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Dossier
LA SÉCURITÉ GLOBALE. MENACES ET RÉPONSES
La sécurité
dans les transports :
vers une approche
organisationnelle ?
I
Mots clés
Analyse de risques,
Transports en commun,
Sécurité globale,
Délinquance,
Management du risque
Jean-François BELENGER
RATP, GPSR (Groupe de Protection et de Sécurisation des Réseaux)
Les enjeux de la sécurité globale dans le cadre des transports méritent une approche
technique mais également organisationnelle, trop peu souvent évoquée jusqu’à présent.
Introduction
Il est indispensable de relever le rôle fondamental des
transports publics dans le cadre de la politique de la ville.
Les zones dites « sensibles » concentrent souvent de
lourds handicaps, et notamment une importante densité
en populations défavorisées qui n’ont pas forcément la
possibilité de se procurer un moyen de transport personnel. Dès lors, les transports publics sont souvent les seuls
liens qui persistent entre ces zones et les lieux de vie et
d’activité, en d’autres termes un des derniers remparts à
la création de ghettos.
Une autre caractéristique des transports publics réside
dans leur rôle de substitution aux véhicules individuels.
La prolifération des automobiles surcharge les réseaux
urbains, contribuant à créer de lourdes contraintes de
temps, mais surtout d’importantes nuisances. Or, l’amélioration du cadre de vie et la prise en compte des impératifs environnementaux apparaissent depuis quelques
années déjà comme des objectifs des pouvoirs publics,
notamment en ce qui concerne la politique de la ville.
L ’ E S S E N T I E L
Les acteurs de la sécurité semblent se heurter à de réelles difficultés quant à la maîtrise de la délinquance dans les transports
publics. Pourtant, il s’agit là d’un enjeu majeur. Sur la seule région
parisienne, 7 millions de personnes empruntent quotidiennement
les lignes de métro, RER ou de chemin de fer. C’est dire que les
transports constituent un moyen indispensable de l’activité économique. La sécurité dans les transports publics constitue ainsi un
enjeu de taille, qui a justifié une complète réorganisation des services existants sur Paris et l’Ile-de-France. Ainsi que la création
d’un service de police compétent au niveau national (la police ferroviaire nationale).
En octobre 2003, la Préfecture de Police a mis en place
un « Service Régional de la Police des Transports ». Audelà des renforts en personnels qui y ont été attribués pour
amener son effectif théorique à 1100 policiers, le but affiché était de rassembler les services de la Police aux
Frontières (compétent pour les lignes banlieue de la SNCF
et RER) et ceux du Service de Surveillance des Réseaux
Ferrés Parisiens (compétent pour le métro et les lignes
RATP du RER) en une seule entité et sous un commandement unique. En outre, le Préfet de Police coordonne également les interventions des services de sécurité internes de
la RATP et de la SNCF, ainsi que des forces de Police et
Gendarmerie territorialement compétentes. Cette rationalisation et la mobilisation des différents acteurs de la sécurité ont déjà eu pour effet une baisse de la délinquance en
Région Parisienne dans les transports publics en 2003.
Pour autant, la mission n’est pas aisée. L’action des
forces de police et des services de sécurités internes
(SUGE et GPSR) est en effet de plus en plus encadrée, et
l’emploi de la coercition doit être particulièrement circonstanciée et justifiée. De plus, les interventions dans
les transports publics sont confrontées à des difficultés
S Y N O P S I S
The actors of safety seem to encounter real difficulties as for the
control of the delinquency in public transport. However, it is a
major stake. On the only Paris area, 7 millions people use the subway lines daily, the RER or of railroad. It is to say that transport
constitutes an essential means of the economic activity. Safety in
public transport thus constitutes a stake of size, which justified a
complete reorganization of the existing services on Paris and the
Island of France. As well as the creation of a qualified service of
police force at the national level (the national railway police force).
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LA SÉCURITÉ GLOBALE. MENACES ET RÉPONSES
particulières en raison de leur environnement particulier
dans lequel elles évoluent.
1. Spécificités et contraintes normatives et
opérationnelles
La sécurité dans les transports publics est le fait de
plusieurs acteurs, qu’ils soient étatiques, comme la
Police, la Gendarmerie ou les unités de secours ; ou spécifiques aux sociétés de transport. Dans cette dernière
catégorie se retrouvent les agents de sûreté employés par
les personnes morales chargées de la mission de service
public constituée par les transports publics. Ce que l’on
définira ainsi sous le vocable « services de sécurité internes » développe donc une logique d’action propre, à raison de son positionnement par rapport aux autres intervenants, notamment étatiques.
Or, comme nous le verrons, la multiplicité des acteurs
de terrain se trouve souvent à la source de conflits entre
les services : sentiment d’une mise en concurrence, coordination opérationnelle insuffisante ou méconnaissance
des prérogatives et logiques de travail de chacun.
En outre, la sécurité au sein d’un réseau de transports
publics se trouve également contrainte par des spécificités légales et opérationnelles. Il n’existe pas de méthode
d’intervention unique. Les actions menées dans des lieux
clos à forte densité humaine, comme les gares ou les
rames de métro, ne peuvent procéder des mêmes logiques
que celles développées sur la voie publique.
1.1. Le statut particulier des agents de sûreté employés par les services de transport public et la réglementation spécifique
En France, le législateur s’est penché dès 1845 sur la
notion de « Police des Chemins de Fer ». L’article 23 de la
loi du 15 juillet 1845 est ainsi libellé dans son paragraphe
III : « Au moyen d’un serment prêté devant le Tribunal de
Grande Instance de leur domicile, les agents de surveillance de l’administration et des concessionnaires ou fermiers pourront verbaliser sur toute la ligne du chemin de
fer auquel ils seront rattachés ». Deux conditions sont
nécessaires à l’existence d’un service de sécurité interne
recruté et formé par l’organisme en charge de la mission de
transport public : un agrément de l’administration et une
assermentation devant le Tribunal d’Instance.
En ce qui concerne le cas de la RATP, le décret N° 730
du 22 mars 1942 complété par le décret 86-1045 du 18
septembre 1986 prévoit ainsi notamment l’utilisation irrégulière d’un titre de transport, le défaut de titre de transport, le titre incomplet et l’usage injustifié d’un titre de
transport appartenant à un tiers. Les mêmes dispositions
réglementaires prévoient également la répression de
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divers comportements, comme par exemple l’usage sans
motif d’une alarme ou d’un frein de secours, ou encore
l’entrave à l’ouverture et à la fermeture des portes.
L’adoption d’un article 23-3 modifiant la loi de 1845
illustre ces exigences : « Toute personne qui contrevient
en cours de transport aux dispositions tarifaires et à des
dispositions dont l’inobservation est susceptible de compromettre la sécurité des personnes ou la régularité des
circulations, soit de troubler l’ordre public, peut se voir
contraindre par les agents mentionnés à l’article 23 de
descendre du véhicule au premier arrêt suivant la constatation des faits. En cas de refus d’obtempérer, les agents
de l’exploitant peuvent requérir l’assistance de la force
publique. Cette mesure ne peut être prise à l’encontre
d’une personne vulnérable, à raison notamment de son
âge ou de son état de santé ».
L’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 fait également
mention de la nécessaire assermentation des agents préposés à la constatation de ces infractions. Le corollaire du
serment prêté par l’agent devant le Tribunal de Grande
Instance de son lieu de domiciliation tient à la force particulière des procès verbaux par lui établis, puisque selon
le texte modifié de cette même loi « Les procès-verbaux
des délits et contraventions feront foi jusqu’à preuve du
contraire ».
La loi confère un autre pouvoir spécifique aux agents
chargés de la Police des chemins de fer, la possibilité de
réaliser une transaction, qui peut être réalisée soit au
moment de la constatation de l’infraction, entre les mains
de l’agent de l’exploitant, soit « dans un délai de deux
mois » (Loi 93-2 du 4 janvier 1993) à compter de la
constatation de l’infraction, auprès du service de l’exploitant indiqué dans la proposition de transaction, les frais de
dossier sont rajoutés au montant à verser. A défaut de
paiement immédiat, « les agents de l’exploitant, s’ils sont
agréés par le Procureur de la République et assermentés
(…) sont habilités à relever l’identité et l’adresse du
contrevenant » (Loi 99-291 du 15 avril 1999).
1.2. Du contrôle du titre de transport au contrôle du
titre d’identité
Plus généralement, on comprend qu’à travers la mission
de contrôle et de répression des infractions relatives à la
Police des Chemins de Fer, les agents de sûreté assermentés
et agréés par l’administration bénéficient à ce que la doctrine pénale appelle « un accès particulier à l’infraction ».
La mission de contrôle de titre, tout comme la répression des infractions contraventionnelles prévues par
décret, permet de basculer vers le contrôle d’identité. Ce
lien est notamment mis en évidence par la formulation de
la Loi 99-291 du 15 avril 1999 : « (…) les agents de l’exploitant, s’ils ont été agréés par le Procureur de la
République, et uniquement lorsqu’ils procèdent au
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La sécurité dans les transports : vers une approche organisationnelle ?
contrôle de l’existence et de validité des titres de transport
des voyageurs, sont habilités à relever l’identité et
l’adresse du contrevenant. Si le contrevenant refuse ou se
trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité,
l’agent de l’exploitant en rend compte immédiatement à
tout officier de police judiciaire de la Police Nationale ou
de la Gendarmerie Nationale territorialement compétent,
qui peut alors lui ordonner de lui présenter sur le champ
le contrevenant. A défaut de cet ordre, l’agent de l’exploitant ne peut retenir le contrevenant.
L’article 23 a été modifié une nouvelle fois fin 2006
par le législateur : « II. - Outre les pouvoirs qu’ils tiennent
de l’article 529-4 du code de procédure pénale, les agents
mentionnés au I sont habilités à relever l’identité des
auteurs d’infractions mentionnées à ce I pour l’établissement des procès-verbaux y afférents ».
Les agents agrées par le procureur de la république
peuvent dorénavant relever l’identité des auteurs d’infractions à l’ensemble de la police des chemins de fer.
De surcroît, la modification ne s’arrête pas là :
« Si le contrevenant refuse ou se trouve dans l’impossibilité de justifier de son identité, les agents de l’exploitant
en avisent sans délai et par tout moyen tout officier de police
judiciaire territorialement compétent. Sur l’ordre de ce dernier, les agents de l’exploitant peuvent être autorisés à retenir l’auteur de l’infraction le temps strictement nécessaire à
l’arrivée de l’officier de police judiciaire ou, le cas échéant,
à le conduire sur le champ devant lui ».
1.3. Le cas des crimes et délits flagrants
Ce dernier constat amène à évoquer le cas de la commission de crime ou délit flagrant. A ce titre, les agents
assermentés de l’exploitant peuvent naturellement procéder à l’arrestation de tout individu auteur d’un acte qualifiable comme tel. Il convient en effet de rappeler que,
contrairement à nombre d’idées reçues, le pouvoir d’interpellation n’est pas dévolu aux forces de police ou de
gendarmerie, mais à tout citoyen, ainsi que le précise l’article 73 du Code de Procédure Pénale.
Comme le suggère la formulation de l’article 73,
l’emploi de la coercition n’est en effet possible que dans
l’hypothèse de la commission au minimum d’un délit
puni d’emprisonnement. Une erreur de qualification qui
conduirait ainsi un agent à interpeller avec coercition un
individu dans le cadre de la commission d’une simple
contravention pourrait engager la responsabilité juridique
de cet agent devant les juridictions pénales.
1.4. La loi du 16 novembre 2001 sur les services de
sécurité internes
Ces missions de police ferroviaire, et la particulière
sensibilité des transports publics à la délinquance, ont
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conduit certains exploitants à créer des services de sécurité dotés d’armes individuelles. C’est notamment le cas
pour la RATP et la SNCF.
La loi du 16 novembre 2001, modifiant la loi de 1983,
en ses articles 63 et suivants reconnaît la place particulière dévolue à ces services. Ainsi « Sans préjudice des
dispositions prévues par la loi du 15 juillet 1845 sur la
Police des Chemins de Fer, la SNCF et la RATP sont autorisées à disposer d’un service interne de sécurité. Les services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF sont
chargés, dans les entreprises immobilières nécessaires à
l’exploitation du service géré par l’établissement public et
dans ses véhicules de transport public de voyageurs, dans
le cadre d’une mission de prévention, de veiller à la sécurité des personnes et des biens, de protéger les agents de
l’entreprise et son patrimoine, et de veiller au bon fonctionnement du service. Les agents (…) peuvent exercer
sur la voie publique les missions définies au présent article (…) ».
Les agents peuvent être amenés à exercer leurs missions hors du périmètre des structures de l’exploitant.
Cependant le rattachement de ces services internes à la loi
de 1983 régissant les activités de sécurité privée a eu pour
conséquence de leur enlever purement et simplement leur
mission de répression et de les cantonner dans une mission de prévention. Ce qui n’est bien évidemment pas le
plus efficace en termes de lutte contre la délinquance.
1.5. Exigences de moralité et de probité
Cette position spécifique et draconienne des agents a
comme corollaire des exigences particulières de moralité
et de probité. La loi prévoit en effet que « les agents des
services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP
qui ont fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle ou une peine criminelle inscrite au bulletin
N° 2 du casier judiciaire ou, pour les ressortissants étrangers, dans un document équivalent, ne peuvent être affectés ou maintenus dans ce service de sécurité. Il en va de
même si l’agent a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion non
abrogé ou d’une interdiction de territoire français non
entièrement exécutée ; s’il a commis des actes, éventuellement mentionnés dans les traitements automatisés et
autorisés de données personnelles gérés par les autorités
de police (STIC, JUDEX…), contraires à l’honneur, à la
probité ou aux bonnes mœurs ou de nature à porter
atteinte à la sécurité des personnes et des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat ».
La violation de ces dispositions est d’ailleurs punie
par la loi de peines délictuelles d’emprisonnement et
d’amende. En effet, la loi prévoit qu’un agent du GPSR
ou de la SUGE peut se voir écarté de son service pour une
simple inscription sur un fichier de police alors que pour
cette même affaire la justice aura pu décider d’un classement sans suite.
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1.6. La loi confère une protection particulière aux
transports publics
L’évolution de la délinquance dans les transports et la
reconnaissance du service public des transports a amené
certaines conséquences juridiques substantielles.
En premier lieu, tous les biens affectés à la réalisation de
ce service sont considérés comme des biens publics, quand
bien même l’exploitant serait une société privée. En conséquence, la protection juridique dont ils bénéficient est largement accrue. Le Code pénal réprime les destructions et
dégradations volontaires effectuées sur les biens d’autrui :
art 322-1 du Code Pénal « La destruction, la dégradation ou
la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de
deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende, sauf
s’il n’en est résulté qu’un dommage léger ». Les peines sont
toutefois aggravées par l’article 322.2 du code pénal.
Ensuite, l’exploitant peut se prévaloir de la nécessité de réaliser un service public. Cette règle, quoique d’exploitation
très rare, permet à l’exploitant de solliciter en référé l’action
des pouvoirs publics, et notamment de la police, en cas
d’occupation illicite de locaux de nature à entraver la bonne
marche de son réseau.
Au-delà, le législateur a conféré une protection particulière aux agents employés par un service de transport public.
Ces dispositions sont applicables pour les agents de sûreté
affectés à un service de transport public, notamment
lorsqu’ils portent un uniforme comme le GSPR ou la
SUGE. Cette protection s’étend au-delà des actes physiques, aux propos qui peuvent être tenus, en vertu de l’article 433-3 du Code Pénal complété par l’article 433-5, qui
prévoit et réprime l’outrage.
En ce qui concerne les chemins de fer, la loi de juillet
1845 avait introduit une peine spécifique pour protéger ses
agents des outrages, en proposant une peine d’emprisonnement. Cette disposition a été abrogée en 1992, puis remise en
fonction, accordant ainsi une protection spécifique aux
agents d’un exploitant de transports publics par rapport à
toute autre personne chargée d’une mission de service public.
Plus significativement encore, le législateur de 1845
dispose « Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des lois ou règlements,
aura involontairement causé sur un chemin de fer, ou dans
les gares ou stations, un accident qui aura occasionné des
blessures, sera puni de six mois d’emprisonnement et d’une
amende de 3 750 € ». L’originalité de cet article tient à la
reconnaissance avant l’heure d’une infraction involontaire à
raison d’un critère de lieu.
2. Particularités opérationnelles
2.1. Les contraintes géographiques
En matière de sécurité, une intervention ressemble
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rarement à une autre, tout au plus trouve t-on certains scénarios communs. Dans les transports publics, cette affirmation trouve une acuité toute particulière, et ce pour plusieurs raisons. Le premier facteur particulier tient à la
gestion de l’espace, qui est à la fois excessivement important et pourtant cloisonné.
Les lignes de transports publics couvrent des zones parfois très étendues. En Ile-de-France, la question de la sécurité dans les transports publics ne peut se limiter à la capitale, mais doit s’entendre à l’échelle de la couverture du
réseau, c’est-à-dire la petite et la grande couronne. Cela
s’avère similaire pour les autres agglomérations françaises.
Cela vaut notamment pour la gestion des violences collectives, puisqu’il est possible à un groupe d’individus de
se regrouper rapidement en un point déterminé du réseau.
Les forces de sécurité sont donc confrontées à une
double logique, totalement contradictoire :
• La première tient à la nécessité d’assurer une présence sur l’ensemble du réseau, et conduit donc à
limiter le nombre de personnes présentes par équipe
pour accroître le nombre de patrouilles.
• La seconde vise l’impératif d’une intervention en
nombre suffisant pour pouvoir faire face à la menace
et être à même de la contenir.
Or, la capacité de regroupement, d’un service de sécurité n’est pas là même en tout point du réseau, puisqu’elle
est d’autant plus importante que proche de son centre.
Ainsi, sur Paris, une équipe opérant sur le réseau métro ne
peut pas être identique à celle opérant sur le réseau RER.
Ce problème se pose moins sur le réseau bus, à condition
que l’équipe dispose d’un véhicule lui permettant de se
soustraire à une situation qui ne peut être gérée. Ceci pose
la question primordiale de la composition numérique
d’une équipe et cela suppose d’éviter l’écueil de la copie
du modèle américain, régi par ses normes et modalités de
fonctionnement, ou l’agent patrouille seul.
Ce système peut paraître plaisant en termes de gestion
des effectifs et de couverture de l’environnement, mais il
s’avère irréaliste, voire dangereux, dans notre société étant
donné que le cadre légal et les façons d’opérer entre nos
deux états sont totalement différents. Par exemple, un agent
américain n’hésitera pas à faire montre de son arme sur un
simple contrôle, alors qu’un agent français ne la sortira que
sur un cas de légitime défense. L’impact psychologique sur
les individus est de ce fait totalement différent. Un vulgaire
copié coller serait à la fois irréaliste et dangereux.
Un effectif de trois semble le minimum dans les bus et
métros. De plus, les agents opérant dans les transports publics
contrôlent régulièrement des groupes de personnes ce qui les
place en infériorité numérique. L’impact psychologique est
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La sécurité dans les transports : vers une approche organisationnelle ?
donc souvent subi par les agents les mettant en situation
de stress. Si aucune solution leur est offerte, ils peuvent
tomber dans une « réaction humaine » (on ne voit pas,
donc on ne fait pas ou plus simplement on n’y va pas) de
ce fait leur mission n’est plus exercée correctement. Un
effectif de cinq agents parait plus adapté et efficace sur le
réseau RER car sur le réseau RER, le délai sera beaucoup
plus important suite à l’éloignement des effectifs.
De la même manière, les groupes de « casseurs » ne se
déplacent pas de manière totalement aléatoire. Bien au
contraire, ils se servent de la vitesse des transports pour
rejoindre d’éventuelles « cibles » ou, à défaut, des
« zones de vie » identifiées comme attractives à raison des
loisirs qui y sont accessibles. En d’autres termes, il y a des
connexions et des lignes plus criminogènes que d’autres.
Pour assurer une sécurité dans des conditions optimales, le
service de sécurité doit clairement identifier ces lieux et les
risques plus ou moins spécifiques qui y sont attachés pour
les communiquer à ses agents. Non seulement ces derniers
doivent être informés de ces éléments, mais ils doivent en
outre être coordonnés pour y répondre.
Cette méthode de travail n’est pas récente, puisque les
services de police parisiens s’appuient sur des « cartographies de la délinquance » pour orienter leurs actions. Ce
processus consiste à relever par lieux et tranches de temps
les diverses infractions commises, de manière à ramener ces
paramètres au plus petit dénominateur commun permettant
d’espérer l’interpellation des auteurs. Par exemple, un certain nombre de vols avec effraction sont commis de nuit
dans un arrondissement déterminé, la plupart étant réalisés
sur un territoire limité (ex : autour d’une place) sur un créneau horaire le plus limité possible (autour d’une heure).
Dès lors, la probabilité d’interpellation des auteurs étant la
plus grande sur cette période, une équipe devra être dirigée
sur les lieux au créneau horaire déterminé.
Le service interne de sécurité de la RATP et de la
SNCF disposent de centres d’information et de commandement opérationnel qui effectuent les mêmes analyses.
Cela permet de disposer les effectifs de sûreté suivant
l’évolution des besoins. Pourtant, pour que ce système
soit véritablement efficace, il ne suffit pas de placer des
effectifs a posteriori, mais bien de réaliser un décèlement
précoce de l’évolution des besoins sur le réseau du transporteur, afin de tenter de traiter le problème à la source
(en amont), dans le but de réduire au maximum la gestion
d’évènements après coup. L’espace est donc très vaste,
mais paradoxalement aussi très limité.
2.2. Les conditions d’interventions
L’intervention menée par les effectifs d’un service de
sécurité peut l’être dans une gare, sur un quai, voire sur
une rame ou dans un bus. La gestion de l’espace devient
dès lors déterminante. D’abord, la liberté de mouvement
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n’est pas la même selon que le lieu est clos ou non. Cette
règle trouve une illustration particulière quant à l’usage
des armes et les techniques d’intervention proposées par
le service de formation des agents de sûreté devront donc
se distinguer selon les lieux, et proposer dans ce cas précis des méthodes fondées sur des gestes courts, privilégiant des actions directes.
En premier lieu, il faut appréhender le risque d’un
effet « cage », c’est-à-dire d’un effet involontaire voire
d’un effet rétroactif de l’arme. L’exemple le plus évident
serait le cas de l’emploi du gaz lacrymogène par des
agents amenés à effectuer une interpellation. Dans une
rame, la cible, c’est-à-dire le délinquant, sera vraisemblablement touchée, mais aussi les autres passagers et vraisemblablement les agents eux-mêmes.
En second lieu, l’agent doit aussi envisager la notion
des « zones d’intervention ». Dans les transports publics,
et notamment dans les rames, il n’est pas toujours possible ou évident de pratiquer des positionnements optimaux
pour les interventions. L’espace entre l’agent et l’individu
objet de l’opération est nécessairement plus court que sur
la voie publique.
Il trouve aussi des contraintes inhérentes à la structure
même des lieux : présence de banquettes, de barres de
maintien etc… De ce fait, les techniques d’intervention
ne peuvent être identiques. Par exemple, l’emploi du
Tonfa (bâton de défense à poignée latérale) sera limité sur
tous les gestes s’appuyant sur des mouvements circulaires, ces derniers étant particulièrement susceptibles de
rencontrer des obstacles.
Enfin, l’agent doit aussi être préparé au risque de
« piège ». Le lieu clos ne permet pas forcément une fuite
rapide hors de la zone d’intervention. Une équipe peut
rapidement se retrouver piégée dans une rame ou une station si elle se trouve confrontée à une population hostile,
et doit donc gérer son choix dans l’opportunité et les
moyens de son intervention en fonction de ce risque.
Lors d’une action, le temps joue souvent contre les
agents, en raison de ce que les psychologues qualifient d’effet d’« affoulement », c’est-à-dire que dans un groupe
donné, les consciences individuelles tendent à se confondre
en une conscience collective, nécessairement limitée à des
référents minimaux partagés. En pratique, cela se traduit
par une importante potentialité d’hostilité de la foule face
à des opérations de sécurité, notamment si elles conduisent à des interpellations. Ainsi, les passagers qui assistent à l’emploi de la coercition lors d’une intervention
vont avoir d’autant plus une tendance naturelle à condamner l’emploi de la force qu’ils n’auront pas assisté à l’origine de l’action. Plus l’interpellation durera, plus les agents
seront menacés à l’exemple des évènements récents de la
gare du nord. Or, ce temps est nécessairement plus long
dans un lieu clos, et ce, surtout si les agents ne disposent
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pas d’un moyen de transport individualisé leur permettant
de quitter les lieux séparément des autres usagers.
Les transports publics recèlent, dans leurs structures,
des risques endogènes. Ces dangers se déclinent selon le
mode de transport envisagé, qu’il s’agisse de bus, de
tramways ou de voies ferrées.
Pour assurer une intervention efficace et sécurisée, les
agents doivent avoir connaissance de ces dangers et des
mesures à adopter pour en juguler les risques. Ainsi, une
opération menée dans une station de métro devra nécessairement prendre en compte les possibilités d’électrocution suite à une chute sur les voies, ou encore le danger
que représente la fuite à pied d’un individu sur les voies.
Cela implique que les formations initiales et continues
adaptées à ces spécificités techniques attachées au réseau
sur lequel ils travaillent.
Ils doivent aussi savoir quelles mesures prendre dans
l’hypothèse où le risque se concrétise. Par exemple, dans
le cas de la chute d’un individu sur les voies, il faut qu’ils
soient en mesure de faire couper le courant rapidement,
d’aviser les services de secours, et si possible de pratiquer
les premiers soins sur l’intéressé. Plus généralement, la
dangerosité particulière des transports publics à raison
même des infrastructures a conduit les exploitants des
réseaux à former leurs agents sur les actions réflexes à
avoir si un événement de nature à créer un aléa pour leur
sécurité ou celle des usagers survient. Cela vaut notamment pour les risques d’incendie : Où se trouvent les
extincteurs ? Quelles méthodes employer selon la nature
du foyer ? Comment gérer l’évacuation du public ? etc…
En d’autres termes, la formation au sein d’un service de
sécurité doit aussi envisager la sécurité des structures.
Cette expérience doit être partagée avec les forces de
sécurité étatique.
Dans ce cadre, il faut aussi prendre en compte les ressources du système. Il s’agit des autres moyens de la
sécurité, les moyens plus « structurels ». Cela couvre
notamment les déclenchements d’alarme-incendie, le
contrôle centralisé du trafic, mais encore plus spécifiquement la vidéosurveillance. La RATP dispose sur son
réseau de plusieurs milliers de caméras permettant au
centre de contrôle, baptisé PC 2000, d’identifier les évènements et de diriger les moyens pour les résoudre. Une
gestion efficace de la sécurité suppose une action coordonnée de ces différents moyens.
Le public accueilli sur les lignes est également un facteur clé, notamment la densité des usagers lors d’une
intervention. Cela peut conduire à des mouvements de
panique lors de la survenance d’un danger, par exemple
un incendie et causer des suraccidents ou des risques de
blessures involontaires. Pour les agents, ce problème a un
effet direct sur les possibilités d’usage de l’arme à feu.
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2.3. Des logiques parfois divergentes
L’exploitant d’un réseau de transports publics, qu’il
s’agisse d’une personne publique ou privée, et nonobstant
sa mission de service public, se doit d’assurer la rentabilité
de ses lignes et la continuité de son service. Il se doit également de pourvoir à la sécurité de ses usagers. Ces impératifs peuvent toutefois se révéler antagonistes. La sécurité
a ses règles propres, notamment au regard du temps.
En cas d’incendie par exemple, le trafic devra être
interrompu. L’exploitant aura donc la double obligation
de résoudre le problème, puis de relancer les trains. Cela
peut engendrer une certaine pression sur les agents intervenants en insistant sur la nécessité de rétablir rapidement
le trafic, et donc accroître le risque de la commission
d’erreurs. Il reviendra donc aux coordonnateurs de veiller à
ne pas déséquilibrer les objectifs. Cela vaudra aussi dans le
cas de la fuite d’une personne sur les voies lors d’une intervention des services de sécurité. Le trafic devra être interrompu le temps de s’assurer à défaut de l’interpellation, au
moins de la mise en sécurité du fuyard. Dans cette hypothèse, l’exploitant pourra être conduit à faciliter la sortie du
délinquant à la prochaine sortie plutôt que de le voir continuer sa fuite sur les voies, et donc prendre le risque de le
voir se blesser et de continuer à interrompre le trafic. De la
même manière, cette double logique exercera son poids sur
l’intervention de services extérieurs à ceux de l’exploitant.
Ce sera notamment le cas dans l’hypothèse d’un décès survenu sur le réseau, par exemple en cas d’accident.
Les services de police judiciaire auront à diligenter
une enquête, soit en flagrant délit, soit pour « mort suspecte » (art 74 du Code de Procédure Pénale). L’officier
de Police judiciaire devra procéder à des constatations et,
au besoin, avoir recours aux services de l’Identité
Judiciaire, opérations étant consommatrices de temps,
alors que l’exploitant cherchera à accélérer les actes, alors
que la logique de sécurité justifie une réalisation minutieuse.
3. Conclusion : pour un approfondissement
de la coordination entre les services de
sécurité
Suivant une règle sociologique bien partagée, les relations entre les différents services ont souvent tendance à
se transformer en une lutte plus ou moins dissimulée. Ces
querelles intestines, plus ou moins légitimées, génèrent sur
le terrain des rivalités et des tensions qui se révèlent à la fois
contre-productives et de nature à créer des risques opérationnels du fait du manque de connaissance et de confiance
en l’autre.
En Ile-de-France, la création du SRPT (service régional de la police des transports) en 2003 a apporté les prémices d’une coordination opérationnelle entre les trois
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La sécurité dans les transports : vers une approche organisationnelle ?
services opérant sur les réseaux franciliens (Police nationale, GPSR, SUGE) et le préfet est ainsi devenu l’unique
responsable de ces trois entités lors d’évènements exceptionnels. Si la coordination est mise en place sur le papier,
elle n’en est cependant qu’au premier stade sur le terrain,
au détriment des usagers
Cette coordination se limite actuellement aux différents postes de commandement, alors que des équipes
opérationnelles mixtes sur les points multimodaux pourraient amener ces équipes à une efficacité immédiate à
l’exemple des groupes d’intervention régionale mis en
place ces dernières années. Le cadre légal de ces équipes
se trouverait par nature élargi grâce à la présence des différents partenaires dotés de compétences légales différentes et souvent complémentaires. Ce dispositif aurait également l’avantage non négligeable détendre la compétence territoriale de ces équipes, leur permettant d’intervenir sur l’ensemble des réseaux de transports, tels que :
RATP, SNCF, APTR…
Pour clarifier cette analyse, une équipe mixte serait
opérationnelle sur l’ensemble des réseaux. Alors qu’aujourd’hui, les équipes SUGE et GPSR ne sont compétentes
que sur leur réseau respectif : une équipe GPSR située sur
un point multimodal « châtelet les halles », n’a compétence
que sur le réseau RATP mais pas dans la zone SNCF qui
est située à quelques dizaines de mètres seulement.
Cela pourrait constituer un préalable à la fusion complète des différents services de sécurité intervenant sur les
réseaux de transports afin d’obtenir une police des transports unifiée sous l’autorité régalienne du ministère de
l’intérieur.
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Certains objecteront que les statuts ne sont pas compatibles. Pour autant, quels que soient les services dont ils
dépendent, tous les agents présents sur les réseaux de
transports publics effectuent le même travail : appréhender les individus qui menacent la sécurité des usagers et
perturbent le bon fonctionnement du service. De surcroît,
la légitimité des services de sécurité internes des entreprises de transport public est extrêmement ancienne,
puisqu’elle prend sa source dans une loi de 1845. Autant
dire que l’unification de ces trois entités donnerait naissance à une police des transports avec des effectifs conséquents gérés et affectés plus rationnellement qu’aujourd’hui, il est légitime de s’interroger : les obstacles de
nature administrative et les réflexes corporatistes des uns
et des autres ne méritent-ils pas d’être surmontés ?
Références
[1]
J.F. BELENGER, « Le risque lié au terrorisme dans les transports publics », rapport du Paris-II Assas – DRMCC (à paraître en 2007).
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Jean-François Belenger, ancien champion du monde de boxe
thaïlandaise, est entré au GPSR en 1994. Depuis 2002, il y exerce
la fonction de formateur. Il est titulaire d’une licence de sécurité
des biens et des personnes (université Paris V) dans le cadre de
laquelle il a rédigé un mémoire sur « la formation au sein d’un service opérationnel de sécurité dans les transports publics ». Il termine actuellement le diplôme « analyse des menaces criminelles
contemporaines » du DRMCC (université Paris II) dans le cadre
duquel il rédige un mémoire sur « le risque lié au terrorisme dans
les transports publics ». Il est en outre rédacteur en chef de la
revue sécu-live.
REE
N° 10
Novembre 2007
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