aux
médicaments pour lutter contre l’anémie.
- 106 -
Anémie en Tunisie
Moi, je consomme rarement les lentilles et les féculents, le foie de poulet aussi on ne
l'achète que de temps en temps. Je pense qu'il n'y a pas mieux que la viande et surtout la
viande rouge pour redonner du sang à un anémique. Bien sûr, après le médicaments.
Car en premier lieu, l'anémique doit prendre ses médicaments et de façon régulière.
[SO5 AN+30 ; 56]
D'abord par les médicaments, puis une alimentation riche et fortifiante. C'est à dire, le
lait, la viande, les œufs. [SO5 AN+30 ; 139]
On remarquera que les femmes (anémiques et non anémiques) disent souvent que c’est au
médecin de fixer le régime alimentaire en cas d’anémie. C’est lui qui est investi de la
connaissance. Cette attitude semble plus marquée dans le Sud Ouest.
C'est ça, c'est au médecin de faire le diagnostic de l'anémie, c'est à lui de lui donner les
médicaments qu'il faut, c'est aussi à lui de dire ce qu'il doit manger. Car il n'y a que lui
qui sait tout ça. [SO7 NA-30 ; 183]
Les femmes du Sud Ouest parlent davantage de lutte en terme d’alimentation ; celles du
Grand Tunis se limitent le plus souvent à évoquer les médicaments (surtout le fer).
Comme on pouvait s’y attendre, les anémiques s’étendent beaucoup plus sur le traitement
médical de l’anémie que les non-anémiques.
2. Traitement personnel de l’anémie
Le “ traitement ” le plus courant de l’anémie (en cas d’épisode de fatigue) est “ Je me repose
quand j’ai du temps ”.
Face à l’anémie, les femmes développent des sentiments contradictoires. Il y a d’abord celles
qui éprouvent un sentiment de peur et d’angoisse.
J’ai continué à mener une vie normale, mais au fond, j’ai peur, très peur. C’est peutêtre grave. [SO6 AN-30 ; 28]
Moi, je suis anémique. J’ai peur que mon fils ne le soit aussi. Que dieu le garde ! [SO8
AN-30 ; 46]
Mon fils est faible et maigre. J’ai peur qu’il ne soit anémique. [SO8 AN-30 ; 29]
J’espère que ni moi ni mon fils ne sommes anémiques. Que Dieu nous préserve ! [GT7
NA-30 ; 31]
D’autres refusent de se considérer comme anémiques, comme cette femme anémique du Sud
Ouest qui associe sa pâleur et sa fatigue à une surcharge de travail ou encore à sa carence en
fer signalée par le médecin, et qu’elle différencie de l’anémie. Elle préfère ainsi parler de
manque de fer, l’anémie étant pour elle synonyme de maladie, ce qui renvoie à une image
fragile et dévalorisante. Elle dénie donc être malade.
- 107 -
Anémie en Tunisie
Moi, je suis fatiguée quand je suis surmenée ou quand je travaille beaucoup. Je n’ai pas
d’anémie. Le médecin m’a dit que j’ai un manque de fer, donc je ne suis pas anémique.
Je sens quand j’ai un manque de fer : je pâlis, mes yeux sont blanchâtres et je suis
fatiguée, mais je ne suis pas anémique. [SO3 AN+30 ; 19]
Quelques anémiques de la capitale mentionnent explicitement ne rien changer à leur mode de
vie, à ne pas trop donner d’importance à leur état et à sauter leur petit déjeuner.
Moi, malgré les vertiges, je continue à faire le ménage. Je ne prends pas mon petit
déjeuner le matin, je n’ai pas envie de manger. D’ailleurs il ne change rien à mon état
physique. [GT2 AN+30 ; 83]
Ceci est encore plus marqué dans le Sud Ouest. Là aussi les femmes se reposent si elles en ont
le temps. Une seule femme a mentionné faire des efforts pour améliorer son alimentation.
Les non anémiques mentionnent le plus souvent l’importance de l’alimentation (variée,
régulière) pour prévenir ou traiter l’anémie.
Parmi les “recettes” avancées, on notera : “le bois de l’eau de géranium avec du sucre”, “le
plus souvent, je bois du lait bien sucré, je mange des dattes”, “je prends un Efferalgan
pour dormir”.
Le “traitement” le plus souvent mis en avant par les femmes pour lutter contre la fatigue est
de prendre un peu de repos. Cependant de nombreuses femmes disent simplement ne rien
faire. L’alimentation est très peu fréquemment évoquée comme remède efficace, mais
certaines affirment boire de l’eau sucrée.
3. Itinéraires thérapeutiques en relation avec l’anémie
L’étude ne visait pas à reconstituer en détail les itinéraires thérapeutiques des anémiques. On
peut cependant, sur la base des données recueillies, se faire quelques idées sur le sujet.
Il est ainsi intéressant de constater que la plupart des anémiques disent avoir consulté un
médecin suite à des épisodes de fatigue prolongés ou suite à des vertiges. Les symptômes de
l’anémie sont donc ressentis comme suffisamment inquiétants par les femmes pour les amener
à consulter. Un certain nombre de ces femmes indiquent aussi avoir été diagnostiquées lors
d’analyses réalisées pendant leur grossesse ou juste après celle-ci. Les mères disent aussi
consulter en cas de signes de mauvaise santé de l’enfant.
On notera aussi qu’il n’a jamais été fait mention de recours à d’autres types de praticiens
(herboristes, guérisseurs, etc.), mais ce sujet n’a pas été directement abordé dans les groupes
de discussion focalisée.
4. Connaissances et opinions en matière alimentaire en relation avec l’anémie
Lors des groupes de discussion focalisée, il a beaucoup été question des effets perçus (positifs
ou négatifs) des aliments sur l’anémie (ou de certaines catégories d’aliments).
- 108 -
Anémie en Tunisie
En particulier, des questions spécifiques ont été posées sur le thé, le jus d’orange, la
citronnade et la viande.
4.1. Le thé, le jus d’orange et la citronnade
Les opinions concernant le thé sont très partagées. Une légère majorité de femme se dégage
pour lui reconnaître des effets positifs, surtout chez les personnes qui souffrent d’anémie, car
il augmenterait la quantité de sang.
Moi je le bois parce que ma tante me l’a conseillé. Elle m’a dit qu’il augmente le sang, et
comme je suis anémique, j’en bois à longueur de journée. [GT1 AN+30 ; 88]
Ici au Sud, les adultes, hommes et femmes, sont des drogués de thé. Même les
adolescents en boivent. On dit qu’il fortifie le sang. [SO5 AN+30 ; 81]
On notera que les femmes du Sud Ouest, anémiques et de plus de 30 ans, émettent plus
d’opinions favorables par rapport au thé.
Dans les deux régions, beaucoup de femmes pensent que l’effet du thé vert diffère de celui du
thé noir : le premier a un effet hypotenseur “ ytayah eddãm ” et le second augmente la
quantité de sang “ ytallaa eddãm ”.
dit que le thé vert est bon pour celui qui a la tension, il abaisse le sang, alors que le thé
noir augmente le sang donc, il est bon pour celui qui a une anémie. [SO8 AN-30 ; 119]
Tableau C III : Nombre de citations concernant l’appréciation des différentes catégories
d’aliments par les participantes
DATA BASE
EPT
ENT
EPO
ENO
EPC
ENC
EPV
ENV
EPA
ENA
AN
46
39
33
6
15
22
57
17
81
5
NONAN
48
50
49
5
20
32
91
17
105
11
TUNIS
44
36
33
1
13
25
56
9
79
5
SUD OUEST
50
53
49
10
22
29
92
25
107
11
PLUS DE 30 ans
59
57
42
3
23
26
76
17
91
10
MOINS DE 30 ans
35
32
40
8
12
28
72
17
95
6
AN : groupes anémiques, NONAN : groupes non anémiques, EPT : effets positifs du thé, ENT : effets négatifs du thé, EPO :
effets positifs orange /jus d’orange, ENO : effets négatifs orange/jus d’orange, EPC : effets positifs citron /citronnade, ENC :
effets négatifs citron /citronnade, EPV : effets positive viande, ENV : effets négatifs viande, EPA : effets positifs autres, ENA :
effets négatifs autres.
Pour ce qui est du jus d’orange, toutes les catégories de femmes sont d’accord pour lui
accorder des vertus positives (le nombre de citations positives étant neuf fois plus nombreuses
que les citations négatives). En revanche, pour ce qui concerne les effets de la citronnade, la
relation s’inverse et davantage de femmes (toutes catégories) lui attribuent des vertus plus
négatives que positives. Mais les opinions sont beaucoup plus partagées à propos de
citronnade (tableau C III).
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Anémie en Tunisie
4.2. La viande
D’une façon générale, la majorité des femmes pense que les aliments d’origine animale
(viandes, poissons, foies) sont nourrissants, excellents pour la santé et conseillés pour ceux
qui souffrent de fatigue ou d’anémie.
Quelques rares femmes croient cependant que la viande n’améliore pas l’état d’un anémique.
Moi je mange la viande tous les jours et je suis fatiguée. Donc, je pense qu’elle n’a pas
d’effet sur l’anémie. [GT6 AN-30 ; 104]
Dans la région du Sud Ouest, beaucoup de femmes déclarent que le poulet n’a aucune valeur
nutritive. Certaines vont jusqu’à dire qu’il est à l’origine de leur anémie.
Je pense que l’origine de notre anémie c’est le poulet. Nous en mangeons trop dans cette
région. [SO8 AN-30 ; 137]
Le poulet, comme la dinde, est sans valeur nutritive. [SO2 NA+30 ; 173]
4.3. Les autres aliments
Notons que les légumineuses (lentilles, pois-chiches, fèves, haricots secs) sont bien appréciées
par la quasi-totalité des femmes qui pensent que les personnes anémiques ou fatiguées doivent
en consommer (tableau C IV). Il est possible que ceci reflète l’influence des messages
d’éducation nutritionnelle diffusés par le corps médical et paramédical, ainsi que par les
médias.
Beaucoup de femmes pensent que le lait et ses dérivés sont nourrissants pour toutes les
catégories d’âge, particulièrement pour les personnes anémiques ou fatiguées. En cas de crise
d’anémie, certaines femmes boivent du lait sucré et disent se sentir mieux après. Ceci n’est
certainement pas dû à l’effet du lait lui-même, qui est connu pour être un aliment très pauvre
en fer et qui donc n’a aucune utilité curative pour l’anémie carentielle.
Les légumes et les féculents, surtout les épinards et le persil, sont cités par beaucoup de
femmes comme étant des aliments fortifiants. Ils permettent de prévenir et même de traiter
l’anémie et la fatigue.
Les céréales (couscous, pâtes alimentaires, pain, farine, sorgho, riz) sont considérées par
certaines femmes comme des aliments énergétiques qui donnent des forces, mais ne
permettant pas d’éviter l’anémie. Pour d’autres, ce sont les aliments des pauvres qui ne
prémunissent pas des maladies.
Les fruits ne sont pas particulièrement évoqués, à l’exception des dattes (plus que la moitié
des citations positives) qui sont considérées par les femmes du Sud Ouest comme un fruit
magique, doté de toutes les vertus.
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Anémie en Tunisie
Les œufs sont également évoqués parmi les aliments nutritifs et conseillés aux personnes
faibles jeunes ou moins jeunes.
Tableau C IV : Nombre de citations positives et de citations négatives relatives à
l’appréciation de différentes catégories d’aliments
Légumineuses
Lait et
dérivés
Légumes
Céréales
Fruits
Œufs
Fruits secs
EPA
105
81
79
28
26
18
8
ENA
1
0
0
7
0
0
0
EPA : effets positifs autres, ENA : Effets négatifs autres.
5. Comparaison des opinions en matière alimentaire avec les recommandations
nutritionnelles
De multiples causes peuvent être à l’origine d’une anémie. La plus courante et la plus
intéressante sur le plan nutritionnel est l’anémie liée à une carence en fer (cf. première partie :
méthodologie).
Si l’on analyse les opinions des femmes sur les avantages des aliments et leurs influences sur
l’anémie, on constate que les produits d’origine animale (fer bien absorbable) occupent une
place de choix dans leur hiérarchie d’appréciation, à l’exception des volailles qui sont
particulièrement dépréciés dans la région du Sud Ouest.
Les légumes secs et les céréales, qui sont également recommandés pour les personnes
fatiguées ou anémiques, outre le fait de ne contenir que du fer non héminique (faiblement
absorbable), ont également l’inconvénient d’être riches en composés jouant un rôle inhibiteur
de ce fer (phytates, composés poly phénoliques).
Les fruits et légumes, riches en vitamine C, ne sont pas spécialement évoqués. Fait encore
plus intéressant, la citronnade est discréditée auprès des anémiques.
Les œufs et les produits laitiers, connus pour leur effet inhibiteur sur la disponibilité, et donc
la valeur nutritionnelle du fer non héminique des autres aliments, sont particulièrement
appréciés par les femmes dans les deux régions. Faut-il pour autant s’en priver ? Sans doute
pas, car ces aliments ont d’autres avantages compensant largement ces inconvénients
potentiels. Il suffit de choisir les aliments à consommer simultanément afin d’optimiser la
biodisponibilité du fer.
Les jugements sur le thé (l’inhibiteur le plus puissant de l’absorption du fer non héminique)
sont contrastés. Retenons que les femmes anémiques, de la région du Sud Ouest et ayant plus
de 30 ans, sont particulièrement favorables à la consommation du thé qui, selon elles,
augmente la quantité du sang.
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Anémie en Tunisie
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