Édition du Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Digulleville

Transcription

Édition du Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Digulleville
Sélection d’ouvrages présentés en hommage
lors des séances 2013 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de
l'Académie, de la part de ses éditeurs, notre
correspondant Frankwalt Möhren, Stephen Dörr, Thomas
Städtler et Sabine Tittel, l'imposante édition du de
Guillaume de Digulleville d'après le manuscrit Codex Pal.
lat. 1969 de la Bibliothèque universitaire de Heidelberg
(Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 2013, 413
p.) ; l'ouvrage est accompagné d'un volume de fac-similé
où l'on découvre avec autant de plaisir que d'admiration
ce manuscrit orné de splendides enluminures et
illustrations.
Le Pèlerinage de vie humaine, pérégrination
allégorique vers la Jérusalem céleste, a été composé à
l'Abbaye de Chaalis, entre 1330 et 1332, par le moine
cistercien Guillaume de Digulleville. Ce texte à la fois
savant et très subtil a été précédemment édité d'après l'un des mss les plus anciens (de
c.1355, BnF fr. 1818) par Jakob Stürzinger (en 1893). En dépit d'interventions relativement
nombreuses mais dûment signalées et d'un apparat critique trop restreint, l'édition
Stürzinger continue à faire autorité (on notera qu'une nouvelle transcription du même
manuscrit a été procurée par Béatrice Stumpf sur le site de l'ATILF pour accompagner le
Lexique qu'elle a rédigé en vue du DMF). Certes la présente édition n'est pas plus que celle
de J. Stürzinger une édition critique fondée sur l'entier de la tradition manuscrite ; mais le
manuscrit de Heidelberg, datable de c.1375, procure par sa très grande qualité une vision
renouvelée de ce texte capital. En l'occurrence, les retouches restent exceptionnelles, et la
lecture, contrôlable par le fac-similé, est à tous égards parfaite. Quelques traits picards, mais
discrets, parsèment le texte, dus au scribe bien plus qu'à l'auteur d'origine normande qui
pratique une langue très peu marquée dialectalement. L'édition comporte une traduction en
allemand, à la fois fidèle et souvent fort élégante, de nombreux et pertinents commentaires
et un précieux glossaire lexicologique. Il s'y ajoute un historique détaillé du manuscrit et une
intéressante analyse des illustrations (par Karin Zimmermann, conservateur à la Bibliothèque
universitaire de Heidelberg, et Wolfgang Metzger, conservateur à la Landesbibliothek de
Stuttgart).
Le remarquable glossaire mérite tout particulièrement de retenir l'attention : il est de
grande importance pour la lexicographie historique du français. Entre les mains expertes des
rédacteurs du DEAF, toutes les difficultés du texte s'aplanissent ; on peut assurément se fier
aux interprétations qui sont données (amerveillier, assorti d'un point d'interrogation, est en
effet bien douteux ; peut-être lire a merveille, en corrigeant Et de 3613 en El "elle" ;
dessoumetre pour dessoumissoie convient mal ; il est formé sur soumission, et non sur
soumettre, et des- semble dis- plutôt que de- perfectif ; ouni paraît signifier "comparé" et
serait alors unir, et non pas honnir). Les définitions sont formulées en français, en
l'occurrence préférable à l'allemand (il est vrai que c'est parfois dans un français un peu
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maladroit : "d'une manière louchante" pour "louche" sous clicorgne ; "unification des saints"
pour "communion des saints" sous communion ; "partie terminante" pour "partie terminale"
ou "bout" sous debout ; accepter à faire qqc., pour de faire qqc. sous consentir… ; les
personnes de la Trinité sont tout de même difficilement désignables par individus (sous
personne) ; au reste, est-il bien nécessaire, dans un glossaire d'édition, de dire ce qu'est une
épaule, "partie du corps entre le cou et le bras avec le dessus de l'omoplate, la clavicule et
les muscles correspondants", une flèche, un garde-champêtre – sous messier, ou de définir
manger ?). Les éditeurs marquent judicieusement d'un Δ tous les faits que la lexicographie
historique du français devrait désormais mentionner ; à noter cependant que beaucoup
d'entre eux figurent déjà dans le DMF (d'après l'édition Stürzinger) : ainsi pour abestir,
absconsé, abuissal, abusser (abuscher), acroceter (accrocheter), afruitier (afruiter), agachier
(agacer 2), ahoc, apasteleur, apeser, aplatir, apointon, aquet (acquêt), asemillier (assemiller
2), assens, atropeler, bacconeresse (baconneresse), banniere, baretement (baratement),
basiliche (basilic 1), baudré, biaubelet, billart, bitumïeus (bitumeux), bloquel, boçuel, boule,
boulengiere (boulangère), bourrelle, briseresse, butordement et bien d'autres dans la suite
de l'alphabet. Parmi les faits les plus marquants, on relèvera (p.324) les "premières
attestations" du manuscrit édité (datables par conséquent de c.1375).
Les éditeurs se proposent de mettre prochainement le texte en ligne et d'augmenter
à cette occasion le glossaire de toutes les références lexicographiques utiles : l'ouvrage
rendra de plus grands services encore. L'œuvre de Guillaume de Digulleville mérite
assurément les soins attentifs qui désormais l'entourent. Comme on sait, l'auteur a composé
en 1355 une seconde version du Pèlerinage de vie humaine : pour l'heure elle reste
inaccessible, si ce n'est par un imprimé du XVIe s. (exploité par Godefroy sous l'étiquette de
"édition de l'Institut"). Une mise en prose du XVe s. devrait en revanche bénéficier bientôt
d'une édition. Par ailleurs, un groupe de l'IRHT et de l'Université de Paris-Sorbonne se
consacre, dans le sillage de Jakob Stürzinger, aux prolégomènes d'une édition critique des
trois Pèlerinages (Pèlerinage de vie humaine, Pèlerinage de l'âme – c.1355-1358, Pèlerinage
de Jésus-Christ – 1358). L'excellente édition de Heidelberg stimulera grandement la
poursuite de tous ces travaux.
Robert MARTIN
Le 3 mai 2013
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