Encore trop de camions traversent la Suisse

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Encore trop de camions traversent la Suisse
Réveillon avancé pour les camions en transit
Encore trop de camions traversent la Suisse
Intervention de Mathias Reynard, membre du comité de l’Initiative des Alpes et Conseiller national
Sion, le 21.09.2012
Mesdames, Messieurs,
Chers représentants de la presse,
Nous venons donc de fêter ensemble la fin de l’année pour les camions en transit. C’est un grand
plaisir de compter parmi nous le millionième camion traversant les Alpes suisses cette année. Ce
pourrait être une belle fête, un succès pour la Suisse et pour sa politique des transports, mais,
malheureusement, la réalité est bien différente : nous ne sommes que le 21 septembre et il reste
encore plus de trois mois avant la fin de l’année. D’autres camions traverseront donc la Suisse
jusqu’à fin décembre, en toute illégalité.
Au vu de mon mandat, il me tient à cœur de donner aujourd’hui quelques éléments relatifs à la
politique fédérale en matière de transports et de transfert des marchandises de la route vers le rail.
Mes collègues développeront davantage la situation cantonale et locale. Mais commençons par un
bref retour en arrière.
Ce camion que nous vous présentons aujourd’hui est là pour nous raconter l’histoire de la politique
du transfert des marchandises de la route au rail et pour nous rappeler qu’en Suisse, il existe une loi :
la Loi fédérale sur le transfert du transport de marchandises (LTTM) qui stipule qu’ « à titre d’objectif
intermédiaire, le nombre de courses annuelles ne devra pas dépasser un million à partir de 2011 »
(article 3). L’an dernier déjà, cet objectif n’a pas été atteint. On a compté, sur toute l’année 2011,
1.26 million de courses. C’est beaucoup trop ! Il y a une année déjà, l’Initiative des Alpes avait fêté –
si l'on peut parler de fête – ici, en Valais, la traversée du millionième camion, sur le col du Simplon.
C’était le 30 septembre 2011.
Nous nous retrouvons aujourd’hui ici, à Sion, au centre du Valais, entre le col du Simplon et celui du
Grand-Saint-Bernard. Notre camion pourra continuer sa trajectoire en prenant une route ou l'autre,
peu importe. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne sera pas le dernier. On atteindra, très probablement,
les mêmes chiffres que ces dernières années. Et pour ce qui concerne le Valais, ces données sont
impressionnantes : 80'000 camions annuels au Simplon. Beaucoup trop pour ce petit col! Quant au
Grand-Saint-Bernard, il a vu transiter en 2011 60’000 camions, ce qui représentait une augmentation
de 21% par rapport à l’année précédente. Encore une fois, beaucoup trop !
Dans les deux autres principaux cols de nos alpes, les chiffres ne sont pas plus réjouissants. Au
Gothard, plus de 900'000 passages continueront d’être enregistrés cette année. Enfin, le dernier col,
dans les Grisons, le San Bernardino, compte près de 190'000 camions en transit. Trop, trop et encore
trop ! L’objectif intermédiaire a de nouveau échoué.
Cette situation catastrophique reflète bien l’histoire du transfert des marchandises en Suisse. C’est
une rude et longue histoire, qui ne semble pas terminée. On peut la faire débuter en 1994. Cette
année-là, l’Initiative des Alpes est acceptée par le peuple suisse. Je ne l’ai malheureusement pas
votée. J’avais six ans. C’était il y a plus de 18 ans ! Pourtant, le texte de l’Initiative des Alpes exigeait
le transfert des marchandises de la route au rail dans les plus brefs délais. La volonté populaire n’a
pas été respectée depuis par les autorités fédérales !
C’est d’ailleurs exactement cette année-là, en 1994, que la barre d’un million de transits sur tous les
passages alpins a été atteinte. Le peuple suisse, à l’époque, a très bien réagi en acceptant cette
initiative, en disant clairement qu’il ne voulait pas de camions inutiles sur nos routes et qu’il
favorisait le transport par le rail.
Mais cette histoire, qui avait si bien commencé avec le choix populaire il y a 18 ans, a pris très vite
une mauvaise tournure. Après ce vote, le nombre de camions n'a cessé d'augmenter, pour atteindre
1,4 million en 2000. Triste constat : le trafic des poids lourds à travers les Alpes n’a été stabilisé qu'à
partir de 2002, suite au tragique accident survenu au Gothard. L’introduction du système comptegoutte semble pour le moment pouvoir contenir la croissance. Mais les mesures prises jusqu’à
présent sont nettement insuffisantes pour arriver aux objectifs et respecter le choix populaire. Ce
choix a d’ailleurs été nettement confirmé avec le rejet du contre-projet Avanti en 2004 par plus de
62% du peuple suisse ! La seule volonté qui manque donc aujourd’hui, c’est la volonté politique !
Et pourtant, les bases légales existent, elles ont été acceptées par notre Parlement fédéral. Dans
l’article cité auparavant concernant les buts intermédiaires, on trouve surtout l’objectif à long terme,
qui fixe le chiffre de « 650 000 courses annuelles » « au plus tard deux ans après la mise en service du
tunnel de base du Saint-Gothard ». En d’autres mots : la moitié du nombre de camions en circulation
aujourd’hui, ceci avant 2018! Demain, donc. Le temps presse. Le Conseil fédéral est resté trop
longtemps impuissant, les bras croisés, soumis à certains lobbys.
La cause n’est pas perdue pour autant. Un grand pas a déjà été fait. Les Nouvelles Lignes Ferroviaires
Alpines (NLFA), également acceptées en votation populaire il y a juste vingt ans, entreront bientôt en
service et offriront assez de capacité pour transporter les marchandises sur le rail. Elles ont coûté
près de 15 milliards, ce qui représente un argument plus que suffisant pour les exploiter au
maximum. Après avoir fait dépenser, les Alpes finiront donc par rapporter à notre pays et à sa
population.
Mais pour cela, il faut une volonté politique de la Berne fédérale. Les belles déclarations de notre
Ministre des Transports cet été à Rio sur le développement durable et sur l’importance de préserver
nos montagnes doivent être transformées en actes concrets. Il en va du futur de nos alpes : la
sauvegarde de notre environnement exceptionnel et la protection de notre qualité de vie.
Malheureusement, les positions du Conseil fédéral sont aujourd’hui en contradiction avec ces
objectifs. Le cas le plus frappant est évidemment le soutien à un deuxième tube routier au Gothard. Il
s’agit là d’un choix anticonstitutionnel ! Malgré les belles promesses, il est certain qu’à moyen terme,
les quatre voies seront utilisées, sous la pression de l’Union européenne. Et cela nuira aux Alpes dans
leur ensemble. Les cantons alpins doivent aujourd’hui se montrer solidaires et défendre leurs
intérêts communs. La population uranaise a exprimé à cinq reprises en votation son rejet d’un
deuxième tube (dont la dernière fois en 2011). Un peu de respect de la volonté du peuple !
En outre, comme parlementaire fédéral, je vois aujourd’hui bien les débats autour du financement
des transports en Suisse. Le percement d’un deuxième tunnel routier au Gothard remettrait
clairement en cause les moyens prévus pour de nombreux projets qui attendent depuis longtemps,
spécialement en Suisse romande.
Pour terminer, il convient de donner quelques mesures concrètes que l’Initiative des Alpes défend
afin d’atteindre l’objectif du transfert de la route vers le rail :
1. Des systèmes de trains-navettes pour le transport des camions (au Simplon et au Gothard,
dans le nouveau tunnel ferroviaire). Une chaussée roulante entre le Valais et l’Italie
constituerait une mesure d’accompagnement crédible à la réfection du tunnel routier du
Gothard, pour éviter un trafic de contournement supplémentaire.
2. Pour gérer efficacement le transit des poids lourds par la Suisse, il est indispensable de créer
une bourse du transit alpin pour les quatre passages suisses. C’est donc l’Etat qui va fixer le
nombre maximal de transits, conformément à la loi.
3. A long terme, il faut envisager une interdiction, pour les poids lourds, de circuler sur les cols
alpins et dans le tunnel routier du Gothard, ceci uniquement après l’ouverture du tunnel
ferroviaire de base, en 2016. Evidemment, le trafic local resterait possible.
4. Enfin, il faut introduire un système de ferroutage plus long, de frontière à frontière, pour
enlever le maximum de camions de tout le réseau routier suisse.
Avec la mise en place de ces propositions, nous pourrons enfin atteindre l’objectif du transfert inscrit
dans la loi, tout en évitant la construction d’un deuxième tube routier au Gothard, avec une vraie
solidarité entre les cantons alpins. Et, en plus, à moindre coût.
Alors qu’aujourd’hui en Europe, la politique des transports se situe très clairement en faveur de la
route (avec des discussions sur le doublement du tunnel du Mont-Blanc et de celui du Fréjus), la
Suisse doit se montrer plus visionnaire. Le futur est dans le train.
Les solutions existent : il suffit de les mettre en place ! Pour le bien-être de la population suisse et
des Alpes.