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Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 1 LES LIAISONS DANGEREUSES Laclos Liaisons dangereuses•mep prof © Hatier, 2002 ISBN 2-218 74127-X 15/10/02 10:11 Page 2 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 3 INTRODUCTION : EXPLOITATIONS POSSIBLES DU DOSSIER DANS LE CADRE DES PROGRAMMES Dans le cadre de l’étude des Liaisons dangereuses en œuvre intégrale, l’objet d’étude dominant est bien sûr l’Épistolaire, et le travail proposé s’adresse donc en priorité à un public de première littéraire, sans exclusivité cependant. Mais ce roman peut aussi être le lieu privilégié de l’approche d’autres objets d’étude. Ainsi, il permet d’aborder ou de compléter la réflexion sur le mouvement littéraire et culturel des Lumières, soit en tant que tel, soit en prolongement à diverses séquences. On peut imaginer par exemple une étude en lecture cursive en parallèle d’une séquence centrée sur la figure du libertin (convoquant Dom Juan de Molière et des extraits de Saint Amant, Cyrano de Bergerac, Restif de la Bretonne entre autres) pour manifester l’évolution du libertinage érudit au libertinage des mœurs, ou encore d’un groupement de textes strictement épistolaire. Dans une autre perspective, en raison du motif même du roman qui est l’élaboration d’une stratégie que l’échange épistolaire construit et développe, l’étude des Liaisons dangereuses peut prendre comme fil directeur le travail sur l’argumentation : chaque lettre, en tant qu’élément narratif et dramatique de la construction romanesque peut être lue comme tentative pour convaincre, persuader ou délibérer, et dans une dimension systématique, la communication entre les personnages, qui est le fondement même de l’écriture ici, est le lieu du développement de l’essai et des variations dialectiques. Notons enfin que par sa leçon morale et sa volonté de faire figure d’exempla, le roman rejoint l’apologue. Par ailleurs, le roman de Laclos permet d’engager la réflexion sur l’objet d’étude des réécritures et ce à deux niveaux : dans une perspective textuelle d’abord, puisque d’une lettre à l’autre, d’un destinateurdestinataire au suivant, le rapport de l’événement se modifie, la variation construisant la dynamique du récit ; dans le lien du texte à l’image ensuite, puisque nous disposons de plusieurs adaptations cinématographiques qui toutes peuvent être le lieu d’un travail sur cette 3 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 4 modalité de transposition, en particulier par une approche des registres. Enfin, et c’est un aspect essentiel, parce qu’elle se présente comme une communication intime, qu’elle se développe sur le mode de la confidence, la construction romanesque des Liaisons dangereuses, est aussi l’occasion d’aborder ou de compléter la réflexion sur l’écriture de soi et les choix esthétiques opérés par l’auteur ; par là, la lecture du roman rejoint l’objet d’étude du biographique, dans ses rapports avec l’autobiographie et la fiction. La richesse du roman étudié invite donc à l’aborder sous des perspectives diverses, qui sont autant d’éclairages possibles. Les pistes de travail que nous suggérons ici tentent de prendre en compte tous ces aspects. 4 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 LIRE L’ŒUVRE Page 5 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 QUESTIONNAIRE DE LECTURE 10:11 Page 6 (p. 396) LE TITRE 1. Dans son acception moderne, et pris absolument, le terme « liaison » désigne une relation amoureuse entretenue hors de tout contexte conjugal ; « avoir une liaison » relève donc du lexique de la relation sentimentale. Ce sens est bien entendu valide dans le titre des Liaisons dangereuses, que l’on peut comprendre comme programmateur d’un récit qui relate diverses relations amoureuses (le titre est un pluriel) présentées comme dangereuses pour les héros. Cependant, le sens de l’expression est plus riche au XVIIIe siècle parce que le terme a une polysémie aux contours plus étendus. Dans les rapports entre les personnes, la liaison définit, depuis le XIVe siècle, le lien par lequel on s’engage moralement avec quelqu’un, on s’oblige mutuellement : Montaigne l’utilise comme synonyme d’amitié. Fin XVII e siècle, on le trouve sous la plume de Mme de Maintenon, au pluriel, au sens de « relations, accointances » ; le Littré propose comme l’une des douze définitions du terme celle « d’union d’amitié, d’intérêt ». Le mot ressort à la fois du registre sentimental et du code social. Au XVIIIe siècle, des liaisons dangereuses sont à entendre aussi comme des liens sociaux déstabilisants, des « liaisons contractées imprudemment avec des hommes ou des femmes dangereux » (Littré). Le titre de Laclos signifie ainsi ce que l’on appellerait aujourd’hui de « mauvaises fréquentations », qu’elles soient amoureuses, amicales, sociales ou morales. En ce sens, le sous-titre développe bien l’un des aspects du titre, dont on pense qu’initialement il fut Du Danger des Liaisons. 2. Le sous-titre du roman est « Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres ». La citation de Rousseau extraite de la Préface à la Nouvelle Héloïse et qui figure en exergue du roman de Laclos est « J’ai vu les mœurs de mon temps et j’ai publié ces lettres. » Ces deux éléments, par leur position à l’entrée de l’œuvre, invitent le lecteur à orienter sa lecture et proposent des pistes d’interprétation : 6 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 7 – La double mention des Lettres d’abord est importante : elle place le texte sous le signe de l’authenticité (« recueillies », « j’ai vu », « de mon temps ») et lui affecte une valeur de document et de témoignage. Cette perspective est cependant immédiatement démentie par la première phrase de l’avertissement de l’éditeur, où apparaît pour la première fois le mot Roman : à l’évidence, Laclos construit un brouillage générique, qui fait osciller le statut du texte de la réalité à la fiction, sans jamais prendre position. Au lecteur de décider du degré de confiance qu’il attribuera au texte et du pacte de lecture qu’il construira avec l’auteur. – Les deux éléments ensuite interrogent sur la posture de l’écrivain ici ramené au rôle de compilateur des lettres : « recueillies », « publiées », « j’ai publié ». Ainsi, Laclos, s’appuyant sur le modèle de Rousseau, affiche la volonté d’une part de présenter une œuvre non fictionnelle, d’autre part de ne pas prendre à son compte la responsabilité des propos tenus. Le risque de la censure apparaît clairement en filigrane. – Par ailleurs, le roman se veut édifiant : « société », « instruction de quelques autres », « mœurs de mon temps ». Si l’on prend en compte la double définition du terme qui désigne à la fois celui qui décrit les mœurs et habitudes sociales et celui qui prétend les réformer, Laclos, après Rousseau, se pose d’emblée en moraliste. D’une part donc, la figure de l’écrivain se démultiplie et se dilue, elle est omniprésente, d’autre part elle prétend à une leçon universelle et intemporelle, intention qui légitime la non affirmation de la personnalité de l’auteur. LE GENRE ET LES REGISTRES 3. Le mode de narration choisi par l’auteur est linéaire et chronologique, puisque le lecteur suit les aventures des personnages en fonction d’un axe qui va de l’ordre au désordre pour aboutir à un nouvel ordre. Cependant la narration n’est pas continue puisqu’elle se construit exclusivement sur un échange épistolaire qui implique des ellipses, des sommaires d’action, voire des pauses, lorsqu’un même événement est relaté plusieurs fois. La forme romanesque choisie par LIRE L’ŒUVRE 7 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 8 l’auteur est donc celle du roman par lettres, dont chacune constitue une unité narrative. 4. Différents conflits animent et structurent le roman de Laclos. Certains sont le fait d’une tension entre un code social et une aspiration sentimentale, comme celui qui se manifeste entre Cécile Volanges et sa mère. D’autres se construisent sur l’expression de sentiments contradictoires voire irréductibles, comme l’amour et l’orgueil par exemple. D’autres encore s’édifient sur des intérêts opposés, comme on le voit entre la marquise et Valmont. Laclos exploite la quasi-totalité des possibles suggérés par son intrigue, en privilégiant cependant, comme moteurs de l’action, les conflits tragiques, c’est-à-dire ceux qui s’expriment chez (ou entre) les héros par un sentiment qui oscille entre révolte, culpabilité et désespoir. Frappés à la fois du caractère inéluctable de l’engrenage affectif et social dans lequel ils sont aspirés, de la conscience de l’illusion de leur liberté et du silence d’un quelconque recours divin, tous les personnages principaux du roman sont à un moment ou un autre agent et/ou victime d’un conflit tragique, et leurs lettres apparaissent bien souvent comme les tentatives de lutte contre un destin qui leur échappe et qui empêche tout retour à une situation antérieure. On peut retenir ici quelques éléments caractéristiques de certaines configurations romanesques ressortant au conflit tragique. La première, et la plus lisible, est celle qui s’élabore sur la figure triangulaire : la relation Valmont-Tourvel est ainsi brisée par la stratégie destructrice de la marquise qui insuffle au vicomte les mots définitifs par lesquels non seulement la présidente n’obtient pas la conversion du séducteur, mais de surcroît celui-ci lui refuse l’image salvatrice d’elle-même, celle qui l’autorisait au nom de l’amour absolu, à continuer de vivre. Juge et contempteur, il empêche que se construise entre eux toute image de grandeur et condamne la jeune femme à une folie dont l’expression rappelle le délire d’Oreste dans Andromaque. Le conflit est ici tragique en ce que la demande de légitimation par le cœur, que la présidente adresse au vicomte, est niée : l’autre ne donnera pas sens à l’abandon consenti. Mais la Présidente est par ailleurs l’insti- 8 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 9 gatrice d’autres conflits tragiques : dans la mécanique régulée du libertinage, qui fonctionne sur le schéma modulable du couple (ValmontMerteuil/Cécile-Danceny, puis Valmont-Cécile/Merteuil-Danceny, voire Merteuil-Cécile), elle est l’élément isolé, solitaire, l’impair qui empêche la machine de tourner à l’infini. En réclamant à Valmont une relation amoureuse fusionnelle, elle demande l’exclusion de la marquise et sa mise hors-jeu. Par son imperméabilité au jeu libertin, elle est l’agent principal du conflit de même qu’en tant que force d’opposition, elle est responsable du retournement de l’intrigue dans le sens du tragique. D’autres conflits enfin, plus intérieurs, peuvent apparaître tragiques : celui qui laisse Cécile, partagée entre son goût pour la corruption et sa conscience du mal, échouer dans une sorte de désert moral où tout se vaut, celui qui oblige la Présidente à invoquer un Dieu pour se garder du Diable, sans que l’un ou l’autre ne manifeste sa supériorité, celui qui agite le vicomte, pris un temps au piège de ses sentiments. En définitive, la source des conflits dans le roman semble bien l’absence de toute métaphysique comme système référent, et le tragique naît de l’absence de sens à donner, autre que conjoncturel, aux relations qui s’établissent. Dans les Liaisons dangereuses, l’autre, réduit à merci, ne peut être porteur d’un quelconque avenir du moi, alors même qu’il est le seul miroir qui soit tendu à chaque épistolier. 5. La polyphonie du texte épistolaire rend par définition difficile l’identification d’un registre dominant dans Les Liaisons dangereuses, la narration confiée successivement aux différents protagonistes étant dépendante des émotions manifestées, elles-mêmes nécessairement variées pour les besoins de la progression de l’action. Dans une classification par personnages, il est aisé de reconnaître que le registre préféré de Cécile Volanges est lyrique, et que la marquise de Merteuil est volontiers ironique, l’inverse ne se vérifiant pas. L’unité de registre du roman peut cependant se faire autour du délibératif entendu comme exercice de la raison sur les passions. En effet, le texte propose une palette assez variée des émotions et de leur expression en raison de deux paramètres liés au roman lui-même ; d’une part, l’écriture LIRE L’ŒUVRE 9 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 10 épistolaire qui favorise la transcription de l’intime et mime sa mise à jour progressive, d’autre part le sujet dominant de l’échange épistolaire qui est l’exploration des affects. Dans une lecture globale, selon la plus ou moins grande distance que les protagonistes établissent avec leur ressenti et leurs réactions, le registre manifesté va du lyrique et du pathétique (Cécile, Danceny, Mme de Tourvel) au polémique et à l’ironique (Valmont, Mme de Merteuil) ; quelle que soit cependant la modalité retenue – qui permet par ailleurs de caractériser le style de chaque personnage – le point de convergence des discours se fait autour de la conduite à tenir, parce que cette interrogation est elle-même élément de la dynamique du récit épistolaire. Vouloir influer par une lettre sur le choix de l’autre, c’est évaluer pour soi au même titre que pour lui, les enjeux de l’action à engager. Il s’agit bien de délibération. LA STRUCTURE 6. La situation initiale se construit dans les lettres 1 à 6 dans lesquelles Laclos établit les relations entre les personnages qui amorcent l’action. On y apprend qu’une jeune fille, Cécile Volanges, fraîchement sortie du couvent fait l’objet d’un projet de mariage avec M. de Gercourt qui se trouve être l’amant de la marquise de Merteuil, amie de la famille Volanges. De dépit, la marquise sollicite l’aide de son ancien amant et toujours ami, le libertin Valmont, en lui demandant de séduire la promise et de ruiner ainsi les espérances de Gercourt. Mais le vicomte a d’autres projets : il entend prendre dans ses filets une proie plus consistante, la vertueuse Mme de Tourvel. En quelques lettres, l’exposition est complète : la situation (un cercle fermé, mi-familial, mi-amical : un huis clos), les projets (un mariage, une vengeance, une aventure : trois entreprises de séduction contradictoires), les valeurs (l’innocence, la rouerie, la vertu), les sentiments (l’espoir, l’inquiétude, la colère, l’orgueil). La situation finale (lettres 168 à 175) nous informe qu’à la suite d’un duel entre Valmont et Danceny, dans lequel la marquise de Merteuil a une part de responsabilité, le vicomte est mort ainsi que la présidente, le chevalier s’est retiré à la Commanderie de ***, Cécile de Volanges s’est réfugiée dans un couvent et Mme de Merteuil, défigurée par la 10 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 11 petite vérole et ruinée, court les routes de l’exil. Le mariage projeté n’a pas eu lieu, mais Cécile a été séduite, ainsi que la présidente : la vertu et l’innocence ont donc été corrompues mais l’unité du cercle n’a pu être préservée et a éclaté. À la fin du roman, la scène s’est vidée de ses acteurs principaux. Seuls restent présents ceux qui assurent la cohérence du récit, la transmission de son sens, et la vraisemblance de l’ensemble en justifiant la conservation de la correspondance. D’une certaine façon, cette fin est celle d’une tragédie qui laisse la scène déserte et expose les châtiments encourus. On ne peut que noter que les seuls protagonistes encore en scène sont ceux qui incarnent l’ordre social (Mme de Volanges) et l’ordre moral (Mme de Rosemonde), mais il est aussi remarquable que la fuite de la marquise puisse s’entendre comme une éventuelle aventure à venir. 7. Le roman développe cinq intrigues amoureuses principales (auxquelles on peut ajouter les aventures de la marquise – avec Belleroche ou Prévan – et les liaisons du vicomte, avec Émilie par exemple) : l’intrigue Valmont-Merteuil (couple 1), l’intrigue DancenyCécile Volanges (couple 2), l’intrigue Valmont-Cécile (couple 3), l’intrigue Danceny-Merteuil (couple 4), l’intrigue Valmont-Tourvel (couple 5). La première existe antérieurement au temps romanesque. La seconde se noue très rapidement dès la lettre 7, alors que la dernière est projetée dès la première lettre du vicomte (lettre 4). La troisième est engagée également dès la première lettre de la marquise (lettre 2). La quatrième se met en place plus tardivement (lettre 118) : elle est une étape dans un parcours et ne remet pas en cause la relation Danceny-Cécile, mais elle accélère la fin du roman (elle est l’agent du dénouement). Elle permet également de compléter, dans une figure de miroir, le renversement des couples amorcé par la séduction de Cécile par Valmont. Le roman se construit d’emblée sur ce mouvement de ballet qui permute les éléments du couple libertin (1) et du couple ingénu (2). Mais les Liaisons dangereuses ne sont pas un roman d’amour, et le renversement ne se justifie pas par les sentiments : personne, dans ce quadrille, ne tombe amoureux, le jeu est sexuel mais aussi et surtout, LIRE L’ŒUVRE 11 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 12 intellectuel ; l’entreprise de séduction est l’outil d’une stratégie qui vise à satisfaire les intérêts et non le cœur de ceux qui la mettent en œuvre. La corruption de Cécile et Danceny est le fait d’une décision des libertins, et ils participent tous deux à sa réalisation : la marquise séduit autant Cécile que Valmont par son jeu équivoque et Valmont agit de même, quoique sur un autre terrain avec Danceny. La mise en place des couples 3 et 4 a une incidence sur le cours du récit : la grossesse avortée de Cécile et le jeu ambigu du chevalier sont des rebondissements qui déclenchent entre la marquise et le vicomte un règlement de compte. Ils entraînent le roman vers sa fin en activant les vengeances. Cependant, l’élément réellement perturbateur du récit est la tournure inattendue que prend la relation Valmont-Tourvel (couple 5). Alors que les autres protagonistes évoluent dans un certain relativisme, où, comme dans le théâtre de Marivaux, la situation est toujours réversible, la présidente parle le langage de l’absolu jusqu’au bout, contrecarrant tous les projets savamment élaborés. Son échec mystique et amoureux entraîne la destruction du couple Valmont-Merteuil. 8. Les Liaisons Dangereuses se composent de quatre parties : – Première partie : lettres 1 à 50 Deux libertins, anciens amants, le vicomte de Valmont et la marquise de Merteuil, rivalisent d’ingéniosité pour satisfaire leurs ambitions. Le premier, en villégiature chez sa tante Mme de Rosemonde, a entrepris la conquête de la vertueuse présidente de Tourvel ; la seconde, mortifiée de voir son amant M. de Gercourt en passe d’épouser la jeune Cécile Volanges qui sort de son couvent, imagine de s’en venger en le faisant cocu avant d’être marié. Elle propose cette curieuse mission à Valmont, qui refuse. Jalouse de Mme de Tourvel dont elle sent le vicomte amoureux, elle s’offre alors à lui s’il parvient à obtenir les faveurs de la présidente. Pendant ce temps, Cécile et Danceny, son maître de chant, tombent amoureux et trouvent en la personne de la marquise une aide précieuse à leurs échanges. Cette partie est celle de l’engagement de l’action par l’exposé des combinaisons projetées et de leurs motifs : chaque personnage confie 12 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 13 à son correspondant la teneur de ses aspirations, explicitant ainsi pour le lecteur les relations d’amitié ou d’inimitié qui l’animent. – Deuxième partie : lettres 51 à 87 Danceny, rendu dangereux aux yeux de Mme de Volanges par les bons soins de la marquise qui souffle le chaud et le froid sur sa relation avec Cécile, demande l’assistance de Valmont que la jeune fille a rejoint chez Mme de Rosemonde où sa mère la croit à l’abri des assiduités du chevalier. Pendant ce temps, dans une sorte de défi mutuel, la marquise et le vicomte rivalisent de rouerie : en réponse au peu galant récit que le second lui fait de la conquête de la vicomtesse de M***, la première a entrepris de séduire Prévan, libertin notoire, qu’elle perd de réputation. Valmont n’en oublie malgré tout pas son objectif principal : à grand renfort de lettres, il continue son entreprise de séduction à distance de la présidente dont les arguments faiblissent. Ce second temps de l’intrigue est celui du libertinage proprement dit : outre le fait que l’intrigue principale se trouve ralentie par le récit d’amours parallèles qui confirment le titre de libertins consommés des deux protagonistes, cette seconde partie manifeste aussi le talent indéniable de la marquise en matière de manipulation. De complices, les deux libertins deviennent peu à peu rivaux. – Troisième partie : lettres 88 à 124 Le vicomte a profité de la confiance que lui vouent les jeunes gens pour soutirer à Cécile une clé de sa chambre dont il fait faire un double. Il s’introduit de nuit chez elle, la séduit, et malgré les scrupules initiaux de la jeune fille s’instaure une relation galante ; dans le même temps, il progresse dans le cœur de la présidente, feint de se repentir et de vouloir se convertir, rencontre le confesseur de Mme de Tourvel et obtient un rendez-vous avec la jeune femme. La marquise, piquée de ce premier succès, décide de séduire Danceny, irritant par cette manifestation de liberté le vicomte qui compte bien obtenir le prix de ses efforts : récupérer la marquise s’il réussit à vaincre les résistances de la présidente. Ce troisième temps est celui de l’élaboration de la crise : pris dans le jeu de leurs stratégies respectives, à la fois complices et ennemis, LIRE L’ŒUVRE 13 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 14 Mme de Merteuil et Valmont rivalisent d’assauts libertins : les trois autres protagonistes, séduits, ont capitulé, et ils se retrouvent face à face, vainqueurs, certes, tous deux, mais cherchant celui qui le sera de l’autre. – Quatrième partie : lettres 125 à 175 Le vicomte a gagné : Mme de Tourvel lui a cédé. Mais le « bonheur » est de courte durée. Pour se prouver qu’il n’est pas amoureux, Valmont passe une nuit avec une autre femme, Émilie, ce que découvre la présidente. Humiliée, elle accepte cependant de pardonner la trahison. Le vicomte réclame alors à la marquise le prix de cette conquête, mais celle-ci tergiverse, et exige qu’il rompe, écrivant même pour lui la lettre de rupture. Bien que le libertin se prête à ce jeu cruel et que Mme de Tourvel en tombe malade de désespoir, Mme de Merteuil se donne à Danceny et provoque la colère du séducteur : la guerre est déclarée, et chacun fourbit ses armes ; Valmont rapproche Danceny de Cécile pour l’éloigner de la marquise qui de son côté révèle au chevalier la liaison de Cécile et Valmont, provoquant un duel meurtrier, à partir duquel le roman s’achemine vers une fin inéluctable : le vicomte meurt entraînant dans son sort celui de la présidente, Danceny dévoile au grand jour la conduite machiavélique de la marquise en rendant publiques des lettres compromettantes avant de rejoindre la Commanderie de ***, Cécile déshonorée rentre au couvent, et la marquise marquée de la petite vérole et poursuivie de ses créanciers prend la fuite vers la Hollande. Cette dernière partie est celle de la crise et de son dénouement. Les différents protagonistes, clairement identifiés ici comme instruments d’une double stratégie voient leur sort réglé sans scrupule par les héros libertins qui se retrouvent face à face dans le conflit ouvert préparé dès la lettre 2. L’ESPACE ET LE TEMPS ROMANESQUES 9. L’action du roman se déroule sur un peu plus de cinq mois, du 3 août 17** (date de la première lettre) au 14 janvier 17** (date de la dernière). On peut noter l’extrême resserrement de l’action en regard des événements rapportés : la vie réglée, aux rouages bien huilés, d’une 14 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 15 demi-douzaine de personnages bascule en quelques mois dans la tragédie, et cela sans l’intervention d’un quelconque élément extérieur à leur microcosme. La machine s’est autodétruite, victime d’un enchaînement fatal et inéluctable. En tenant compte de la construction en parties du roman, on peut par ailleurs étudier le rythme du récit. La première partie se déroule sur un mois (du 3 août 17** au 1er septembre 17**), la seconde sur 24 jours (du 1er septembre 17** au 26 septembre 17**), la troisième sur un mois (du 26 septembre 17** au 25 octobre 17**), et la quatrième sur un peu plus de deux mois (du 29 octobre 17** au 14 janvier 17**). L’accent est donc mis sur la crise qui construit l’affrontement final entre les deux libertins, avec un étirement du temps propice à la valorisation du conflit et à la montée du suspens. Cette longue dernière partie est de surcroît mise en valeur par la précipitation de sa chute ; le drame final se joue du 6 au 15 décembre : en une dizaine de jours, le vicomte et la présidente meurent, Cécile avorte et se retire au couvent et Mme de Merteuil est déshonorée. Le temps restant est consacré à exposer au lecteur les circonstances par lesquelles les lettres ont été recueillies par le soin de Mme de Rosemonde et de Danceny. La dernière lettre ramasse dans un résumé édifiant le sort définitif de chaque protagoniste et la leçon à tirer, confiée à la plume frappée de stupeur de Mme de Volanges. Cette dynamique ascendante est encore renforcée si elle est mise en regard des volumes de lettres, dont la répartition est en chiasme : 50 lettres pour la première et la dernière partie, 36 pour les deux parties centrales, la quatrième partie double donc le temps de la première pour un nombre égal de lettres, le temps s’étire et la correspondance s’espace, alors que les événements se multiplient. 10. L’époque qui sert de cadre au roman est celle de la Régence, antérieure d’une cinquantaine d’années au temps de l’écriture. Cette période va de la mort de Louis XIV en 1715 à celle soudaine du régent Philippe d’Orléans en 1723 ; elle se caractérise par la liberté des mœurs, « officialisée » d’une certaine façon par l’attitude ostensiblement dépravée des Grands, et par l’utilisation du libertinage comme moyen de la promotion sociale. LIRE L’ŒUVRE 15 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 16 « C’est le joli temps de la Régence. Où l’on fit tout excepté pénitence », dit la chanson populaire. De fait, dégoûtée de l’austérité et de toute espèce de vertu imposée par le Roi Soleil vieillissant, la France, mue par un besoin d’affranchissement, part à la recherche d’un bonheur à la fois collectif et individuel. L’homme de la Régence est un être de désir, tourné vers la jouissance de la vie, mais à l’intérieur d’un cadre social qui préserve le bon goût et l’élégance. Cette aspiration ne peut donc prendre tout son sens qu’au travers de la réflexion qui l’accompagne : les facultés de l’intelligence sont largement sollicitées et le libertin de la Régence est un homme de qualité, chez qui la légèreté de vie n’exclut pas la profondeur du raisonnement. La période manifeste ainsi des goûts qui caractérisent ceux des héros de Laclos : le goût du faste et du luxe, celui de l’élégance (on sait l’intérêt et le soin que les protagonistes du roman portent à l’allure vestimentaire – voir le quiproquo avec le cordonnier, lettre 1, ou la remarque de la marquise sur la Présidente : « toujours mise à faire rire ! avec ses paquets de fichus sur la gorge, et son corps qui remonte au menton ! » dans la lettre 2), le goût de l’oisiveté et des occupations gratuites (dans la campagne de Mme de Rosemonde on dîne, on joue au wisk, on converse et l’on écrit), et celui de la culture (Mme de Merteuil a lu les romans, les philosophes, les moralistes, voir lettre 81, et Valmont sacrifie au rite social de l’Opéra où il s’affiche avec « une fille », lettre 135). L’époque peinte par Les Liaisons dangereuses se caractérise donc par un appétit de conquête en réaction à l’austérité ; c’est une période de transgressions et d’excès. 11. On a beaucoup reproché à Laclos d’avoir voulu peindre, et mal, un milieu qu’il méconnaissait pour n’en être pas issu. Il a cependant une connaissance de l’homme qui fait de lui un observateur averti des habitudes sociales. Les personnages du roman appartiennent à la noblesse et à l’aristocratie bourgeoise, ce dont témoignent leurs noms avec particule et leurs titres : noblesse d’épée (comte, marquise, vicomte, chevalier de Malte) ou noblesse de robe (la présidente de Tourvel est mariée à 16 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 17 un parlementaire.) À des degrés divers, c’est un univers social défini en grande partie par son oisiveté, à laquelle Louis XIV l’a condamné. Certains marqueurs sociaux permettent de l’identifier : les lieux de vie mondaine et privée, la présence auprès de Valmont d’un chasseur – Azolan – et d’un intendant – Bertrand – qui l’a vu naître, l’existence d’un confesseur, la domesticité, etc. LES PERSONNAGES 12. Prise dans son sens absolu, la candeur désigne l’innocence et la pureté de l’âme, et relève de la vertu ; elle ne s’applique donc à aucun des personnages du roman. Par un sens plus restreint ; elle évoque l’absence de malignité et de méfiance, qui peut confiner péjorativement à la crédulité : Cécile Volanges et Danceny relèvent alors de cette catégorie. La galanterie est au centre du roman, si on lui confère son sens d’intrigue amoureuse, issu du sens classique « d’art de celui qui cherche à conquérir les faveurs d’une femme » : Valmont, la marquise de Merteuil, mais aussi au cours du récit Danceny et Cécile appartiennent à cette catégorie. Il convient d’y ajouter les comparses en libertinage évoqués par le texte, Prévan par exemple. La vertu caractérise le souci de se conformer, par force d’âme, au devoir moral, et implique notamment la fidélité conjugale. Elle est illustrée différemment dans le texte : la vertu par conviction avec le personnage de la Présidente, la vertu par sottise avec Mme de Volanges et la vertu par sagesse avec Mme de Rosemonde. La retraite est la catégorie qui désigne l’action de se mettre hors du jeu social, et ici mondain et galant : on y trouve Mme de Rosemonde mais aussi Mme de Tourvel lorsqu’elle fuit la tentation de Valmont ou Danceny dans sa commanderie et Cécile dans son couvent. 13. Mme de Rosemonde est la tante de Valmont et la confidente de la Présidente. Présentée par Baudelaire comme un charmant « pastel », cette vieille dame s’exprime dans un style aux tournures archaïsantes, empreint d’emplois anciens ; ce langage qui rappelle celui des précieuses fait d’elle un personnage du siècle passé. LIRE L’ŒUVRE 17 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 18 Dans le roman, Mme de Rosemonde est un élément de cohérence, sur le plan de la narration comme dans sa dimension symbolique. Dans une sphère sociale agitée de perpétuelles transgressions, où les victimes n’ont plus de référents – ou que les leurs sont inopérants – elle est un élément stable ; elle est d’ailleurs le seul personnage du récit à ne pas changer de lieu : son château est le point d’ancrage de l’intrigue mais aussi un lieu de retraite. Cette stabilité se lit particulièrement dans la lettre 103 où, répondant à la Présidente, elle manifeste sa sagesse, sa bonté et son intelligence des cœurs. Figure morale mais pas austère, elle assure la continuité des relations entre les protagonistes et assume la difficile charge de dépositaire de la tragédie. Laclos en fait le substitut du rédacteur, et son rôle croissant dans la dernière partie du récit invite le lecteur à une interprétation morale du jeu social et de ses dysfonctionnements. 14. La marquise et le vicomte ont en commun leur statut de roués : ils savent maîtriser leur nature et dominer celle d’autrui. Séducteurs et séduisants, stratèges intelligents et orgueilleux, ils partagent cet instinct de conquête qui est à la base de leur complicité initiale : « conquérir est notre destin » dit Valmont dans la lettre 4. Laclos a donc imaginé ici un couple construit sur la similitude et non la complémentarité. Pourtant le cours du récit invite à quelques nuances qui expliquent le conflit d’influence qui débouchera sur la franche rivalité et constitue le sujet réel du roman : si Valmont a tout du libertin, affichant une froideur cynique, agissant avec comédie et calcul, ne s’embarrassant ni de scrupules ni de discrétion, son personnage n’a pas l’envergure de celui de la marquise. Il passe plus de temps à exécuter ordres et conseils de sa comparse qu’à imaginer de réelles stratégies, et il manque parfois singulièrement d’imagination même lorsqu’il s’agit de séduction (on le voit par exemple lorsqu’il cherche dans les romans une « solution » pour attendrir Mme de Tourvel.). Son libertinage tient du principe posé plus que de la vraie jouissance de la liberté conquise et exercée. Sa sensibilité à la tentation affective marque enfin une faille dans le personnage libertin, même si elle le sauve par ailleurs en montrant sa capacité à être touché, comme le 18 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 19 sauve de l’humiliation la mort en duel, conforme aux exigences de sa caste. Mme de Merteuil a sur le vicomte l’avantage d’être une libertine qui a choisi son libertinage, c’est-à-dire qu’elle le vit comme une force gagnée sur la nature, comme une dynamique d’existence, non un état : cette conscience la rend à la fois plus perspicace et plus lucide. Capable de s’adapter à l’imprévu – ce que ne sait pas faire Valmont dont elle se moque dans la lettre 106 : « Dès que les circonstances ne se prêtent plus à vos formules d’usage, et qu’il vous faut sortir de la route ordinaire, vous restez court comme un Écolier » – elle observe et réfléchit avant d’agir (et surtout d’écrire) et vit toute rencontre et tout échange comme un terrain d’expériences. Pour la marquise, le libertinage est une nécessité, pour le vicomte c’est un luxe. LES THÈMES 15. Différents thèmes traversent et nourrissent le roman : l’amour, l’argent, l’écriture, la sincérité sont des notions interrogées régulièrement par l’échange épistolaire. Pourtant, si l’on s’en réfère à la conduite du récit et à son épilogue, il semble que Laclos ait voulu essentiellement partager avec son lecteur un questionnement sur les éléments de déséquilibre social liés à la corruption morale. Si le libertinage et ses manœuvres sont abondamment décrits dans le texte, c’est avant tout pour en démonter les mécanismes et montrer comment ils s’inscrivent et se coulent avec habileté et discrétion dans les codes sociaux ; chaque intrigue développe avec minutie la recherche de transgression d’un interdit : violer une virginité, bafouer la fidélité conjugale, passer outre la parole et la promesse, travestir les mots et leur sens, perdre une réputation, blasphémer, trahir l’amitié et jouer de la confiance. Comme le disent le titre du roman et la leçon finale, la morale est ici surtout sociale, et entend par la peinture des machinations imaginées montrer que la corruption des valeurs collectives peut mener à la destruction individuelle. 16. L’idée de bonheur est l’une des plus souvent abordées et développées par les lettres : environ 75 mentions sur l’ensemble du roman. Il est l’objet de toutes les aspirations, mais revêt des définitions LIRE L’ŒUVRE 19 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 20 différentes selon les personnages auxquels Laclos prête les contradictions et ambiguïtés de ses contemporains. Pour les êtres sensibles (Mme de Tourvel, Mme de Rosemonde, mais aussi parfois Valmont ainsi que Cécile et Danceny par innocence), le bonheur est un état simple de sérénité, de sympathie entre les êtres ; parlant de sa vie avec son époux, Mme de Tourvel dit ainsi : « En est-il de plus doux [plaisirs] que d’être en paix avec soi-même, de n’avoir que des jours sereins, de s’endormir sans trouble et de s’éveiller sans remords ? » (lettre 56). Pour les libertins en revanche, dont la perspective est sensualiste, l’intensité de la sensation prime sur toute autre considération : le bonheur est conçu alors comme un état paroxystique du plaisir, qu’il soit physique ou intellectuel, comme l’explique Mme de Merteuil à Cécile dans la lettre 105 : « Ce qui pour tout le monde serait un plaisir, et pourrait n’être que cela, devient dans votre situation un véritable bonheur ». La rencontre entre ces deux conceptions est l’occasion pour Laclos de montrer qu’elle peut donner lieu à un quiproquo conséquent, comme l’explique Valmont lorsqu’il fait le récit de sa victoire sur Mme de Tourvel dans la lettre 125. 20 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 21 L’ŒUVRE DANS L’HISTOIRE Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 22 GROUPEMENT DE TEXTES : LIBERTINAGE ÉRUDIT ET LIBERTINAGE DES MŒURS (page 409) 1. Éléments d’analyse : dans le texte 1, la préoccupation religieuse semble absente ; seul « vice » relève de son lexique. Le cours de l’existence y est présenté comme exempt d’une autorité spirituelle, et même la mort dans le dernier vers du sonnet y est envisagée hors de tout regard divin. Elle est donnée à lire comme une phase naturelle de la vie terrestre, l’aboutissement logique d’un processus de vieillissement : « attendre », « fort doucement ». Aucune inquiétude ne s’y manifeste, aucun espoir non plus. On observe un état similaire, mais pour des motifs différents, dans le texte 2 ; la religion n’y apparaît qu’implicitement, à travers les stratégies développées par Don Juan pour réduire les principes des femmes séduites : « fidèle », « innocente pudeur », « vaincre les scrupules ». Le texte 3 en revanche donne la parole à un croyant qui s’adresse à des libertins ; l’objet de son discours est de convaincre son lecteur de la nécessité de parier sur l’existence de Dieu. Avec le terme « théologiens » dans le titre du chapitre, le texte 4 se place d’emblée dans une perspective religieuse : la religion chrétienne y apparaît comme une passion excluant, dans une alternative irréductible, la satisfaction de la chair ; le propos exprime le conflit entre l’aspiration spirituelle de l’homme – dimension mystique – et le besoin qu’il ressent de l’assouvissement des désirs physiques. La vision proposée est ici contraire à toute forme de sérénité : « passion », « agitée », « force », etc. Le texte met en valeur le déchirement de l’être humain, partagé entre son intérêt personnel et le renoncement à soi pour l’amour de l’autre, qui le placerait dans une perspective chrétienne. L’amour de Dieu est en contradiction avec la réalité terrestre de l’individu, comme le montre l’abondance des couples d’antonymes. L’objet du dialogue des personnages du texte 5 est une réflexion sur la relation, notamment sexuelle, entre l’homme et la femme. Les notions religieuses y sont implicitement convoquées : les valeurs chrétiennes sont présentées comme des « préjugés » qui induisent des codes de conduite, justifiés seulement par l’usage 22 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 23 (4e réplique) et l’ignorance de la vérité. La vision de la religion s’assimile ici à l’hypocrisie (« grimaces », « affecté la vertu ») et le texte construit des oppositions significatives : goût/vertu ; besoin/sentiment. Dans le texte 6, la religion chrétienne est un support implicite fort : elle est présentée comme contraire à l’idée de Nature (l. 3 et 4) et vécue comme une agression (« absurdes conseils des hommes faibles [c’est-à-dire les croyants] ») ; la référence aux premiers chrétiens, traditionnellement image valorisée, est évoquée par l’expression « imbécile système ». Si la religion est ainsi proposée comme antinaturelle, le texte engage le débat sur les rapports entre la nature et le mal. Éléments de synthèse : le corpus de textes présente différentes visions de la religion chrétienne, liées au fait que tous les auteurs sont, à l’exception de Pascal, des libertins : – Elle est d’abord inutile pour accéder à un bonheur complet, parce que le bonheur est perçu comme terrestre et ne se projette pas dans un quelconque au-delà (texte 1). Il peut même se construire sur une victoire gagnée sur la résistance opposée par la conviction religieuse et les principes qui la garantissent (texte 2). – Elle assoit ensuite son autorité sur des préjugés et des habitudes sociales. Elle est donc au service d’une collectivité dont elle assure l’équilibre social, au détriment du bonheur de l’individu (textes 2 et 5). – Elle devient ainsi nocive voire néfaste, parce qu’en contradiction avec la Nature de l’homme. Elle est donc un obstacle au bonheur. (textes 4, 5 et 6). – Seul le texte de Pascal (texte 3) tente de montrer que la faiblesse de la Raison, stigmatisée aussi dans le texte 4, ne peut que porter l’homme à croire, dans la mesure où il n’a rien à perdre. Globalement, ces textes manifestent donc une attitude de rébellion contre les règles religieuses de la part « d’esprits forts » qui sont les adeptes d’une pensée libre. Elle s’exprime notamment par le recours au registre polémique. 2. Excepté l’extrait des Pensées (texte 3), qui convoque davantage celle du bonheur, l’ensemble du corpus s’interroge, en usant de registres L’ŒUVRE DANS L’HISTOIRE 23 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 24 variés, sur la notion de plaisir. Elle est au cœur même du sonnet de Vauquelin des Yveteaux ; dans ce premier texte, le plaisir découle d’une forme de contentement serein des désirs et besoins quotidiens : les sens, le goût, l’intellect, les affects y sont satisfaits dans un équilibre lié à la mesure. Il se construit en effet sur une exigence minimaliste, comme le montrent l’absence d’exagération et la récurrence des termes restrictifs : tout le poème affirme que le « peu » est suffisant (« peu de parents », « moins de […] que », « exempte », « à rien », « sans besoin », « à rien qui », « peu de couverts », « sans peine », « peu d’enfants », « sans femme »). Le plaisir est ainsi dans l’insouciance (absence de souci) notamment sociale (quatrains) et dans la satisfaction des désirs esthétiques, gustatifs, affectifs (tercets). Le poème exprime ce quotidien dégagé d’ambition avec beaucoup de légèreté (identité mètre/idée). Construit sur le renversement de l’écriture épique, mais exempt d’ironie, le texte relève du registre « réaliste ». Dans le texte 2, le plaisir est d’abord celui des yeux, il est lié à la contemplation de la beauté et à la séduction qu’elle exerce : « objet qui nous prend », « n’ait plus d’yeux pour personne », « toutes les beautés qui nous peuvent frapper les yeux », « les belles », « nous charmer », « la beauté me ravit », « je conserve des yeux », « tout ce que je vois d’aimable », « beau visage », « charmes inexplicables ». Le plaisir est ici esthétique, et induit les plaisirs de l’amour : « goûté », « douceur », « envie », « souhaiter », « réveiller nos désirs ». Associé au vocabulaire de la conquête guerrière, il utilise le registre épique (emploi constant des hyperboles). Dans le texte 4, le plaisir est posé comme une aspiration de l’homme opposée à son désir de spiritualité ; il est une passion physique, indissociable de l’interdit qui le frappe. Aussi le monologue développet-il la notion de péché (référence au Diable, « absolution », « ses péchés ») et la problématique du bien et du mal, dans une conception qui se veut métaphysique. Par l’affirmation de la légitimité de l’assouvissement du désir – le plaisir est une passion que Dieu a mise en nous : « tenant tout de Dieu, je tenais de lui ces passions » – le 24 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 25 texte développe l’idée du plaisir sur le registre polémique, mais par les interrogations incessantes, l’enchaînement rationnel qui mime le mouvement de la pensée, le débat intérieur qu’il soulève, le monologue est essentiellement délibératif. Aucune polémique explicite en revanche dans le développement de l’idée chez Crébillon : la perspective plus triviale et plus directe donne une définition du plaisir dénuée de toute considération d’affect ; sexuel, l’objet de désir est objectivé : « avez eue », « les plaisirs », « on se prend », « on s’est pris », « on se reprend ». La tirade de Clitandre dénonce l’illusion d’une dimension morale ou affective dans l’attirance amoureuse : « un désir qu’on se plaisait à exagérer, un mouvement des sens », « le goût seul existe ». Comme dans le premier extrait, le plaisir est ici donné à vivre avec sérénité et sans remords, composante naturelle de l’être humain ; il se construit sur un refus de tout lyrisme, dans une dimension prosaïque qui relève de l’écriture réaliste. S’il présente la notion dans la même perspective que l’extrait de Thérèse Philosophe, le texte 6 pose le plaisir comme explicitement indissociable de la douleur infligée, laquelle parce qu’elle satisfait l’égoïsme au détriment de l’altruisme, est dite naturelle. La récurrence du terme « délecter » dans le texte associé alternativement au plaisir et au déplaisir montre l’ambivalence de cette nature humaine. Encore une fois, en plaçant la question sur le terrain de la morale à reconsidérer dans ses fondements, l’auteur développe un propos polémique, d’autant plus virulent ici que l’attaque contre la religion et sa responsabilité dans la conduite humaine sont explicitement formulées. Ainsi le corpus propose-t-il deux perceptions de la notion de plaisir, avec des registres variés ; d’une part, on note que certains textes l’abordent sous l’angle de la sérénité, comme une composante du bonheur de l’homme et comme une ambition légitime, à travers un registre ou « réaliste » ou épique ; d’autre part, d’autres extraits évoquent le trouble que son aspiration génère ; le plaisir est alors perçu comme subversif et déstabilisant, source de conflit intérieur (registre délibératif) ou de conflit exposé (registre polémique). Les intentions L’ŒUVRE DANS L’HISTOIRE 25 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 26 des auteurs sont alors diverses : pour les uns, il s’agit de développer une sorte de philosophie épicurienne, pour les autres de dénoncer l’hypocrisie de la morale chrétienne qui ne reconnaît pas les ambitions légitimes de la nature humaine. 3. La lucidité définit la faculté de l’homme à voir clairement ce qu’il faut penser ou faire. Elle désigne par extension l’activité normale des facultés mentales, en opposition au leurre (aveuglement) ou à la folie. Dans le contexte des Lumières, l’attitude lucide participe de l’exercice de la Raison qui permet d’identifier, caractériser, voire maîtriser les passions. Le corpus convoque à des titres et degrés divers cette lucidité qui relève aussi de la philosophie. Si elle a peu de place dans le texte de Vauquelin, c’est que le mode de vie qui y est exposé ne relève pas de la remise en cause et du questionnement ; la sérénité de l’atmosphère dépeinte dit la pleine conscience du poète du regard lucide posé sur l’existence. Les cinq autres extraits en revanche, par leur nature interrogative, montrent que le (ou les) locuteur(s) est à la recherche d’une forme de vérité. La lucidité de Don Juan est dans la vision qu’il propose de l’homme : il pose comme postulat son goût du changement et la valorisation opérée par la conquête et le nombre de ses élues. La morale est absente d’un propos placé sous le signe de la nature (« la nature nous oblige »). Les phrases assertives et les procédés de généralisation montrent que le discours est érigé en principe et assumé avec objectivité. L’idée de Nature, et les problèmes qu’elle soulève, prévaut aussi dans les textes 4, 5 et 6 ; ici, la lucidité consiste à poser l’idée de plaisir comme naturelle mais inconciliable avec la morale religieuse, qui anéantit – voire nie – la nature humaine. Dans Thérèse philosophe, la locutrice est lucide en ce qu’elle manifeste à la fois son dilemme, ce qu’il a d’irréductible : « les deux passions dont j’étais combattue, l’amour de Dieu et celui du plaisir de la chair », et le malaise, voire la folie, qu’il installe en elle : « est-ce la nature ou le diable ? ». Avec insistance, le monologue revient sur l’idée de la lumière à faire sur le conflit : « vous éclairer », « apercevoir », « m’éclairait », « se démontrer à soi-même », « faire connaître », « connaissance acquise 26 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 27 par la raison ». Dans La nuit et le moment, nous retrouvons la même recherche nécessaire : « rectifié nos idées », « appris à connaître », « les motifs », « avant […] nous le faisions […] sans connaissance de cause », « le bonheur d’arriver au vrai », « on sait aujourd’hui que » ; cette quête au nom de la lucidité s’oppose aux préjugés (« affecté la vertu »). Dans le texte de Sade enfin, l’exigence de lucidité est amorcée par le questionnement anaphorique initial. L’idée est développée par la dénonciation de l’illusion et de l’erreur : « voix chimérique », « absurde conseil », « un tel langage », « imbécile système », « inconséquence sans exemple », avant qu’apparaisse le message explicite : « ce que nous reconnaissons de plus clair est l’immuable et saint conseil qu’elle nous donne de nous délecter ». Chacun de ces textes se veut lucide en faisant appel à la Raison contre les passions, ce que Pascal porte au plus haut point : ici le raisonnement se met au service de la foi, et être lucide consiste à reconnaître la Raison insuffisante, impuissante à répondre, et devant la nécessité de la réponse, à parier sur l’existence de Dieu. 4. Les libertins se sont d’abord affranchis d’un certain nombre de contraintes, sans pour autant heurter la morale, ce que montre le texte 1. La retraite de la cour ouvre au poète une vie où les frais occasionnés par la représentation sociale sont absents, où n’existe plus la nécessité d’apporter la preuve de sa valeur et de ses biens, ni celle de se justifier. Le tableau évoque une vie de jouissance sereine et sans obligations, qu’elles soient publiques ou privées. La même idée est développée dans le texte 6. Le corpus suggère également l’affranchissement de la tutelle permanente et toute-puissante de la religion chrétienne (textes 1, 2, 3, 5 et 6), le rejet de l’opinion commune, de la doxa (textes 2, 4, 5 et 6) et le dégagement de la tyrannie du pouvoir (1, 4 et 5). Les libertés conquises sont essentiellement celles de penser, y compris hors d’un système (qu’il soit philosophique, moral ou religieux) et de jouir des plaisirs terrestres. Cependant l’on ne se dégage pas si aisément de certaines conventions qui régissent la collectivité ; la liberté conquise se heurte en particulier à l’aspiration L’ŒUVRE DANS L’HISTOIRE 27 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 28 spirituelle, qui est une composante légitime de l’homme (textes 3 et 4) et dont la permanence se manifeste dans l’agressivité des propos (textes 4 et 6). D’autre part, la possibilité de rejeter totalement la morale sousentendrait qu’elle soit imposée initialement à l’individu, ce qui reste à prouver (textes 3 et 4). 5. L’expression libertine n’a pas toujours exploré « les ressources de l’ironie, le langage à double entente ». L’ironie, en effet, ne se justifie, par la mise à distance qu’elle instaure, que dans la volonté de contourner la censure ou, plus ouvertement, de polémiquer. Cette situation n’est pas celle des auteurs des textes 1 et 3. En revanche, on trouve l’ironie sous la plume de Molière dont le propos est d’installer la vision détachée sentimentalement que Dom Juan se fait de l’amour. Elle est prise en charge ici par le biais de la métaphore (conquête amoureuse/conquête guerrière). Dans le texte de Crébillon, elle repose sur l’emploi de sous-entendus, qui font appel à l’intelligence du lecteur (lignes 4,5 et 6 « comme en beaucoup d’autres choses »/« avant que nous sussions raisonner si bien »). Dans le texte 4, l’ironie construit clairement la polémique : « l’amour de Dieu et celui du plaisir de la chair », et Thérèse le dis explicitement : « pur jeu de mots » (1.14). Le texte de Sade est plus déterminée et sans ambiguïté. Dans les Liaisons dangereuses en revanche, l’emploi de l’ironie est la ressource habituelle des libertins, qu’elle s’exerce entre eux, la marquise ironisant sur les « exploits » du vicomte, ou contre les victimes de leurs agissements : ironie de Mme de Merteuil à l’encontre de l’allure et du mode de vie de la Présidente, ironie du vicomte après la conquête de Cécile, ironie mordante de la lettre 48. 6. Du XVIIe au XVIIIe siècle, la pensée libertine a beaucoup évolué. Si l’on peut sommairement la considérer comme une attitude de rébellion – pacifique ou agressive – contre les règles établies, on doit aussi signaler une évolution sensible. Le libertinage a d’abord été un état d’esprit et un goût (textes 1 et 2), qui mettent en avant l’individualisme et l’esprit critique. Le libertinage de mœurs, associé à l’impiété spécialise peu à peu cette pensée (textes 4, 5, 6), alors que 28 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 29 parallèlement au désir de jouissance et de liberté se développe le goût de la réflexion philosophique, qui fera des philosophes du siècle des Lumières les héritiers des premiers libertins (textes 4 et 6). 7. Les textes du corpus peuvent tous être mis en regard des Liaisons dangereuses. Le poème de Vauquelin, par son refus des soucis, le goût de la culture et la perception égocentrique du plaisir, renvoie à l’oisiveté et la légèreté de la vie que mènent les libertins du roman. Le parallèle entre Don Juan et Valmont (mais plus encore peut-être entre Don Juan et la marquise ?) pourrait être riche de sens : par-delà leurs similitudes (conquêtes amoureuses en nombre, maîtrise du langage, rivalité avec Dieu), leurs différences sont notables, dont la plus évidente est que Valmont reste un personnage là où Don Juan est devenu un mythe. La tirade de Don Juan peut être comparée à la lettre 125 du roman. Lorsque l’on entend raisonner les libertins de Laclos, on comprend également l’angle choisi par Pascal qui se donne pour mission de les convaincre de croire : l’analogie du jeu convoque une activité commune, aux règles définies et maîtrisées, et le goût de la délibération et de la rigueur intellectuelle sont propres à séduire la marquise ou le vicomte. Le combat évoqué par Thérèse contre ellemême (texte 4) renvoie à celui de Mme de Tourvel, et le monologue présente force similitudes avec certaines lettres à Mme de Rosemonde. On y retrouve aussi le motif de la volonté et de la détermination. Le texte de Crébillon pose le problème de la vertu comme préjugé infondé, développé aussi dans les lettres de la marquise et de Valmont ; la liberté de mœurs, la transgression de la notion de couple sont au cœur du roman de Laclos comme du dialogue de Clitandre et Cidalise. Si l’on retrouve enfin le propos cynique et l’égoïsme affiché tout autant chez Laclos que chez Sade, on peut cependant constater que dans La Philosophie dans le boudoir, ces sentiments sont portés à l’extrême, et pour ainsi dire mis à nu, dégagés de l’élégance de style qui fait traditionnellement du libertin un homme de qualité. L’ŒUVRE DANS L’HISTOIRE 29 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 30 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 31 L’ŒUVRE DANS UN GENRE Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 32 GROUPEMENTS DE TEXTES : LES FONCTIONS DE LA LETTRE DANS LES LIAISONS DANGEREUSES (page 430) LA LETTRE, OUTIL DE DOMINATION (textes 7, 8 et 9, pages 174-184, 249 et 335-336) 1. La lettre 81 exploite largement le champ lexical de la guerre : « armes », « vaincre », « combattre », « se rendre », « je me rends », « avantage », « elle vous bat », « être vaincues », « trop de forces », mais il s’applique aux « combats » amoureux. La marquise conçoit l’entreprise de séduction comme une attaque en règle, la femme à séduire comme une ville ou un ennemi qui doit se rendre. Cette vision du rapport amoureux peut être mise en parallèle avec celle qu’en propose Don Juan dans sa célèbre tirade. Un certain nombre de phrases marquant la dimension stratégique du propos de Mme de Merteuil vont dans le même sens : « Je sais assez […] qu’une occasion manquée se retrouve, tandis qu’on ne revient jamais d’une démarche précipitée », « prévoir où ceci peut vous mener », « il y règne un ordre qui vous décèle à chaque phrase », « l’effet n’en est pas moins manqué », « je prévois qu’elle les épuisera ». 2. Selon la marquise de Merteuil, les protagonistes d’un combat amoureux disposent d’armes qui relèvent de l’éloquence : la parole et la lettre. Dans le texte 7, compte tenu des circonstances, l’écriture d’une lettre par Valmont est présentée comme une faiblesse : « vous être laissé aller à écrire » ; en effet, pour vaincre ici, il fallait attendrir et non raisonner ; Mme de Tourvel est une femme d’expérience, non une ingénue, et elle raisonne bien, l’écriture qui mise sur le différé constitue alors un obstacle parce qu’elle lui laisse le temps de se reprendre. Pour pousser son avantage, il eût mieux valu que le vicomte usât de l’art de la parole, et qu’il exprimât la sensibilité par la voix, les yeux, les larmes, entraînant « trouble et désordre ». Ainsi, la faiblesse de Valmont n’est pas tant d’avoir écrit une lettre que de n’avoir pas écrit une « bonne lettre », de celles qui sonnent juste : « il n’y a rien de plus difficile en amour que d’écrire ce qu’on ne sent pas. Je dis écrire d’une façon vraisemblable. » L’écriture épistolaire 32 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 33 est présentée par la marquise comme un art et une arme dont l’efficacité dépend de l’habileté de l’épistolier. Valmont ne semble pas encore, au moins aux yeux de la marquise, un maître en la matière. Cécile Volanges est elle aussi encore loin du compte : dans le texte 8, la marquise lui explique le bon usage et les bonnes manières de la correspondance, et c’est le style qui devient une arme à utiliser à bon escient : s’il retranscrit les sentiments, il est une faiblesse ; s’il exprime ce que le destinataire veut entendre, il devient une force. On comprend donc que pour Mme de Merteuil, la lettre efficace n’est pas la lettre sincère – elle donne des armes à l’adversaire – mais celle qui ment en ayant l’air de dire vrai. L’art de la manipulation par l’écrit en somme. On constate enfin que la force du raisonnement de la marquise vient de ce qu’elle envisage comme paramètre premier dans la correspondance la figure du destinataire : la lettre est une arme lorsqu’elle se donne un but argumentatif, qu’elle est centrée sur la fonction impressive et non expressive. 3. Dans les textes 7 et 8, la marquise développe un raisonnement structuré par les connecteurs logiques. Elle vise ainsi, pour ses deux destinataires, à construire un exposé qui est une sorte de « cours sur l’art épistolaire » ; aussi développe-t-elle un propos propre à enseigner, largement nourri de phrases assertives et injonctives, ponctué de ses interventions : le « je » assène ses certitudes, commente l’attitude épistolaire de ses destinataires écrivant à d’autres : « je crains », « vous reproche », « vous défie », « m’étonne », « veux croire », « vous renvoie », et exprime son avis : « il me semble », « me paraît », « ce qui me paraît ». La subjectivité affichée est justifiée par la posture adoptée par la marquise : elle parle en spécialiste et en professeur, ce qu’elle va confirmer dans le troisième extrait (texte 9). 4. L’extrait de la lettre 141 s’élabore autour d’une énonciation complexe ; la double énonciation qui est celle du roman épistolaire, se démultiplie ici dans une double énonciation fictive qui construit la mise en abyme : la marquise écrit à Valmont en insérant dans son courrier, encadrée par un récit qui la met en scène, copie d’une lettre envoyée L’ŒUVRE DANS UN GENRE 33 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 34 par « un homme de [sa] connaissance » à « une femme qui lui faisait peu d’honneur ». Le parallélisme de situation explicite (« comme vous ») donne à ce texte statut de parabole, puisque sa relation doit induire chez le vicomte l’idée d’une leçon à tirer : « raconter une histoire », « y faire assez attention pour la bien entendre ». Par analogie, la marquise invite ainsi Valmont à envoyer cette lettre à Mme de Tourvel pour s’en débarrasser ; en soufflant cette manœuvre, Mme de Merteuil entend mettre entre Valmont et la Présidente un acte irréparable, elle en conviendra du reste dans la lettre 145 : « c’est dommage […] que par une seule démarche inconsidérée, vous ayez mis vous-même un obstacle invincible à ce que vous désirez le plus », « la blessure est incurable ». Cette histoire parallèle, la lettre insérée entièrement rédigée sans qu’elle en assume la responsabilité, servent au plus haut point les intérêts de la marquise : elle s’est substituée à Valmont, elle a rompu elle-même avec la Présidente et de la manière odieuse qui la vengeait, elle a donc doublement gagné sur le vicomte : « ce n’est pas sur elle que j’ai remporté cet avantage ; c’est sur vous : voilà le plaisant et ce qui est vraiment délicieux », « je n’ai pas oublié que cette femme était ma rivale » (lettre 145). 5. Dans ces trois textes, l’intention générale de la locutrice est de montrer que l’écriture épistolaire est une arme redoutable, pour peu qu’elle soit maniée avec adresse, ce que démontre avec brio le texte 9 (doublement redoutable ici : par la lettre de la marquise au vicomte et par la lettre assassine imaginée pour la présidente) ; dans le cas contraire, elle manque sa cible, et mieux vaut s’en tenir à la conversation (textes 7 et 8). Pour manifester cette intention, la marquise recourt à différents procédés : dans le texte 7, elle propose une démonstration commentée, dans le texte 8, elle prodigue des conseils, dans le texte 9, elle illustre son propos par un exemple rédigé : l’ensemble relève donc du registre didactique. 6. L’objectif de Laclos peut se lire à deux niveaux : du point de vue narratif, le discours qu’il prête à la marquise met en avant la supériorité de ce personnage : en maîtrisant avec cette perfection le jeu épistolaire, 34 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 35 elle domine tous les autres protagonistes dont elle manipule sentiments, gestes, actions et réactions ; l’auteur a fait de Mme de Merteuil un chef d’orchestre exceptionnel. Mais Laclos prête aussi à Mme de Merteuil un discours qui, retourné, peut mettre en garde contre les dangers de l’écriture bien maîtrisée et le risque de manipulation (voir la lecture que Laclos fait du roman de Richardson, livre élève, p. 440). Mais on ne peut oublier pour autant combien son siècle fut celui qui utilisa avec pertinence les écrits épistolaires comme outils de dénonciation ; comme toute arme, la lettre peut donc être à double tranchant. LA LETTRE, MOYEN DE PLAISIR (texte 10, pages 103-105) 1. Cette lettre se compose de deux paragraphes inégaux qui répondent à une logique inaccessible à sa destinataire, mais pas au lecteur. Le premier paragraphe développe deux messages : du début de la lettre à « interrompre », le vicomte expose à la présidente les circonstances et motifs de son écriture, l’ensemble témoignant du trouble dans lequel il se trouve ; puis le destinateur expose l’origine de ce trouble qui est celui des tourments amoureux (jusqu’à « que moi »). Le second paragraphe développe la requête de Valmont : faute de vous voir, acceptez au moins de m’écrire. L’organisation du texte est donc des plus banales dans un contexte d’échange amoureux. Mais sa typographie ménage un blanc entre les deux paragraphes, qui est l’indice du double langage et matérialise le temps écoulé entre la rédaction des deux parties. Il donne tout son sens au « je reviens à vous » qui répond au « moi » terminal du paragraphe précédent, par lequel le vicomte glisse de la galanterie à la goujaterie. 2. Le vocabulaire du sentiment amoureux est omniprésent dans cette lettre. On peut relever pour exemple « ardeur dévorante », « puissance irrésistible de l’amour », « le trouble que j’éprouve », « bonheur », « passions », « tourments », « heureux », « tant de plaisir », « émotion si douce », « transports », « brûlant de volupté », ainsi que les termes qui signalent le désespoir de l’amoureux transi : « agitation », « anéantissement », « rigueurs désolantes », « délire », « désespoir », L’ŒUVRE DANS UN GENRE 35 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 36 en notant l’usage quasi systématique des intensifs qui renforcent l’expression hyperbolique de ce sentiment. À un niveau littéral, et dans l’ignorance des circonstances d’écriture, la présidente ne peut recevoir la lettre que comme une brûlante déclaration d’amour, dont le message serait en substance : j’ai mal dormi en raison du trouble incessant dans lequel l’amour que je nourris pour vous et que vous ne partagez pas me laisse. Votre insensibilité ne peut cependant m’empêcher de vous aimer. Vous me rendez fou, mais je garde l’espoir de vous séduire un jour. En attendant, et même si mes efforts restent vains, je vous supplie au moins de me répondre. 3. Informé par la lettre 47 de la réalité de la situation, le lecteur identifie cependant le double langage avec lequel Valmont s’amuse ; presque toutes les phrases sont à double entente, mais on peut s’attarder plus spécifiquement sur : « nuit orageuse », « agitation d’une ardeur dévorante », « un calme dont j’ai besoin et dont pourtant je n’espère pas jouir encore », « déjà je prévois que je ne finirai pas cette lettre, sans être obligé de l’interrompre », « si vous le connaissiez bien vous n’y seriez pas complètement insensible », « dans ce moment je suis plus heureux que vous », « jamais je ne ressentis, dans cette occupation, une émotion si douce », « l’air que je respire est brûlant de volupté », « la table même sur laquelle je vous écris, consacrée pour la première fois à cet usage devient pour moi l’autel sacré de l’amour », « il faut vous quitter un moment pour dissiper une ivresse qui s’augmente à chaque instant », « après tant d’efforts réitérés, la confiance et la force m’abandonnent à la fois ». Ainsi, le texte est-il à deux niveaux d’écriture, et donc de lecture : le premier, qui prétend transcrire l’élan du cœur, semble reposer sur une expression lyrique, que le second, qui dit la satisfaction concrète des sens, renverse en registre satirique. La situation elle-même, déjà exploitée par les devanciers de Laclos, est portée ici à son extrême par la souillure dont elle éclabousse la destinataire. 4. Le libertinage se manifeste de différentes manières dans cette lettre. Celle-ci exploite d’abord le goût libertin de l’équivoque et du double 36 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 37 sens. On y reconnaît aussi l’invitation directe aux plaisirs de la chair : « Ne puis-je donc espérer que vous partagerez quelque jour le trouble que j’éprouve en ce moment ? » Libertin aussi le recours au blasphème, et plus largement le culte que Valmont rend à l’énergie, signe de son goût pour la durée qui renforce l’intensité des mouvements ; d’une certaine façon, l’écriture de cette lettre double son temps de plaisir. LA LETTRE COMME ÉPANCHEMENT DE SOI (texte 11, pages 207-209) 1. Le champ lexical dominant de cette lettre est celui du sentiment, notamment dans son expression sereine, ce que résume la phrase centrale : « Ah ! ne parlons plus de bonheur, mais laissez-moi reprendre quelque tranquillité. » La perspective est donc celle des modalités de la relation amoureuse : Mme de Tourvel exprime son aspiration à une relation stable, sincère, sans « trouble et anxiété ». 2. L’étude des pronoms personnels montre l’omniprésence du « je » : 50 occurrences. L’objet de la lettre est manifeste : il s’agit de se raconter, d’exprimer le « ressenti » d’une situation en suspens au moment où le vicomte se fait plus distant. Aussi le discours est-il ambigu : explicitement, il réclame une séparation que Valmont a déjà, de fait, installée, elle est donc inutile : « je vous conjure donc, […] ne nous voyons plus ; partez » ; implicitement en revanche le propos est un aveu ; la présidente n’écrit cette lettre, qui réclame ce qu’elle a déjà, que pour opérer un changement de situation, pour relancer l’échange. Les dix paragraphes qui la composent disent, sous des angles variés que le vicomte occupe tout son esprit, ce qu’elle lui prouve en lui faisant part de ses réactions, sentiments, désirs, regrets, espoirs. 3. Le conflit qu’expose Mme de Tourvel est moral et intérieur : elle ne souhaite pas rompre avec le vicomte, mais instaurer une relation moralement vertueuse : « fuyons ces entretiens particuliers et trop dangereux », « si je continuais à manquer de prudence », « votre idée même m’épouvante : quand je ne peux la fuir, je la combats ; je ne L’ŒUVRE DANS UN GENRE 37 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 38 l’éloigne pas, mais je la repousse ». La présidente demande au vicomte, de jouer contre son intérêt, d’avoir la force qu’elle n’a plus, fût-ce de combattre : « je n’ai plus le courage de les combattre », « ma faiblesse », « cet empire que j’ai perdu sur mes sentiments », « je n’ai plus de force ». En apparence donc, elle cherche à le convaincre ; en réalité, c’est elle-même qu’elle protège en mettant entre eux les mots de la vertu, en masquant sous le visage de l’amitié le sentiment amoureux que le texte dit par ailleurs. Bien qu’adressé à Valmont, cette lettre s’apparente ainsi au monologue délibératif. 4. Le temps qui domine dans les paragraphes 6 et 7 est le futur : dans l’épanchement de ses sentiments quelle cherche pourtant à maîtriser, la présidente montre qu’elle envisage un avenir à sa relation avec Valmont. L’écriture épistolaire rejoint ici l’autobiographie dans sa capacité à laisser s’exprimer l’espoir, les attentes, les projets conçus par l’imagination. Le registre est nettement lyrique, et tranche singulièrement sur le registre général des libertins, ironique et distancié le plus souvent, dont il est le contrepoint. L’écart majeur tient dans la posture du locuteur : Mme de Tourvel écrit pour parler d’elle, Valmont ou Mme de Merteuil pour parler de l’autre. LA LETTRE, OUTIL NARRATIF (textes 12, 13 et 14, pages 221, 222-223 et 246-247) 1. Le texte 12 est construit sur le registre ironique, que la lettre exploite dans ses diverses modalités ; on y lit la moquerie : « comme il arrive toujours, ils ont cessé dès que je me suis occupé à y donner lieu de nouveau », « c’était un embarras dans le maintien ! une difficulté dans la marche ! des yeux toujours baissés, et si gros, et si battus ! », l’antiphrase : « la tendre amoureuse » et le burlesque qui fait de la première nuit d’amour de Cécile une « occasion », motif cher aux libertins. L’ensemble manifeste le cynisme de Valmont qui fait à la marquise le rapport circonstancié de la scène avec le froid détachement de l’observateur. C’est presque un regard d’entomologiste qui prend en charge le récit. La même modalité expressive se retrouve dans la lettre de Mme de Merteuil (texte 14), avec cette fois le choix du registre satirique : la 38 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 39 marquise caricature en la mimant sa destinataire : « ce monsieur de Valmont est un méchant homme », « ces procédés là sont impardonnables », « la pauvre enfant, comme elle est à plaindre », « elle avait les yeux battus le lendemain ! » et ironise explicitement : « comment ? il vous apprend ce que vous mouriez d’envie de savoir ! », « que de belles choses », « ce brillant cortège ». Entre les deux, le regard de Cécile (texte 13) sur son aventure est pathétique, tout autant par le malaise qu’elle exprime : « ah, mon Dieu madame, que je suis affligée ! », « je suis bien coupable » que par son goût pour l’histoire qu’elle ne cache pas : « j’ai peur de ne pas m’être défendue », « il y avait des moments où j’étais comme si je l’aimais ». Le rapprochement des trois regards met en évidence la machination des libertins et l’idée que Cécile Volanges est un jouet entre leurs mains. 2. Ce triple éclairage permet à Laclos d’approfondir l’analyse psychologique de Cécile : il donne une vue complète de la réaction du personnage : vue intérieure (texte 13), vue extérieure, sous forme de discours sur (texte 12), vue extérieure sous forme de discours à (texte 14). Les traits essentiels de sa personnalité y sont cernés : une vertu fragile parce qu’elle ne repose que sur l’ignorance, la naïveté et l’innocence ne pouvant combattre la prédisposition à la sensualité et à la dépravation ; une attitude faible qui ne dénote aucune force d’âme ou de caractère, la résistance à l’assaut de Valmont n’ayant pu s’appuyer ni sur des principes qui restent inefficaces (« Vous jugez bien que ça ne m’empêchait pas de lui dire toujours que non : mais je sentais bien que je ne faisais pas comme je disais »), ni sur la force d’un sentiment pourtant avoué (« non, l’idée de Danceny me met au désespoir », « dénué de tout secours étranger »). 3. L’information a d’abord été donnée par Valmont, ce qui met en valeur l’idée d’une stratégie, voire d’un complot. Lorsque Cécile écrit à la marquise, celle-ci a déjà pris de la distance avec l’événement, et développe un propos à la fois moqueur et presque moralisateur : « tous les hommes ne sont pas des Valmont ». L’ŒUVRE DANS UN GENRE 39 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 40 LA LETTRE COMME CLAUSULE ROMANESQUE (texte 15, pages 392-394) 1. L’épilogue du récit est confié à Mme de Volanges pour assurer l’unité du roman et la cohérence de l’intrigue. Ce personnage est en effet étroitement lié aux trois figures féminines principales : Mme de Tourvel dont elle est la confidente, Cécile, dont elle est la mère, Mme de Merteuil, dont elle est parente. D’autre part, par sa sensibilité et son absence de rouerie, elle apparaît dans les Liaisons dangereuses comme une force anti-libertine, même si ses efforts échouent à modifier le cours des événements. Sa posture est celle de la stabilité : conformiste, elle incarne la préservation de l’ordre social. En ce sens, lui confier le mot final permet à Laclos de proposer une lecture de l’ensemble conforme aux attentes du groupe social et partageable par un grand nombre ; ainsi la fin est-elle didactique, ce que montre la construction de la lettre : 7 paragraphes d’abord pour régler le sort des différents protagonistes (le ton est celui de l’anecdote, le propos est presque, à la manière de Mme de Sévigné, celui du chroniqueur : « les gens disent », « on croit », « on dit », « on m’a dit », « tout le monde trouva que ». Le locuteur recense les faits à travers l’opinion générale, reconstruisant de ce fait une sorte de doxa.). Puis 3 paragraphes centrés cette fois sur le destinateur (utilisant les marques de la subjectivité : « triste », « affreuse certitude », « j’éprouve », etc.) avant d’ouvrir sur un propos généralisant qui sert de leçon à l’ensemble du roman. Par ailleurs, cette lettre s’adresse à Mme de Rosemonde. En contrepoint de la figure sociale qu’est Mme de Volanges, elle est par sa sagesse, son âge, son expérience, la mesure de ses propos, la gardienne de l’ordre moral. Du point de vue de la cohérence romanesque, elle est aussi la dépositaire de l’ensemble de la correspondance qui constitue la matière du texte : elle reçoit ainsi la fin de l’histoire, en assure la clôture comme elle induit celle du livre, et légitime, par son silence – qui est le mime du secret gardé – la sanction infligée aux protagonistes. Cet échange final entre Mme de Volanges et Mme de Rosemonde figure donc le rétablissement de l’ordre social et des valeurs morales, un temps mis en danger par la stratégie destructrice des libertins. 40 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 41 2. Le sous-titre du roman invoquait « une société » et « l’instruction de quelques autres ». On retrouve cette visée didactique dans la lettre finale qui développe le champ lexical de la morale : « indignation qu’elle mérite », « pitié qu’elle inspire ». Le comportement de la marquise est blâmable et blâmé, sa punition est terrible et l’atteint à double titre ; dans sa beauté : « affreusement défigurée », « perdu un œil », « vraiment hideuse » et dans son statut : « c’est une véritable banqueroute », autrement dit dans les deux ressources qu’elle exploitait et qui constituaient son existence. Ce qui doit servir les sociétés à venir, c’est l’exemple des « dommages que peut causer une seule liaison dangereuse » et le danger des « mœurs inconséquentes ». Laclos établit donc explicitement un lien entre la moralité d’une société et sa viabilité, en mettant en scène la mort sociale de tous les dépravés : mort violente du vicomte, mort sociale de la marquise, de Cécile, de Danceny. 3. La fin du roman relève en effet du registre tragique : par le truchement de l’éviction sociale quasi définitive des protagonistes, qui est une mort symbolique générale, Laclos donne à lire le sentiment d’impuissance de l’homme confronté à une machine dont les rouages lui échappent : « une seule liaison dangereuse » suffit à faire basculer le destin d’un individu, et si les responsables – les libertins mais aussi les faibles – sont punis, les victimes n’en sont pas dédommagées : le sort de Mme de Tourvel est à ce titre exemplaire. Les deux derniers paragraphes du texte le disent : le tragique est dans l’impossibilité humaine d’anticiper l’événement par la réflexion qui est toujours « tardive », et la délibération est ici pathétique dans sa vanité ; la raison humaine est impuissante à « prévenir les malheurs » et à « nous en consoler », l’homme livré à ses passions est voué au malheur. 4. La leçon du texte a pu paraître paradoxale : dans un roman où l’on ne parle quasiment que de recherche du bonheur (voir première partie « Lire l’œuvre », p. 17, question 16), l’envolée finale laisse un goût amer de menace, à tout le moins de mise en garde : « qui pourrait ne pas frémir […] ? », « quelle mère pourrait sans trembler […] ? », la figure du destinataire recouvre aisément ici celle du lecteur, sommé de L’ŒUVRE DANS UN GENRE 41 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 42 s’interroger. Car la leçon est aussi un appel à la réflexion, à la méditation, que martèle le lexique utilisé par Laclos : « en songeant », « en y réfléchissant », « réflexions », « vérités », « raison ». Certes, les libertins de cette histoire ont été mis hors d’état de nuire, mais d’autres sont susceptibles de réapparaître, comme peut le suggérer la fuite de Mme de Merteuil, qui reste une ouverture possible sur une autre histoire. Des dangers dont il faut se garder, Laclos en retient essentiellement deux, dont on peut remarquer qu’ils guettent surtout les femmes : la séduction masculine et la mauvaise éducation des enfants, notamment des filles. 42 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 43 VERS L’ÉPREUVE ARGUMENTER, COMMENTER, RÉDIGER Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 44 GROUPEMENT DE TEXTES : JUGEMENTS CRITIQUES (page 438) Texte 16 • Charles Baudelaire Sur les Liaisons dangereuses (vers 1866) (page 438) 1. Le lexique dominant utilisé par Baudelaire est celui de la caractérisation, qui passe ici par la qualification subjective. L’abondance des adjectifs qualificatifs, tantôt appréciatifs, tantôt dépréciatifs, en témoigne et renvoie à l’intitulé des notes : « caractères ». Traditionnellement, le terme caractère désigne en littérature la description morale d’un comportement humain : derrière la singularité d’un personnage se dessinent des traits caractéristiques qui construisent l’idée d’un « type », terme que l’on retrouve deux fois sous la plume de Baudelaire. On lit dans les Principes de Littérature du jésuite Mestre, publiés en 1882 cette définition : « Le caractère est un portrait général qui peint sous un nom emprunté, dans un seul et même personnage, tous les individus atteints des mêmes défauts ou doués des mêmes qualités. Dans ce sens, le mot de caractère est plus usité au pluriel qu’au singulier. ». La qualification construit ainsi l’éloge (pour Mme de Rosemonde, Mme de Merteuil, la Présidente, et à certains égards Danceny) ou le blâme (pour Cécile et Valmont). Le registre convoqué est donc celui de l’épidictique. On peut noter aussi que l’éloge de Baudelaire s’adresse tantôt aux qualités du personnage lui-même, tantôt à l’auteur et à ses qualités de construction du caractère : « type parfait », « type simple, grandiose, attendrissant », « admirable création », « vieux pastel ». 2. Le commentaire de Baudelaire propose deux parenthèses : l’une concerne la marquise, l’autre la présidente. Réflexions à part soi d’un auteur sur le texte d’un autre, elles manifestent le regard aiguisé du spécialiste sur les choix du romancier. La première remarque approfondit l’analyse des relations entre les personnages et met l’accent sur la rivalité entre la marquise et la présidente : « jalouse », « supériorité » ; elle met en évidence l’idée qu’à travers ces deux personnages Laclos peint deux caractères 44 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 45 féminins, à la fois antagonistes et complémentaires, deux versants de la féminité. Baudelaire installe ainsi une lecture qui peut se construire sur l’idée d’un « couple » qui donne à chaque membre la même dimension : dans ce jugement, Mme de Tourvel est l’égale de Mme de Merteuil. Cette lecture couplée se retrouve dans le parallèle établi autour du personnage biblique : « La présidente, une Ève touchante. La Merteuil, une Ève satanique », qui dit en même temps la cohérence de l’une et le paradoxe de l’autre. La seconde parenthèse inscrit le roman dans une perspective sociale : en marquant l’isolement de la présidente (« seule ») dans l’univers de l’intrigue, Baudelaire établit une tension (sur laquelle il renchérit par la mention « observation importante ») qui vient doubler la rivalité psychologique en instaurant un clivage lié à des valeurs sociales, invitant le lecteur à interpréter l’opposition entre Mme de Tourvel et les autres personnages comme un conflit entre la « bourgeoisie » et l’aristocratie. 3. Dans ces ébauches de portraits, certains personnages sont caractérisés par des rapprochements intertextuels. Le premier renvoie au théâtre classique dans l’analogie établie entre la Merteuil et Tartuffe d’une part, Valmont et Don Juan de l’autre. Les deux types moliéresques convoqués éclairent les personnages de Laclos sous l’angle de l’artifice et du mensonge, mais aussi du pouvoir. Ils mettent en valeur leur dimension stratégique de manipulateurs : « femelle », « mœurs », « pouvoir », « dandysme », « feinte de la dévotion ». Ainsi, Tartuffe et Don Juan jouant dans la même « pièce », c’est un couple dynamique de roués qui orchestre le roman. La seconde référence est de nature biblique et associe la présidente à une « Ève touchante » et la marquise à une « Ève satanique ». La mention renvoie au Paradis perdu et à la faute originelle, et sa valeur symbolique est double. D’une part, la première femme est le symbole de la vie naturelle contraire à l’artifice, l’état d’avant le péché ; d’autre part, elle porte traditionnellement la responsabilité de la chute. À travers ce rapprochement, Baudelaire note l’ambivalence de la femme VERS L’ÉPREUVE 45 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 46 dans le roman, et les deux adjectifs ont une valeur différente : « touchante » relève de la réception et d’une lecture émotive du personnage, c’est une qualification subjective. « Satanique » est un jugement critique construit sur un oxymore qui souligne efficacement l’ambiguïté du personnage : la marquise est à la fois charmante, séduisante, intelligente, et diabolique et perverse. 4. Tous les caractères amorcés par Baudelaire sont intéressants à développer. On pourra par exemple suggérer le développement du portrait de la marquise en l’organisant selon deux axes : I. Un personnage intelligent et compétent – « Excelle aux portraits » – voir lettres 2, 5,10, 81 ou 38. – « Toujours supérieure à Valmont, et elle le prouve » (voir en particulier la « guerre déclarée » en quatrième partie). – « Elle a d’ailleurs du bon sens et de l’esprit » (« Ce que la Merteuil dit des vieilles femmes »). II. Un personnage libertin – Elle est « jalouse de Mme de Tourvel » : la rivalité, sa posture face à la présidente, sa conception du « couple ». – « Tartuffe femelle. Tartuffe de mœurs. Tartuffe du XVIIIe siècle » (voir par exemple lettre 104). – « Une Ève satanique » : l’ambivalence du personnage. TEXTE 17 • André Malraux « Préface » in Laclos, Les Liaisons dangereuses (1939) (page 439) 1. Le champ lexical dominant est ici celui de la réflexion : « lucides », « prémédités », « idée », « intelligence », « idée », « pensent », « déterminés », « idéologie ». Malraux invite à lire Les Liaisons dangereuses comme le roman de la Raison (en ce qu’elle est une maîtrise des passions), la mise en œuvre d’un projet. 2. Avant d’être l’ensemble des idées et des croyances d’un groupe humain, l’idéologie désigne l’étude des mécanismes logiques de la pensée. À ce titre, on peut dire que Valmont et Merteuil ont une vision globale de la société dans laquelle ils évoluent. Ils connaissent et ont étudié : 46 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 47 – Les rouages sociaux, les codes qu’ils utilisent à leur profit en les détournant (voir par exemple le gain que Valmont tire auprès de la présidente de sa mise en scène avec les pauvres, lettre 21.) – Les méandres de l’âme humaine : ils savent ainsi manœuvrer par le langage une « prude sensible, une innocente, une sotte, un naïf ». – L’idéologie implique aussi l’idée de système, et l’on voit comment, lorsque la règle du jeu n’est pas respectée, l’ensemble se met à dysfonctionner. 3. Ce roman peut être lu comme celui de la préméditation à travers quelques arguments dont on peut retenir : – Le fait que l’intrigue initiale, celle qui motive le récit rapporté par le roman repose sur une stratégie de manipulation. – Le constat que chacun des actes assumés par le couple libertin est pensé et ne laisse aucune place à la spontanéité. – L’intention manifestée explicitement de faire le mal et de détruire les équilibres avérés ou potentiels : mariage d’intérêt ou sentiment partagé. TEXTE 18 • Roger Vailland, Laclos par lui-même (1953) (page 439) 1. Le champ lexical : « ennemi de classe », « bourgeoisie », « classe montante », « aristocratie », « classe privilégiée », auquel on peut ajouter le procédé de généralisation : « des Valmont », invite à une lecture sociale, voire politique du roman. Il donne au récit de Laclos une dynamique fondée sur le conflit de pouvoirs (économique et politique) dont le conflit moral ne serait que l’expression littéraire. 2. À la lecture du jugement de Vailland, on peut être tenté de faire du roman un texte contestataire. La vision d’après-guerre a favorisé l’association entre le libertinage du XVIIIe siècle et la liberté ; de là à promouvoir le roman de Laclos et la peinture qu’il fait de la société dépravée d’Ancien régime en précurseur de la contestation sociale, il n’y avait qu’un pas que Baudelaire, après Tilly, a amorcé, et l’on s’est plu à lire le plaidoyer de Mme de Merteuil comme un manifeste féministe. Certes, Les Liaisons dangereuses soulèvent le problème de l’éducation des VERS L’ÉPREUVE 47 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:15 Page 48 femmes et de leur soumission à un ordre social qui ne leur est pas toujours favorable, loin s’en faut ; certes, Laclos moque avec brio un microcosme où s’épanouit un égoïsme social caricatural ; certes la leçon du roman est sévère pour ces aristocrates trop sûrs de leurs prérogatives. Cependant, faire du chef-d’œuvre de cet officier d’artillerie une « bombe destinée à servir d’arme à la bourgeoisie […] contre l’aristocratie […] » est une opération discutable et anachronique. La « bourgeoisie » de Mme de Tourvel n’a rien à voir avec celle qui connaîtra une ascension fulgurante après la révolution : un président au Parlement de Paris a une importance au moins égale, socialement parlant, à celle d’un petit vicomte qui évolue dans une sphère au final assez marginale : la seule incursion de Valmont à la cour est rapportée à la lettre 53 où il compte présenter Danceny. Mais le roman ne manifeste pas de conflit entre la « classe » des Merteuil et Valmont et celle des « Tourvel », dont le mariage a du reste été arrangé par Mme de Volanges, montrant ainsi davantage la complicité et le pied d’égalité que l’antagonisme social. Si l’on ne peut nier l’intérêt documentaire que présente, pour la compréhension de la société, un roman paru sept ans avant la révolution, rien n’autorise cependant à en faire une œuvre révolutionnaire. TEXTE 19 • Jean Rousset Forme et signification (1963) (page 440) 1. Le jugement de Rousset part du constat que Valmont et Mme de Merteuil, seuls, ont accès par détournement de la correspondance à des connaissances supérieures à celles des autres protagonistes. C’est ce savoir qui les met en position de « metteur en scène » de l’intrigue : « tout savoir » = « tout prévoir, tout conduire ». Acteurs, ils sont donc aussi lecteurs du roman ; c’est par cette posture que s’établit l’analogie entre les deux personnages et la figure réelle du lecteur du roman. Celle-ci, complice à la fois de leur écriture et de leur lecture, se trouve alors de connivence avec le couple libertin dans les intentions duquel il a les moyens d’entrer. 2. La thèse de Rousset pourrait se formuler ainsi : le lecteur des Liaisons dangereuses se trouve, par la posture que Laclos offre à ses roués d’être lecteurs en même temps que le lecteur, pris dans un 48 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:15 Page 49 phénomène d’adhésion permanente avec le couple libertin qui le rend complice de toutes les malversations commises. 3. L’idée de la complicité entre le lecteur et le couple libertin repose sur leur position identique de « lecteurs ». Tout roman met en jeu les processus d’identification ; dans un roman par lettres, ce phénomène est aiguisé par le fait que l’auteur, déléguant la parole à ses personnages en permanence, s’efface et rompt l’éventuelle adéquation auteur/personnage, renforçant du même coup celle personnage/lecteur. La dynamique de la lecture est donc modifiée. Dans les Liaisons dangereuses, le lecteur ne cherche pas Laclos, mais se trouve emporté dans une logique d’empathie avec ceux des personnages qui affirment le plus souvent leur « existence » par la prise en charge du récit, à savoir le couple Valmont/Merteuil. On peut donc justifier cette idée par les arguments suivants : – l’effacement de la voix de l’auteur au profit de celle du couple qui facilite une identification complète ; – l’absence de commentaire auctorial établit « l’égalité » dont parle Rousset et autorise une forme de mimétisme par laquelle le lecteur peut, sans risque d’être jugé, se projeter dans les désirs et attentes des libertins, ne fussent-ils pas guidés par une « bonne intention » ; – la complicité est encore facilitée par le procédé de la mise en abîme : la lettre et sa double énonciation voient l’effet de réel (qui est ici un leurre) amplifié par la situation de couple des deux libertins ; les deux figures renchérissent l’une sur l’autre, malgré leurs différences, et construisent un discours d’autant plus crédible qu’il est doublement validé. Mais cette complicité est cependant démentie par la dynamique contradictoire établie par la polyphonie du texte : face au couple libertin se font entendre la voix de la sagesse (Mme de Rosemonde), ou de la vertu (Mme de Tourvel), voire de la bienséance sociale (Mme de Volanges). La fin du roman enfin – plus exactement l’enchaînement décrit dans la quatrième partie – invite à la rupture de cette connivence. S’il y a identification très forte, la perspective tragique dans laquelle s’inscrit le dénouement suppose une séparation brutale entre VERS L’ÉPREUVE 49 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 50 le personnage et le lecteur, ce que disent explicitement les deux derniers paragraphes du roman. UN TEXTE ARGUMENTATIF DE LACLOS TEXTE 20 • Choderlos de Laclos De l’éducation des femmes (1783) (page 440) La progression argumentative 1. Du début du texte à « utilité », Laclos développe l’idée selon laquelle on enseigne traditionnellement la conduite morale et sociale à travers le modèle des personnages historiques. Or le lecteur – et a fortiori le lecteur féminin – n’y reconnaît ni son quotidien, ni ses interrogations. L’inefficacité de cette lecture est implicitement exprimée. Au contraire, la lecture du roman est utile : la vie qui y est peinte permet au lecteur de se retrouver dans les personnages et d’en tirer des leçons profitables. Par l’effet de réel il est un modèle d’identification crédible. 2. Le roman comme le théâtre sont donc utiles ou dangereux, selon que leur lecture satisfait ou non à l’une des deux conditions suivantes : – « l’adresse du guide », c’est-à-dire la moralité et le projet « éducatif » du romancier ; – « le bon esprit de la personne qui lit », c’est-à-dire la nature honnête et non dépravée ou perverse du lecteur. L’un de ces points étant satisfait, il reste à exclure la littérature complaisante aux mœurs légères pour elles-mêmes et non en vue de leur dénonciation. 3. et 4. Dans cet extrait, Laclos utilise un raisonnement par déduction : – Il propose d’abord une thèse, selon laquelle d’un point de vue éducatif, la lecture de l’Histoire est insuffisante, celle du roman nécessaire. Perspective générale (l. 1 à 10). – Il spécifie ensuite son point de vue en le rapportant au cas particulier d’une jeune personne. Spécification de sexe et d’âge (l. 10 à 12). 50 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 51 – Il illustre son propos par l’exemple de la lecture du roman de Richardson, Clarisse Harlowe (l. 12 à 27). – Il élargit son propos à d’autres œuvres de fiction pour déterminer les conditions de validité de son exposé (l. 27 à 35). L’articulation des données argumentatives 1. Ce passage est une illustration de la thèse proposée, il a dans l’ensemble de l’argumentation valeur d’exemple. 2. « respecter », « faute », « séducteur », « craindre », « crainte », « mépris », « dangereuse », « avantages naturels », « vertus », « innocente », « raisonnable », « malheurs », « victime » : le champ lexical est celui de la morale et donne au propos une valeur didactique. 3. Ce passage est construit sur une comparaison qui oppose deux lectures (deux « explications de texte ») du roman de Richardson, articulées autour du « mais ». Chacune de ces lectures est présentée sous la forme d’un syllogisme, construit sur l’enchaînement logique des idées, dont la majeure est identique et la mineure différente : • Première lecture : une lecture dangereuse 1. Clarisse est une héroïne estimable et respectable (valorisation du modèle). 2. Mais elle commet une faute (autorisation). 3. Donc, on peut être estimable et respectable et commettre impunément une faute. • Deuxième lecture : une lecture utile 1. Clarisse est une héroïne estimable et respectable (valorisation du modèle). 2. Mais sa désobéissance, malgré son « bon naturel » l’entraîne inéluctablement au malheur (mise en garde). 3. Donc, il ne faut pas désobéir (lecture utile). On peut noter que la conclusion du second raisonnement étant implicite, on a affaire à un enthymême. 4. Les éléments qui relèvent de la tentative de persuasion sont ceux qui expriment l’admiration pour le roman et l’héroïne : ils légitiment le VERS L’ÉPREUVE 51 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 52 succès du texte de Richardson et autorisent sa lecture en lui donnant une finalité morale, à une époque où la lecture romanesque est considérée avec suspicion (vocabulaire subjectif). Ceux qui relèvent de l’entreprise de conviction tiennent à la démarche adoptée par l’auteur : le raisonnement déductif construit sur deux syllogismes est propre à convaincre en ce que l’analogie y est immédiatement saisissable. L’interprétation du texte 5. La première lecture du roman de Richardson est littérale : la désobéissance de Clarisse peut être comprise comme une invite à la rébellion. L’identification au personnage se fait alors dans l’image valorisante du geste que semble autoriser la fiction. La seconde est une lecture interprétative dont la portée est moralisatrice : il s’agit de montrer que le roman met en œuvre une logique inéluctable dont le personnage initialement innocent sera la victime. L’explication proposée par Laclos de la logique des événements romanesques met en évidence le rôle de la correspondance dans les dangers encourus par Clarisse : elle s’est « permis une seule démarche contre la volonté de ses parents (celle de porter au bûcher sa réponse à Lovelace) » : accepter une correspondance est le premier des actes qui instaurent une « liaison dangereuse ». Cette imprudence lui sera fatale, et dans son roman, Laclos place la même crainte sous la plume de Mme de Tourvel, qui, dans la lettre 26, manifeste par trois fois sa méfiance sur ce type de relation : « Sûrement, monsieur, vous n’auriez eu aucune lettre de moi », « vous ne vous seriez pas cru autorisé à m’écrire une lettre que je ne devais pas lire », « je joins à cette lettre celle que vous m’avez écrite, et j’espère que vous voudrez bien de même me remettre celle-ci ; je serais vraiment peinée qu’il restât aucune trace d’un événement qui n’eût jamais dû exister. » Les premières « liaisons dangereuses » sont donc les « liaisons épistolaires ». 6. Laclos confère ici au roman un rôle éducatif : en peignant avec réalisme des situations périlleuses, il permet par le phénomène 52 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 53 d’identification d’inspirer la crainte et de prendre conscience des dangers qui menacent l’innocence. Il est ainsi porteur d’une morale, en ce qu’il propose une leçon qui sert les intérêts de la société, ce que confirme l’épilogue des Liaisons Dangereuses, dont les protagonistes, innocents ou responsables subissent tous un châtiment qui les exclut de l’échiquier social. La fonction du roman est ici didactique. 7. On pourrait proposer comme titre à cet extrait, qui mette l’accent sur la thèse développée par Laclos : « De l’utilité du roman quand il est bien lu ». SUJETS (page 442) INVENTION ARGUMENTATION (page 442) Sujet 1 On pourra retenir comme consigne d’écriture les marques de la lettre, notamment énonciatives, en prenant en compte le respect de la figure du destinataire : l’auteur du roman. Il conviendrait également que la production présente à un moment de son développement un récapitulatif des éléments qui construisent la fin qu’il s’agit de contester : situation finale des protagonistes, rôle de la dernière lettre et des personnages qui en assument écriture et lecture. Les éléments de contestation possibles pourraient être le choix d’une fin tragique et le sens moral et social qu’elle implique, et les ouvertures laissées par le texte qui propose une injustice : la fuite de Mme de Merteuil, même défigurée et ruinée en regard de la mort de Mme de Tourvel par exemple. Exemple de pistes pour une autre fin : – La vengeance de l’une des victimes, qui modifie l’enchaînement inéluctable. – L’intrusion d’un élément lié au hasard, qui remette en cause la responsabilité des libertins. – L’écriture d’une lettre coup de théâtre. VERS L’ÉPREUVE 53 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 54 Sujet 2 La rédaction du monologue passe par l’emploi de la première personne, et la conformité à la délibération implique un propos qui s’interroge sur la conduite à tenir, manifeste incertitude et hésitation, expose une alternative avec les conséquences potentielles des choix. Il est important que l’ensemble respecte la décision finale : le retrait au couvent et que celui-ci soit logiquement préparé par le développement. On pourra aussi valoriser les productions qui respectent les aspects étudiés du personnage : le tempérament faible, spontané, émotif de Cécile, et son expression par le style. L’ensemble du monologue pourra s’appuyer sur les expériences vécues qui motiveront le choix final : l’amour pour Danceny, sincère mais fragile, la relation avec Valmont, la grossesse et la conscience de la trahison, la manipulation de la marquise qui se présente sous le visage de l’amie bonne conseillère, le rôle de la mère, bonne mais incompétente. Sujet 3 Les consignes d’écriture impliquent le passage du récit au dialogue ; la production devra donc comporter la formulation de répliques et insérer en didascalies des jeux de scène, et l’expression des sentiments ou choix d’attitude. De nombreuses « scènes » sont ainsi exploitables dans le roman, en voici quelques exemples : – Lettre 10 : la marquise et Belleroche (de « ce même jour » à la fin de la lettre). – Lettre 21 : la générosité intéressée de Valmont (à mettre éventuellement en parallèle avec la scène du pauvre dans Dom Juan de Molière). – Lettre 85 : l’humiliation de Prévan. – Lettre 125 : la victoire de Valmont sur la Présidente (de « il était six heures du soir » à « m’en distraire »). – Lettre 165 : la mort de Mme de Tourvel. 54 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 55 Sujet 4 Il s’agit ici de construire un texte à charge contre le roman : la production devra donc utiliser le registre épidictique relevant du blâme. Suggestion d’arguments à retenir : – L’immoralité de conduite des personnages/plus largement de la société peinte dans le roman. – Le soupçon porté sur la sincérité de l’échange épistolaire. – L’incitation à la débauche occasionnée par la peinture du vice (valeur suggestive). – L’image dévalorisante de la femme, de l’homme, de la notion de couple (remise en cause de l’institution du mariage). – Le recours au blasphème et la désacralisation. COMMENTAIRES (page 443) Sujet 5 Texte 21 • Lettre 9, madame de Volanges à la présidente de Tourvel (pages 28-30) Réponses aux questions 1. Les champs lexicaux qui interviennent dans la construction du portrait du vicomte sont celui du calcul « rare candeur/candeur […] rare », « encore plus faux », « sans avoir un projet », « sa conduite est le résultat de ses principes », « il sait calculer », « de la cruauté », « dangereux », « horreurs », « cruel », « méchant », « frémir », de la séduction « victimes », « séduites », « perdues », « scandaleuses aventures », « rendu ses soins ». Au total, le portrait brossé par Mme de Volanges est celui d’un homme dangereux et pervers dont la réputation n’est pas usurpée. 2. Pour mettre en garde la présidente de Tourvel, Mme de Volanges ne ménage pas sa peine et a recours à de nombreux procédés rhétoriques : les hyperboles « mille autres », anaphores, gradations « Je ne m’arrête pas à compter celles qu’il a séduites : mais combien n’en a-t-il pas perdues ? », procédés d’insistance (répétition du terme « jamais ») abondent dans cette lettre dont l’objectif est de convaincre la destinataire du danger encouru. VERS L’ÉPREUVE 55 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 56 3. Le premier paragraphe est introductif et motive la réponse. Le second est consacré à la peinture du personnage de Valmont, le troisième à sa conduite avec les femmes, le quatrième à l’exposé de conseils qu’autorisent « l’âge, l’expérience et l’amitié », et le dernier à renouer avec le cours du récit (le mariage de Cécile). La lettre de Mme de Volanges est donc organisée selon une logique démonstrative. Elle pose d’abord l’idée qu’elle va défendre : Mme de Tourvel et Valmont n’ont rien à partager ; puis elle se justifie : ce personnage est vil et dangereux parce qu’agent malfaisant, et toutes les femmes qu’il côtoie sont en danger, à plus forte raison une « âme pure » comme la présidente. Dans un dernier temps, elle donne son avis sur la conduite à suivre : le salut pour Mme de Tourvel est dans la fuite immédiate. 4. Cette lettre est donc avant tout un exemple de la fonction argumentative de la lettre. Mais elle assure aussi une fonction narrative : en laissant à la plume de Mme de Volanges le soin de noircir au plus haut point ce portrait, Laclos justifie la réponse de Mme de Tourvel qui ne peut, devant la subjectivité que manifeste l’épistolière, que prendre la défense de Valmont dans un plaidoyer éloquent (lettre 11). Quelques pistes pour l’élaboration du commentaire I. Le portrait de Valmont – Un portrait sévère. – Un portrait séduisant. – Le portrait du libertin. II. Une lettre ambiguë – Une démonstration d’amitié. – Une lettre plus suggestive que convaincante (rôle de la subjectivité du destinateur). – Une lettre charnière : conseils et conséquences. 56 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 57 Sujet 6 Texte 22 • Lettre 52, le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel (pages 112-114) Réponses aux questions 1. Dans le premier paragraphe dominent des phrases interrogatives qui sont autant de questions rhétoriques. Dans ce développement, Valmont cherche, en se peignant sous les traits de la victime (« languissant », « condamné », « tourments », « douloureux », « trouble », « amertume »), à culpabiliser Mme de Tourvel en la harcelant d’un feu de questions enchaînées. 2. Dans le troisième paragraphe, l’énonciation met en évidence le rôle du « vous », c’est-à-dire du destinataire, par sa répétition qui confine au martèlement. Cette adresse est associée à des verbes qui expriment le pouvoir et l’erreur de jugement : « forcer », « chercher des torts », « vous vous plaisez », « vous y joignez un persiflage cruel », « vous ne croyez », alors que le « je » s’attache à la sincérité, au sentiment : « je consacre », « je vous ai fait l’aveu », « je ne vous demande », « je consens », « j’en gémirai ». Dans ce passage, Valmont tente de persuader la présidente qu’il a changé et qu’elle le juge sur une réputation plus que sur des faits : c’est une forme d’accusation qu’il exprime contre elle pour présenter son propre plaidoyer. 3. Le sentiment amoureux est peint de deux façons dans cette lettre : d’une part Valmont retranscrit le trouble qu’il entraîne « languissant », « privations », « regrets », « tourments », « pleurs », « sacrifices », « maux », « pénibles » et d’autre part, il en expose les bonheurs « amitié tendre », « douce confiance », « peines adoucies », « plaisirs augmentés », « espoirs enchanteurs », « souvenirs délicieux ». Après s’être posé en victime de la « cruelle indifférence », le vicomte parle ici le langage de la tentation, utilisant le double procédé de l’hyperbole et de l’accumulation, sensé mimer l’émotion ; il adopte le style propre à attendrir la femme de cœur sensible qu’est sa correspondante. 4. Pour persuader la présidente, Valmont doit la convaincre qu’il est victime de sa réputation et du regard qu’elle pose sur lui ; il ne niera VERS L’ÉPREUVE 57 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 58 donc pas, mais arguera de circonstances atténuantes (§ 5, 6, 7) pour faire prévaloir sa bonne foi ; c’est donc sur les valeurs de cœur qu’il mise, cherchant par une peinture pathétique de son histoire à provoquer l’attendrissement de la jeune femme. Il ne néglige pas non plus d’en appeler à son sens moral (!) : « devoir », « exemple », « punir », « constance », « honteux », « méprisables », « âme », « vertu ». Le plaidoyer débouchera sur l’aveu qu’il est « un homme délicat et sensible », et qu’il lui est également impossible « et de ne pas [l’]aimer, et d’en aimer une autre ». Quelques pistes pour l’élaboration du commentaire I. Une lettre plaidoyer – La position de victime. – L’accusation de l’autre. – La stratégie de persuasion (appel au sentiment). II. La stratégie d’un libertin – Le langage de la tentation. – La caricature du lyrisme amoureux. – La séduction de l’entreprise. Sujet 7 Texte 23 • Lettre 104, la marquise de Merteuil à madame de Volanges (pages 242-246) Réponses aux questions 1. Cette très longue lettre est composée de 14 paragraphes. Dans un premier temps, Mme de Merteuil pose la correspondance sur le ton de l’amitié et, de façon concessive, justifie son intervention dans l’affaire du mariage de Cécile (§ 1 et 2) ; suit un panégyrique de la conduite vertueuse qui doit être celle de la mère, fait de considérations générales, et placé sous le signe de la sagesse (§ 3, 4, 5 et 6). Elle aborde ensuite le cas particulier de Cécile et le choix à faire entre Danceny et Gercourt (§ 7 à 11) : le début est consacré aux mérites respectifs de chacun (fortune, § 7 ; qualités personnelles, § 8) ; puis vient l’exposé des risques de la passion (une prolepse 58 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 59 imaginaire, § 9, anticipant les regrets de Cécile ; l’illusion et les dangers de l’accord entre passion et mariage, § 10 et 11). Dans les § 12 et 13, Mme de Merteuil plaide en faveur du mariage de raison, et le dernier est conclusif, invitant Mme de Volanges à répondre en cas de désaccord. Cette lettre est une entreprise de manipulation très bien montée : en faisant appel d’abord à l’amitié, puis à la sagesse, puis à l’opinion commune avec une affectation d’objectivité, la marquise rassure l’inquiétude de la mère sur le mode du raisonnement (appel au bon sens). Dans un second temps (à partir du § 9), c’est une entreprise de persuasion : Mme de Merteuil peint l’avenir malheureux d’une Cécile mal conseillée, avec des procédés qui visent à toucher la mère sensible. Ainsi, qu’elle fasse appel à sa raison ou à son cœur, Mme de Volanges ne peut que se ranger à l’avis de sa correspondante : Cécile doit épouser Gercourt. 2. Le paragraphe 9 est construit sur le procédé de la prosopopée. En faisant parler Cécile, en anticipant son discours au moment de la désillusion, la marquise rend sensible à la mère indécise les conséquences funestes d’un choix guidé par la faiblesse maternelle. Les termes mis dans la bouche de la jeune fille contribuent à effrayer la mère : « séduite », « erreur », « malheur », « folle », de même que le reproche qu’ils contiennent de n’avoir pas été bonne conseillère : « pourquoi donc, oubliant votre prudence, avez-vous consenti à mon malheur ? ». La responsabilité de la mère est ici mise en pleine lumière, et l’on pourra remarquer que la marquise se garde bien du même exposé éloquent concernant l’union avec Gercourt. 3. Ce discours permet aisément de faire un portrait psychologique du destinataire. On connaît le point de vue de la marquise sur cette question : on écrit pour l’autre et non pour soi, et on peut donc miser sur le fait qu’elle mette en pratique les conseils qu’elle a prodigués. Dans cette lettre, Mme de Merteuil s’adresse à Mme de Volanges en mettant l’accent sur les arguments propres à la convaincre : la morale sociale et la sensibilité maternelle. VERS L’ÉPREUVE 59 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 60 Quelques pistes pour l’élaboration du commentaire I. L’art épistolaire de Mme de Merteuil – L’organisation de la lettre. – La variation des registres. – Une entreprise argumentative. II. Une lettre piège – L’art de la manipulation. – La prise en compte du destinataire. – La prise en charge abusive de la décision. Sujet 8 Texte 24 • Lettre 161, la présidente de Tourvel à… (pages 368-370) Réponses aux questions 1. L’énonciation brouillée de la lettre en signale le dysfonctionnement. On peut d’abord remarquer l’absence nominative du destinataire dans l’adresse ; puis cette absence se mue en omniprésence mal définie sur le mode de l’impératif : le « tu » semble recouvrer dans un premier temps Valmont (§ 1), puis le président de Tourvel (§ 3) alors que la figure du vicomte s’éloigne pour devenir un « il » (§ 3 et 4). Ensuite, la confusion du propos fait se superposer derrière le destinataire les figures de Valmont et de Dieu, puis du diable. L’extrême délire qui saisit ici la locutrice permet à Laclos une certaine ambiguïté sur son interlocuteur : dans cette lettre de folie, la présidente retrouve les personnages importants de son existence : le vicomte, son époux, ses amies, Dieu et le diable. 2. La ponctuation et le rythme des phrases dans cette lettre sont ceux de la très grande émotion : interrogations, exclamations, injonctions. Ils n’empêchent pas cependant le lyrisme qui se traduit par l’emploi de figures éloquentes : anaphores invocatives « toi » (§ 3), « oh », « où sont », et images « ce séjour de ténèbres », « ensevelir », « elle corrode le cœur qui la distille ». 3. Les champs lexicaux dominants sont ceux du sentiment « haine », « mépris », « amour », « pleurer », « pitié » et de la désespérance, 60 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 61 ainsi que celui de la morale « dégradée », « avili », « criminelle », « faute », « punir », « remords », etc. Ils donnent à la lettre une visée moralisatrice, montrant les égarements et la perte de repères qu’entraîne la passion. 4. Le texte est tour à tour accusateur, éploré, résigné, inquiet, menaçant. Les registres sont variés : lyrique, polémique, pathétique, délibératif se relayent, mais l’ensemble, en disant l’impuissance de l’homme à comprendre le sens de sa vie, le vain combat qu’il mène contre un sort qui s’acharne, relève bien du registre tragique. Quelques pistes pour l’élaboration du commentaire I. L’expression du délire – Le dysfonctionnement de l’énonciation. – Les marques de l’émotion et de la folie. – La figure perdue du destinateur. II. Une lettre symbole – L’expression de la sensibilité et de ses dangers. – La perte des repères. – Le début de la tragédie. VERS L’ÉPREUVE 61 Liaisons dangereuses•mep prof DISSERTATIONS 15/10/02 10:11 Page 62 (page 445) Sujet 9 Suggestion de plan I. L’écriture épistolaire ou l’expression de l’authenticité – Une situation énonciative privilégiée. (Centrée sur le « je », elle suppose l’implication du destinateur dans un sentiment ou une cause ; destinée au « vous », elle est à la recherche d’une clarté d’exposé). – L’absence du destinataire comme facteur favorable à l’expansion lyrique. – La prise en compte du passé, du présent et de l’avenir dans la simultanéité. II. L’écriture du soupçon – L’écriture du différé. – Le travail du style. – Le poids de l’inconscient (même dans la spontanéité, les mots sont choisis). III. Entre explicite et implicite : le rôle du lecteur – L’adaptation au destinataire. – L’illusion de la fusion : lit-on ce qui nous est écrit ? – La place du non-dit. Sujet 10 Suggestion de plan I. Un pacte de lecture particulier – La double énonciation. – L’absence de l’auteur. – La complicité avec les personnages. II. La manipulation du lecteur – Les choix de l’auteur dans les procédés d’adhésion. – L’illusoire liberté d’interprétation. – Les fausses pistes. 62 LES LIAISONS DANGEREUSES Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 63 III. La richesse didactique du roman épistolaire – Une lecture par recoupement. – Une lecture dans les marges du texte (rôle du temps hors lettres). – L’ouverture interprétative. Sujet 11 Suggestion de plan I. Les conditions privilégiées de l’expression polémique – Les ressources de l’éloquence (rôle des registres et des styles). – La possibilité de l’exposé argumenté de l’opinion. – Le rôle du masque (fictions, utopies). II. Une facilité qui ne favorise pas le débat constructif – L’absence du contradicteur. – L’auto-persuasion. – Le manque de dynamisme dans le débat (le dialogue favorise davantage l’enchaînement des arguments). Conclusion : une vision pertinente mais réductrice de la fonction de l’écriture épistolaire. Sujet 12 Suggestion de plan I. Le lieu privilégié de l’analyse intérieure – Une écriture à la première personne. – Une écriture libérée de la contrainte du temps : écriture et réécriture. – Une écriture de la réflexion. II. Une écriture à destination explicite – La mise en scène du « moi » avec l’autre. – La relation du « moi » au monde. – La reconstruction du « moi » par l’écriture. Conclusion : une écriture aux marges de l’autobiographie ; similitudes et différences avec l’autobiographie. VERS L’ÉPREUVE 63 Liaisons dangereuses•mep prof 15/10/02 10:11 Page 64 Imprimé en France par EMD s.a.s. - 53110 Lassay-les-Châteaux - N° 10082 - DL n° 28813 - Avril 2005