La folle période du mariage passée, les cotillons ramassés, la robe

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La folle période du mariage passée, les cotillons ramassés, la robe
La folle période du mariage passée, les cotillons ramassés, la
robe et le costume rangés dans leurs housses, la vie de jeunes
mariés commençait. Dans la logique des choses, en suivant
notre plan de vol parfaitement huilé, notre prochain grand
projet était un enfant. Tous les feux étaient au vert, le bonheur
était parfait et rien ne semblait pouvoir l’entacher. Quelques
semaines après le mariage, nous entamions donc l’étape
suivante de notre plan de vie savamment calculé. Nous faisions
désormais tout ce qu’il fallait pour avoir un enfant.
C’est une période assez euphorique que ces premiers mois de
tentatives. Nous n’avions aucun doute sur l’aboutissement de
notre projet. Nous n’avions aucun problème de santé
particulier, ni aucun trouble physique. Nous ne fumons pas, et
ne buvons jamais d’alcool. Nous n’avions eu aucune maladie
infantile grave, et nous n’avions jamais rencontré aucun
problème particulier. Bref, tout allait pour le mieux dans le
meilleur des mondes. C’est donc l’esprit serein que nous avons
abordé cette nouvelle étape, armés de toute la confiance du
monde.
Nous gardions à l’esprit que des couples pouvaient rencontrer
des problèmes, mais comme pour les accidents de voiture, de
telles histoires ne peuvent arriver qu’aux autres. Deux ans
avant de débuter nos premiers essais, Jean-Philippe, un cousin
d’Agnès, nous avait pourtant parlé de ces problèmes de
fécondité qui touchaient une population toujours plus grande.
Dans les premiers temps, nous ne pensions pas qu’un tel
problème pouvait nous toucher. Au contraire, je me souviens
que le premier mois de notre tentative, nous pensions qu’il y
avait une réelle chance que cela fonctionne du premier coup.
La chance des débutants en quelque sorte. Quelque part, je me
disais que ce serait peut-être dommage qu’on parvienne au but
si vite ! Cela nous priverait un peu de cette joie des tentatives
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et du suspense. Un peu comme si la pêche n’avait plus d’intérêt
si le poisson mordait à l’hameçon dès que la ligne est plongée à
l’eau.
Mais au bout de trois mois, nous nous sommes vite rangés à
l’idée que cela n’allait pas être immédiat. Mais qu’importe,
nous avions tout notre temps. Chaque fin de cycle, c’était un
peu l’excitation du tirage du loto, mais avec l’assurance
réconfortante de pouvoir rejouer le mois suivant, en disposant
d’un nombre de tickets illimités avec à coup sûr le ticket
gagnant quelque part dans le lot.
Après six mois d’essais, nous avions dépassé le délai moyen
constaté pour débuter une grossesse. Sans trop nous l’avouer,
nous commencions déjà à nous poser quelques questions. C’est
à partir de cette époque qu’Agnès a fréquenté les forums
d’Internet consacrés à ce sujet, dans l’espoir d’y gratter
quelques informations, quelques conseils, … tout simplement
dans l’espoir d’être rassurée.
Il y aurait beaucoup à dire sur ces forums. On y trouve de tout :
des informations rassurantes lorsque l’on est dans de bonnes
dispositions, ou des informations effrayantes lorsqu’on est
complètement paniqué. Le risque est l’absence de modération
médicale : les informations ne sont pas toujours très fiables. Au
moins, y trouve-t-on des femmes (peu d’homme) qui vivent la
même chose, et partagent ensemble leur angoisses ou leur
bonheur.
Si le sujet est grave, une chose donne à sourire... Comme dans
tous les forums, un langage propre se développe. Il est de bon
ton de dire par exemple « zozos » au lieu de « spermatozoïdes
», et « gygy » au lieu de « gynécologue ». On retrouve ce
vocabulaire dans des phrases qui ne manquent pas de piquant :
« Mon gygy a dit que les zozos de mon mari sont un peu
faiblards ! »
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La fréquentation de ces forums montre en tout cas une chose:
c’est que le nombre de couples qui souffrent de problèmes de
fécondité n’est pas négligeable, et que les souffrances
psychiques que ces problèmes engendrent sont réelles et
difficiles à vivre.
Plus les mois passaient, et plus les fins de cycle ressemblaient à
des sanctions que nous supportions de plus en plus mal.
L’euphorie du début était maintenant bien retombée. La belle
dimension spirituelle de l’attente de l’enfant tombait à plat. La
hantise de « louper » une occasion en milieu de cycle
accroissait la tension. S’il le fallait, nous n’hésitions pas à
annuler une visite chez nos parents ou amis pour ne pas
manquer le créneau.
Dans ce climat d’échec, il se développe une réelle peur de ne
pas avoir de rapport au bon moment, et de louper une occasion
de réussir. Est-ce que le jour est bon, est-ce que l’heure est
bonne ?
Pour ces raisons, j’aurais tendance à dire que cette période
d’incertitude est encore plus dure à vivre que celle vécue au
cours du cycle de la PMA, car pendant tout ce temps, les
questions et les doutes s’accumulent, sans qu’aucune réponse
ne soit apportée. Et chaque mois, il y avait invariablement cette
période d’attente et de suspens, sanctionnée par un résultat sans
appel en fin de cycle.
Au cours de l’été 2005, comme tous les ans, Agnès et moi
sommes allés passer nos trois semaines de congés aux Sables
d’Olonne. Cette période estivale est propice aux familles et aux
enfants. Et cette année-là, comme par hasard, nous n’avions
jamais vu autant de bébés partout autour de nous.
Sur la plage, dans la rue, il y en avait partout, et autant de
femmes enceintes que de poussettes. Pour un couple qui ne
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parvient pas à avoir d’enfant, la vue des enfants des autres ne
fait qu’appuyer là où cela fait mal. Ce n’est pas de la jalousie à
proprement parler, mais juste un constant rappel des difficultés
rencontrées. On se sent alors vieux, privé d’une vie familiale
épanouie.
C’est sur la plage, sous le parasol, qu’Agnès et moi avons
discuté des actions à mener si la solution ne se débloquait pas.
La première action a été d’ordre scientifique : dans le magazine
féminin que lisait Agnès se trouvait en pleine page une
publicité pour un détecteur d’ovulation. Nous avons donc
commencé par acheter cet article, avec le but avéré de « viser
juste » en termes de date. L’action n’eut comme seul effet que
de nous délester d’une trentaine d’euros.
La seconde action a été de prendre un engagement. Si rien ne
se passait d’ici début 2006, nous entamerions une démarche
médicale, ne serait-ce que pour vérifier que tout se passait bien
pour l’un et pour l’autre. Forts de cet engagement, nous avons
terminé notre année 2005 en essayant le plus possible de rester
sereins malgré l’échéance qui se rapprochait dangereusement.
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