Quelques enjeux éthiques relativement au recrutement des sujets
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Quelques enjeux éthiques relativement au recrutement des sujets
QUELQUES ENJEUX ÉTHIQUES RELATIVEMENT AU RECRUTEMENT DES SUJETS DE RECHERCHE Texte rédigé par Sonya Audy Pour le compte du CLÉRUM Version finale adoptée par le CLÉRUM le 12 mars 2007 TABLE DES MATIÈRES Note au lecteur..................................................................................................................................................i Introduction ..................................................................................................................................................... 1 1. Trois notions clés : la coercition, la manipulation et l’influence indue ................................... 4 2. Quelques préoccupations reliées aux moyens d’identification des sujets de recherche ... 6 2.1 L’identification des sujets de recherche à partir de dossiers détenus par le chercheur....................... 6 2.2 L’identification des sujets de recherche à partir de dossiers détenus par un tiers .............................. 8 2.3 L’identification des sujets de recherche par l’intermédiaire de personnes ayant déjà accepté de participer au projet.........................................................................................................................10 3. Quelques préoccupations reliées aux incitatifs ...........................................................................12 3.1 Les incitatifs destinés aux sujets de recherche pressentis .................................................................12 3.2 Les primes de recrutement .................................................................................................................17 3.2.1 Les primes d’intermédiaire et de chasseur de tête ..................................................................17 3.2.2 La prime à l’enrôlement compétitif ..........................................................................................21 4. Quand recrutement rime avec conflit de devoirs .........................................................................24 4.1 La querelle relative à la nature des devoirs du professionnel-chercheur ...........................................25 4.2 Les devois accrus du professionnel-chercheur ..................................................................................27 5. Quelques préoccupations reliées au recrutement de personnes particulièrement vulnérables ............................................................................................................31 5.1 La notion d’exploitation .......................................................................................................................31 5.2 Des situations reliées à la rareté des ressources et aux délais d’attente ...........................................32 5.3 Des situations où la compréhension des sujets de recherche pressentis serait remise en question......... 33 5.4 La surutilisation de certains sujets de recherche ................................................................................39 5.5 Quand la surutilisation découle de la volonté même des sujets de recherche ...................................40 Conclusion .....................................................................................................................................................44 Bibliographie ..................................................................................................................................................46 Note au lecteur L e présent document a été déposé initialement le 3 décembre 2006. Suite aux commentaires émis, une deuxième version a été soumise au CLÉRUM, le 29 janvier 2007, afin que les membres du comité la déposent à leur tour à leur CÉR respectif aux fins de commentaires. Le document a été à nouveau examiné à la réunion du 12 mars 2007 où il a été, à l’unanimité, adopté. Nous tenons à remercier tous ceux qui ont contribué, par leurs commentaires, à enrichir la version initiale. Le lecteur voudra bien noter, enfin, que ce document remplace le texte Repères éthiques relativement au recrutement et à l’enrôlement des sujets de recherche produit pour le compte du CLÉRUM le 15 octobre 1997. Sonya Audy Consultante en éthique Introduction Dans la vie, tout est une question de proportions. Si l’on était des fourmis, le caniveau nous semblerait l’embouchure de l’Amazone. Quino On ne pense plus à la dignité quand on est désespéré. Joanna Trollope L’appât du gain ne représentera jamais la motivation principale du chercheur. Pierre Joliot Rien n’est plus insondable que le système de motivations derrière nos actions. Georg Christoph Lichtenberg Tous les hommes ne sont pas vulnérables de la même façon ; aussi faut-il connaître son point faible pour le protéger davantage. Sénèque L ORSQUE nous avons commencé à réfléchir au thème du recrutement, deux idées à l’état brut se sont rapidement imposées. La première s’est manifestée sous forme de questions : qu’est-ce qui incite une personne à accepter de participer à un projet de recherche ? Et dans quelle mesure le fait-elle de façon libre et éclairée ? La seconde idée concernait le recrutement et son rapport au temps, cet élément clé qui a une consonance toute particulière en recherche en santé. Nos questions allaient trouver écho puisque plusieurs auteurs se sont intéressés aux facteurs qui rendaient difficile la participation ou, au contraire, la facilitaient. À titre d’exemple, la nature des interventions prévues ou des effets secondaires appréhendés ainsi que certains aspects liés à la méthodologie du projet pouvaient décourager les sujets pressentis d’accepter de participer à une recherche. Cela était le cas pour des recherches comportant des interventions intrusives ou des projets sur le cancer où les effets secondaires prévus sont assez importants1. Dans la même veine, des sujets pressentis refuseraient de participer à un projet comportant un groupe placebo ou un traitement sousoptimal de peur d’être randomisés dans de tels groupes et de ne pas recevoir le meilleur 1 Dans ce sens, notamment : AVIS, N.E. et al. (2006) ; WRIGHT, J.R. et al. (2004) rapportent que ce facteur jouerait davantage dans les essais de phase III (p. 4317). traitement disponible2. D’un autre côté, les raisons pour lesquelles une personne accepterait de participer à un projet seraient nombreuses et dépenderaient d’une multitude de facteurs. Cela tenait à des considérations logistiques et humaines3. Selon un conférencier, « the location of the research site, the ease of access and parking, the personality and trustworthiness of the staff, and the flexibility of the schedule all are factors that make a difference in recruiting and retaining research participants. »4 Dans d’autres cas, les raisons tenaient à la situation dans laquelle une personne se trouvait à un moment précis de sa vie. À titre d’exemple, plusieurs personnes accepteraient de participer par valorisation ou simplement par altruisme5, dans l’espoir d’en aider d’autres ou de contribuer à l’avancement des connaissances. Selon un sondage réalisé par la National Alliance for the Mentally Ill (NAMI), 76 % des répondants avaient affirmé qu’ils participeraient à un projet même si celui-ci ne leur offrait aucun avantage direct6. On observe le même phénomène, cette fois dans une étude avec des patientes atteintes du cancer du sein : le bénéfice d’autrui avait recueilli le plus haut pourcentage (94 %) suivi de leur confiance envers la recherche médicale (87 %), de l’espoir d’en retirer des bénéfices thérapeutiques éventuels (83 %) ou encore sur la recommandation du médecin (81 %)7. Cela étant, certaines situations dans lesquelles se trouve un sujet pressenti peuvent amener une décision qui n’aurait pas été la même autrement. En soi, cela n’est pas forcément problématique. Le respect de l’autonomie des sujets pressentis ne doit pas être entendu, en effet, au sens de choix judicieux de la personne mais bien plutôt au sens de choix exercé dans des conditions propices. Or – et sans adopter pour autant une attitude paternaliste – certains facteurs susceptibles d’amener un sujet pressenti à accepter de participer pourraient mériter réflexion. Par ailleurs, le thème du recrutement ne peut être dissocié de l’élément temps. D’une part, vous avez une pléthore de chercheurs dont les efforts tendent à comprendre les phénomènes afin de mieux les maîtriser. Et plus vite cette maîtrise sera acquise, plus vite espère-t-on soulager l’humanité de tous ses maux. Cet objectif de maîtrise requiert indubitablement la participation de sujets de recherche. Le recrutement occupe donc une 2 3 4 5 6 7 Dans ce sens, notamment : MILLER, M. (2000) ; TOURNOUX, C. et al. (2005). TOURNAUX, C. et al. (2005) rapportent que « the additional demands of a study could cause concern for some patients, thus influencing their decision to participate. Extra procedures and times pressures, travel problems, or extra costs account for reasons of patient refusal. » (p. 267). ROBERTS, L.W. et al. (2004) rapportent que the « hard factors were reported to the burden of participation, either in terms of fear of logistical difficulty » (p. 289). INSTITUTE OF MEDICINE (2001), p. 3. Dans ce sens, notamment : WARNER, T.D. et al. (2003), pour 36 % des répondants ; WRIGHT, J.R. et al. (2004). INSTITUTE OF MEDICINE (2001), p. 1. Ce facteur arrivait en 2e position, récoltant un taux de 23 %, selon un autre sondage réalisé cette fois par le CentreWatch (p. 4). AVIS, N.E. et al. (2006), p. 1864. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 2 place centrale dans le processus de recherche. D’autre part, le temps est également un élément clé dans le contexte actuel de la recherche. En effet, les années ’90 ont vu apparaître une chute importante de la recherche académique au profit de celle qui se déroule dans le secteur privé : « 60 % of industry funding is allocated to community-based trials, which represents a 3-fold increase in less than a decade. »8 Parallèlement, on constatait l’implication beaucoup plus marquée de professionnels qui devenaient des agents recruteurs. À titre d’exemple, aux États-Unis, « the overall number of physicians involved in clinical research has increased 600 % during the 1990s. Over the same period, the number of private physicians who have become physician-investigators tripled to nearly 12,000; as a result, many of their patients became patient-subjects. »9 Selon certains, les compagnies pharmaceutiques n’auraient d’autres choix que de mettre sur le marché entre 24 et 34 nouveaux médicaments par année, afin de maintenir des seuils de profitabilité acceptables10. D’où l’importance de s’assurer le concours de sujets de recherche en nombre suffisant à l’intérieur de délais assez courts, ce qui a amené plusieurs à penser, à peaufiner des stratégies de recrutement susceptibles de répondre à cet objectif. Partant, cette nouvelle donnée vient teinter la réflexion sur le recrutement. Le mandat des comités d’éthique de la recherche (CÉR) s’en trouve complexifié au chapitre de l’examen des modalités relatives au recrutement11. Ainsi, bien que le thème du recrutement ne soit pas nouveau – tant a déjà été écrit à ce sujet – force est de constater qu’il est toujours d’actualité. Il nous force à trouver un juste équilibre entre les impératifs de la recherche et du respect de la dignité des sujets de recherche. Les enjeux éthiques sont nombreux. Ils concernent l’autonomie des sujets de recherche, la bienfaisance, la non-malfaisance, la justice et l’intégrité. Nous nous proposons d’en présenter quelques-uns ainsi que les solutions qui ont été proposées par différents auteurs afin de résoudre les difficultés ou, à tout le moins, de les atténuer. Mais avant d’aller de l’avant, il faut nous arrêter brièvement sur trois notions clés, nécessaires pour une meilleure compréhension de ce qui va suivre : la coercition, la manipulation et l’influence indue. 8 9 10 11 MORIN, K. et al. (2002), p. 79. CHEN, D.T. ET WORRALL, B.B. (2006), p. 133. Dans le même sens, voir notamment MORIN, K. et al. (2002). À noter que ces auteurs avancent qu’il y avait non pas 12 000 médecins-chercheurs mais plutôt plus de 30 000, en 1998 (p. 78). L’American Heart Association a même rédigé une déclaration à l’intention des cliniciens dans leur pratique privée désirant devenir chercheurs dans lequel on retrouve les avantages et les écueils : LADER, E.W. et al. (2004). MORIN, K. et al. (2002), p. 78. Dans ce sens aussi : ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (2000), art. 6.2, point 6.2.2 ; GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (1998), §8 ; SANTÉ CANADA (1997), article 3.1.2. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 3 1. Trois notions clés : la coercition, la manipulation et l’influence indue P LUSIEURS des discussions sur le thème du recrutement font intervenir trois notions clés : la coercition, la manipulation et l’influence indue. Qu’en est-il au juste ? Ce que disent les textes normatifs… FQRSC (2002). Éthique de la recherche sociale... , règle A.11 La période de sollicitation et de recrutement des sujets de recherche est très importante. Aussi, les chercheurs verront à ce que les critères de recrutement respectent les principes d’autonomie et de bienfaisance. (...) FRSQ (2003). Standards d’éthique..., article 11, introduction L’approche initiale auprès du sujet pressenti doit être mise en La coercition suppose l’idée de contrainte, œuvre d’une manière qui ne permet aucun doute sur le de pression ou de réelles possibilités de caractère parfaitement libre du consentement exprimé. Suivant cette norme, le sujet pressenti ne devrait jamais se trouver dans conséquences négatives sérieuses12. On une situation de contrainte ou de dépendance par rapport au a recours à des moyens en vue de conchercheur ou à ses collaborateurs. traindre quelqu’un à participer à une Trois Conseils (1998). Énoncé de politique, règle 2.2 Le consentement libre et éclairé doit être volontaire et donné recherche. « A person is coerced when sans manipulation, coercition ou influence excessive. her choices are unfavorably narrowed by CONSEIL DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES DES SCIENCES MÉDICALES (CIOMS) et ORGANISATION someone who is trying to get her to do MONDIALE DE LA SANTÉ (OMS) (2002). Lignes directrices 13 something she would not otherwise do. » internationales..., ligne directrice 6 Les promoteurs et les investigateurs ont le devoir : La coercition requiert toujours l’intention - De s'abstenir [...] de tentative d'exercer une influence indue délibérée de contraindre l’autre à faire ou de manoeuvre d'intimidation... quelque chose. À titre d’exemple, on pourrait parler d’une forme de coercition si, parmi les modes d’évaluation d’un cours, figurait l’obligation pour l’étudiant de participer à un projet de recherche de son professeur14. La manipulation, selon le Petit Robert, est le fait, pour une personne, d’exploiter chez autrui, contre son gré ou non, un état de dépendance psychologique, en vue notamment d’en tirer des avantages. Les sujets de recherche ne seraient qu’un simple moyen pour parvenir à nos fins. Certains auteurs font remarquer que la façon de présenter l’information aux sujets pressentis pourrait constituer une forme de manipulation selon qu’elle joue sur leurs préférences ou leurs craintes irrationnelles (framing effects, nonrational fears)15. À titre d’exemple, présenter l’information sous l’angle du taux de survie ou du taux de mortalité – le verre à demi-plein ou à demi-vide – pourrait amener un sujet pressenti à décliner ou, au contraire, à accepter l’invitation. De même, on rappelle que « physicians may be unaware of how they present trial information to patients and need to be cognizant of their biases and how these influence patients. »16 Cela donne donc à penser que la manipulation ne serait pas toujours délibérée17. 12 13 14 15 16 17 Dans ce sens, notamment BENTLEY, J.P. et THACKER, P.G. (2004). HAWKINS, J.S. et EMANUEL, E.J. (2005), p. 17. Selon une étude réalisée sur la nature des compensations offertes à différents types de sujets de recherche, cette forme de compensation serait assez répandue pour les sujets étudiants. Ainsi, sur 66 projets examinés, 49 d’entre eux offraient ce type de compensation (cours crédité). LATTERMAN, J. (2001). Voir notamment dans ce sens : COCKING, D. et OAKLEY, J. (1994). FADEN, R.R. et BEAUCHAMP, T.L. (1986). AVIS, N.E. et al. (2006), p. 1865. Pour contrer le phénomène, FADEN, R.R. et BEAUCHAMP, T.L. (1986) suggèrent de présenter l’information des deux manières. Enfin, l’influence indue ne comporte pas toujours l’élément intentionnel. « Constraining situations (...) are those in which nonintentional coercion-like situations cause a person to feel controlled by the constraints in a situation, rather than by the design of another person. Sometimes illness, powerlessness, and lack of resources present “threats” of harm that a person feels compelled to prevent at all costs. »18 L’influence indue suppose une forme d’excès, pousse une personne à faire quelque chose qu’elle n’aurait pas forcément fait n’eut été de l’incitation. « The moral concern here is that the sheer magnitude of the offer will encourage careless decision-making by the potential subject, sot that she overlooks very real risks of harm or sacrifices her long-term interests to gain a short-term good. »19 En ce sens, l’incitation, pour poser moralement problème, doit satisfaire deux conditions. D’une part, elle doit avoir été prise en compte dans la décision et, d’autre part, avoir été un facteur déterminant dans le processus décisionnel20. Comme le souligne un auteur, « [t]he idea that an inducement must be a significant factor does not imply that the decision must come automatically from the inducement. An inducement may be a very persuasive factor at the same time as being considered along with other, less persuasive, yet still relevant, factors. In the end, of course, the inducement would probably win out, but this is not a necessary requirement. »21 La présence d’une forme de coercition, de manipulation ou d’influence indue s’appréciera toujours dans la perspective des sujets pressentis. Les trois notions clés en bref... Coercition : pression délibérée faite sur autrui dans le but de l’amener à faire quelque chose à défaut de quoi, il pourrait craindre des conséquences négatives. Ex. : Dire à un sujet de recherche pressenti que pour recevoir un service, celui-ci devra accepter de participer au projet. Manipulation : exploitation, délibérée ou non, d’un état psychologique d’une personne dans le but de l’amener à accepter de faire quelque chose. Ex. : Laisser entendre au sujet de recherche pressenti que s’il participe au projet, celui-ci pourra recevoir un service donné sans avoir à attendre, comme ce serait le cas s’il n’acceptait pas de participer, sachant que cela pourrait avoir une grande incidence sur la décision du sujet qui attend ce service avec impatience, voire angoisse. Influence indue : acte comportant une forme d’excès, fait de façon délibérée ou non, de manière à ce que celui-ci ait été un facteur déterminant dans le processus décisionnel de la personne que l’on voulait amener à accepter de faire quelque chose. Ex. : Offrir à un sujet de recherche pressenti une compensation pour sa participation qui est telle qu’elle pourrait l’amener à mentir ou à faire de la rétention d’information de manière à ce qu’il ne soit pas exclu du projet. Ces précisions apportées, examinons maintenant quelques préoccupations reliées aux moyens utilisés en vue d’identifier les sujets de recherche. 18 19 20 21 BEAUCHAMP, T.L. (2005), p. 33. HAWKINS, J.S. et EMANUEL, E.J. (2005), p. 18. Dans ce sens, EDWARDS, S.J.L. (2006), p. 84. Dans ce sens, EDWARDS, S.J.L. (2006), p. 84. L’auteur exemplifie l’assertion de la façon suivante : « someone could be ‘induced’ to go into a trial in order to get access to treatment, not because that treatment itself seems attractive, not because the alternative is the threat of inevitable death, and this negative factor is the patient’s prevailing concern. It just so happens that the trial offers a way out, but this is not the factor that ‘leads’ the decision, although the way in which the options are set up and who is responsible for providing those options, whether described positively or negatively, affects the ethics of them. In both cases, we assume that the person offering the inducement or posing the threat has some control over those options, and hence has some degree of responsibility for the quality of the choices available. », p. 85. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 5 2. Quelques préoccupations reliées aux moyens d’identification des sujets de recherche I L existe plusieurs moyens permettant d’identifier des sujets de recherche. Le présent chapitre en a retenu trois qui font naître des préoccupations au chapitre du respect de la vie privée et de la confidentialité22. En même temps, vouloir être respectueux de ces deux principes ne résout pas tous les problèmes, comme nous le verrons. 2.1 L’identification des sujets de recherche à partir de dossiers détenus par le chercheur Le chercheur peut identifier des sujets de recherche pressentis à partir de ses propres dossiers, constitués dans le cadre d’une relation professionnelle ou d’un projet de recherche antérieur. Cette pratique serait assez répandue dans certains milieux, selon nos sources. Des professionnels, qui combineraient le chapeau de chercheur, disposeraient même d’une base de données dans laquelle seraient consignés tous les renseignements pertinents Ce que disent les textes normatifs… C.c.Q. Art. 37 [Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne] ne peut, sans le consentement de l’intéressé ou l’autorisation de la loi, (...) les utiliser à des fins incompatibles avec celles de sa constitution ; elle ne peut non plus, dans la constitution ou l’utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l’intéressée ni à sa réputation. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q., c. P-39 Art. 8 La personne qui recueille des renseignements personnels auprès de la personne concernée doit, lorsqu’elle constitue un dossier sur cette dernière, l’informer : (...) 2° de l’utilisation qui sera faite des renseignements... Art. 12 L’utilisation des renseignements contenus dans un dossier n’est permise, une fois l’objet du dossier accompli, qu’avec le consentement de la personne concernée. RMGA (2000). Énoncé de principes : Recherches en génomique humaine Art. I.3 Compte tenu de la relation privilégiée entre le médecin-traitant et son patient, le médecin-traitant peut faire parvenir une offre de participation à ses propres patients. relativement au profil clinique de CIOMS et OMS (2002). Lignes directrices internationales... leur clientèle dans ce but avoué. Commentaire relié à la ligne directrice 4 – Consentement éclairé individuel Même si la confidentialité est ici respectée – le professionnel ne donnant pas accès au dossier à un tiers – cette pratique pose Les dossiers médicaux [...] utilisés dans le cadre de soins cliniques ne peuvent être utilisés à des fins de recherche sans le consentement des patients/sujets que si un comité d’éthique a estimé que cette recherche présente des risques minimes, que les droits ou intérêts des patients ne seront pas lésés, que leur intimité et leur vie privée ou leur anonymat seront protégés et que la recherche a pour objet de répondre à des interrogations importantes et qu’elle serait impossible si le consentement éclairé était exigé. Les patients ont le droit de savoir que leur dossier (...) pourr[a] être utilisé à des fins de recherche. néanmoins problème, selon nous, et ce, malgré ce qu’en pensent les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Les IRSC rappellent que « le détenteur des données peut procéder à l’évaluation de l’admissi22 Cette section s’inspire largement du document suivant : AUDY, S. (2006). Le respect de la vie privée et de la confidentialité..., p. 29 à 34. bilité des personnes concernées au projet de recherche. Néanmoins, [celui-ci] devrait appliquer des règles pour limiter le nombre de personnes ayant accès aux données aux fins de la recherche. »23 La difficulté tient à ce que certains ont qualifié de conflit de bris de confidentialité entre deux rôles24. Le conflit procède du fait que la consultation clinique constituerait une activité distincte de l’activité de recrutement. En effet, lorsqu’une personne consulte un professionnel de la santé, elle le fait pour une fin déterminée. « [P]atients generally do not, and should not have to, expect that clinical information about them will be used for any purposes other than those for which such information was disclosed. »25 Partant, une telle information « should not be allowed to move to doctor qua researcher without the same restrictions that should apply to transferring information to other parties. »26 Ce type d’approche remet en cause les principes de finalité27 et de la limitation de l’utilisation. Le fait d’utiliser les informations inscrites à son dossier pour des fins de sélection à un projet de recherche ne constitue pas, selon nous, une finalité compatible avec celle pour laquelle le dossier avait été constitué28. Comme nous l’écrivions ailleurs, certaines personnes pourraient se montrer choquées de savoir qu’elles font partie d’une banque de sujets29. La relation professionnelle pourrait s’en trouver entachée, le lien de confiance, brisé. Les mêmes commentaires trouveraient application pour des dossiers de recherche détenus par le chercheur. En effet, le fait d’avoir antérieurement consenti à participer à un projet de recherche ne signifie pas pour autant qu’une personne ait consenti à être à nouveau sollicitée pour un autre projet de recherche. Par ailleurs, cette utilisation met en cause le principe de la transparence voulant que les individus aient le droit d’être informés sur la nature de l’utilisation qui sera faite des informations fournies. Ainsi, une personne devrait savoir que le professionnel pourrait éventuellement l’approcher en vue de l’intéresser à un projet de recherche et pouvoir par avance y consentir30 – ou à tout le moins ne pas s’y opposer. Passons maintenant au deuxième moyen d’identification des sujets de recherche susceptible de poser problème. 23 24 25 26 27 28 29 30 INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ DU CANADA (2005), p. 66. HABIBA, M. et EVANS, M. (2002). Les auteurs semblent recourir à la notion de confidentialité indistinctement de celle de respect de la vie privée. HABIBA, M. et EVANS, M. (2002), p. 575. HABIBA, M. et EVANS, M. (2002), p. 580. Dans ce sens, notamment : GOLDMAN, J. et CHOY, A. (2001). p. C6. Tous ne semblent toutefois pas partager cette position. Voir RMGA (2000), art. I (3), encadré du premier scénario. AUDY, S. (2000), p. 29-31. Dans ce sens, notamment HABIBA, M. et EVANS, M. (2002). A contrario : SMITH ILTIS, A. (2005). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 7 2.2 L’identification des sujets de recherche à partir de dossiers détenus par un tiers L’identification de sujets de recherche pourrait être faite à partir de dossiers détenus par un tiers. Dans un premier cas de figure, les dossiers peuvent être sous la responsabilité d’un organisme. À titre d’exemple, la Loi sur les services de santé et les services sociaux autorise un directeur des services professionnels ou, selon le cas, un directeur général d’un établissement à permettre à un chercheur d’avoir accès au dossier d’un usager, sans son consentement, en vue d’une présélection des sujets de recherche ou d’une recherche sur dossier uniquement. Cette entorse aux principes de la confidentialité et d’autonomie n’est cependant admissible, sur le plan éthique, que si le chercheur démontre (1) qu’il ne peut atteindre, dans un contexte donné, les fins recherchées par un autre moyen, (2) que l’usage projeté des données n’est pas frivole et (3) que des mécanismes appropriés au chapitre de la protection de la confidentialité ont été prévus. En outre, le projet doit respecter les normes d’éthique et d’intégrité qui sont généralement reconnues. Ainsi, le directeur des e Ce que disent les textes normatifs… 2 scénario C.c.Q. – Art. 37 [Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne] ne peut, sans le consentement de l’intéressé ou l’autorisation de la loi, les communiquer à des tiers... Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé Art. 13 Nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements personnels contenus dans un dossier qu’il détient sur autrui (...), à moins que la personne concernée n’y consente ou que la présente loi ne le prévoie. Art. 17 Une personne qui exploite une entreprise peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement personnel contenu dans un dossier qu’elle détient sur autrui : (…) 8° à une personne qui est autorisée à utiliser ce renseignement à des fins d’étude, de recherche ou de statistique [conformément à l’article 125 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels]. Loi sur les services de santé et les services sociaux Art. 19.2 [Malgré l’article 19 qui stipule que le dossier d’un usager est confidentiel et que nul ne peut y avoir accès, si ce n’est avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom], le directeur des services professionnels d’un établissement ou, à défaut d’un tel directeur, le directeur général peut autoriser un professionnel à prendre connaissance du dossier d’un usager, à des fins d’étude, d’enseignement ou de recherche. Le directeur doit cependant, avant d’accorder une telle autorisation, s’assurer que les critères établis par l’article 125 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) sont satisfaits. Il doit refuser d’accorder son autorisation s’il est d’avis que le projet du professionnel ne respecte pas les normes d’éthique ou d’intégrité scientifique généralement reconnues. (...) Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels Art. 125 La Commission peut, sur demande écrite, accorder à une personne ou à un organisme l’autorisation de recevoir à des fins d’étude, de recherche ou de statistique, communication de renseignements nominatifs contenus dans un fichier de renseignements personnels, sans le consentement des personnes concernées, si elle est d’avis que : 1° l’usage projeté n’est pas frivole et que les fins recherchées ne peuvent être atteintes que si les renseignements sont communiqués sous une forme nominative ; 2° les renseignements nominatifs seront utilisés d’une manière qui en assure le caractère confidentiel. services professionnels ou, selon le cas, le directeur général est appelé à donner, en quelque sorte, un consentement substitué au nom des personnes en cause. Cette autorisation doit toutefois être précédée de l’approbation du CÉR de l’établissement ou, à défaut de comité, d’un CÉR compétent. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 8 Dans un deuxième cas de figure, le chercheur pourrait demander à des professionnels d’identifier des sujets de recherche susceptibles d’être approchés aux fins d’un projet31. Lorsque le contact est fait par le détenteur du dossier, la situation est semblable à celle du scénario précédent, c'est-à-dire que ce moyen poserait problème en regard des principes de finalité, de la limitation de l’utilisation et de la transparence. Si le contact initial est fait par le chercheur lui-même, il y a alors là un bris évident de la confidentialité. Les IRSC ont une préférence à « laisser au détenteur des données le soin d’évaluer l’admissibilité à la recherche et d’établir le contact initial avec les personnes admissibles, à moins que le CÉR considère que cette approche est irréaliste ou inappropriée » 32 . À cet égard, plusieurs études ont démontré que, de façon générale, des sujets approchés directement par un chercheur, sans préavis, jugeaient la chose très négativement33. On préférerait que le professionnel obtienne au préalable leur permission avant de fournir au chercheur leurs coordonnées afin que ce dernier les contacte directement (par ex., par téléphone) ou indirectement (par ex., par lettre)34. Les Standards d’éthique du FRSQ, pour leur part, vont dans le même sens : « [l]orsque les sujets potentiels sont identifiés en recourant à une consultation des dossiers d’usagers ou d’une liste de patients, le premier contact doit être effectué par une personne de l’établissement plutôt que par le chercheur »35. Cette règle, selon nous, devrait toujours être respectée à moins que la personne concernée ait pu consentir à ce que le détenteur de son dossier puisse communiquer ses nom et adresse à un chercheur pour les fins de sollicitation ou que la loi l’autorise. Cela étant, certains avancent que de faire appel au professionnel en vue d’intéresser des sujets pressentis menacerait la scientificité du projet. D’abord, celui-ci ne serait pas exempt de biais : « it is the treating physician’s own perceptions regarding a constellation of medical and psychological characteristics, as well as personal biases, that determine whether approval is given to contact a patient to participate in a research study. »36 Ensuite, dans un contexte où une telle procédure augmente le fardeau du professionnel traitant en termes de paperasserie, « the requirement to provide written permission may not necessarily enhance the careful consideration of patient eligibility by the treating physician, and it also does not assure added protection of a patient’s right to privacy. »37 31 32 33 34 35 36 37 Il semblerait que certains professionnels, aux Etats-Unis, feraient de la publicité vantant leur large base de données de patients en vue d’intéresser des chercheurs. DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES. OFFICE OF INSPECTOR GENERAL (2000), p. 18. Nous avons personnellement eu connaissance, au moins une fois, du même phénomène au Québec où une clinique faisait une telle publicité sur le Web. INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ DU CANADA (2005), p. 68. Dans ce sens, notamment : KREIGER, N. et al. (2001) ; ROBLING, M.R., et al. (2004). CHANDROS HULL, S., et al. (2004). FRSQ (2003), art. 11. GURWITZ, J.H. ET AL. (2001), p. 1344. Une autre étude soulève également la question de biais lorsque le recrutement est sujet à l’autorisation du médecin-traitant : AL-SHAHI, R. et al. (2005). GURWITZ, J.H. ET AL. (2001), p. 1344. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 9 Enfin, en exigeant que ce soit le professionnel qui contacte les sujets afin d’obtenir leur permission de transmettre leur nom à un chercheur, les sujets de recherche pressentis « may refuse because they are uncertain about what is involved in the research and the clinicians do not, or cannot, clarify the study. »38 Et de conclure que si l’on décidait d’y aller avec ce type d’approche, on devrait s’assurer que ce contact en soit un qui promeuve une prise de décision éclairée. À la lumière de ce qui précède, force est d’admettre que le respect de la scientificité est un aspect important qui ne doit pas être négligé. Selon nous, il appartient au chercheur et au CÉR de bien soupeser les enjeux dans chacun des cas. L’exercice doit être guidé par le principe de proportionnalité. Ainsi, certains types de projets pourraient donner préséance aux considérations scientifiques ainsi soulevées sur celles qui sont reliées à la protection de la vie privée et de la confidentialité – par exemple, en présence d’une recherche épidémiologique ou de la constitution d’un registre de recherche national. On ne doit pas perdre de vue que les principes de respect de la vie privée et de la confidentialité ne sont pas absolus. Dans d’autres cas, cependant, des mesures pourraient être mises en œuvre en vue d’atténuer les atteintes possibles à la scientificité. Ces précisions apportées, nous allons examiner un troisième moyen d’identification susceptible de poser problème, sur le plan éthique. 2.3 L’identification des sujets de recherche par l’intermédiaire de personnes ayant déjà accepté de participer au projet Certaines recherches, de par leur caractère familial, requièrent la participation de parents biologiques. Une manière de procéder consiste alors à identifier d’éventuels sujets de recherche par le biais de personnes déjà enrôlées dans le projet. Pour des raisons de respect de la vie privée, il importe que l’approche initiale des tiers apparentés soit faite non pas par le chercheur mais par le sujet de recherche lui-même39, et ce, malgré la possibilité que certains d’entre eux ne veuillent pas prendre une part active dans le recrutement de leurs proches40. C’est l’approche qui a été retenue par le Réseau de médecine génétique appliquée (RMGA) : Pour les fins du recrutement des tiers apparentés, il ne peut y avoir de contact direct entre le chercheur et les membres de la famille du propositus. Seul le propositus, son conjoint ou le 38 39 40 BRODY, B.A. (2002), p. 269. Dans ce sens, notamment : BESKOW, L.M., et al. (2004). Dans ce sens, BESKOW, L.M., et al. (2004), p. 427. Pour en savoir davantage sur cette question, nous référons le lecteur, notamment, à WORRALL, B. B., et al. (2005). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 10 membre de la famille qu’il désigne pour le faire, peut offrir aux autres membres de la famille de participer au projet, afin de respecter la vie privée des propositi et des membres de leur famille. Le chercheur principal (ou un membre de l’équipe de recherche) ne peut pas contacter directement ces personnes.41 Il est intéressant de noter, ici, que les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), bien qu’adhérant à l’esprit de la règle du RMGA, semblent être moins catégoriques en ce qu’ils laisseraient au chercheur une possibilité de le faire – du moins est-il légitime de le penser à la lumière du vocable utilisé : « Lorsque les membres d’une même famille sont recrutés aux fins d’une recherche en génétique ou en génomique, il ne devrait y avoir aucun contact entre le chercheur et les membres de la famille du participant initial à la recherche. »42 Nous ne saurions trop recommander aux chercheurs et aux membres de CÉR de préférer la règle du RMGA à celle des IRSC, en pareille matière. HIH Les trois scénarios envisagés ont tous un point en commun : ils font ressortir l’importance d’obtenir le consentement initial des personnes concernées avant de pouvoir les approcher en vue de les intéresser à un projet de recherche. Certes pouvons-nous admettre quelques exceptions à ce principe dans des cas très particuliers où la scientificité, par exemple, serait menacée, mais de façon générale et à l’instar des IRSC, nous croyons que le contact initial devrait être fait « par quelqu’un que les intéressés s’attendraient normalement à voir détenir des renseignements pertinents à leur sujet, ou par d’autres moyens qui ne constituent pas une intrusion inappropriée dans leur vie privée.»43 Certains des moyens d’identification que nous venons de voir peuvent être combinés à des incitatifs dont l’objet est de favoriser ou d’accélérer le recrutement de sujets de recherche. Cette pratique n’est pas sans soulever, néanmoins, quelques préoccupations sur le plan éthique, objet du prochain chapitre. 41 42 43 Le gras est de nous. RMGA (2000), art. I.3. Le lecteur voudra bien noter le texte de la version anglaise : « For the purpose of recruiting relatives for genetic or genomic research, there should be no direct contact between the researcher and the family members of the initial research participant. » IRSC (2005), p. 66 (le gras est de nous). IRSC (2005), p. 9. Les IRSC préfèrent, si la loi l’autorise, « laisser au détenteur des données le soin d’évaluer l’admissibilité à la recherche et d’établir le contact initial avec les personnes admissibles, à moins que le CÉR considère que cette approche est irréaliste ou inappropriée. », p. 66. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 11 3. Quelques préoccupations reliées aux incitatifs I L peut paraître trivial de dire que les échéances, en recherche, sont un élément capital. Bodenheimer écrivait, en 2000, que pour chaque jour d’attente de l’approbation d’un nouveau médicament par la Food and Drug Administration – l’équivalent de Santé Canada aux ÉtatsUnis – la compagnie pharmaceutique perdrait, en moyenne, 1,3 million $44. On comprendra aisément, partant, que l’on ait tenté de trouver des façons de procéder susceptibles de servir l’échéancier. Certaines concernent les sujets de recherche, d’autres, les recruteurs. 3.1 Les incitatifs destinés aux sujets de recherche pressentis Certains projets de recherche prévoient offrir, aux sujets de recherche pressentis, une compensation monétaire45 ou en biens qui peut varier selon le milieu de recherche – par exemple sur un campus universitaire ou dans le secteur privé –, selon le type de projet – par exemple un projet de phase 1 ou de phase 3 – ou encore selon la nature de la participation exigée – par exemple, la complétion d’un simple questionnaire ou l’administration de plusieurs tests qui requièrent une grande disponibilité des sujets de recherche. Selon la nature de la compensation offerte mais aussi du profil des sujets de recherche pressentis, il pourrait arriver que cette compensation ait des répercussions en ce qui a trait au respect des principes d’autonomie, de justice, de non-malfaisance et de scientificité. La compensation monétaire. Ce type de compensation constitue souvent la norme, à toutes fins utiles, pour les essais cliniques avec volontaires sains46. Elle exercerait même une influence significative sinon la plus grande sur leur décision de participer ou non47. Le fait de compenser monétairement ces sujets ne constitue pas forcément un exemple d’influence indue. Comme le fait remarquer un auteur, la question n’est pas de savoir si les volontaires sains sont complètement libres de toute influence contraignante mais bien s’ils sont suffisamment libres d’agir de façon autonome48. Pour certains, la compensation monétaire constituerait un incitatif de nature indue dès l’instant où elle amènerait les sujets à mentir, à tromper ou à ne pas divulguer une information qui, si elle était connue, les exclurait du projet49. 44 45 46 47 48 49 BODENHEIMER, T. (2000), p. 1540. Pour une analyse de la question dans la perspective du modèle économique, nous référons le lecteur à DUNN, L.B. et GORDON, N.E. (2005). Pour en savoir davantage sur cette question, nous référons le lecteur à l’article de TISHLER, C.L. et BARTHOLOMAE, S. (2002) qui ont fait une revue de la littérature exhaustive à ce sujet. Dans ce sens, notamment : BENTLEY, J.P. et THACKER, P.G. (2004) ; TISHLER, C.L. et BARTHOLOMAE, S. (2002). Selon un sondage réalisé par CenterWatch, 11 % des répondants avaient identifié leur participation à un projet comme étant une façon de se faire de l’argent en extra : INSTITUTE OF MEDICINE (2001), p. 4. A contrario, voir notamment : RUSSELL, M.L. et al. (2000) et FRY, C. et DWYER, R (2001). Pour connaître le profil de la personnalité des sujets sains, nous référons le lecteur à TISCHLER, C.L. et al. (2005). BEAUCHAMP, T.L. (2005), p. 33. On peut également consulter, à ce sujet, GRADY, C. (2001). TISCHLER, C.L. et BARTHOLOMAE, S. (2002). Ces auteurs réfèrent ainsi à la définition figurant dans la réglementation étatsunienne (Titre 45. CFR. Partie 46). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 12 Il serait raisonnable de croire que « the larger the sum of money involved, the greater the potential for distorting judgment or prompting potential participants to lie or ignore risks. »50 Les trois Conseils, quant à eux, suggèrent aux CÉR de se demander si le paiement offert « pour une participation dépasse la gamme habituelle des avantages liés à une recherche » auquel cas il « peut être vu comme une offre d’incitation abusive. »51 Enfin, la situation des sujets pressentis revêt une importance certaine dans l’appréciation du caractère indu de la compensation52. À titre d’exemple, le versement d’un montant de 100 $ n’a peut-être pas la même signification pour une personne sur l’aide sociale que pour un travailleur. Le recours à la compensation monétaire des sujets de recherche ne fait pas l’unanimité parmi les auteurs53 et les sujets de recherche54. Pour les uns, elle constituerait une pratique inacceptable sur le plan moral55 contrairement à d’autres qui la jugent non seulement acceptable mais essentielle au recrutement56, alors que d’autres encore la justifient au nom du principe de justice, à tout le moins pour les volontaires sains57. Parallèlement, certains observent le peu de preuves tendant à démontrer que l’offre d’une compensation monétaire obscurcirait la perception du risque des sujets de recherche pressentis alors qu’il n’y aurait aucune donnée qui viendrait le confirmer58. De la même façon, on semblerait davantage admettre la pratique pour les volontaires sains que pour les autres types de sujets de recherche59. D’autres, au contraire, croient que d’étendre la pratique aux sujets-patients « could help them distinguish participation in a research study from the receipt of clinical care and thus actually decrease their vulnerability. Offering money in return for participation might also enable a patient to say no to the physician instead of feeling obligated to do what the physician suggests. »60 Dickert et Grady ont examiné trois modèles de paiement, qu’il s’agisse de volontaires sains ou non : le versement d’un montant établi selon les lois du marché (market model), 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 GRADY, C. (2001), p. 43. Énoncé, p. 1.5. Dans ce sens, notamment, DUNN, L.B. et GORDON, N.E. (2005). Pour une analyse intéressante sur la question, voir notamment GRADY, C. (2005). Dans ce sens, notamment, RUSSELL, M.L. et al. (2000). Les auteurs rapportent les résultats d’une étude où les participants étaient majoritairement contre toute forme de compensation monétaire, peu importe qu’il s’agisse de volontaires sains ou non. Dans ce sens, notamment, McNEILL, P. (1997). Dans ce sens, notamment, DUNN, L. et GORDON, N. (2005). Dans ce sens, notamment, LEMMENS, T. et ELLIOT, C. (2001) ; WILKINSON, M. et MOORE, A. (1999). Ce point est également ressorti de l’étude de RUSSELL, M.L. et al. (2000) : « some comments also seemed to suggest it was justifiable even when recruitment was not a problem, in order to ensure more equitable recruitment across social strata, so that poorer persons should have a chance to benefit from research, and to ensure that more advantaged persons also participated. » (p. 129) Dans ce sens, notamment GRADY, C. (2005) ; BENTLEY, J. et THACKER, P. (2004) ; HALPERN, S. et al. (2004). Dans ce sens, notamment LEMMENS, T. et ELLIOTT, C. (2001). GRADY, C. (2005), p. 1685. Dans le même sens, notamment, MILLER, F.G. (2003). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 13 le remboursement des dépenses (reimbursement model) et le versement d’une indemnité (wage-payment model)61. Le premier modèle tire sa source dans la tradition libertarienne. La compensation est établie en fonction des lois du marché, de l’offre et de la demande. Elle pourrait être plus élevée si le projet de recherche n’offrait aucun bénéfice direct aux sujets pressentis mais comportait beaucoup de risques ou de procédures intrusives ou encore si le chercheur devait recruter un certain nombre de personnes à l’intérieur de délais très courts. Les auteurs reprochent, notamment, à ce modèle la probabilité que le « payment may be so high that all other factors become irrelevant to subject’s decisions to participate or to remain in research studies. »62 Le second modèle, fondé sur la tradition égalitarienne, entraîne uniquement le remboursement des dépenses encourues par les sujets de recherche. La participation ne devrait pas entraîner un sacrifice financier aux sujets mais plutôt un « revenu neutre ». Ainsi, ceux-ci pourraient recevoir le montant correspondant au salaire non gagné en sus des dépenses de stationnement. Selon les auteurs, le grand désavantage, avec ce modèle, c’est qu’il « may yield an insufficient number of subjects within the desired time frame. After all, in the current climate of commercialization, it provides no incentive to participate, and it will actually require financial sacrifice for almost all subjects if time away from work is not reimbursed. »63 Le dernier modèle, également inspiré de la tradition égalitarienne, envisage l’octroi d’une compensation à la hauteur de ce qui existe pour une activité semblable à ce que requiert une participation à une recherche. En l’occurrence, une telle participation requerrait peu de compétences mais beaucoup de disponibilité et apporterait un certain degré d’inconfort. Ce dernier modèle a été privilégié par les auteurs, principalement pour trois raisons. D’abord, il serait moins sujet à donner lieu à une forme d’influence indue dans la mesure où les sujets ont d’autres options pour gagner un montant d’argent similaire. Ensuite, le fait qu’il permette une standardisation des pratiques en cette matière pour tous les projets de recherche constituerait un avantage certain. Enfin, ce modèle serait respectueux du principe de justice dans la mesure où tous les sujets, peu importe leurs revenus, bénéficieraient du même montant, contrairement aux deux autres modèles. Quoi qu’il en soit et malgré l’intérêt de cet article, on ne doit pas perdre de vue qu’au Québec, le Code civil interdit toute « contrepartie financière hormis le versement d’une indemnité en compensation des pertes et des contraintes subies » (article 25). De même, ce type de compensation fait l’objet de plusieurs dispositions normatives, comme l’illustre l’encadré de la page suivante. 61 62 63 DICKERT, N. et GRADY, C. (1999). DICKERT, N. et GRADY, C. (1999), p. 201. DICKERT, N. et GRADY, C. (1999), p. 201. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 14 Ce que disent les textes normatifs… FQRSC (2002). Éthique de la recherche sociale... règle A12 Les chercheurs veilleront à ce que les sujets de recherche pressentis ne retirent aucun avantage financier autre que les indemnités visant à compenser les inconvénients et les frais reliés à leur participation. FRSQ (2003). Standards d’éthique... article 13 Il est conforme à l'éthique et à la loi que le participant à un projet de recherche reçoive "une indemnité en compensation des pertes et des contraintes subies" (article 25 du C. c.). Par contre, le versement de l'indemnité doit respecter deux conditions essentielles à l'existence de la liberté de participation : • l'absence de gratification indue ; • le versement d'une indemnité au prorata de sa participation, en cas de retrait du sujet. Le versement d'une certaine somme d'argent à un sujet peut constituer une incitation excessive lorsqu’elle pousse cette personne à accepter de se soumettre à des conditions qu'elle refuserait si la somme versée se limitait grosso modo aux pertes et aux contraintes réelles. Il n'existe pas de norme précise quant aux montants versés pour participer à un projet de recherche, mais le CER doit s'assurer que les indemnités versées n'ont pas pour effet d'exercer une influence excessive sur le sujet pressenti. Le formulaire de consentement doit mentionner que le sujet qui se retire du projet de recherche est indemnisé au prorata de sa participation. Trois Conseils (1998). Énoncé de politique, p. 2.9 Les sujets recevront des compensations ne devraient pas négliger le risque de propositions de compensations indues (par exemple, paiements destinés à inciter les sujets à poser des gestes qu’ils éviteraient en temps normal). Les CÉR devraient connaître la situation (économique ou autre) de ceux qui constituent le bassin de sujets pressentis, ainsi que l’importance et la probabilité des inconvénients. Bonnes pratiques cliniques. Directives consolidées. Santé Canada- CIH, 1997 Article 3.1.8 Le [CÉR] doit s’assurer que le montant et le mode de paiement prévus pour les sujets ne présentent aucun problème d’ordre coercitif et n’exercent pas une influence indue sur les sujets. Les paiements doivent être établis au prorata et ne pas être versés uniquement si le sujet participe à l’essai jusqu'à la fin. Article 3.1.9 Le [CÉR] doit s’assurer que l’information concernant la rétribution des sujets, incluant les modes de paiement, les montants versés et les dates de versement, figure dans le formulaire de consentement éclairé et dans tout autre document d’information à fournir aux sujets. La façon dont les paiements seront répartis doit être indiquée. CIOMS et OMS (2002). Lignes directrices internationales... Ligne directrice 5. Avant de solliciter le consentement d'une personne à participer à une recherche, l'investigateur doit, en usant d'un langage ou de toute autre forme de communication intelligible, lui indiquer ce qui suit : 6) Si de l'argent ou d'autres types de gratification matérielle seront donnés en contrepartie de la participation du sujet et, dans l'affirmative, leur nature et leur montant ; Ligne directrice 7. Les sujets peuvent prétendre au remboursement du manque à gagner, des frais de déplacement et d’autres dépenses encourues par eux du fait de leur participation à l'étude. (...)Les sujets, en particulier ceux qui ne retirent aucun bénéfice direct de la recherche, peuvent également être rémunérés ou recevoir toute autre forme de dédommagement pour le dérangement causé par l'étude ou pour le temps qu'ils lui auront consacré. Les sommes en jeu (...) ne devront toutefois pas être telles que les sujets puissent être tentés de consentir à participer à la recherche contre leur intime conviction («incitation indue»). Paiements, remboursements et prestations médicales devront être approuvés par un comité d'éthique. Commentaire relatif à la ligne directrice 7. Récompense acceptable. Les sujets peuvent obtenir le remboursement des frais de transport et autres dépenses, y compris le manque à gagner résultant de leur participation à la recherche. Ceux qui ne tirent aucun bénéfice direct de la recherche peuvent aussi recevoir une somme d'argent modeste en dédommagement du dérangement subi du fait de leur participation à la recherche. (...) Personnes incapables. Les personnes incapables sont exposées au risque d'être exploitées à des fins financières par leurs tuteurs légaux. Un tuteur sollicité pour donner son aval au nom d'une personne incapable ne doit se voir offrir aucune rétribution autre qu'un remboursement des frais de voyage et dépenses connexes. Récompense inacceptable. L'étendue des paiements en espèces (...) versés aux participants à des recherches ne doit pas être telle qu'elle incite les sujets à prendre des risques indus ou à se porter volontaires contre leur intime conviction. Les paiements ou récompenses compromettant l'aptitude d'une personne à exercer librement son choix invalident le consentement. Il peut être difficile de faire la distinction entre une récompense adéquate et une incitation disproportionnée à participer à la recherche. Un chômeur ou un étudiant n'envisagera pas la récompense promise de la même manière qu'une personne ayant un emploi. (...) La récompense pécuniaire (...) doit donc être évaluée en fonction des usages en vigueur dans la société et la population où elle est proposée pour déterminer si elle constitue ou non une influence abusive. C'est d'ordinaire le comité d'éthique qui est le mieux à même de juger ce qui constitue une récompense matérielle raisonnable. Lorsque des interventions ou procédures menées dans le cadre de la recherche, qui ne laissent pas escompter de bénéfice direct, présentent un risque plus que minimal, tous les acteurs de la recherche – promoteurs, investigateurs et comités d'éthique – tant dans les pays qui assurent le financement que dans les pays hôtes doivent prendre garde à éviter les incitations matérielles indues. Fin de la participation à l'étude. Le sujet qui met fin à sa participation à l'étude pour des raisons liées à la recherche, telles que les effets secondaires indésirables d'un médicament expérimental, ou qui en est exclu pour raisons de santé, doit être rémunéré ou indemnisé comme s'il y avait participé de bout en bout. Le sujet qui renonce à participer pour toute autre raison doit être rémunéré proportionnellement à sa participation. L'investigateur qui doit exclure un sujet de l'étude pour cause de non-observance délibérée est en droit de ne pas effectuer tout ou partie du paiement. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 15 Par ailleurs, certains chercheurs ont envisagé d’autres moyens qui, tout en facilitant la participation des sujets de recherche pressentis, seraient, selon eux, plus respectueux de leur autonomie : la compensation en biens64. Ainsi, certains projets de recherche offrent un bien d’une valeur équivalente à un montant d’argent. Par exemple, les sujets recevront un bon d’achat pour des livres. Selon certains, bien que l’on espère ainsi réduire les dangers liés à la compensation financière, cette pratique ne serait pas exempte de problèmes. « First, it is not clear that PinK [payments in kind] does, in fact, lower the level of risk to participants in many cases. Second, even if PinK does lower the risk in some instances, this diminished risk is outweighed by the infringement of the subject’s autonomy. »65 Encore ici, le profil des sujets pressentis est d’une extrême importance. Il importe de connaître ce que représente, dans le schème de valeurs des sujets pressentis, le bien en cause pour en apprécier le caractère indu ou non. Dans le même registre, d’autres stratégies de compensation consistent à avoir recours à un tirage d’un bien, par exemple, un lecteur MP3. Certains se sont intéressés à la question pour conclure que cette stratégie mettait en tension les principes de justice et d’autonomie. D’une part, bien que tous les sujets aient une chance égale de pouvoir gagner le prix, un seul d’entre eux le recevra dans les faits. D’autre part, il pourrait arriver que les sujets de recherche acceptent de participer « in the belief that they will win, or because they do not understand the probability of winning »66. Or, comme le font remarquer ces auteurs, plusieurs preuves tendent à démontrer que les individus ne comprendraient pas correctement leur chance de remporter le prix. Et encore ici, il semblerait que plus la valeur du bien est élevée, plus elle pourrait influencer de façon indue les sujets de recherche pressentis67. Comme le lecteur a pu s’en rendre compte, la compensation en biens n’est pas non plus exempte de difficultés. Cela étant, ces deux formes de compensation pourraient amener un sujet de recherche à agir d’une manière qui compromettrait tant le respect du principe de non-malfaisance que celui de la scientificité. En effet, nous avons vu qu’offrir aux sujets de recherche pressentis une compensation, en particulier monétaire, pourrait avoir une incidence sur leur degré de divulgation 64 65 66 67 Voir l’excellent article de GRADY, C. (2001) qui compare le versement d’une somme d’argent et d’autres incitatifs davantage susceptibles d’influencer de façon indue les sujets pressentis. SCHONFELD, T.L. et al. (2003), p. 17-18. BROWN, J.S. et al. (2006), p. 13. Dans ce sens, notamment, BROWN, J.S. et al. (2006). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 16 d’informations essentielles pour la bonne marche d’une recherche. Cette situation est préoccupante d’abord en ce qu’elle pourrait exposer les sujets de recherche à des risques, ensuite en ce qu’elle pourrait compromettre l’intégrité des résultats de recherche68. À titre d’exemple, une étude révèle que « higher levels of monetary payment may influence subjects’ behaviours regarding concealing information about restricted activities. If such activities were actually engaged in, the results of the hypothetical studies may have been distorted (that is, alcohol, caffeine, medications, herbal products may all affect the pharmacokinetics of a study drug). However, findings (…) suggest that this effect may be more likely to occur in lower risk studies. »69 HIH Comme on vient de le voir, la compensation monétaire ou en biens est une source de préoccupation importante sur le plan éthique. La prochaine section aborde d’autres types d’incitatifs – les primes de recrutement – qui sont destinés, cette fois, au recruteur. 3.2 Les primes de recrutement70 Au chapitre des moyens utilisés en vue d’inciter le recruteur à respecter l’échéancier, certains promoteurs lui offriraient une somme d’argent pour chaque sujet de recherche qui acceptera de participer à un projet. Cette pratique aurait pris de l’ampleur, ces dernières années, même si, selon certains, elle semblerait peu efficace71. La prime de recrutement pourrait également être en nature, par exemple de l’équipement ou une participation à titre d’auteur dans une publication. Il importe ici de rappeler que ce type d’incitatif n’a rien à voir avec les frais qui sont reliés directement à la recherche. La présente section s’intéressera à trois types de prime : les primes d’intermédiaire (finder’s fees), les primes de chasseur de tête (bounty-hunting fees) et les primes à l’enrôlement compétitif72. 3.2.1 Les primes d’intermédiaire et de chasseur de tête Une prime d’intermédiaire « est une somme versée ou tout autre avantage consenti en retour du recrutement d'un sujet de recherche. »73 Cette prime serait versée en guise de 68 69 70 71 72 73 Dans ce sens, notamment, GRADY, C. (2001).. BENTLEY, J.P. et THACKER, P.G. (2004), p. 296. L’étude avait un échantillon de 270 personnes (étudiants). Pour en savoir davantage sur cette question en lien avec l’intégrité, nous référons le lecteur à AUDY, S. (2002). C’est du moins ce que rapporte un rapport états-unien : DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES. OFFICE OF INSPECTOR GENERAL (2000), p. 17. Ce thème concerne essentiellement les essais cliniques, les chercheurs bénéficiant de subventions de recherche d’organismes subventionnaires ne disposant pas des mêmes budgets. Standards d’éthique du FRSQ, article 12. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 17 compensation pour avoir référé un sujet de recherche et le montant en cause serait nettement supérieur à celui de la rémunération juste et raisonnable pour les services rendus74. Certains auteurs précisent que les primes d’intermédiaire concernent « a nonresearcher (usually house officers, research nurses, other hospital personnel, or other research subjects) who identifies and/or enrolls research subjects for a specific research study »75 et les distinguent ainsi des primes de chasseur de tête (bounty-hunting fees). Ces dernières seraient de « large sums of money paid by pharmaceutical houses, manufacturers of medical devices, or other sponsors of research studies to clinical researchers on a per capita basis for the purpose of testing their products. »76 Selon certains, les chercheurs cliniciens états-uniens recevraient, en moyenne, de 5 000 à 10 000 $ par sujet enrôlé, et ce, « even where the investment of time and expertise on the part of the researcher is relatively minor. »77 La situation serait semblable au Canada bien qu’aucun chiffre ne soit avancé78. On note également que les chercheurs who have been successful in recruiting patients may, for example, be rewarded not with fees, but with equally valuable invitations to make well-paid presentations of reseach findings, or to participate in prestigious seminars at interesting locations. Financial interests and concomitant feelings of obligation to sponsors can also be generated through the appointment of researchers to lucrative positions on sponsors’ scientific advisory boards and specialized committees, or through paid consulting relationship.79 Ces stratégies de recrutement sont susceptibles de placer l’acteur en cause dans une situation de conflit d’intérêts réel, apparent ou éventuel, avec la possibilité d’interférer de façon négative sur le bon déroulement du projet, notamment au chapitre de l’intégrité des données, des principes de non-malfaisance et de bienfaisance, du principe de justice et du respect de l’autonomie des sujets de recherche pressentis80. Ainsi, plusieurs ont constaté que de telles primes inciteraient à être plus ou moins respectueux des critères d’inclusion et d’exclusion81. De même, la prime pourrait venir obscurcir le jugement clinique du professionnel et le pousser à proposer à son client82 un projet au détriment de ses meilleurs intérêts. 74 75 76 77 78 79 80 81 82 Dans ce sens, notamment, LEMMENS, T. et MILLER, P.B. (2003) ; CHEN, D.T. et BRADFORD, B.W. (2006). CHRISTENSEN, J.A. et ORLOWSKI, J.P. (2005), p. 16. TRUDO, L. et MILLER, P.B. (2003) CHRISTENSEN, J.A. et ORLOWSKI, J.P. (2005), p. 16. CHRISTENSEN, J.A. et ORLOWSKI, J.P. (2005), p. 16. Les auteurs réfèrent à SPIRO, H.M. (1986). Mammon and medicine: The rewards of clinical trials. JAMA. 255 : 1174-1175 ; SHIMM, D.S. et SPECE, R.G. Jr. (1991). Industry reimbursement for entering patients into clinical trials: Legal and ethical issues. Annals of Internal Medicine. 115: 148-151. LEMMENS, T. et MILLER, P.B. (2003) parlent plutôt de somme allant de 2,000 à 5,000 $. Dans ce sens, notamment, LEMMENS, T. et MILLER, P.B. (2003). LEMMENS, T. et MILLER, P.B. (2003), p. 399. Pour en savoir davantage sur le sujet, nous référons le lecteur à AUDY, S. (2002). Les trois Conseils proposent deux démarches pouvant « permettre d’apprécier justement les éventuelles conséquences d’un conflit d’intérêts, réel ou apparent. La première consiste à se demander si un observateur externe pourrait mettre en doute la capacité d’une personne à prendre une décision adéquate, malgré d’éventuelles considérations liées à des intérêts personnels ou privés ; la seconde à se demander si le public aurait des raisons de penser que la relation de confiance entre les intervenants concernés serait maintenue s’il disposait d’informations précises sur les possibles sources de conflits d’intérêts. » Énoncé de politique, p. 4.1. Dans ce sens, notamment, LEMMENS, T. et MILLER, P.B. (2003) ; BODENHEIMER, T. (2000) ; DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES. OFFICE OF INSPECTOR GENERAL (2000) ; VANDERPOOL, H.Y. et WEISS, G.B. (1987). Le lecteur voudra bien noter que le terme client est utilisé afin de couvrir le plus large éventail possible de professions dont certaines n’utilisent pas le terme patient. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 18 On ne pourrait également exclure la possibilité que des sujets soient enrôlés alors qu’ils n’auraient pas dû l’être, les exposant à des risques accrus. En outre, certains font remarquer, à juste titre, que lorsque les intérêts financiers « in patient recruitment are significant, physicians may give priority to this type of activity over patient care. Particularly when access to care is scarce and waiting lists are significant, finder’s fees can greatly exacerbate access issues, overburdening those physicians of their time recruiting patients and filling out forms against considerable payment. »83 Enfin, ces stratégies pourraient amener la personne en cause à ne pas tout divulguer au sujet pressenti ou encore à présenter les informations de manière à ce qu’il accepte de participer – par exemple, en mettant l’accent sur l’obtention rapide d’un service. Afin de résoudre la problématique, Christensen et Orlowski émettent les recommandations suivantes84 : 1. on devrait interdire à quiconque d’accepter des primes d’intermédiaire ou toute autre forme d’incitatifs en vue de recruter ou de référer des sujets de recherche pressentis85 ; 2. les chercheurs devraient divulguer au CÉR, au moment du dépôt de la demande, « all financial arrangements and other conflicts of interest and justify all compensation in terms of the time and expertise required for research study » ; 3. les CÉR devraient avoir la possibilité d’exiger que ce fait soit porté à l’attention des sujets de recherche pressentis ; 4. les CÉR et les chercheurs « should encourage the use of block payments rather than per capita payments when negociating research contracts with sponsors. » Un survol des textes normatifs à cet égard montre que plusieurs interdisent les primes affectées au recrutement, comme le lecteur s’en rendra compte dans l’encadré qui suit. En outre, quelques-uns fournissent un certain nombre de paramètres en vue de déterminer le caractère indu d’une prime. Ainsi, les trois Conseils indiquent que, de « façon générale, les paiements versés pour chaque sujet recruté devraient être comparables aux honoraires professionnels habituels des chercheurs ou des médecins. »86 L’Association médicale canadienne (AMC) mentionne que la rémunération « peut cependant remplacer le revenu auquel le médecin renonce en participant à l’étude de recherche. Des paramètres tels que le temps investi et la complexité de l’étude pourront aussi être pertinents. »87 Le Code de déontologie du Collège des médecins du Québec ne retient, 83 84 85 86 87 LEMMENS, T. et MILLER, P.B. (2003), p. 401. CHRISTENSEN, J.A. et ORLOWSKI, J.P. (2005). Toutes les citations sont extraites de la page 19. C’est la position adoptée, notamment, par le Collège des médecins du Québec, le FRSQ et l’Association médicale canadienne (voir l’encadré). Énoncé de politique, p. 7.4. AMC, article 11. Le Code de déontologie des médecins du Québec ne retient, quant à lui, que « le temps et l’expertise professionnelle affectés à la recherche. » Article 78. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 19 quant à lui, que « le temps et l’expertise professionnelle affectés à la recherche »88. De même, on constate que plusieurs textes normatifs obligent l’acteur en cause à porter à l’attention du CÉR les modalités budgétaires entourant le recrutement des sujets de recherche pressentis89. Enfin, certains vont même jusqu’à envisager la divulgation auprès des sujets. À cet égard, une étude révèle qu’une grande proportion de sujets de recherche désirait être informée de la présence de conflit d’intérêts d’ordre financier bien qu’ils avaient précisé que cela n’aurait pas eu d’incidence sur leur décision de participer au projet90. Ce que disent les textes normatifs… FQRSC (2002). Éthique de la recherche sociale..., Règle A11 d) Plus spécifiquement, les chercheurs porteront une attention particulière aux éléments suivants : d) les primes de rendement auprès d’intermédiaires ne sont pas acceptables. FRSQ (2003). Standards d’éthique..., article 12 [...] Aucune prime d'intermédiaire pour le recrutement de sujets de recherche ne peut être versée à un membre de l'équipe de recherche. Le CER doit être informé de toute somme versée ou de tout autre avantage dont bénéficie une personne pour le recrutement d'un sujet de recherche. Code de déontologie des médecins du Québec Article 73. Le médecin doit s’abstenir : [,,,] 3° d’accepter, à titre de médecin ou en utilisant son titre de médecin, toute commission, ristourne ou avantage matériel mettant en péril son indépendance professionnelle. » Article 78. Le médecin qui entreprend ou participe à une recherche doit déclarer, au comité d’éthique de la recherche, ses intérêts et dévoiler tout conflit d’intérêts réel, apparent ou éventuel. Dans le cadre d’une activité de recherche, le médecin ne doit adhérer à aucune entente ni accepter ou accorder un dédommagement qui mettrait en cause son indépendance professionnelle. La rétribution ou le dédommagement du médecin pour son temps et expertise professionnelle affectée à la recherche doit être raisonnable et connu du comité d’éthique. Association médicale canadienne (2001). Les médecins et l’industrie pharmaceutique, article 11 Un médecin peut toucher une rémunération pour avoir inscrit des patients ou pour sa participation à une étude de recherche approuvée uniquement lorsque cette activité dépasse sa pratique normale. Cette rémunération ne doit toutefois pas constituer pour le médecin une incitation indue à participer à une telle étude. [...]Le montant de cette rémunération doit être approuvé par l’organisme d’examen compétent susmentionné. Si leur médecin reçoit des honoraires pour les inscrire à une étude de recherche, les sujets de recherche doivent en être informés. Trois Conseils (1998). Énoncé de politique Règle 2.4 Les chercheurs fourniront en toute franchise aux sujets pressentis ou aux tiers autorisés tous les renseignements nécessaires à un consentement libre et éclairé. [...] [L]es chercheurs ou leurs représentants qualifiés désignés communiqueront aux sujets pressentis, dès le début de ce processus, ce qui suit : e) [...] l’existence de tout conflit d’intérêts, réel, éventuel ou apparent, impliquant aussi bien les chercheurs que les établissements ou les commanditaires de recherche. Règle 4.1 Les chercheurs et les membres des CÉR dévoileront aux CÉR tout conflit d’intérêts réel, apparent ou éventuel. Les CÉR devraient instaurer des mécanismes visant à prendre en compte et à résoudre ces conflits. Commentaire sur la règle 4.1. Les CÉR qui perçoivent l’existence ou qui prennent connaissance d’un important conflit d’intérêts, réel ou apparent, devraient demander aux chercheurs d’en informer les sujets pressentis au cours du processus de consentement libre et éclairé. Conformément à l’alinéa e) de la règle 2.4, les chercheurs devraient faire connaître aux sujets tous les détails concernant d’éventuels conflits d’intérêts, réels ou apparents. 88 89 90 Code de déontologie des médecins du Québec, article 78. La récente enquête réalisée pour le compte de l’Unité de l’éthique du Ministère de la Santé et des Services sociaux révèle que peu de CÉR demandait à avoir accès aux parties des ententes contractuelles portant sur les modalités financières ayant une incidence sur l’éthicité des projets. Au surplus, certains se montraient même réticents à les demander. AUDY, S. (2006), Le Plan d’action…, p. 129-130. KIM, S.Y.H., et al. (2004), p. 77. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 20 Ce que disent les textes normatifs… Trois Conseils (1998). Énoncé de politique... Règle 7.3 Les CÉR examineront le budget de tous les essais cliniques afin de s’assurer que les obligations d’ordre éthique concernant les conflits d’intérêt soient respectées. Page 7.3. Les essais cliniques de phase 4 sont habituellement appelés études de surveillance suivant la mise en marché. Toutefois, il s’agit souvent de campagnes publicitaires menées en pratique privée une fois le produit commercialisé. Ainsi, des commanditaires peuvent verser à des médecins une somme forfaitaire pour chaque patient utilisateur afin d’évaluer les effets secondaires et le degré de tolérance d’un médicament déjà mis en marché. Ces essais cliniques de phase 4 peuvent nuire à l’intégrité professionnelle des médecins en raison des commissions à des intermédiaires, des pratiques de facturation, de l’utilisation des fonds publics et des risques de conflits d’intérêts. Les chercheurs et les CÉR doivent étudier toutes les conséquences scientifiques et d’ordre éthique des essais cliniques de phase 4 avec la même rigueur que celle qu’ils accordent aux autres phases des essais clinique. Page 7.4. Les budgets des essais cliniques sont généralement calculés en fonction des coûts par personne, le commanditaire versant aux chercheurs une somme forfaitaire pour chaque sujet recruté par ceux-ci. Cette forme de paiement pose des problèmes d’ordre éthique car elle risque de mettre les chercheurs en situation de conflit — notamment ceux qui entretiennent une relation de soins thérapeutiques, une relation clinique ou toute autre relation de confiance avec des sujets —, le problème se situant entre le fait de maximiser une rémunération économique et celui de servir au mieux les intérêts liés à la santé des sujets-patients. [...] Les CÉR pourront plus facilement évaluer la possibilité de conflits d’intérêts et aider les chercheurs à les résoudre s’ils connaissent les montants versés pour chaque sujet ainsi que tout autre détail budgétaire. CIOMS et OMS (2002). Lignes directrices internationales..., Commentaire sur la ligne directrice 2 Conflits d'intérêts potentiels liés au financement d'un projet. [...] Les investigateurs doivent en outre révéler les conflits d'intérêts potentiels ou apparents les concernant au comité d'éthique ou autre comité institutionnel ayant pour mission d'évaluer et de gérer pareils conflits. Aussi les comités d'éthique doivent-ils veiller à ce que ces conditions soient réunies. Parallèlement à ces deux types de primes s’en trouve une autre qui interpelle non seulement le recruteur mais aussi l’établissement où sera réalisé le projet, comme nous allons maintenant le voir. 3.2.2 L’objectif premier La prime à l’enrôlement compétitif91 d’une prime à l’enrôlement compétitif est d’encourager les établissements/chercheurs à être plus performants. Selon certains chiffres, seulement « 15 % of clinical trials are completed on time, with over 50 % of delays attributed to patient recruitment and 30 % of investigator sites failing to recruit a single patient. »92 L’exemple rapporté par l’Office of Inspector General états-unien illustre bien le procédé : One investigator discussed a study in which he was initially paid $12,000 per subject enrolled. After other investigators in the trial complained to the sponsor of excessively tight budgets, the sponsor added $30,000 bonus once a site enrolled its first six subjects and, after these first six subjects were enrolled, the site would receive an additional $6,000 per subject. The investigator, in describing this bonus scheme, emphasized that the sponsor had chosen to reimburse investigators by using bonuses to encourage recruitment rather than just revising the contract to reimburse investigators $18,000 per subject enrolled. 93 Ainsi, un établissement/chercheur qui ne débuterait pas rapidement le projet et ne recruterait pas un nombre suffisant de sujets de recherche à l’intérieur de l’échéance sera 91 92 93 Ceux qui voudraient réfléchir sur le recrutement compétitif des sujets de recherche à l’intérieur d’un même établissement mais par des chercheurs travaillant sur les mêmes thèmes pourront consulter l’excellent article de GORDON, E.J. et MICETICH, K.C. (2002). CAULFIELD, T. (2005), p. 58. DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES. OFFICE OF INSPECTOR GENERAL (2000), p. 17. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 21 pénalisé, voire perdra la recherche, ce qui pourrait résulter en une perte de temps et d’argent. Les modalités de la prime à l’enrôlement compétitif figurent généralement dans l’entente contractuelle (clinical trial agreement) entre le promoteur et le chercheur, entente dans laquelle l’établissement est souvent partie prenante. Les problèmes identifiés précédemment trouvent encore, ici, application. Afin de les prévenir, Caulfied émet quatre recommandations : 1. 2. 3. 4. les CÉR doivent reconnaître que la prime à l’enrôlement compétitif constitue une question soulevant des considérations éthiques ; les CÉR doivent sensibiliser les chercheurs au danger que constitue la prime à l’enrôlement compétitif pour leurs obligations éthiques ; les CÉR pourraient envisager la pertinence que les sujets de recherche pressentis soient informés de l’existence d’une telle prime ; des lignes directrices, à l’échelle nationale, devraient traiter de la question94. À l’exception de la dernière recommandation, le lecteur pourra constater que les autres vont dans le même sens que ce que nous avons vu à la section précédente. Elles constituent, selon nous, des exigences minimales. Cela étant, elles passent complètement sous silence une autre dimension de la prime à l’enrôlement compétitif, à savoir le fait que cette stratégie est également susceptible de placer l’établissement dans une situation de conflit d’intérêts réel, apparent ou éventuel, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner, entre autres, en termes de pression sur les CÉR. Les trois Conseils abordent, de façon indirecte, le sujet : Il peut arriver que des intérêts puissants poussent des établissements à vouloir qu’un projet soit approuvé avant même que toutes les questions éthiques qu’il soulève n’aient été résolues. Toutefois, les CÉR étant des organismes mandatés pour faire respecter des normes éthiques irréprochables, ceux-ci doivent absolument, pour des raisons de confiance publique et d’intégrité du processus de recherche, conserver une relation sans lien de dépendance avec l’établissement auquel ils sont affiliés afin d’éviter les conflits d’intérêts, réels ou apparents, et de les résoudre de façon adéquate. 95 On n’a aucun mal à saisir les enjeux reliés à la prime d’enrôlement compétitif. Selon nous, cette pratique devrait être fortement découragée sinon interdite. Il faut bien être conscient que malgré l’intention de faire jouer au CÉR un rôle central en cette matière, celui-ci peut s’avérer peu armé pour faire face, seul, à un établissement qui s’accommoderait facilement d’une telle prime. HIH 94 95 CAULFIELD, T. (2005), p. 60 (traduction libre). Énoncé de politique, p. 4.2. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 22 Les primes au recrutement concernent non seulement le recruteur mais aussi l’établissement. Elles sont de nature à engendrer des situations de conflits d’intérêts importantes. Cela pourrait compromettre la protection des sujets de recherche et rendre précaire l’accomplissement du mandat des CÉR qui occupent une place centrale dans les recommandations des auteurs cités. Les CÉR jouent un rôle capital en cette matière. Nous irions même jusqu’à prétendre qu’ils pourraient agir comme alliés des chercheurs et des établissements au moment des négociations contractuelles en conditionnant leur approbation à des modalités de stratégie qui soient acceptables sur le plan éthique. Cela, naturellement, supposerait qu’ils demandent d’avoir accès aux éléments budgétaires des contrats qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’éthicité du projet. Or, une récente enquête du Ministère conclut que peu d’entre eux avaient accès à cette information et qu’au surplus, certains se montraient réticents à la demander96. Par-delà les situations de conflit d’intérêts qui ont été exposées précédemment s’en trouvent une autre qui concerne directement le professionnel qui agit également comme chercheur. Cette situation le place dans un difficile conflit de devoirs. 96 Voir la note 89. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 23 4. Quand recrutement rime avec conflit de devoirs Le terme client est utilisé afin de couvrir le plus large éventail possible de professions dont certaines n’utilisent pas le terme patient. N OUS avons vu que l’identification des sujets de recherche peut être faite à même la clientèle du professionnel-chercheur. Il semble que la nature de la relation professionnelle existante97 serait un facteur qui jouerait dans la décision des sujets pressentis d’accepter l’invitation du professionnel-chercheur. « Many participants responded that they would agree to join a study if a physician whom they trusted asked them to do so, and some answered that they would do so in order to co-operate with their physicians. »98 L’élément de confiance, ici, serait capital : « trust in researchers contributes significantly to participation in research, regardless of whether participants understand the study. »99 Cette façon de recruter, outre la problématique soulevée au chapitre du respect de la vie privée déjà évoquée, serait susceptible de placer le professionnel-chercheur dans une situation de conflit de devoirs, c'est-à-dire une situation qui « involve sets of role expectations where competing obligations prevent honoring both commitments or honoring them both adequately. »100 Qu’en est-il au juste ? La relation professionnelle suppose la loyauté du professionnel envers son client. Partant, celui-ci doit agir dans les seuls intérêts de ce dernier. Ainsi, toutes les interventions proposées le seront en vue d’améliorer l’état de son client ou de prévenir un tort alors que les risques ne se justifieront que parce que l’on espère un bénéfice direct pour le client. Or, lorsque ce même professionnel est impliqué dans une recherche, il se doit de respecter le devis de recherche, intégrité oblige. Ce faisant, il pourrait arriver que cette exigence l’amène à poser des actes au détriment des intérêts de son client, par exemple en lui offrant une thérapie sub-optimale ou encore en l’exposant à des risques qui n’auraient pas été autrement, violant ainsi les principes de bienfaisance et de nonmalfaisance. L’acceptabilité éthique des risques, en recherche, se mesurera d’abord par rapport aux bénéfices éventuels qui pourraient découler non pas pour le client mais pour l’ensemble des futurs clients. De même, on peut supposer qu’en consultant le professionnel, le client donne un consentement de type général à ce que celui-ci fournisse 97 98 99 100 Dans ce sens, notamment : TOURNAUX, C. et al. (2005) ; ELLIS, P.M. et al. (1999) ; WARNER, T.D. et al. (2003), pour 21 % des répondants ; ROBERTS, L.W. et al. (2004). ASAI, A. et al. (2004), p. 458. Les auteurs avancent l’hypothèse que l’inclinaison de vouloir l’harmonie et d’éviter la protestation contre l’autorité pourrait jouer un rôle significatif dans la réaction des répondants. (p. 465). KASS, N.E. et al. (2005), p. 1. CHEN, D. T. ET WORRALL, B.B. (2006), p. 133. Les auteurs citent la définition de WERHANE, P. ET DOERING, J. (1995). Conflicts of interest and conflicts of commitment. Prof. Ethics. 4 : 47-81, p. 61. le service nécessaire. « With regard to clinical research, one cannot assume most people want to participate. (…) Therefore, it is generally assumed that for clinical research, there must be an individualized decision to “opt in”. » 101 De plus, on ne peut pas exclure la possibilité que les clients se sentent obligés de participer ou soient indûment influencés à consentir compte tenu de la nature de la relation professionnelle, soulevant ainsi des préoccupations au chapitre du respect de l’autonomie. Enfin, il ne faudrait pas exclure la possibilité que la vulnérabilité de ces clients – une vulnérabilité attribuable soit à leur état de santé ou du fait même de la relation professionnelle – les amène à être exploités, contrevenant ainsi au principe de justice. Se pose alors la question de la nature des devoirs du professionnel envers son client lorsqu’il est impliqué en recherche. Comment le professionnel-chercheur peut-il réconcilier ses deux rôles ? 4.1 La querelle relative à la nature des devoirs du professionnel-chercheur La nature des devoirs du professionnel-chercheur envers son client-sujet de recherche ne fait pas l’unanimité. En substance, deux courants s’opposent ici. Le premier courant juge que les devoirs du professionnel envers son client seraient les mêmes, peu importe qu’il agisse en tant que chercheur ou de clinicien102. Vouloir opérer une distinction entre ces deux rôles ferait fi de la réalité du client. Ce dernier est en droit de s’attendre à ce que le professionnel agisse en tout temps au meilleur de ses intérêts. « When meeting physicians in a medical context, patients expect that their best medical interests will be protected and promoted. They do not expect that physician-researchers will hold their therapeutic obligations in suspense at their discretion, whenever they believe they are involved in “research activities”. »103 Les devoirs fiduciaires104 du professionnelchercheur seraient liés à la confiance, à l’assurance et à la bonne foi. À ce titre, il ne serait pas dispensé de son devoir de bienfaisance qui, en recherche, serait respecté dès lors que le projet satisferait au concept d’équilibre clinique. Ce concept « permet de conclure que l’équilibre escompté entre les avantages et les inconvénients des interventions faisant l’objet de la recherche [puisse] se comparer à l’équilibre d’un traitement habituel. »105 Le professionnel aurait également le devoir d’exclure du projet les personnes dont la participation les exposerait indûment à des risques106. Les modalités adéquates devraient enfin être mises en place en vue d’obtenir un consentement libre et éclairé. CHEN, D. T. ET WORRALL, B.B. (2006), p. 134. Dans ce sens, notamment : CRANLEY GLASS, K. ET WARING, D. (2005) ; LADER, E.W. et al. (2004) ; LEMMENS, T. ET MILLER, P.B. (2002) ; WEIJER, C. et MILLER, P. B. (2003). 103 LEMMENS, T. ET MILLER, P.B. (2002), p. 15. 104 Pour une analyse du concept de fiduciaire, voir notamment MORREIM, EH (2005) ; FRIED, E. (2001). Physician Duties... ; LEMMENS, T. ET MILLER, P.B. (2002) ; WEIJER, C. et MILLER, P. B. (2003). 105 Énoncé de politique, p. 1.6. 106 Dans ce sens, notamment : WEIJER, C. ET FUKS, A. (1994). 101 102 © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 25 Les tenants du second courant font valoir que même si la pratique clinique et la recherche visent toutes deux, en bout de ligne, à améliorer le mieux-être des patients-clients, ces deux activités commanderaient des devoirs distincts107. On ne pourrait pas, dès lors, affirmer que le chercheur a les mêmes devoirs fiduciaires envers les sujets de recherche que lorsque la relation est uniquement thérapeutique108 : « In research, the investigator cannot in good faith promise fidelity to doing what is best medically for the patient-subject. (...) The professional integrity of investigators demands that they are clear about this and that they should strive to help patient-subjects understand how research participation differs from medical care. »109 Partant, le professionnel-chercheur doit accepter le conflit de devoirs qui serait inhérent à l’exercice. Il ne serait plus tenu à un devoir de bienfaisance thérapeutique. Ses obligations ne sauraient être, non plus, fondées sur le concept d’équilibre clinique mais plutôt sur un devoir de non-exploitation des personnes en cause. Ainsi, il devrait tout mettre en œuvre pour protéger le client-sujet de recherche de risques de torts et pour promouvoir un consentement qui soit réellement libre et éclairé. Cette querelle serait pour certains non avenue : En médecine moderne, la démarche qui vise à bâtir une éthique de la recherche totalement isolée de l’éthique clinique est probablement vouée à l’échec. Si recherche et clinique ont leurs exigences propres et donc leurs règles éthiques spécifiques, celles-ci répondent quand même à un impératif commun, celui de la protection des personnes. Les participants doivent être pleinement conscients du rôle véritable attribué aux sujets de recherche tout en sachant que celle-ci n’obéit pas à des standards inférieurs à ceux de l’éthique clinique en ce qui concerne leur sécurité. En d’autres termes, si le principe de non-malfaisance doit être respecté impérativement à l’égard des sujets de recherche à chacune des étapes de celle-ci, il n’en va pas de même du principe de bienfaisance.110 Nous souscrivons tout à fait à ces derniers propos. En outre, force est d’admettre que nous sommes tous, un jour ou l’autre, dans nos existences, confrontés à un conflit de devoirs et même si la présente situation est par essence préoccupante sur le plan éthique, elle n’engendre pas forcément des conduites inacceptables à ce chapitre. Un professionnel qui est impliqué en recherche ne laisse pas pour autant au vestiaire son intégrité. En ce sens, le point de vue qui suit nous semble indiqué. I personally believe it is a cynical view to assume that doctors dedicated enough to study innovative treatments in a scientific way would be any less dedicated to the goal of providing their individual patients with the best possible care. Yes, there is a tension between a CI [clinical investigator] primary duty to the well-being of his patient and the secondary goal of producing clinically relevant generalizable knowledge; to deny this would be to be simplistic and to deny the fact that CIs are human beings. (…) Having said that, CIs must remain ever vigilant to not allow themselves to use subtle coercion or take advantage of most patients’ profound trust in them to achieve ends which are self-serving.111 107 108 109 110 111 Dans ce sens, notamment : BRODY, H. ET MILLER, F. G. (2003). The Clinician-Investigator… ; LITTON, P. ET MILLER, F.G. (2005) ; MILLER, F. G. et ROSENSTEIN, D. L. (2003). En droit, une relation fiduciaire suppose qu’une personne jouissant d’un pouvoir l’utilise pour le bénéfice de l’autre et soit légalement tenue à une conduite satisfaisant les critères les plus élevés. BRODY, H. ET MILLER, F. G. (2003), p. 336. JONCAS, D. et PHILIPS-NOOTENS, S. (2005-2006), p. 154. BERNSTEIN, M. (2003), p. 108. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 26 Le même auteur poursuit en ces termes : « it may be desirable and actually necessary [for investigators who also act as primary-care givers to enrol their patients] because without the intellectual interest and investment by individual [clinical investigators] interested in a certain challenging diseases (...), such studies would not be generated and carried out. »112 Partant, à défaut de pouvoir éviter la situation, il importe d’envisager des moyens en vue de l’encadrer, objet de la prochaine section. 4.2 Les devoirs accrus du professionnel-chercheur Si le conflit de devoirs du professionnel-chercheur est inévitable, cela ne signifie pas pour autant que ce dernier ne puisse rien faire pour l’atténuer. À cet égard, plusieurs auteurs ont suggéré différents moyens de manière à le rendre moralement acceptable. Brody et Miller en suggèrent quatre : • le professionnel-chercheur doit admettre qu’il y a une tension éthique inhérente entre ses deux rôles ; • il doit tout mettre en œuvre pour éduquer son client sur les différences qui existent entre le contexte de recherche et celui de la pratique clinique ; • le chercheur doit, en tout temps, protéger le client-sujet des risques ; • il doit respecter le droit de retrait du sujet, en tout temps et sans préjudice eu égard à la relation professionnelle initiale113 et le lui rappeler avec force et peut-être plus fréquemment. En outre, le professionnel-chercheur doit se demander s’il est opportun d’inviter un de ses clients à participer à son projet à la lumière des risques et du fardeau que ce dernier devra assumer. Generally, patients should not be invited to participate in research until all the standard treatment options have been offered to them. There are possible exceptions we should note. For example, a patient with a condition for which the standard treatment is barely effective and for which the experimental intervention shows great promise may be offered the opportunity to participate in a study immediately. Similarly, when the standard treatment has side effects the patient considers unacceptable, it may be permissible to invite him to participate in research. If a patient wants to pursue treatment for a condition for which there is an established therapy, generally it is not appropriate to invite that patient to participate in a placebo-controlled trial that is testing a new, but similar treatment for the condition against placebo. But here too there may be exceptions. (...) [For instance, a] patient who initially refuses treatment (…) may be a candidate for research participation. 114 112 113 114 BERNSTEIN, M. (2003), p. 107. BRODY, H. ET MILLER, F. G. (2003), p. 338. SMITH ILTIS, A. (2005), p. 101. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 27 Enfin, le professionnel-chercheur, après s’être assuré que son client satisfait les critères d’éligibilité et après avoir jugé approprié de lui offrir de participer au projet en regard de son profil clinique, détient une obligation de divulgation particulière envers ce type de sujets de recherche pressentis, comme nous le verrons maintenant. L’Énoncé de politique des trois Conseils rappelle aux CÉR et aux chercheurs l’importance d’être « parti- culièrement attentifs aux éléments de confiance et de dépendance caractérisant certaines relations (...) car celles-ci pourraient influencer indûment des sujets pressentis à participer à des projets de recherche »115. On ne doit pas abuser de la confiance accordée. Partant, les exigences en matière de consentement sont plus grandes pour un professionnel-chercheur qui souhaite recruter ses clients. Celui-ci doit informer son client de son double rôle et des différences que cela signifie pour ce dernier116. Cela aurait l’avantage suivant, comme le soulignent certains : « Rather Ce que disent les textes normatifs… FQRSC (2002). Éthique de la recherche sociale..., règle A7 Les chercheurs doivent prêter une attention particulière aux liens hiérarchiques, de subordination ou de dépendance affective qui pourraient exister entre les sujets de recherche et les recruteurs. Les chercheurs devront éviter que de telles situations restreignent la liberté de consentement des sujets de recherche FRSQ (2003). Standards d’éthique..., article 11, introduction L’approche initiale auprès du sujet pressenti doit être mise en œuvre d’une manière qui ne permet aucun doute sur le caractère parfaitement libre du consentement exprimé. Suivant cette norme, le sujet pressenti ne devrait jamais se trouver dans une situation de contrainte ou de dépendance par rapport au chercheur ou à ses collaborateurs. Ainsi, la situation est particulièrement périlleuse lorsque le médecin traitant du sujet pressenti participe d’une façon quelconque à l’obtention de son consentement. Le médecin traitant exerce alors un double rôle : les fonctions du thérapeute et celles du chercheur. Trois Conseils (1998). Énoncé de politique, p. 2.5 Les CÉR devraient être particulièrement attentifs aux éléments de confiance et de dépendance caractérisant certaines relations, par exemple entre médecins et patients, professeurs et étudiants, etc., car celles-ci pourraient influencer indûment des sujets pressentis à participer à des projets de recherche – notamment à des projets faisant appel à des pensionnaires d’établissements de soins prolongés ou d’établissements psychiatriques. CIOMS et OMS (2002). Lignes directrices internationales... Ligne directrice 5. Avant de solliciter le consentement d'une personne à participer à une recherche, l'investigateur doit, en usant d'un langage ou de toute autre forme de communication intelligible, lui indiquer ce qui suit : 21) Si l'investigateur a pour seule fonction d'être investigateur ou s'il est à la fois investigateur et médecin traitant du sujet; Commentaire, ligne directrice 6. Intimidation et influence indue. L’intimidation sous toutes ses formes invalide le consentement éclairé. Les sujets pressentis qui sont aussi des patients dépendent souvent pour leur traitement médical du médecin/investigateur qui, par conséquent, jouit d’une certaine crédibilité à leurs yeux et dont l’influence sur eux peut être considérable, en particulier si le protocole d’étude comporte un volet thérapeutique. Ils risquent de craindre, par exemple, qu’un refus de participer ne porte atteinte à la relation thérapeutique ou se traduise par l’arrêt des prestations médicales. Le médecin/investigateur doit leur donner l’assurance que leur décision de participer ou non n’aura pas d’incidence sur la relation thérapeutique ou autre prestation à laquelle ils ont droit. En pareil cas, le comité d’éthique doit se demander s’il ne serait pas préférable de confier l’obtention du consentement éclairé à un tiers neutre. than accepting the doctor’s suggestion of participation without thorough analysis, a subject who is aware of researcher’s intrinsic conflicts of interest may question the doctor extensively or seek a second opinion regarding the best course of treatment and the advisability of participating in the study. »117 115 116 117 Énoncé de politique, p. 2.5. Énoncé de politique, p. 2.8. SOLLITO, S. et al. (2003), p. 89. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 28 Le professionnel-chercheur doit également bien spécifier à son client-sujet pressenti qu’il a le droit de refuser de participer sans que cela n’altère la relation professionnelle. Celui-ci devrait également être informé, de façon formelle et explicite, « that the physician offering trial enrollment is doing so as a paid scientist-investigator rather than as a caregiver. »118 Enfin, le professionnel-chercheur ne devrait pas être la personne responsable de recueillir son consentement. « Patients may feel indebted to their physician or may hesitate to challenge or reject their physician’s advice to participate in research. »119 Cette approche permettrait également d’être l’occasion de mieux marquer la différence entre les deux rôles auprès du patient-sujet pressenti. Pour les uns, le consentement pourrait être recueilli par un « study enroller » défini comme étant « an employee in the practice’s research arm, but (...) not under the direct supervision of the physician-researcher. »120 Pour d’autres, le consentement devrait être obtenu par une personne bien informée et compétente mais ne prenant part au projet et n’étant pas concerné par la relation professionnelle. C’est la position endossée par la Déclaration d’Helsinki : Lorsqu’il sollicite le consentement éclairé d’une personne à un projet de recherche, l’investigateur doit être particulièrement prudent si le sujet se trouve vis-à-vis de lui dans une situation de dépendance ou est exposé à donner son consentement sous une forme de contrainte. Il est alors souhaitable que le consentement soit sollicité par un médecin bien informé de l’étude mais n’y prenant pas part et non concerné par la relation sujet-investigateur. (Article 23) Cette position a été endossée par les Standards du FRSQ qui ont cependant repris d’autres éléments vus précédemment : Cette disposition de la Déclaration d’Helsinki reconnaît le devoir de préserver le caractère libre du consentement exprimé par le sujet. Le FRSQ exige des chercheurs qu’ils se conforment aux normes suivantes : • le médecin traitant d’une personne ne participe pas au processus de sollicitation auprès de cette personne, à moins qu’il ait démontré au CÉR la nécessité dans laquelle il se trouve d’y participer ; • lorsque cette nécessité a été reconnue par le CÉR, le médecin traitant doit aviser explicitement les patients sollicités de son double rôle. (Article 11) Ainsi, il appartient au chercheur qui réclame une exception à la règle de la justifier sur le plan éthique. En outre, le fait que l’obtention du consentement se fasse par l’intermédiaire d’un tiers ne dispense pas le professionnel-chercheur de ses responsabilités, notamment son devoir de s’assurer que le consentement a été donné de façon libre et éclairée. HIH 118 119 120 MANN, H. (2002), p. 36. MORIN, K. et al. (2002), p. 80. WILLIAMS, KW (2004), p. 73. Pour en savoir davantage sur la question de la collecte du consentement par un tiers, voir notamment MORREIM, EH (2004). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 29 Il découle des lignes précédentes que les auteurs ne s’entendent pas sur la nature des devoirs du professionnel-chercheur envers son client-sujet de recherche. Cela étant, tous reconnaissent la présence d’un conflit de devoirs. Cette situation n’est pas pour autant sans solution mais elle mérite une attention particulière car elle est sujette à compromettre la relation de confiance Le devoir accru du professionnel-chercheur en regard du consentement de ses clients... Celui-ci doit informer son client : 1. de son double rôle et des différences que cela signifie ; 2. de sa liberté de refuser de participer au projet sans que cela n’altère la relation professionnelle existante ; 3. que les honoraires qu’il touchera le seront pour ses services de chercheur et non pour ceux qu’ils auraient rendu dans le cadre de la relation professionnelle habituelle. Sauf exception, le chercheur ne devrait pas être la personne responsable de recueillir le consentement de son client-sujet pressenti. existante. Elle amène aussi des devoirs accrus envers les clients-sujets de recherche, notamment au chapitre du consentement. Ces devoirs accrus sont d’une importance singulière dans la réflexion qui découlera des situations décrites dans le prochain chapitre qui concernent toutes le recrutement de personnes particulièrement vulnérables. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 30 5. Quelques préoccupations reliées au recrutement de personnes particulièrement vulnérables C ERTAINES personnes qui sont sollicitées aux fins d’une recherche peuvent être dans une situation qui les place dans un état où elles sont particulièrement vulnérables. Selon les trois Conseils, la vulnérabilité, est un état qui rend les personnes « sans défense parce que leur capacité à faire des choix ou leurs aptitudes sont amoindries. »121 Comme on le constate, cette définition ne couvre pas uniquement les personnes qui, traditionnellement, sont assimilées à un état de vulnérabilité – par exemple, les mineurs et les majeurs inaptes122. La vulnérabilité porte en elle l’idée de fragilité de l’être. Cette fragilité pourrait compromettre le respect des principes d’autonomie et de justice. D’une part, elle amènerait une personne à consentir alors qu’elle ne l’aurait peut-être pas fait, n’eut été de sa situation. D’autre part, cette fragilité pourrait facilement La notion de vulnérabilité selon les textes normatifs... CIOMS et OMS (2002). Lignes directrices internationales... Vulnérabilité : « l'incapacité marquée à protéger ses intérêts propres en raison d'obstacles comme l'inaptitude à donner un consentement éclairé, l'inexistence d'autres moyens d'obtenir des soins médicaux ou autres prestations nécessaires onéreuses, ou la subordination ou la soumission au sein d'une structure hiérarchisée. Aussi des dispositions doivent-elles être prévues pour protéger les droits et le bien-être des personnes vulnérables. » Section Principes généraux d’éthique. Commentaire sur la Ligne directrice 13 Les personnes vulnérables sont celles qui sont relativement (ou totalement) incapables de protéger leurs propres intérêts. Plus précisément, leur pouvoir, leur intelligence, leur degré d'instruction, leurs ressources, leur force ou autres attributs nécessaires pour protéger leurs intérêts propres, peuvent être insuffisants. [...] Santé Canada – CIH. Bonnes pratiques cliniques..., article 1.61 Sujets vulnérables. Personnes dont le désir de participer à un essai clinique peut être indûment influencé par l’espoir, justifié ou non, de recevoir des avantages associés à leur participation ou la crainte de représailles de la part de membres plus influents d’une structure hiérarchique en cas de refus. Mentionnons, par exemple, les membres d’un groupe doté d’une structure hiérarchique tels que des étudiants en médecine, en pharmacologie, en médecine dentaire et en soins infirmiers, des employés subalternes d’un hôpital ou d’un laboratoire, des employés de l’industrie pharmaceutique, des membres des forces armées et des détenus. Les patients atteints d’une maladie incurable, les personnes vivant en centre d’hébergement, les personnes sans emploi ou pauvres, les patients confrontés à une situation d’urgence, les membres des minorités ethniques, les sans-abri, les nomades, les réfugiés, les mineurs ainsi que les personnes incapables de donner leur consentement sont aussi des sujets vulnérables. être exploitée. Avant de poursuivre, que l’on nous permette de cerner d’abord cette dernière notion. 5.1 La notion d’exploitation L’exploitation, selon Macklin, « occurs when wealthy or powerful individuals or agencies take advantage of the poverty, powerlessness, or dependency of others by using the latter to serve their own ends (those of the wealthy or powerful) without adequate compensating benefits for 121 122 Énoncé de politique, p. i.5. Une tendance se dégage des textes normatifs consultés comprenant la notion de vulnérabilité de façon extensive (voir l’encadré). Le lecteur voudra bien noter, également, que certains préfèrent parler de susceptibilité, c'est-à-dire une condition d’une personne qui est biologiquement affaiblie ou malade et qui la prédispose davantage à des torts additionnels : KOTTOW, M.H. (2003). p. 460 (traduction libre). Nous référons le lecteur intéressé à une taxonomie de la vulnérabilité à KIPNIS, K. (2001) et (2004). Pour en savoir davantage sur le concept de vulnérabilité, voir notamment LEVINE, C. et al. (2004) ; HENDERSON, G.E. et al. (2004) ; SILVERS, A. (2004) ; CAMPBELL, A.T. (2004) ; JECKER, N.S. (2004) ; VANDERWALDE, A.M. (2004) ; MORENO, J. (2004). Par ailleurs, de récents travaux d’un groupe de travail des trois Conseils semblent proposer un nouveau paradigme de la vulnérabilité qui s’éloignerait de la position traditionnelle en regard des mineurs et des majeurs inaptes : GROUPE CONSULTATIF INTERAGENCE EN ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE (2005). the less powerful or disadvantaged individuals or groups. »123 L’exploitation suppose deux éléments : le fait de prendre avantage de quelqu’un et que cet avantage soit injuste124. Ainsi, on offre à quelqu’un une chose qui est en deçà de ce qui serait normalement acceptable. « Here it matters not only what benefits are received by subjects in absolute terms, but also how the person making the offer benefits and what benefits he is capable of offering or sharing. Exploitation is the unfair distribution of the benefits and burdens that emerge from a transaction. If someone offers a potential subject much less than moral norms indicate would be reasonable, and as a result his gain relative to her gain seems unfair, then he may be exploiting her position. »125 Cela étant, une personne peut être dans un état de vulnérabilité sans par ailleurs être exploitée. Ce qui importe, ici, est de voir ce qui est susceptible d’être l’élément de dépendance dans une relation entre deux individus et d’examiner en quoi cet élément pourrait amener le sujet pressenti à accepter de faire quelque chose qu’il n’aurait pas fait, n’eut été de sa situation. Comme le signale un auteur, « [a] researcher who is more likely inclined to act in the subject’s best interests makes an otherwise vulnerable subject no longer vulnerable. »126 Les situations qui suivent constituent des exemples où le recrutement de certaines classes de sujets pressentis pourrait commander des mesures particulières de protection. 5.2 Des situations reliées à la rareté des ressources et aux délais d’attente Certains projets de recherche, de par leur nature même, pourraient comporter des volets qui constitueraient de puissants incitatifs de participation, et ce, que ces volets soient mis ou non en évidence au moment du recrutement. On songe, entre autres, à une recherche dans le cadre de laquelle une personne aurait accès à une thérapie ou à un service non disponible habituellement ou auquel elle aurait eu accès à l’intérieur d’un délai beaucoup plus long que si elle n’avait accepté de participer127. Ce dernier point serait particulièrement important dans un cas de rareté des ressources : « Many patients may be under pressure to enter clinical trials as an alternative means by which to obtain access to needed care. »128 Cette situation avait déjà été mise en 123 124 125 126 127 128 MACKLIN, R. (2003), p. 475. Dans ce sens, notamment, RESNIK, D.B. (2002). HAWKINS, J.S. et EMANUEL, E.J. (2005), p. 19. VANDERWALDE, A.M. (2004), p. 65. Selon un sondage réalisé par CenterWatch, 6 % des répondants avaient identifié ce facteur : INSTITUTE OF MEDICINE (2001), p. 4. Également dans ce sens, voir notamment MARTIN, R. (2005). LEMMENS, T. ET MILLER, P.B. (2002), p. 15. Les auteurs ajoutent: « One of us has received personal accounts of patients being offered participation in placebo-controlled trials as an alternative to waiting several months for standard treatment of a psychiatric condition. » © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 32 lumière dans le rapport Deschamps, à ceci près que les particularités du projet étaient délibérément utilisées comme une stratégie de recrutement : devant l'assurance qu'en participant à un projet de recherche une personne bénéficiera d'un meilleur suivi ou d'un suivi plus régulier que si elle continuait à être soignée en marge du projet de recherche, on comprend facilement qu'une personne puisse être encline à accepter de faire partie d'un projet de recherche étant sous l'impression qu'elle recevra alors de meilleurs soins que si elle ne participait pas au projet de recherche. [p. 76] [I]l fut rapporté aux membres du Comité que l'on pouvait informer un patient en traitement qu'il était devenu nécessaire pour lui de se soumettre à tel test ou à tel examen, que malheureusement, il existait des délais dans le système actuel mais que, s'il acceptait de participer à tel projet de recherche, il pourrait subir le test ou l'examen presqu'immédiatement [sic]. Les membres du Comité considèrent qu'il s'agit là de pressions indues exercées sur une personne pour l'amener à participer à un projet de recherche. [p. 77] 129 Il ne fait aucun doute dans notre esprit que ce genre de procédé est tout à fait inacceptable sur le plan éthique et nous abondons dans le même sens que le rapport Deschamps. Mais par-delà ces cas d’abus Qu’est-ce qu’une récompense inacceptable ? CIOMS et OMS (2002). Lignes directrices internationales... Commentaire relatif à la ligne directrice 7. Récompense inacceptable. (...) Une personne n'ayant pas accès aux soins médicaux pourra ou non être influencée de manière indue à participer à la recherche dans le seul but d'obtenir ces soins. Un sujet pressenti peut être poussé à participer à l'étude pour bénéficier d'un meilleur diagnostic ou pour accéder à un médicament qui lui serait normalement refusé. Les comités locaux d'éthique peuvent juger ces incitations acceptables. La récompense (...) en nature doit donc être évaluée en fonction des usages en vigueur dans la société et la population où elle est proposée pour déterminer si elle constitue ou non une influence abusive. C'est d'ordinaire le comité d'éthique qui est le mieux à même de juger ce qui constitue une récompense matérielle raisonnable. Lorsque des interventions ou procédures menées dans le cadre de la recherche, qui ne laissent pas escompter de bénéfice direct, présentent un risque plus que minimal, tous les acteurs de la recherche – promoteurs, investigateurs et comités d'éthique – tant dans les pays qui assurent le financement que dans les pays hôtes doivent prendre garde à éviter les incitations matérielles indues. qui sont sans doute peu nombreux, les CÉR doivent être particulièrement vigilants à la réalité actuelle de rareté des ressources et de longue liste d’attente lorsqu’ils évaluent des projets et se demander dans quelle mesure pareille situation ne pourrait exercer sur les sujets pressentis une influence indue. À côté de cette situation s’en trouvent d’autres pour lesquelles la compréhension des sujets pressentis est remise en question. 5.3 Des situations où la compréhension des sujets de recherche pressentis serait remise en question Le respect de l’autonomie des sujets pressentis suppose que ces derniers aient une bonne compréhension des informations transmises130. Or, certaines études montrent que cette compréhension serait rendue plus difficile lorsque les sujets de recherche pressentis étaient confrontés à une situation qui les place dans un état de grande vulnérabilité. Que l’on pense, notamment, aux personnes aux prises avec une maladie pour laquelle il n’y a pas ou plus de 129 130 COMITE D’EXPERTS SUR L’EVALUATION DES MECANISMES DE CONTROLE EN MATIERE DE RECHERCHE CLINIQUE (1995). Pour en savoir davantage à cet égard, nous référons le lecteur à notre texte AUDY, S. (2005). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 33 thérapies. Ce type de situations a fait l’objet d’un examen attentif par les auteurs qui ont observé trois phénomènes à cet égard : la méprise thérapeutique, la mésestimation thérapeutique et l’optimisme thérapeutique. Le phénomène de la méprise thérapeutique (therapeutic misconception)131 est très documenté, et ce, depuis plusieurs années132. La méprise intervient lorsque « le sujet opère un transfert du contexte clinique à celui de la recherche. Il considère alors que le chercheur aura en tout temps, pour priorité ultime, ses intérêts en tant que patient. »133 Pour les uns, le fait de continuer de défendre le concept d’équilibre clinique ne viendrait qu’encourager un mélange des genres, tant chez les clients que chez les professionnels qui auraient tendance à entrevoir leur pratique de recherche dans une perspective thérapeutique134, à ne pas voir la dualité des rôles135 ou à la nier : « investigators themselves may succumb to a form of cognitive dissonance in trying to reconcile the scientific goal of research with patient care. »136 Un autre auteur signale que : the dual roles that the physician must play as patient advocate and research scientist may become so intertwined that not only is it difficult for the physician to exercise his best medical judgment, but it also is almost impossible for the patient to fully appreciate the conflicting duties of the two roles and the impact that conflict might have on his medical care. The danger for the patient is increased when the primary care physician also acts as the principal investigator of subinvestigator in the clinical trial. Not uncommonly, the primary care physician recommends a particular clinical trial to the patient during the course of a regular office visit. In this context, the boundaries between practice and research might easily become blurred as the patient relies on the physician’s opinion as his physician, but unknowingly might get the physician’s opinion as a researcher.137 La méprise thérapeutique serait également favorisée par d’autres facteurs. Ainsi en serait-il du langage utilisé – on parle de patient plutôt que de sujet, on présente parfois le projet comme une autre option de traitement ou encore, on le désigne par un acronyme accrocheur, tel « CARE ». 131 132 133 134 135 136 137 Le lecteur voudra bien noter que d’autres auteurs parlent plutôt de malentendu thérapeutique : JONCAS, D. et PHILIPS-NOOTENS, S. (2006). Voir, notamment, RIECKEN, H.W. et RAVISH, R. (1983). Informed consent to biomedical research in Veterans Administration Hospitals. JAMA. 248 : 344-348; APPELBAUM , P.S. et al. (1987) ; KASS, N. et SUGARMAN, J. (1996) ; APPELBAUM, P.S. et al. (2004) ; KASS, N.E. et al. (2005) ; JOFFE, J. et al. (2001) ; DRESSER, R. (2002). Nous référons également le lecteur à un texte que nous avons rédigé pour le compte du CLÉRUM : AUDY, S. (2005), p. 12. JONCAS, D. et PHILIPS-NOOTENS, S. (2005-2006), p. 140. Dans ce sens, notamment : LITTON, P. ET MILLER, F.G. (2005), p. 573. K.W. WILLIAMS (2004) rapporte les résultats d’un sondage réalisé auprès des médecins-investigateurs de San Francisco : 85 % des répondants « felt that participation in clinical trials would not adversely affect the doctor-patient relationship and 84 % did not believe there was a conflict between the role of the physician and the role of the researcher. », p. 65. L’auteur réfère à l’article de D. ABRAMS et al. (1990). Factors Influencing Physicians’ Participation in Community-based Clinical Trials. Int. Conf. AIDS, 6 : 290. Une autre étude montre que 19,5 % des oncologues et 38,2 % des pédiatres oncologues ont déclaré que « the social purpose of clinical research was to improve the care offered to the participants in the trials, rather than to generate new knowledge to aid future patients. » in BRODY, H. ET MILLER, F. G. (2003), p. 338. Les auteurs réfèrent à S. JOFFE, S. et J.C. WEEKS (2002). Views of American Oncologists about the Purposes of Clinical Trials. Journal of the National Cancer Institute, 94 : 1847-1853. MORIN, K. ET AL. (2002), p. 80. WILLIAMS, K.W. (2004), p. 65. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 34 Certains signes extérieurs, tels l’habillement ou le lieu de rencontre des sujets, contribueraient au phénomène138. On souligne également que The psychological needs of sick people, particularly those with advanced life-threatening diseases, undoubtedly play a role in perpetuating the therapeutic misconception. But the research establishment and other social institutions play a role as well. In the years since Appelbaum’s group did its work, research participation has increasingly come to be seen as equivalent or even superior to standard medical care. Today’s research participants live in a culture possessed by a “collective” therapeutic misconception. Research participants’ expectations reflect the messages they receive from investigators, physicians, government officials, industry research sponsors, patient advocates, and the popular media.139 Pour contrer le phénomène de la méprise thérapeutique, différentes mesures peuvent être mises en place. Ainsi, le CÉR pourrait s’assurer que le formulaire de consentement fasse la distinction claire entre les procédures qui relèvent des soins standards et celles qui relèvent de la recherche. Fried, quant à lui, propose trois autres mesures, dont deux sont d’intérêt, ici : A. (…) forbidding any physician from conducting research on any patient of his or hers, whether or not for gain. B. (…) C. Consent procedures must require all physician researchers to explain to their subjects in comprehensible language, 1. that they are releasing said researchers from any fiduciary duty they might have them to have as a physician and that the researchers they meet will not be acting in that capacity to them, 2. that the financial and other interests of the researchers’ clients may be more important to them than the interest of the subject in his or her health, 3. that the most important risks of participation are unforeseeable, and the belief many subjects have that their personal situation “can not get any worse“ is false, and 4. that most subjects who consent to research do not believe these things when they are told them ; they are under the impression that its purpose is to help them personally. 140 Ces dernières mesures, bien qu’intéressantes, ne tiennent pas compte, nous semble-t-il, de la possibilité qu’un client puisse bénéficier d’une alternative à sa situation actuelle – ne serait-ce que les bénéfices susceptibles d’être générés par l’espoir, comme nous le verrons plus loin. Cela étant, ceux qui concernent les procédures de consentement ont au moins le mérite d’éclairer les sujets pressentis de façon non équivoque. Joncas et Philips-Nootens, pour leur part, préconisent trois mesures en vue de contrer le phénomène141. 138 139 140 141 Dans ce sens, notamment, DRESSER, R. (2002) ; MILLER, M. (2000). DRESSER, R. (2002), p. 276. FRIED, E. (2001), The Therapeutic Misconception…, p. 345. Les citations qui suivent sont extraites de JONCAS, D. et PHILIPS-NOOTENS, S. (2005-2006), p. 161. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 35 • En premier lieu et à l’instar d’Appelbaum et al.142, le contact initial des sujets pressentis ne devrait pas être fait par les chercheurs mais par un interlocuteur neutre. Celui-ci « pourrait envoyer au patient un message clair quant à la distinction importante existant entre le milieu thérapeutique et celui de la recherche. Celui-ci pourrait ainsi contribuer à éviter de présenter la recherche simplement comme une nouvelle intervention, mais plutôt comme [une intervention pour laquelle il existe peu de preuves quant aux effets bénéfiques ou dommageables] ». Cet interlocuteur « pourrait aborder plus facilement des questions aussi délicates, mais fondamentales, que celles entourant l’intérêt de la personne à ne pas participer à l’étude. » • En deuxième lieu, les auteurs prônent de modifier « [t]out un ensemble de signes environnementaux prêtant à confusion (...) allant de l’abandon du sarrau blanc au choix d’un lieu de rencontre avec les patients différent de celui où ils reçoivent leurs soins usuels. » • Enfin, il irait de la responsabilité de tous les acteurs concernés de travailler à ce que « le discours entourant le domaine de la recherche [reflète] mieux la véritable nature de la science. » Ces mesures constituent, selon nous, une proposition intéressante. Cela étant, nous ne sommes pas convaincue que le recours systématique à un interlocuteur neutre soit la solution, essentiellement parce que cela amène l’idée qu’un chercheur ne soit pas en mesure de pouvoir présenter l’information sans parti pris. Nous aimons à penser qu’un chercheur qui aurait pris conscience des écueils possibles puisse ajuster le tir dans la présentation des informations. En outre, n’est-ce pas une façon de déresponsabiliser le chercheur ? Au surplus, la neutralité estelle de ce monde ? Par ailleurs, le deuxième phénomène s’inscrit en droite ligne avec le précédent à ceci près que la mauvaise compréhension des sujets pressentis ne tient pas à la confusion des contextes de recherche et de clinique mais plutôt à la surévaluation des probabilités de bénéfices et à une sous-estimation des risques143. C’est ce que Horgn et Grady appellent la mésestimation thérapeutique (therapeutic misestimation)144. Comme ils le soulignent, « the existing literature on presentation of risk in clinical settings suggests that both patients and clinicians commonly misunderstand statistical data expressed in the form of percentages. Certain modes of presentation increase understanding, but patient preferences do not always include these 142 143 144 Appelbaum, P.S. et al. (1987). Plusieurs études tendraient à démontrer que les sujets surestimeraient les bénéfices et sous-estimeraient les risques. Voir dans ce sens, notamment, DAUGHERTY, C.K. et al. (2000) ; LIDZ, C.W. et al. (2004). À noter que ces auteurs n’opèrent pas de distinction entre la méprise thérapeutique et la mésestimation thérapeutique qu’ils semblent associer indistinctement. Voir dans ce sens HORNG, S. et GRADY, C. (2003). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 36 modes. »145 Ces auteurs n’excluent pas la possibilité que les patients soient plus sujets à interpréter les données en leur faveur bien qu’ils concèdent n’avoir aucune preuve à l’appui. Cela étant, ils ajoutent que l’on devrait être prudent « not to support any ethical conclusions with nonexistent data. In any case, even if subjects do tend to misunderstand probability data, this tendency is a weak justification for tolerating it. »146 Le phénomène ne concernerait pas uniquement les sujets de recherche Ce que disent les trois Conseils... Énoncé de politique, règle 7.2 Les chercheurs et les CÉR examineront soigneusement l’intégrité du processus de consentement libre et éclairé dans le cas des essais cliniques de phases 1 et 2 combinées. Le cas échéant, les CÉR peuvent exiger la mise en place d’une méthode indépendante de surveillance. Commentaires de la règle. Les essais cliniques de phases 1 et 2 combinées soulèvent des préoccupations d’ordre éthique très importantes car ils sont souvent menés avec des populations désespérées, pour lesquelles il n’existe plus de traitement possible (par exemple, cancéreux en phase terminale ou sidéens). En pareil cas, il arrive que les sujets, les familles et même les chercheurs évaluent mal les avantages et les inconvénients raisonnables de la recherche. Cette mauvaise perception s’applique, d’une part, au processus de consentement libre et éclairé, mais elle influence également la clarté et l’importance des procédures d’arrêt ou de retrait. Il est donc essentiel que les chercheurs et les CÉR collaborent et se consultent pendant toute la durée des essais de phases 1 et 2 combinées. pressentis mais aussi les professionnelschercheurs. À titre d’exemple, Miller rapporte que les essais de phase I en cancer n’offrent aux sujets de recherche pressentis qu’un taux de rémission de moins de 1 % et que le taux de mortalité causée par la toxicité du médicament à l’essai est comparable. Or, le plus étonnant, selon lui, « is the finding that physicians involved in these trials tend to overestimate both the likelihood of severe and fatal toxicity and the likelihood of anticancer effects. »147 L’auteur avance l’explication suivante : « the concert of misunderstanding that committed physicians enter into with patients is not, it seems to me, deliberate. The status quo persists not so much because it promotes professional and research goals, which it does, but because it helps us manage both our patients’ emotions and our own. (…) It is not that we disingenuously hide from patients information we deem relevant; rather, it is that we are so adept at hiding it from ourselves. »148 Le CÉR pourrait certes contribuer à contrer le phénomène en s’assurant que les clauses sur les avantages ne sont pas trop optimistes et en vérifiant la manière dont la recherche est présentée. À côté des deux précédents phénomènes observés s’en trouve un autre : l’optimisme thérapeutique (therapeutic optimism)149. Ainsi, certains sujets de recherche pourraient fort bien apprécier les probabilités reliées aux risques et aux bénéfices tout en distinguant la différence entre les contextes de recherche et de la clinique mais demeurer confiants qu’ils seront parmi ceux qui en retireront des bénéfices. On sait que plusieurs personnes acceptent de participer à 145 146 147 148 149 HORNG, S. et GRADY, C. (2003), p. 13. HORNG, S. et GRADY, C. (2003), p. 14. MILLER, M. (2000), p. 35-36. MILLER, M. (2000), p. 41. Voir dans ce sens HORNG, S. et GRADY, C. (2003). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 37 un projet dans l’espoir d’en retirer un bénéfice direct150. Un sondage réalisé par le CenterWatch auprès de 1 050 personnes ayant déjà participé à un projet nous apprend que 60 % d’entre eux l’avaient fait « in the hope of finding relief from a medical condition »151. Une étude réalisée au Japon révèle, quant à elle, que la principale raison évoquée par les répondants pour accepter de participer à un projet était l’espoir d’en retirer un bénéfice personnel152. On a également noté que les professionnels pouvaient contribuer au phénomène en étant « at times unrealistically optimistic about an experimental intervention’s prospects. Physicians may also offer trials as a way to avoid having to deliver the news that a patient has reached the terminal stage of illness. »153 Comme le font remarquer Horgn et Grady, « [o]ptimism alone should never be ethically problematic. An optimistic outlook likely makes a positive contribution to the healing process. »154 Toutefois, il faut s’assurer que cet optimisme ne découle pas d’une mauvaise compréhension, auquel cas l’autonomie des sujets pressentis pourrait être mise en brèche. Joncas et Philips-Nootens vont même jusqu’à s’interroger sur l’existence « d’une obligation «d’ingérence» [du chercheur] à l’égard de ceux dont l’optimisme confine à l’aveuglement volontaire » pour conclure que le « chercheur responsable se doit (...) d’intervenir afin de permettre au sujet de se familiariser avec une perception plus proche de la «réalité scientifique» »155. À cet égard, d’autres font remarquer qu’il peut être extrêmement difficile, dans les faits, de départager « whether a research subject misunderstands the prospect of benefit or has simply adopted an optimistic outlook along with an awareness of the facts. »156 À tout événement, tant les CÉR que les chercheurs devraient s’assurer que l’optimisme des sujets n’est pas basé sur une mauvaise compréhension des informations, sans pour autant tomber dans un paternalisme outrancier. Comme le souligne un auteur, « people with serious disease and surrogates of individuals with serious disease face difficult choice. They are surely pained by the medical problems they confront and stressed by having to make difficult decisions in the face of uncertainty. But to deny them the presumption of autonomy and to use that as a justification for limiting or denying research participations is, just, as clearly, a subversion of 150 151 152 153 154 155 156 Dans ce sens, notamment : AVIS, N.E. et al. (2006), pour 83 % des répondants ; KASS, N.E. et al. (2005) ; MILLER, M. (2000) ; WARNER, T.D. et al. (2003), pour 64 % et 57 % selon le groupe de répondants ; WRIGHT, J.R. et al. (2004) rapportent que ce facteur jouerait davantage dans les essais de phases I et II (oncologie, p. 4317). INSTITUTE OF MEDICINE (2001), p. 4. ASAI, A. et al. (2004), p. 458. Les auteurs avancent l’hypothèse que l’inclinaison de vouloir l’harmonie et d’éviter la protestation contre l’autorité pourrait jouer un rôle significatif dans la réaction des répondants. (p. 465). DRESSER, R. (2002), p. 277. Dans ce sens, voir HORNG, S. et GRADY, C. (2003), p. 14. JONCAS, D. et PHILIPS-NOOTENS, S. (2006), p. 139-140. Dans ce sens, voir HORNG, S. et GRADY, C. (2003), p. 14. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 38 morality. »157 Nous partageons ce point de vue. L’optimisme d’un sujet de recherche, dans la mesure où il ne découle pas d’une mauvaise compréhension, ne devrait pas être perçu comme une entrave à l’exercice de l’autonomie des sujets, et ce, même s’il constitue la raison première l’ayant amené à participer. En dépit d’une ligne de démarcation parfois floue, il importe, selon nous, de rappeler que l’on peut bien mettre de l’avant que les sujets pressentis doivent avoir une bonne compréhension des informations transmises. Encore faut-il, cependant, reconnaître l’existence même de ces trois phénomènes et leur incidence Trois phénomènes reliés à une mauvaise compréhension ... Méprise thérapeutique : le sujet confond le contexte de recherche avec celui de la clinique. Ce faisant, il croit que les actes posés seront destinés à ses seuls intérêts. Mésestimation thérapeutique : le sujet a une mauvaise compréhension des risques et des bénéfices du projet, même s’il comprend qu’il est dans un contexte de recherche et non clinique. Cela l’amènera à surestimer les bénéfices et à sous-estimer les risques. Optimisme thérapeutique : le sujet croit qu’il fera partie de ceux qui retireront des bénéfices du projet alors que ceux-ci sont peu probables. sur l’exercice de l’autonomie des sujets. Cela nous apparaît essentiel dans la mesure où, de cette prise de conscience, dépendront les moyens mis en œuvre pour les contrer, dans les limites du possible. C’est une obligation de moyens, ici, et non de résultats, selon nous. La prochaine situation que nous allons évoquer concerne les personnes qui constituent une population dite captive. 5.4 La surutilisation de certains sujets de recherche Il est une règle bien admise selon laquelle la répartition des inconvénients et des avantages reliés à la recherche doit être équitable. Cette règle découle du principe de justice. En substance, elle signifie que les chercheurs ne doivent ni exclure sans justification scientifique et éthique une catégorie de sujets de recherche ni solliciter toujours les mêmes sujets de recherche. Certaines situations font que des sujets assument plus que leur juste part du fardeau de la recherche. On pense, en particulier, aux personnes qui sont hospitalisées ou qui vivent en institution. Celles-ci, de par leur situation, seraient plus captives et donc, plus enclines à être exploitées. À l’instar du FQRSC, nous croyons que les chercheurs ont le devoir d’être « attentifs à ne pas abuser de l’accès aux personnes se trouvant dans ces milieux. » 158 157 158 RHODES, R. (2005), p. 14. FQRSC (2002). Règle A.15. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 39 En outre, certains croient que « la surutilisation des mêmes clientèles peut fausser les résultats de recherche, créer une désensibilisation des clients qui deviennent habitués aux types d’outils de recherche utilisés » 159. Si tel était le cas, le principe de scientificité se trouverait compromis. Cela étant, on ne saurait envisager cette problématique sans par ailleurs conserver à l’esprit que certaines affections, de par leur caractère particulier – par exemple, une maladie qui ne concernerait qu’un très petit nombre de personnes – donne peu de solutions de rechange pour contrer une surutilisation. Encore une fois, chaque cas devra être apprécié de façon pondérée afin de mettre en place les meilleurs mécanismes en regard de la situation. Par-delà le phénomène de surutilisation se trouve une situation qui, bien qu’elle s’y apparente, s’en distingue en ce qu’elle émane de la volonté même des sujets de recherche, comme nous le verrons maintenant. 5.5 Quand la surutilisation découle de la volonté même des sujets de recherche Parallèlement au discours sous-jacent aux précédentes situations – celui d’une protection accrue des personnes particulièrement vulnérables et pour lesquelles l’on doit être vigilant à ce que cet état de vulnérabilité ne soit pas exploité – on assiste depuis quelques années, en particulier depuis l’avènement du SIDA, à un changement de paradigme160. À la protection accrue de ces personnes s’est substitué leur droit de participer à la recherche de manière à ce qu’elles aient une chance d’en retirer des bénéfices personnels. À titre d’exemple, lors de l’enquête que nous avons menée sur le Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique (PAM), des présidents de CÉR ont porté à notre attention leur embarras face aux critiques de sujets de recherche pressentis qui associeraient le respect du principe de justice à une forme de paternalisme et à un déni injustifié de leur autonomie161. D’autres soulignent que l’ « accessibilité restreinte aux soins de santé les plus nouveaux aliment[erait] les revendications d’un grand nombre de patients de mieux en mieux informés. Dès lors, la possibilité de profiter d’une médecine de pointe incarnée par la recherche médicale exerce[rait] un attrait puissant. De plus, l’impact des pressions de ce lobby sur le milieu scientifique [ne serait] donc pas négligeable et contribue[rait] à renforcer la perception d’un gain personnel pour les sujets de recherche. »162 159 160 161 162 AUDY, S. (2006), Le Plan d’action..., p. 105 (propos d’un chercheur rencontré dans le cadre de l’enquête sur le Plan d’action ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique). Dans ce sens, voir notamment DAUGHERTY, C.K. et al. (1997). AUDY, S. (2006), Le Plan d’action..., p. 104. JONCAS, D. et PHILIPS-NOOTENS, S. (2006), p. 144. Les auteurs précisent, en note au bas de page, que « l’influence de l’internet est un élément nouveau et non négligeable dans cette course à la thérapeutique de pointe » et réfèrent aussi au mouvement états-unien Patient Advocacy et « son implication dans le milieu de la recherche médicale. » Dans le même sens, voir notamment DRESSER, R. (2002). © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 40 Point n’est besoin d’élaborer longtemps pour saisir à quel point une personne qui est aux prises avec une affection pour laquelle les thérapies sont inexistantes, inefficaces ou difficilement accessibles ou alors est confrontée à une affection mettant en danger sa vie, puisse en arriver à solliciter les professionnels en vue qu’ils lui proposent une recherche – dans l’espoir de retrouver la santé, d’avoir une meilleure qualité de vie, de pouvoir bénéficier d’un temps de répit ou encore, de bénéficier d’une thérapie non disponible en clinique. Cela étant, la surutilisation volontaire est-elle pour autant acceptable sur le plan éthique ? Deux discours s’opposent ici. D’un côté, on remet en question la capacité effective de ces personnes de pouvoir consentir de façon éclairée et libre, comme nous l’avons vu précédemment, et on craint que leur vulnérabilité soit exploitée. Elles seraient utilisées comme un simple moyen et assumeraient un très lourd fardeau alors que les chances qu’elles puissent bénéficier des retombées de la recherche seraient, dans beaucoup de cas, minces, pas toujours précisément définies ou, encore, de courte durée, la thérapie n’étant disponible que le temps de la recherche. D’un autre côté, on dénonce toute entrave à l’autonomie des personnes, entrave qui serait qualifiée de paternalisme, de protectionnisme indu voire d’infantilisation. Ce point de vue est également ressorti lors de notre enquête sur le PAM. Ainsi, le fait d’empêcher les sujets de participer à plusieurs projets serait, pour un chercheur, une forme d’infantilisation et constituerait « une contradiction entre la philosophie actuelle d’un système de santé où il faut responsabiliser les patients et celle du domaine de la recherche où on les infantilise en les disant non responsables s’ils participent à plusieurs projets. »163 Il s’agit certes d’une problématique complexe. Sous-jacent au droit de participer à une recherche se trouve réaffirmer le droit de pouvoir rationnellement consentir à s’exposer à des risques – qui sont reliés au projet lui-même ou qui découlent de la participation à plusieurs projets. Des risques que le sujet pressenti jugerait acceptables compte tenu de sa situation sans avoir à en passer par un paternalisme164. Ce droit de participer tiendrait aussi du principe de bienfaisance. Ainsi, un chercheur « should make the benefits of research participation – including access to certain drugs or therapies – available to as many as possible. »165 Examinons de plus près l’argument. En supposant que le consentement des personnes confrontées à ce genre de situation ait été obtenu de façon libre et éclairée, c'est-à-dire en toute connaissance de cause, il existe de multiples situations où le seul consentement de l’individu ne fait pas foi de tout. À titre 163 164 165 AUDY, S. (2006), Le Plan d’action..., p. 104-105. Dans ce sens, notamment, RHODES, R. (2005) ; EDWARDS, S.J.L. et al. (2004). ELKS, M. L. (1993), p. 131. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 41 d’exemple, les valeurs sociétales actuelles font qu’il est interdit de vendre ses organes, et ce, même si on y avait consenti de façon libre et éclairée. Partant, le respect de l’autonomie ne serait pas un principe absolu mais plutôt « a prima facie moral principle, to be weighed against other moral considerations as appropriate. »166 Le respect du principe de bienfaisance, compris ici comme l’accès à la recherche par le plus grand nombre, sous-entend que l’on adhère à la conception selon laquelle la recherche contribue au mieux-être de la collectivité, au bien commun. Or, les points de vue divergent quant à la contribution réelle de la recherche à la santé, à la notion même de ce qu’est une bonne santé ou encore à la notion de bien commun, ce qui impose la prudence167. Par ailleurs, accepter qu’il y ait un droit de participer à la recherche supposerait, corollairement, selon nous, un devoir d’y participer. Or, qu’en est-il au juste ? Pour les uns, « in light of our appreciation of human vulnerability to injury and disease and our appreciation of the value of clinical research, reasonable people should endorse policies that make research participation a social duty. »168 Le fait de bénéficier des retombées de l’avancement de la science sans s’être prêté soi-même à l’exercice constituerait donc un cas d’injustice, une forme d’exploitation injuste des personnes qui permettent aujourd’hui à la collectivité d’en jouir. Pour les autres, un tel devoir serait difficilement justifiable sur le plan éthique. Même en supposant que la recherche « is a social enterprise for the public good, it should be accomplished in an inclusive and participatory way. Yet participation in research, like jury duty, is generally unwelcome. These problems cannot be adequately addressed by appeal to the informed consent of subjects, because consent does not erase justice-based moral concerns. »169 En outre, le fait de retirer des avantages d’une situation sans y avoir contribué de façon directe ne constituerait pas forcément une forme d’injustice. Comme des auteurs le soulignent, la population tire avantage des risques assumés par les pompiers sans pour autant que cela engendre pour chaque personne un devoir d’être à son tour pompier170. Nous souscrivons à l’opinion voulant que participer à une recherche soit « a valuable civic activity, like school tutoring, volunteer fire-fighting, and neighborhood patrolling. (...) [Research participation] should be encouraged and praised like those other activities, but there is no reason to single it out as the subject of a universal duty. »171 Selon nous, le devoir de participer n’existerait qu’en présence de situations qui justifieraient moralement la transgression de 166 167 168 169 170 171 GARRARD, E. et DAWSON, A. (2005), p. 421. Dans ce sens, notamment, voir SHARP, R.R. (2005) ; LONDON, J. (2005). RHODES, R. (2005), p. 15. BEAUCHAMP, T.L. (2005), p. 33. Dans ce sens, WACHBROIT, R. et WASSERMAN, D. (2005), p. 48. WACHBROIT, R. et WASSERMAN, D. (2005), p. 49. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 42 l’impératif de la dignité humaine, par exemple des situations qui menaceraient la survie de la collectivité ou de l'espèce humaine. Or, à la lumière des précédents propos et dans l’état actuel des choses, il nous paraît difficile de parler d’un droit de participer. HIH Comme on le vient de le voir, les enjeux reliés au recrutement de personnes particulièrement vulnérables sont nombreux. Le fait d’être vulnérable ne signifie pas pour autant que l’on soit incapable d’agir de façon rationnelle. Il ne s’agit ni d’infantiliser les sujets de recherche pressentis, ni d’adopter une attitude paternaliste. Par contre, lorsque la stratégie de recrutement utilisée consiste à mettre de l’avant de façon indue les gains secondaires que pourraient retirer les sujets de recherche pressentis, il y a lieu, selon nous, de dénoncer la situation, une situation peu respectueuse de la dignité humaine. Lorsque la stratégie de recrutement ne tient pas compte, voire refuse de voir la fragilité des sujets pressentis ou l’existence des phénomènes observés au chapitre de la compréhension, elle les réifie. Il en va de même lorsque l’on incite les sujets de recherche pressentis « à participer à une recherche, fût-elle la plus prometteuse de toutes, en leur faisant miroiter de faux bénéfices. » 172 De même encore en est-il lorsque, pour des raisons de commodité, les chercheurs font toujours appel aux mêmes personnes173. Cela étant, point est ici notre intention d’adopter une perspective manichéenne de la problématique évoquée dans le cadre de ce chapitre. La plupart des chercheurs sont respectueux de la dignité des sujets de recherche et ont à cœur d’aider leurs clients. De même peuvent-il être confrontés à des difficultés de taille qui sont hors de leur contrôle, telles celle d’avoir accès à un nombre restreint de sujets de recherche compte tenu de l’objet étudié. Les chercheurs doivent cependant être conscients des enjeux et moduler leur approche des sujets de recherche pressentis en fonction d’eux. Les CÉR, pour leur part, doivent s’assurer, lors de l’examen éthique, que ces modalités, à défaut d’éliminer toutes les incertitudes, n’exposent pas les sujets pressentis à ce que leur vulnérabilité ne soit indûment exploitée. Le principal défi réside, selon nous, à trouver le juste équilibre en vue d’en arriver à la solution qui soit la moins pire. 172 173 TROIS CONSEILS DE RECHERCHE (1998). Énoncé de politique, p. i.4. Dans le même sens, voir notamment, Énoncé de politique, p. 2.10. © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 43 Conclusion Ces quelques pages auront permis de constater à quel point le thème du recrutement est toujours d’actualité. Les raisons qui incitent une personne à participer à une recherche sont nombreuses. Le contexte actuel de recherche et d’accès aux soins de santé sont susceptibles de jouer dans ce processus décisionnel, complexifiant d’autant la problématique. Il en découle plusieurs préoccupations sur le plan éthique. Ainsi en est-il de certains moyens utilisés en vue d’identifier les sujets de recherche – à partir de dossiers détenus par le chercheur, de dossiers détenus par un tiers ou encore avec le concours de sujets de recherche déjà enrôlés. Ces moyens interpellent directement les principes de respect de la vie privée et de la confidentialité. Dans quelle mesure peut-on utiliser des renseignements que l’on détient sur une personne, et qui ont été obtenus à une autre fin, dans le cadre du processus de recrutement ? La personne concernée en a-t-elle réellement le contrôle ? Parallèlement, vouloir être respectueux de ces deux principes pourrait, dans certains cas, compromettre la scientificité des résultats. D’où l’importance de bien soupeser chaque élément d’une situation, de façon pondérée. Nous avons également vu que l’offre d’incitatifs, que ceux-ci soient destinés aux sujets de recherche pressentis ou aux recruteurs, ne va pas toujours de soi. Les compensations offertes aux premiers pourraient indûment les influencer à participer à la recherche, compromettant ainsi l’exercice de leur autonomie. Au surplus, cela pourrait-il les amener à mentir ou à faire de la rétention d’information afin de pouvoir participer, ce qui non seulement pourrait les exposer à des risques mais aussi entacher la qualité des résultats. De même, il ne faut pas exclure la possibilité que ces incitatifs puissent engendrer une forme d’exploitation. Connaître le profil des sujets pressentis devient plus que jamais pertinent. Quant aux incitatifs destinés au recruteur – ce que nous avons appelé les primes au recrutement – nous avons vu que cette pratique pouvait le placer dans une situation de conflit d’intérêts, une situation qui pouvait également concerner l’établissement où se déroule le projet. La balise que constitueraient les CÉR pourrait ne pas faire le poids, les enjeux économiques étant importants. Par ailleurs, le rôle des professionnels qui agissent également comme chercheurs auprès de leur clientèle constitue une question très préoccupante. Bien que les auteurs ne s’entendent pas sur la nature des devoirs qui leur incombent, nous avons pu constater néanmoins qu’il était possible de concilier les deux rôles. Cela passe d’abord par une prise de conscience de la situation. Cela passe ensuite par un souci de transparence envers les clients qui deviendront sujets. Le professionnel-chercheur a donc un devoir accru en matière de consentement. Cela passe enfin par une responsabilité également accrue au chapitre de la non-malfaisance et de la justice. En dernier lieu, nous avons vu que le recrutement de personnes qui sont particulièrement vulnérables posait des défis de taille, et ce, à plus d’un titre. Que l’on pense à celles qui sont atteintes d’une maladie incurable ou d’une condition pour laquelle l’arsenal thérapeutique est inexistant ou peu efficace. Et que dire de toutes ces personnes qui n’ont pas accès à une thérapie ou qui devront attendre alors que la recherche leur permettrait d’y avoir accès demain matin. Que dire aussi de ces gens qui constituent un bassin de sujets de recherche facile à exploiter en ce qu’ils sont hospitalisés ou institutionnalisés. Autant de situations pour lesquelles jaillissent plusieurs préoccupations, que ce soit au chapitre de l’autonomie, de la non-malfaisance ou de la justice. La problématique est d’autant complexifiée avec un changement de paradigme où de la protection accrue de ces personnes émerge un discours qui revendique le droit de participer à la recherche – de décider pour soi-même les risques acceptables –, un discours qui voit le système actuel de protection comme un paternalisme outrancier et une entrave à pouvoir jouir des bénéfices de la recherche. Toutes ces préoccupations rendent un peu plus difficile la recherche de solutions acceptables sur le plan éthique. En ce sens, chaque cas doit être examiné à son mérite. Les dilemmes éthiques doivent être résolus dans l’ouverture et la discussion, en faisant preuve de prudence et d’un raisonnement sensible dans l’application des normes existantes. Bref... le thème du recrutement est sans contredit un terreau fertile de préoccupations qui appelle plus que jamais la gestion de nos incertitudes... © Sonya Audy – Quelques enjeux... – Version finale – 12 mars 2007 – page 45 BIBLIOGRAPHIE AL-SHAHI, R. ET AL. (2005). Bias from requiring explicit consent from all participants in observational research: prospective, population based study. [En ligne] BMJ. Doi:10.1136/bmj.38624.397569.68 (publié le 13 octobre 2005). ANGUS, V.C. ET AL. (2003). The requirement for prior consent to participate on survey response rates: a populationbased survey in Grampian. BMC Health Services Research. 3 (1) : 21-30. APPELBAUM , P.S. et al. (1987). 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