Quantitative easing 2 : les risques
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Quantitative easing 2 : les risques
N°157 – 26 octobre 2010 Quantitative easing 2 : les risques La reprise économique est jugée trop lente aux Etats-Unis, avec des questions de plus en plus pressantes sur le niveau (9,6%) et la résistance à la baisse du taux de chômage. Ceci renvoie à deux évolutions préoccupantes pour les Américains : un chômage de longue durée d’abord, qui affecte de plus en plus les seniors ensuite. En même temps, des messages nouveaux sont avancés par la Fed sur un risque déflationniste à enrayer, alors que l’inflation anticipée ne s’inscrit pas réellement en baisse. Et cette même Fed redouble d’interventions pour faire baisser les taux longs, et le dollar par contrecoup. Cette politique est-elle fondée ? Sans risque ? 1 - Etats-Unis : reprise molle, toujours du chômage, mais pas d’inflation Le graphique ci-dessous montre que les anticipations de production sont toujours en faveur de l’expansion, mais avec une progression plus lente de période en période depuis quelques mois. Une reprise à 2 % se met ainsi en place, très inférieure aux reprises antérieures, et trop faible du point de vue de l’emploi. 1 - Etats-Unis : une reprise qui déçoit 70 a/a, % 15 expansio n 65 10 60 5 55 50 0 45 -5 40 -10 co ntractio n 35 30 -15 00 01 02 03 04 05 06 ISM manuf. (avancé de 4 mo is) 07 08 09 10 11 pro ductio n industriellle (dr.) zo ne grisée : récessio n So urce : ISM , Réserve fédérale, Crédit A grico le S.A .. La jobless recovery inquiète de plus en plus les responsables. Le pourcentage de chômeurs depuis plus de 6 mois dépasse 4,3 % de la population active, chiffre le plus élevé depuis 1948, début de la série statistique. Le précédent pic se situait un peu au dessous de 3 % en 1983, pour un taux de chômage de 10,8 %, contre 10,1 % au pic de 2009i. Cette situation n’est évidemment pas un effet pervers de l’extension temporaire à 99 semaines des allocations chômage, soit près de deux ans, « bien au-delà de la limite normale de six mois ». Sans ce soutien spécifique en effet, le taux de chômage américain serait seulement inférieur de 0,4 % : 10 % en décembre 2009 contre un 9,6 % mesuré. On retrouve ces inquiétudes sur l’emploi dans le dernier communiqué du FOMCii et plus encore dans les dernières déclarations de Ben Bernankeiii. L’accent porte alors sur les missions de la Fed, avec ce qui paraît une nouvelle formulation de ses deux objectifs: « The longerrun sustainable rate of unemployment is the rate of unemployment that the economy can maintain without generating upward or downward pressure on inflation… the… consistent inflation rate (is) the inflation rate that best promotes our dual objectives in the long run ». On comprend bien que Ben Bernanke souhaite un niveau d’inflation supérieur à zéro. Cet inflation buffer permet, d’un côté, aux ajustements économiques de se réaliser (c’est l’huile dans les rouages) et induit, d’un autre, un taux nominal supérieur qui permet à la Fed de baisser si nécessaire son taux directeur et de réguler l’activité. Mais ceci n’est pas possible si le taux d’inflation est trop faibleiv. Or ce risque apparaît actuellement selon Ben Bernanke. Il souligne que le taux objectif (mandate-consistent inflation rate to be about 2 percent or a bit belowv) n’est pas celui qui est actuellement obtenu, puisque l’inflation sous-jacente s’établit à 1%. Pire, compte tenu des retards de la politique monétaire et de la situation de la croissance et du marché du travail, le Chairman de la Fed estime que cette évolution va se poursuivre, sinon se détériorer. Elle ouvrirait ainsi le risque d’une dynamique déflationniste, la borne zéro des taux (ZLB, Zero Lower Bound) étant atteinte. 2 - Comment baisser les taux américains, quand ils sont à zéro ? C’est une très vieille question de politique monétaire, étant entendu que des taux zéro sont perçus comme l’antichambre de la déflation, selon l’exemple japonais. En effet, les anticipations ne changent pas Jean-Paul BETBEZE [email protected] immédiatement, tandis que les taux zéro conduisent entrepreneurs et ménages à demander des allongements de remboursement. Ils sont en général acceptés, mais ils mènent à une hausse des taux et de la dette réels compte tenu de la baisse des prix, baisse qui ne peut que se poursuivre et entraîner une spirale de la dette. C’est pour cette raison que la Fed a toujours refusé les taux zéro, ce qui l’a conduit à des mesures Non standard de financement des opérateurs bancaires et financiers. 2 - Etats-Unis : inflation réelle et anticipée a/a, % a/a, % 3,5 3,5 3,0 3,0 2,5 2,5 2,0 2,0 1,5 1,5 1,0 1,0 0,5 0,5 0,0 0,0 00 01 02 03 04 05 06 07 anticipatio ns co nso mmateurs 08 09 10 11 anticipatio ns marchés zo ne grisée : récessio n inflatio n so us-jacente So urce : Université du M ichigan, B LS, IHS Glo bal Insight, Crédit A grico le S.A .. de manière à faire repartir les anticipations inflationnistes. Mais les faits prouvent la difficulté de cette approche. Les anticipations sont bien plus difficiles à contrôler en pratique que de simples traitements théoriques le laissent parfois supposervii. La Fed commence alors, après Lehman, des interventions que l’on présente dans le graphique 3, trois politiques se succèdent : • Phase 1, liquidité, jusqu’à mi-2009 : pour éviter une crise bancaire et financière majeure, des politiques de refinancement très considérables des intermédiaires financiers se mettent en place (Term Auction Facility, Commercial Paper Funding Facility). Elles s’arrêtent en fonction des échéances prévues par le législateur, mais d’autres viennent prendre leur place… • Phase 2 : ce sont des achats de titres publics de maturité supérieure à un an et MBS (Mortgage Backed Securities). Il s’agit de rechercher une baisse sur les taux longs, avec l’idée d’éviter une crise immobilière plus forte, et plus profondément d’envoyer le message que la politique monétaire (?) ne sera pas restrictive à moyen terme ; • Phase 3, c’est celle qui se prépare : un abaissement supplémentaire des taux longs, et donc du dollar, par des achats supplémentaires de titres publics. Pour gérer au mieux ces interventions, la communication est essentielle. Ainsi, la Fed ne manque jamais de dire qu’elle s’opposera toujours à la déflationvi et qu’elle trouve l’inflation actuelle trop faible, 5 - Les déformations de la courbe des taux d'intérêt aux Etats-Unis % 6 5 Phase 1 : Action classique sur la courbe des taux Phase 2 : 50 pdb 4 3 2 Phase 3 : 20 pdb 1 0 05 06 07 08 3 mois 1 ans 09 2 ans 10 10 ans Source : Crédit Agricole S.A., FED N°157 – 26 octobre 2010 2 Jean-Paul BETBEZE [email protected] L’évaluation de l’effet d’aplatissement de la courbe des taux varie selon les experts, avec une moyenne autour de 50 points de baseviii, Ben Bernanke retenant pour sa part le chiffre de 30. L’idée de fond est que cette réduction de l’offre de titres longs a réduit la prime de terme, tout en améliorant la liquidité des titres d’agencesix. Pour mesurer plus précisément le poids de ces interventions, certains travaux mesurent les effets sur les marchés le jour même de leur annonce (cf. graphique 4). La phase 3 pourrait ainsi cibler entre 20 et 30 points de base supplémentaires, en prenant un volume d’intervention de 500 milliards de dollars, en prenant prétexte d’un risque déflationniste. On en viendrait à une courbe des taux plus plate sur la partie longue de la courbe (graphique 5) qui irait à l’encontre d’une normalisation (graphique 6). 3 – Des risques majeurs de politique monétaire On ne peut dire que ce type de politique monétaire non orthodoxe soit sans danger. D’un côté, la liquidité mondiale est ample et l’on perçoit de nombreux signes de bulles sur les matières premières par exemple (graphique 7) – sans oublier celle sur les titres longs que crée cette politique. Surtout, on ne peut pas dire que les prix sont dans une dynamique baissière, aux Etats-Unis (graphique 8) ou en zone euro (graphique 9), tandis que les agrégats de monnaie et de crédit repartent à la hausse. N°157 – 26 octobre 2010 Plus précisément, la décélération des prix américains vient pour une bonne part (mais pas uniquement) des loyers, en liaison même avec les séquelles de la crise de surproduction de logement. C’est cette désinflation qui permet même au revenu réel de « tenir », et donc à l’assainissement du secteur de se faire. Mais cette désinflation n’est pas une déflation, puisqu’elle n’est pas auto-entretenue. Bien sûr le risque existe, mais on ne peut dire que la limite a été franchie. Toute désinflation ne conduit pas à une déflation. Celle-là est « bonne ». 3 Jean-Paul BETBEZE [email protected] acheteur de papier long. Dans ce contexte, c’est la quantité détenue (stock view) qui importe, plus que le flux de nouveaux achats (flow view)x. C’est ce qui fait que la Fed tient à maintenir le même montant de titres, mais avec de plus en plus de titres du Trésor en lieu et place des financements hypothécaires : passage de la phase 2 à la phase 3. Mais ceci conduit à des baisses des rendements hypothécaires plus fortes que prévu par les autorités elles-mêmes. Les ménages américains refinancent davantage leurs endettements obligataires, ce qui réduit d’environ 400 milliards de dollars les crédits hypothécaires pour 2011. C’est un effet du ralentissement, mais aussi de la politique de la Fed… qui la pousse à mettre en place un QE2, pour éviter une spirale baissière, qui est entretenue… par elle. Le risque d’une politique de baisse trop agressive des taux longs est donc une réaction des marchés adverse devant un « forçage » du type QE, ou plus tard devant une moindre baisse des prix qu’attendu, ce qui laisserait penser à de nouvelles mesures, ou plus tard encore, lors du freinage des mesures de QE. Ceci d’autant plus que les politiques suivies non seulement complètent largement, mais plus encore prolongent, une relation de Taylor (graphique 11). Il ne faut pas oublier en effet que les interventions de type QE ne réduisent pas les anticipations d’inflation, mais les primes de terme, puisque la Fed se porte (gros) N°157 – 26 octobre 2010 Cette politique soutient certes l’économie américaine par la baisse des taux longs, mais aussi les prix d’actifs, obligations et actions. Mais elle pose des problèmes de confiance sur la maîtrise des nouveaux outils ainsi créés par la Fed et sur sa capacité à les réduire, tandis que l’actif de la Fed ne cesse de croître. La Fed court ainsi le risque d’une erreur de diagnostic, à tout le moins d’une politique trop puissante, qui ne laisse pas à l’économie le temps de réagir normalement. Son geste fait en outre baisser le dollar, pas par hasard. Autrement dit, il accroît la volatilité sur les marchés des changes et a toute chance de faire monter l’inflation importée, alors que les anticipations des marchés sont en passe de se retourner. La baisse des taux fait repartir une économie si elle n’est pas trop endettée, a fortiori si elle est couplée à la baisse de la devise. Mais aller trop vite et trop fort comme peut le faire la Fed, même si elle avance une politique plus modérée qu’en QE1, peut susciter des effets opposés. Ceci d’autant plus que les taux longs réels sont proches de zéro… Moralité, dans ces terrains non explorés, il faut être encore plus graduel et prudent qu’avant. La politique monétaire est toujours une affaire de retards variables, autrement dit de mouvements complexes et d’anticipations à aligner dans le temps. Après une crise financière de cette ampleur, on ne peut imaginer gagner du temps qu’en montrant de la détermination, la Fed l’a fait, et de la patience… 4 Jean-Paul BETBEZE [email protected] i Kuang, Katherine, and Rob Valletta (2010): “Extended Unemployment and UI Benefits,” Federal Reserve Bank of San Francisco, FRBSF Economic Letter, 2010-10, avril 2010. ii Fed, Minutes of the Meeting of September 21 2010 : A number of participants noted that the current sluggish pace of employment growth was insufficient to reduce unemployment at a satisfactory pace. Several participants reported feedback from business contacts who were delaying hiring until the economic and regulatory outlook became more certain. Participants discussed the possible extent to which the unemployment rate was being boosted by structural factors such as mismatches between the skills of the workers who had lost their jobs and the skills needed in the sectors of the economy with vacancies, the inability of the unemployed to relocate because their homes were worth less than their mortgages, and the effects of extended unemployment benefits. Participants agreed that factors like these were pushing the unemployment rate up, but they differed in their assessments of the extent of such effects. Nevertheless, many participants saw evidence that the current unemployment rate was considerably above levels that could be explained by structural fac- tors alone, pointing, for example, to declines in employment across a wide range of industries during the recession, job vacancy rates that were relatively low, and reports that weak demand for goods and services remained a key reason why firms were adding employees only slowly…. Many members considered the recent and anticipated progress toward meeting the Committee’s mandate of maximum employment and price stability to be unsatisfactory. iii Ben S. Bernanke (2010): “Revisiting Monetary Policy in a Low-Inflation Environment”, Federal Reserve Bank of Boston Boston, Massachusetts 15 octobre 2010. iv Ibid. p. 10 : A modestly positive inflation rate also reduces the probability that the economy could fall into deflation, which under some circumstances can lead to significant economic problems. v Ibid. p. 11 vi Depuis le fameux : “Deflation: Making Sure "It" Doesn't Happen Here”, Ben S. Bernanke (2002), Remarks by Governor Ben S. Bernanke Before the National Economists Club, Washington, D.C. 21 novembre 2002. vii Hamilton, James D., and Jing (Cynthia) Wu (2010). “The Effectiveness of Alternative Monetary Policy Tools in a Zero Lower Bound Environment,” working paper. San Diego: University of California, San Diego, August (revised October): “The failure of the Fed to follow the theoretical policy prescription of trying to increase inflationary expectations in response to the crisis is not so much an indictment of the Fed as it is a clear demonstration that these expectations are far more difficult to control in practice than simple theoretical treatments might sometimes suppose.” viii Gagnon, Joseph, Matthew Raskin, Julie Remache, and Brian Sack (2010). “Large-Scale Asset Purchases by the Federal Reserve: Did They Work?” Staff Report No. 441. New York: Federal Reserve Bank of New York, Mars. ix Ibid. p 28. “By reducing the net supply of assets with long duration, the Federal Reserve’s LSAP programs appear to have been successful in reducing the term premium. The overall size of the reduction in the 10-year term premium appears to be somewhere between 30 and 100 basis points, with most estimates in the lower and middle thirds of this range. In addition to this reduction in the term premium, the LSAP programs had an even more powerful effect on longer term interest rates on agency debt and agency MBS by improving market liquidity and by removing assets with high prepayment risk from private portfolios.” x Bernanke, Ben (2010a) : “The Economic Outlook and Monetary Policy,” speech delivered at “Macroeconomic Challenges: The Decade Ahead,” a symposium sponsored by the Federal Reserve Bank of Kansas City, held in Jackson Hole, Wyo., Août 26-28: “The logic of the portfolio balance channel implies that the degree of accommodation delivered by the Federal Reserve’s securities purchase program is determined primarily by the quantity and mix of securities the central bank holds or is anticipated to hold at a point in time (the “stock view”), rather than by the current pace of new purchases (the “flow view”). In support of the stock view, the cessation of the Federal Reserve’s purchases of agency securities at the end of the first quarter of this year seems to have had only negligible effects on longer-term rates and spreads.” Crédit Agricole S.A. — Direction des Études Économiques 75710 PARIS Cedex 15 — Fax: +33 1 43 23 58 60 Directeur de la Publication : Jean-Paul Betbèze Secrétariat de rédaction : Véronique Champion-Faure Contact: [email protected] Internet : http://www.credit-agricole.com - Etudes Economiques Abonnez-vous gratuitement à nos publications électroniques Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. 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