Les caves des brasseurs ont hanté et ravi tous les gosses de
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Les caves des brasseurs ont hanté et ravi tous les gosses de
JURA BERNOIS 8 Une grotte au Crêt Coupé LE JOURNAL DU JURA / SAMEDI 31 JUILLET 2010 SUR LA ROUTE DES BRASSEURS Passé la ligne de chemin de fer, on trouve Les Caves à proximité du sentier nature. à Tavannes. (YVES-ANDRÉ DONZÉ) LES LIEUX-DITS DE L’ÉTÉ (8) Les caves des brasseurs ont hanté et ravi tous les gosses de Tavannes Au Crêt Coupé, au-dessus de Tavannes, «Les Caves» offrent, en leur grotte désaffectée, leur froide énigme. Un brasseur de bière y avait inauguré sa chaîne frigorifique. L’histoire avait commencé en 1880. Elle s’est terminée en cul-de-sac au 20e siècle. Tous les gosses du bled ont joué dans cette casemate improvisée. «Nous avions le goût de l’interdit.» Rémy Prêtre YVES-ANDRÉ DONZÉ A la première moitié du 19e siècle, la bière se consommait comme un produit de luxe. Soumise aux fluctuations des récoltes d’orge, sa fabrication devenait aléatoire. De plus, brasser en été représentait un casse-tête épouvantable et menaçait la qualité sanitaire du précieux liquide. Les trop courtes distances que permettait le transport des fûts en char attelé en limitaient l’écoulement. La deuxième moitié du siècle connut une soif brassicole sans précédent, grâce aux découvertes de Pasteur dans le domaine de la conservation des levures, grâce aussi aux nouvelles méthodes de brassage à basse température, grâce enfin au développement du chemin de fer. Le consommateur laissa le vin bon marché aux producteurs frauduleux et le vignoble aux épidémies de phylloxéra. De 1850 à 1885, le nombre de brasseries se multiplia de 150 à 530, et la consommation annuelle passa de 4,8 litres à 36 litres par tête de pipe. On se tourna sans vergogne vers le houblon et sa délicieuse amertume. Le frigo n’étant toutefois pas encore inventé, la glace restait un élément aussi précieux que la bière. La région jurassienne s’enorgueillissait de plusieurs brasseries LES CAVES La faille excavée est désaffectée. Et les enfants seraient mal inspirés d’aller y jouer comme leurs parents et leurs ancêtres à cause du danger. (YVES-ANDRÉ DONZÉ) (voir ci-dessous). Celle de Charles Abel, à Tavannes, est mentionnée dans l’annuaire suisse du commerce en 1899, mais les archives constituées par le caissier de la bourgeoisie de Tavannes, Pierre Guerne, racontent qu’en 1880, Charles Abel est autorisé à creuser une cave au lieu-dit Crêt Coupé, au bas du pâturage des Sagnes. «Le plissement des roches jurassiques a en effet formé des grands arceaux et laissé un vide en dessous», explique le grand écrivain, historien et géologue jurassien à la même époque, Auguste Quiquerez. C’est donc dans l’une de ces crevasses des crêts qu’Abel a creusé sa cave à glace. Une glace qu’il exploitait en hiver aux étangs du bas du village. Dans cette cave, la glace façonnée en cubes et emmagasinée pour ses chambres froides, restait intacte jusqu’à mi-août. Nos petits brasseurs d’antan n’échappaient ni à la production industrialisée ni à la compétition féroce, ni à la concurrence étrangère. Les importations, en Suisse, ont quintuplé entre 1867 et 1874. La brasserie de Charles Abel qui n’avait pas de label passa dans les mains de la firme Weissenberger & Co. Elle fit faillite en 1906. Warteck Bâle reprit l’affaire sous le nom de Louis Röthlisberger. Elle existe encore sans l’exploitation, comme simple débit et commerce de boisson. Restait la cave des brasseurs vide. Certains parlent d’une tentative de culture de champignons. Mais le souvenir s’estompe aussitôt dans les marécages de la légende suburbaine. La Première Guerre mondiale a également eu raison de la pro- «Je me souviens de cette glace» «Je me souviens de cette glace, évoque Rémy Prêtre, de Tavannes, bien conservé lui aussi et qui frise les 90 ans. C’étaient des blocs carrés qu’ils mettaient sur les caisses de bouteilles à l’occasion des fêtes champêtres.» Rémy Prêtre ajoute malicieusement que lui et ses copains avaient aussi le goût de l’interdit. Il allait jouer dans ces caves qui n’en forment qu’une à vrai dire. Plus tard, la bourgeoisie a fait mettre des portes à l’entrée et le lieu a été mis à ban à cause des éboulements. Tous les gamins de Tavannes se réclament du lieu qui constituait alors un fort imprenable pour jouer à la guerre des boutons, avec sa galerie qui accuse encore une vingtaine de mètres de profondeur. Aujourd’hui, les portes ont été brisées. Quelques linteaux de pierre jonchent le sol. Une barrière consolide le fond de la grotte pour empêcher les effondrements. Rémy Prêtre aime évoquer l’histoire de la brasserie, peut-être à cause de ses ancêtres irlandais dont le nom de Presten aurait été francisé. Peutêtre aussi pense-t-il à ces moines irlandais bénédictins qui avaient introduit la bière en Suisse à l’abbaye de Saint-Gall. Et s’il reste quelque chose de mystérieux, ce n’est pas les grottes abritant jadis les bandits de grands chemins, ni le mystère des gouffres du monde d’en dessous. Il s’agirait sans doute de l’esprit actuel de Saint-Gall, centre du néolibéralisme triomphant et adepte des grandes concentrations industrielles. /yad duction de bière en Suisse. En 1920, le pays ne comptait plus que 93 brasseries. La Seconde Guerre mondiale a provoqué la diminution de la moitié de la production et un nouvel abaissement forcé du taux d’alcool. Mutation de l’industrie de la bière, rachats incessants des grandes brasseries et éclatement du cartel en 1991 égrainent l’histoire contemporaine de la bière. En 1994, il ne restait plus qu’une trentaine de brasseries. Pour faire concurrence aux grands producteurs suisses de blonde standardisée tels que Feldschlösschen, propriété de Carlsberg, Heineken, ou Kronenburg, il y eut un raz de marée de microbrasseries. On en comptait plus de 240 en 2008. Mais celles-ci doivent chercher des nouveaux marchés pour compenser la diminution de la consommation. Exemple de cette poussée des brasseries régionales de qualité, la BFM (Bières des Franches-Montagnes) a été fondée en 1997 par Jérôme Rebetez, de Saignelégier. Et pas question d’invoquer les divinités topiques des plissements jurassiques, des grottes et des caves. Foi de Mandragore et de Saint BonChien et de toutes les gueuses encavées! /YAD Une brasserie sur la cave à glace Entre 1870 et 1922, on trouvait onze brasseries en activité dans le Jura bernois, a recencé le Dictionnaire du Jura. Mentionnée en 1877 et fondée par Louis Jaquet, la brasserie du Pont à Saint-Imier est reprise avant 1910 par la Brasserie Seeland SA de Bienne. Elle fait faillite en 1917 et est partagée entre Feldschlösschen et la brasserie Müller à Neuchâtel. Dans le même temps, et toujours à Saint-Imier, la brasserie de l’Aigle s’appelle d’abord Fabrique de bière Hauert, puis Hauert Frères. Elle devient une SA en 1908 mais toujours dirigée par les frangins. La société est dissoute en 1920 et vendue à la brasserie Beuregard à Lausanne. La brasserie Joseph Nickel à Laufon a été fondée en 1873 et reprise par Cardinal en 1905. Tandis que Porrentruy comptait trois brasseries (la brasserie Choquart vendue en 1907 à la brasserie de Delémont, la brasserie Auguste Cuenin qui a fonctionné de 1860 à 1890, et la brasserie Nicolas puis Edmond Schmider fondée en 1870 et faillie en 1905). La brasserie de Delémont, fondée en 1886, est devenue la Brasserie Jurassienne. Elle a été avalée en 1922 par Warteck Bâle. La plus curieuse est la brasserie Gustave SUR UN CRÊT La brasserie Gustave Wenker produisait aussi bien de la glace que de la bière. (YVES-ANDRÉ DONZÉ) Wenker-Gerber du Creux-des-Biches. Fondée en 1881, elle était sise à même le rocher sous lequel elle entreposait de la glace qu’elle exportait assez loin à la ronde sur des chars à pont et emmaillotée de paille. Les vitraux de la bâtisse servaient à filtrer la lumière pour garder la fraîcheur. L’entreprise a été gérée ensuite par le fils puis par la belle-fille avant de fermer ses portes en 1910. /c-yad