Alliance, familles et précarité : parcours biblique

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Alliance, familles et précarité : parcours biblique
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Alliance, familles et précarité : parcours biblique
Le Père Alain Thomasset, Jésuite, nous propose un petit parcours biblique pour penser notre désir de mettre
davantage en lien le souci des familles et le souci des personnes en précarité, de lier davantage diaconie et
pastorale familiale.
1. L'Ancien Testament
Commençons par l’Ancien Testament. Dès la Genèse, la bénédiction de Dieu sur le couple humain
s’accompagne d’une promesse de descendance nombreuse : « croissez et multipliez, emplissez la terre,
soumettez là » (Gn 1,28). Cette promesse est renouvelée par deux fois lors de l’alliance de Dieu avec Noé et
ses fils, après le déluge : "Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre » (Gn 9,1.7.). Mais l’alliance nous le
savons ne prend forme stable et historique qu’avec l’appel d’Abraham.
Lorsque Dieu choisit d’appeler Abraham il lui fait la promesse d’une génération nombreuse. La question de
la descendance est cruciale pour Abraham qui est âgé et sans enfant. Dans l’Ancien Testament et les peuples
du Moyen Orient ancien en général, la descendance est le signe par excellence de la bénédiction de Dieu
dans la vie. Outre qu’ils sont une source de main d’oeuvre et de richesse, les enfants sont garants de la
continuité d’une lignée, ils sont aussi porteurs d’espérance pour une vie meilleure et une garantie pour les
parents dans leurs vieux jours. Les enfants permettent la continuité du peuple dans l’histoire. La promesse
de Dieu est ainsi liée de manière récurrente à une descendance nombreuse, non seulement pour Abraham
mais aussi pour tous les patriarches. Descendance qui constitue un peuple élu.
En même temps dans le récit d’Abraham, si l’alliance est fortement liée à la question de la génération (ce
qui met d’ailleurs le couple stérile Abraham / Sarah en difficulté) elle l’est aussi avec celle de l’accueil de
l’étranger, du pauvre, de la veuve et de l’orphelin. C’est l’hospitalité d’Abraham qui permet à celui-ci
d’entendre la promesse d’un fils. On le sait c’est lorsqu’Abraham accueille les étrangers qui se présentent à
proximité de sa tente que ceux-ci se révèlent des messagers de Dieu et qu’il reçoit à nouveau l’annonce de la
naissance improbable de son fils Isaac. La générosité hospitalière d’Abraham sera un exemple pour toutes
les générations suivantes. Elle est l’occasion d’une bénédiction particulière, celle de recevoir un fils. Comme
le dit l’épître aux Hébreux qui commente ce passage : « Persévérez dans l‘affection fraternelle. N'oubliez pas l'
hospitalité, car c'est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges » (He 13,2). L’
hospitalité vis-à-vis des étrangers est l’occasion d’une révélation du Dieu de la vie. De même on peut
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souligner que cette descendance accordée à un couple a priori stérile est le signe par excellence d’un don de
Dieu qui marque son engagement. Cette circonstance se répétera bien des fois dans l’histoire d’Israël.
Par ailleurs, ce don de la vie par Dieu lui-même appelle une réponse de la part de l’homme. L’alliance de
Dieu avec son peuple telle qu’elle est développée dans le Pentateuque supposera toujours un souci des
pauvres. Les codes d’alliance dans l’Exode, le Deutéronome et le Lévitique sont très clairs à ce sujet et les
prophètes se chargeront de le rappeler de manière vigoureuse. Pas de relation possible avec Dieu si l’on
exploite le pauvre, si on pratique l’injustice, si le malheureux et l’étranger sont laissés à l’abandon. D’une
certaine façon ce serait bafouer la vie donnée et la conséquence en serait terrible pour le peuple lui-même.
L’appel à prendre soin du pauvre et du faible, de l’étranger comme de la veuve est aussi fondé sur le
souvenir que le peuple fut lui-même étranger et mis en esclavage en Egypte. L’appel à aimer le pauvre, la
veuve et l’étranger sont une condition pour ne pas retourner en esclavage, un esclavage de soi-même.
2. Le Nouveau Testament
Dans l’Ancien Testament, bénédiction familiale, souci du pauvre et relation à Dieu au sein de l’alliance
sont donc intimement liés. Que se passe-t-il dans le Nouveau Testament ?
L’Evangile, on le sait, insiste fortement sur le lien entre la suite de Jésus et le souci des pauvres. Jésus
s’inscrit dans la lignée des prophètes lorsqu’il dénonce ces mises à l’écart de ceux qui sont exclus du peuple
et des promesses de l’alliance. Bien plus, il déclare que les signes de la venue du Royaume sont que la
bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, que les malades sont guéris, que les prisonniers sont libérés, etc.
(Lc 4). Lui-même incarne cette réalité du Royaume, par sa prédication, par ses guérisons, par la compassion
qu’il éprouve devant les miséreux, dans son souci constant de les réintégrer dans la communauté. Lui-même
s’identifie aux pauvres, aux prisonniers, aux malades, lorsqu’il énonce la parabole du jugement dernier « ce
que vous avez fait à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25).
3. Que deviennent les relations familiales et la bénédiction qui leur est liées ?
L’Ancien Testament, rappelons-le, n’idéalise jamais les relations familiales. Lorsqu’on lit les récits des
patriarches ou ceux des livres historiques qui rapportent les méandres familiaux de Saül, ou David, on voit
que la Bible décrit la vie des couples et des familles avec lucidité, sans oublier les graves difficultés qu’elles
traversent, voire les impasses où elles se trouvent. C’est souvent davantage un sac de noeuds qu’un idéal qui
est mis au jour (A. Wenin). Cela dit, ces textes interrogent, dénoncent et manifestent que ces difficultés ne
sont pas insurmontables, que plusieurs modèles sont possibles et qu’en dépit des turpitudes, la grâce de Dieu
fait son oeuvre au sein de l’histoire des hommes. Il y a une belle pédagogie divine à recueillir à cet endroit.
Si la vie conjugale et familiale est la grande métaphore de l’alliance, celle-ci se déroule au sein d’un
itinéraire plein d’embuches, comme en témoigne par exemple la vie symbolique du prophète Osée dans ses
épousailles avec une prostituée.
4. Dans le Nouveau Testament, une lucidité bien présente
Dans le Nouveau Testament, cette lucidité est également bien présente. Il suffit de lire les généalogies de
Jésus dans l'évangile selon Saint Matthieu pour y trouver la trace des turpitudes évoquées précédemment. On
voit ainsi comment l’accomplissement de la promesse divine passe plus d’une fois par les voies d’une
conjugalité très contestable qui défie la morale commune. (AM Pelletier). Et si le Christ exalte la relation
conjugale et l’union fidèle des époux dans leur vérité de révélation du dessein créateur de Dieu (Mt 19), il
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relativise aussi l’institution familiale qui peut devenir (surtout dans le contexte du Moyen-Orient ancien mais
encore aujourd’hui) un lieu de contrainte et de frein à la croissance des personnes.
Jésus conteste l’exclusivité de la parenté biologique : « Qui sont ma mère, mon frère, ma soeur ? » « ceux qui
écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 8,19-21). Faut-il rappeler que Jésus déclare
apporter la division dans les familles (Lc 12, 49-53), qu’il refuse le terme de « père » sur terre (Mt 23,9), et
qu’il demande de haïr les siens pour le suivre (Lc 14,26). En fait la grande annonce est que dans le Christ,
comme dit Paul, « il n’y a plus l’homme et la femme, ni esclave ni homme libre, ni païen ni juif » (Ga 3,38),
puisque par le baptême tous ont également accès à la plénitude de la grâce et de la vie filiale en Dieu. Jésus
et Paul déplacent en quelque sorte le curseur vers les relations de fraternité. S’ils ne négligent pas –loin de
là- la famille de sang, généalogique et verticale, ils mettent une insistance nouvelle sur ce qu’on pourrait
appeler la famille horizontale et fraternelle de la communauté des disciples.
Daniel Marguerat me faisait remarquer récemment que la bénédiction de la genèse liée au couple d’Adam et
Eve : « croissez et multipliez » est reprise dans les mêmes termes dans les Actes des apôtres mais pour
s’appliquer à la Parole de Dieu et à l’extension de la communauté :
- Actes 6,7 : « Et la parole du Seigneur croissait ; le nombre des disciples augmentait considérablement à
Jérusalem, et une multitude de prêtres obéissaient à la foi ».
- Ac 12,24 : « Cependant la parole de Dieu croissait et se multipliait »
- Ac 19,20 : « Ainsi la parole du Seigneur croissait et s'affermissait puissamment »
5. Pour le Nouveau Testament, la famille est avant tout famille de Dieu
Pour le NT la famille, c’est avant tout la famille de Dieu, la communauté des disciples et au-delà d’elle la
communauté humaine appelée à se rassembler en Christ. D’ailleurs, les églises africaines, aujourd’hui
aiment à utiliser le terme d’église-famille.
Qui dit famille de Dieu, dit fraternité vécue concrètement. Et on le sait, Paul est extrêmement sévère contre
les assemblées qui partagent le repas du Seigneur tout en continuant de faire des différences entre les
pauvres et les riches, et qui ne témoignent pas de la sollicitude du Christ à l’égard des plus démunis. Il est
aussi très sévère avec les communautés qui laissent perdurer en leur sein des pratiques d’inceste.
Il me semble que pour notre sujet sur précarité et pastorale familiale, ces quelques indications sont très
instructives. La réflexion que j’en tire demanderait sans doute à être précisée et davantage argumentée, mais
je vous partage cette conviction. Tout se passe comme si, dans le Nouveau Testament, la réalité de la famille
était à la fois renforcée et relativisée ou du moins mise en relation avec une autre réalité familiale qui est
celle de la fraternité en Christ. Le couple et la famille sont vivement renforcés puisque le Christ est présent
à cette union et que comme le dit Paul dans une comparaison hardie, le mystère de l’union de l’homme et de
la femme est comparé au mystère de l’union du Christ et de l’Église (Ep 5). La grâce habite cette relation
pour lui donner les fruits que Dieu attend. Mais en même temps, la bénédiction de la fécondité, semble
reportée sur la croissance de la communauté elle-même. C’est la parole et la communauté qui recueillent la
promesse faite dans le projet créateur de Dieu. C’est la fraternité en Christ acquise dans le baptême qui
devient la réalité fondamentale, à la base de tous les rapports humains. Et cette fraternité suppose le soin
des autres, l’attention aux petits. Famille et fraternité humaine sont à penser ensemble dans la mission de la
communauté chrétienne.
C’est une bonne raison du lien entre famille et société au sein du conseil épiscopal qui porte ce nom.
Puisque les familles jouent un rôle essentiel dans la société, la pensée et la pratique sociale de l’Église ne
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peuvent pas se désintéresser de la famille. Celle-ci joue notamment un rôle éducatif central pour la vie
sociale. Bien plus, par sa nature, elle possède en elle-même une vocation sociale au service de la fraternité
universelle, elle porte la promesse d’une réconciliation entre les sexes, les générations, les classes sociales
(cf. Ep 5,1-6,9). Par ailleurs, puisque dans l’économie du salut, la famille et la fraternité sont à penser
ensemble, la pastorale familiale ne peut pas se désintéresser du service du frère démuni, témoignage de
l’amour de Dieu répandu dans nos coeurs par l’Esprit du Christ. C’est la nécessité de faire entendre le lien
intime entre l’amour du conjoint et l’amour des frères qui est à rappeler. Beaucoup de couples en font
d’ailleurs l’expérience : c’est en s’ouvrant la charité vis-à-vis des frères en difficulté que s’éprouvent et se
renforcent les liens entre les fiancés ou les époux. Un amour conjugal authentique ne peut pas se vivre sans
cette ouverture aux hommes et aux femmes qui sont nos frères en humanité et en Christ. On pourrait même
dire qu’aucun amour authentique ne peut se découvrir en vérité sans cette révélation de Dieu qui vient de la
rencontre des autres, en particulier les petits et les pauvres. Croire au Dieu de l’alliance, un Dieu Père qui
fait alliance éternelle avec nous en Jésus-Christ par l’Esprit, suppose donc de ne jamais disjoindre notre
vocation baptismale fondamentale et notre vocation familiale ou religieuse.
Loin de minimiser l’importance du mariage, cette perspective biblique renforce au contraire la vocation
sociale de cet amour conjugal et son service de la réconciliation. Comme le dit le Concile, la société de
l’homme et de femme est l’expression première de la « communion des personnes » (GS 24,3) à laquelle toute
l’humanité est appelée. « Communauté profonde de vie et d’amour » (GS 48), l’union matrimoniale est
l’expression première de la vocation sociale de l’être humain (GS 12,4), elle est au service de la « fraternité
universelle » qui répond à la vocation du genre humain (GS 3,2). La grâce et les fruits du mariage débordent
largement ceux qui y sont engagés. Or les couples ont souvent trop peu conscience du soutien humain et
spirituel que leur famille apporte à ceux qui sont autour d’eux (Ph. Bordeyne, p. 235).
6. La démarche Diaconia 2013
La démarche de Diaconia nous a aidés à mieux comprendre cela, non seulement dans l’intelligence qu’elle a
donné de la mission de l’Église mais aussi dans l’expérience vécue lors du rassemblement de Lourdes 2013
et dans les préparations et les suites de cette rencontre au niveau des paroisses, des diocèses, des
mouvements. Diaconia nous a rappelé à la suite du pape Benoît XVI que les trois fonctions de l’Église :
kerygma, liturgia, diakonia sont intiment liées. Elles font partie pourrait-on dire de l’ADN de l’Église, si
bien que lorsqu’une de ces missions manque, c’est l’Église qui est défigurée. En même temps, depuis
Diaconia, nous avons fait de nombreuses fois l’expérience de la richesse de la rencontre avec les plus
pauvres. La force de leur parole et de leur expérience nous a touchés. Leur humanité nous a rejoint, nous a
rendu nous-mêmes plus humains, et surtout ce service du frère s’est révélé un lieu source pour la foi. Nous
avons éprouvé que non seulement ce service fraternel est une exigence de la foi, une conséquence éthique de
notre foi au Christ (quelque chose qui pourrait s’avérer pesant et épuisant), mais aussi et surtout un lieu de
révélation de la présence, de la joie et de la force du ressuscité. Le témoignage de Martine que nous avons
entendu est en une preuve parmi d’autres. C’est lorsque nous entendons Martine dire que Jésus fut pour elle
comme une corde tombée dans le puits de misère qu’elle était devenue, que nous pouvons mieux découvrir
ce qui dans notre vie est source de salut et d’une vie familiale heureuse.
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A l’issue de ces réflexions, je crois que ceux qui sont engagés dans la pastorale familiale non seulement
sont invités à prendre soin des familles en difficulté notamment à cause des conditions économiques et
sociales qui défigurent la famille et la mette en danger, mais ils gagneraient aussi beaucoup à être attentifs à
ces familles dans leur expérience du salut de Dieu à travers leurs épreuves. Leur expérience unique est
source d’un savoir que nul autre ne possède et elle est une richesse pour toutes les familles et toute la
communauté. Il nous faut retrouver ce lien entre famille et fraternité, entre famille généalogique et famille
horizontale des fils et filles de Dieu, retrouver la vocation sociale de l’amour conjugal. C’est une des
conditions pour recevoir à nouveau cette bénédiction que nous promet le Dieu de l’Alliance.
Intervention orale du Père Alain Thomasset s.j. « Familles et précarité : une révélation du Dieu de l’Alliance
», 7 mars 2016
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