Fabrice Hyber, artiste - Musée des Beaux

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Fabrice Hyber, artiste - Musée des Beaux
Fabrice Hyber, artiste1
Ma toute première expérience dans un musée était ici, au musée des Beaux-Arts de Nantes,
en 1992, dans la salle Blanche. J'avais présenté le Programme d'entreprise indéterminée, qui
appartient maintenant au Frac Pays de la Loire. Cette expérience m’avait permis de produire
cette pièce, de la finir et de la montrer au public. Ensuite, très vite, j'ai eu des expositions : au
Creux de l'Enfer à Thiers et à La Criée à Rennes. Et j'ai participé à une exposition collective
au musée de Gand organisée par Bart De Baere : This is the show and the show is many
things. L'idée était de rester au milieu de l'exposition pendant deux mois, le temps des
grandes vacances, pour pouvoir travailler sur le lieu et la collection en même temps. Pour
moi, c'était un peu les Vacances de Monsieur Hulot et j'ai donc imaginé faire une réplique des
Vacances de Monsieur Hulot à l'entrée du musée : on entendait le même bruit de porte à
chaque fois qu'une personne entrait. C'était une sorte de critique de cette exposition : on était
obligés d'être en vacances dans le musée. L'installation faisait 10% en plus de la taille réelle
du décor du film, ce qui permettait d'être légèrement hors échelle. J'étais aussi évidemment
confronté à la collection du musée où avaient lieu nos réunions. Je me suis donc interrogé
sur mon rôle. On avait imaginé, avec Bart De Baere, que mes œuvres acquises par le musée
pouvaient être liées à un protocole permettant, par la suite, de savoir si on pouvait les refaire
ou les restaurer. Ce fut un apprentissage et des expérimentations très importantes pour la
suite de mon travail. J’ai ainsi développé ensuite les POF – Prototypes d'Objets en
Fonctionnement – qui sont des objets à tester dans les expositions.
Plus tard, j’ai exposé au musée d'Art moderne de la Ville de Paris que j'avais transformé en
Hybermarché. Pour moi, la fonction d'exposition d’un lieu n'est pas forcément définitive. S'il y
a une crise, un dictateur, une révolution, ce lieu peut être transformé en dortoir ou en
supermarché. Je pensais aussi à l’importance du commerce dans la société occidentale. J'ai
réussi à convaincre les instances municipales de m'autoriser à vendre des œuvres pendant
l'exposition. La condition était qu’il n’y ait pas de plus-value artistique, les œuvres étaient
donc vendues au prix de la production. Parallèlement, j'étais enseignant à l'université de
Lüneburg en Allemagne, et pour préparer cette exposition j'avais développé tout un travail sur
l'économie de l'art avec le kunstraum (espace d'art). Les étudiants avaient répertorié dans
mes dessins tous les objets qui pouvaient être produits par des entreprises, et dans les
entreprises on avait cherché des objets ressemblants. Je suis entré en contact avec des
vendeurs de chez Casino et qui m'ont expliqué que le meilleur endroit pour vendre dans les
supermarchés est sur les tables parce qu'elles sont au niveau du ventre. J'ai donc décidé de
faire toute l'exposition sur des tables. Pour le budget de l'exposition, j'ai proposé au musée
qu'il produise les tables, et en échange je donnais des œuvres. Toute l’organisation de
l'exposition était liée à la production des objets, et j'échangeais la production des tables
contre le don d’œuvres. Pendant toute la durée de l'exposition, je dessinais sous les tables et
rectifiais les dessins dessus pour retrouver l'idée originelle de mes dessins initiaux. Les
Dessous de table sont une partie de l'exposition que très peu de personnes ont vue.
Par la suite j'ai exposé au CAPC à Bordeaux en amenant des décors de cinéma – par
exemple des grandes photographies que les artistes ne voient pas – présentés dans la
pénombre, seules les sorties de secours éclairaient l'image représentée dans ces décors. Il
s'agissait d'un décor pour un film dont le scénario était un artiste à Paris qui montait un
commerce de chaussures et de fauteuils entre les pays arabes et l'Europe. L’idée était que
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Site officiel de l’artiste : www.hyber.tv
face à un écran, on peut s'asseoir, d’où les fauteuils, mais il ne faut pas oublier d'aller en voir
un autre et de se déplacer, d'où les chaussures. Je travaillais beaucoup avec Hans Ulrich
Obrist à cette époque, et on a développé un projet de voyages dans les pays marqués par
l'Islam, avec l'idée que le seul moyen d'échanger avec eux n'était pas par le biais de
l'université ou de l'art mais par le biais du commerce. Parallèlement il y avait un story-board
de cinquante mètres de long, avec une centaine de dessins qui retranscrivaient un scénario
impossible, ou multi-scénario, permettant de retranscrire une pensée, une fluidité, car je
pense que notre pensée n'est pas linéaire mais qu'elle va justement dans tous les sens.
J'avais aussi exposé une peinture homéopathique qui reprend le principe d'une pensée
rhizomatique. Pour cela j'ai fait créer une résine, l'époxy hyberélastique (HE), dont la
première édition posait des problèmes de restauration, plus maintenant. Le musée de Gand a
acheté le projet d'un démolisseur de murs de maison accroché à l'intérieur de la maison,
donc s'il détruit la maison, il se détruit lui-même. Cette sculpture peut-être rééditée, c'est le
musée de Gand qui possède le moule, le problème étant que le moule est en élastomère
donc il s'est délité et il faut refaire des moules. Le monde est mal moulé. Les expositions sont
des moments d'expérience qui ont leur limite.
Dernièrement, à l'occasion de l'exposition Je sème, dans un musée privé de Tokyo, je me
suis aperçu qu'en ville on ne sait pas d'où viennent les plantes ou la nourriture et que des
morceaux de tomates sont vendus sous cellophane. Je me suis dit qu'il serait bien de montrer
d'où vient l'accès à la nourriture. Sur une parcelle d'un kilomètre carré, j'ai semé sur tous les
endroits où il y a de la terre, jusque entre des immeubles démolis par exemple. J'ai planté des
jardins de légumes et de fruits pendant environ 6 mois. Cela a donné une sorte de relative
excitation autour du projet qui tombait pile au moment de l'affaire des empoisonnements de
produits congelés arrivant de Chine. Beaucoup de médias se sont donc intéressés au projet
et l'empereur est venu avec l'un de ces fils. Dans le musée, j'avais planté un petit jardin
d'herbes avec un chemin, comme une raie dans les cheveux, et une petite brise pour me
remémorer la brise d'été dans les champs en France. L'année suivante, on trouvait des petits
kits dans les supermarchés de Tokyo avec des images des jardins et des graines à semer :
une entreprise avait repris cela à son compte.
Christian Besson : De toutes ces expériences, quelles ont été tes relations avec les musées
qui t'ont accueilli ? Comment as-tu réalisé tes productions ? Avec quels moyens financiers,
quelles facilités et quelles difficultés relationnelles ?
Fabrice Hyber : Au moment de l'exposition au musée d'Art moderne de la Ville de Paris,
c'était un peu compliqué parce qu'il fallait avoir l'autorisation de vendre. Une fois cette
autorisation passée, c'était un moment de grâce. On a réussi à faire quelque chose
d'impressionnant. L'artiste est là pour donner des nouvelles limites par des expériences et
pouvoir imaginer que rien n'est jamais définitif. La collection permanente d'un musée est très
importante pour une ville et une vie sociale. Quand j'étais gamin en Vendée, le musée qui m'a
fait découvrir l'art contemporain est le musée des Sables-d'Olonne qui avait une collection de
Supports-Surfaces, un peu d'art conceptuel, pas mal de Gaston Chaissac et de Victor
Brauner. Vers 15-16 ans, j’allais au musée avec ma sœur. À l'époque, je me disais que je ne
pourrais pas faire autre chose que d'être artiste.
Christian Besson : Aux conservateurs qui sont dans la salle : il semble qu'à travers les
présentations de James Putnam sur les interventions d'artistes dans les musées, les
commandes réalisées par Thierry Raspail dans le cadre d'expositions et ces interventions
réalisées par Fabrice Hyber dans des musées qui l'ont invité, les frontières vacillent entre le
centre d'art et le musée ; qu'en pensez-vous ? N'êtes-vous pas sur le bord de vos fonctions ?
Thierry Raspail : La seule différence entre un centre d'art, une kunsthalle et un musée, est la
collection. Dès qu'elle implique la construction d'une histoire, d'un temps et d'une durée, elle
échappe évidemment au côté temporaire de l'exposition.
Christian Besson : Tu t'en sors parce que ces commandes font l'objet d'achats. Mais il y a
des manifestations qui ne sont que temporaires. Des musées produisent des œuvres qu'ils ne
vont pas forcément collectionner.
Thierry Raspail : Quand tu fais une production, elle appartient toujours à l'artiste, elle repart
sur le marché ; il n'y a pas de différence.
Laurent Salomé : Ce n'est pas un problème de production. C'est naturel qu'il y ait des
artistes dans les musées. Il faudrait plutôt s'interroger sur la raison pour laquelle ils en avaient
disparu pendant si longtemps. Au XIXe siècle, les artistes travaillaient dans les musées : la
limite centre d'art contemporain et collection n'existait pas. Le musée est un endroit naturel
pour demander à un artiste de travailler, il est fait pour cela : il y a de la place et des équipes
techniques. On ne devrait pas se poser la question du lien avec les collections. Et il n'y a
quand même pas pléthore de lieux disponibles pour qu'un artiste s'amuse...
Christian Besson : Il y a une évolution à travers ces commandes et productions à occuper le
terrain des centres d'art et à devenir un lieu où la collection n'est plus qu'un outil pour ces
expositions temporaires. Le musée se transforme en machine à produire du spectacle et les
collections, qui sont le fondement du musée, tendent à devenir secondaires. Le musée perd
sa raison d'être. Il n'y a plus que des centres culturels. La fonction stock et conservation est
devenue tellement technique, que l'on pourrait l'extraire du musée.
Blandine Chavanne : Je reste absolument persuadée qu'il se passe le contraire. Nos
collections doivent être vivifiées en permanence par des interventions d'artistes ou par notre
travail. Nos collections doivent être vues et le public doit se les approprier. Je suis très triste
de n'avoir vu qu'une seule fois l'extraordinaire pièce de Bob Morris au musée d'Art
contemporain de Lyon. Le travail d'un centre d'art est très différent. Notre raison d'être est
d'ancrer toute cette production contemporaine profondément dans la culture.
Thierry Raspail : Ce qui est formidable dans une œuvre d'art, c'est qu'elle est unique. On est
dans une société de répliques, et des personnes font des kilomètres pour voir une œuvre
d'art, donc je suis sûr que nos collections ont un futur. En revanche, la collection statique,
celle qui est toujours la même, n'existe plus. Je suis très optimiste.
James Putnam : Il y a un problème de coût pour stocker les œuvres, mais il n'y a pas de
contradiction. L'Arte Povera a bien été muséographié et continue à concerner des artistes
vivants.
Blandine Chavanne : De tout temps, il y a eu des œuvres éphémères : même Rubens a
peint des entrées de ville qui ont disparu. Parfois, quand on ne se déplace pas, il y a des
œuvres que l'on ne peut pas voir. Nous avons produit une pièce pour Anish Kapoor qui est
ensuite partie pour Munich et la Royal Academy, ce n'étaient plus les mêmes œuvres, dans
chacun des lieux la pièce a été complètement différente, alors que c'est la même cire et le
même moteur. Il y a des expériences artistiques que l'on ne peut conserver. Il est compliqué
de savoir, parmi toute la production artistique, quelles sont les œuvres que nous allons
garder. C'est un puits sans fond.
Paul Williams : Les visiteurs ne sont plus là pour regarder passivement les œuvres mais
pour faire autre chose avec elles. Qu'est-ce que Fabrice en pense, en tant qu'artiste ? Et à
tous les conservateurs dans la salle : quel est le futur de l'art ? Y a-t-il encore l'idée que les
visiteurs peuvent s'amuser avec les œuvres dans un musée ?
Fabrice Hyber : J'ai pas mal développé ces attitudes. Gaetano Pesce me racontait qu'il allait
souvent dîner chez Peggy Guggenheim qui utilisait une sculpture de Giacometti comme
porte-manteaux. Je pense que c'est la base de beaucoup d'art maintenant. J'ai développé
des attitudes par rapport aux œuvres qui ne sont pas uniquement de la contemplation mais
du test, de l'échange, du mode d'emploi, de la possibilité de la fabriquer ou non. Peut-être l'art
se dirige de plus en plus vers de telles attitudes. Je rêverais que le monde entier soit des
œuvres d'art, que l'on s'assoit, se délasse sur des œuvres d'art, qu'on se lave d'œuvres d'art,
pourquoi pas ?
Christian Besson : Une autre origine des musées que nous n'avons pas évoquée mais qui
est très présente aux USA, est le musée populaire. La muséographie hexagonale est très
centrée sur les Beaux-Arts.
Blandine Chavanne : Nous sommes ici dans un musée d'histoire.
Christian Besson : Tous les artistes regardent ailleurs que dans le champ culturel de
l'histoire de l'art. Qu'est-ce que le musée des Beaux-Arts fait avec cela ?
Laurent Salomé : C'est pourquoi il est important de savoir quel est notre métier. Que cela
plaise ou non aux artistes, il faudra faire avec leur travail après. Les œuvres qui auront été
faites pour tout renverser, cent ans plus tard, un conservateur sera simplement chargé de
tout faire pour que cette œuvre soit transmise aux générations futures. C'est la base du
musée. C'est pourquoi l'on se préoccupe de vivifier les œuvres d'art. La vraie mission est de
permettre la rencontre entre un individu et une œuvre d'art. C'est une question de
présentation, le vrai travail est celui des architectes et des muséographes avec les
conservateurs.
Thierry Raspail : Pour son exposition à New York et la conservation de son œuvre, Marina
Abramovic a simplement demandé à des modèles de rejouer ce qu'elle a joué il y a trente
ans : c'est la première fois que l'on pouvait passer entre un homme et une femme ; avec une
vidéo ou un document on ne peut pas le faire. Il y aura toutes les modalités pour refaire. Si on
est du côté de l'émotion, peut-être il faudra faire défaut et après tout pourquoi pas, ce sera
peut-être vraiment démocratique.
Blandine Chavanne : D'où l'importance que l'artiste dise ce qu’il souhaite.
Thierry Raspail : Il faut que l'artiste le dise. Nous conservons des modes d'emploi.
Fabrice Hyber : J'ai absolument confiance en l'humanité. Il y aura toujours des solutions à
tout. Bien sûr, il y aura aussi des déchets, des restes, des choses inactives mais l'essentiel va
rester et être déformé, transformé. Imaginez, il n'y a plus de tomates sur la Terre, seulement
du ketchup...
Thierry Raspail : Sarkis a dans son esprit que l’œuvre, à la manière de la musique érudite,
devrait être rejouée par quelqu'un. Il inclut l'interprétation dans le futur en faisant des
partitions : c'est ce qu'il impose au musée. Bien sûr, on peut toujours massacrer tel ou tel
quatuor...
Christian Besson : Pour conclure, à travers les différentes expériences entendues, nous
avons cerné les problèmes de la construction de cette nouvelle aile du musée de Nantes, et
notamment son intégration urbaine comme à Lausanne et Colmar, la circulation et la mise en
relation avec les autres bâtiments existants. Avec les exemples de Lyon et Metz, nous avons
posé le problème de la montée en puissance de l'exposition temporaire dans les différentes
fonctions du musée. Nous n'avons pas évoqué les missions de médiation auprès des
différents publics et leurs spécifications, ni des fonctions de restauration, de stockage et de
conservation. Nous avons été attentifs au projet de l'agence Stanton Williams dans sa volonté
d'ouvrir le musée sur la ville et de transformer le tropisme de cette « boîte » tournée vers le
patio, l'extérieur et le reste du bâtiment. Nous espérons vivement que ce projet va remporter
une très grande réussite. Une des lignes de fuite du musée des Beaux-Arts au XXIe siècle
serait que l'artiste offre beaucoup de perspectives à cet avenir.