L`invalidation du tarif bonifié d`achat de l`électricité éolienne, un

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L`invalidation du tarif bonifié d`achat de l`électricité éolienne, un
Revues
Lexbase Hebdo édition publique n˚336 du 19 juin 2014
[Energie] Questions à...
L'invalidation du tarif bonifié d'achat de l'électricité éolienne,
un épilogue de courte durée ? Questions à Pierre Sultan et
Céline Gagey, Cabinet Earth Avocats
N° Lexbase : N2671BUH
par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition
publique
Réf. : CE 9˚ et 10˚ s-s-r., 28 mai 2014, n˚ 324 852, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6321MPS)
Dans un arrêt rendu le 28 mai 2014, le Conseil d'Etat a annulé les deux arrêtés obligeant EDF à racheter
l'électricité éolienne à un tarif supérieur aux prix du marché. Si cette solution semblait inévitable au regard
d'une précédente décision de la CJUE ayant qualifié d'aide d'Etat ce mécanisme, la véritable avancée juridique réside, néanmoins, dans le fait que la Haute juridiction administrative considère que le rejet par la
CJUE des conclusions dont elle était saisie quant à une limitation dans le temps des effets d'un arrêt qu'elle
rend fait obstacle à ce que le Conseil d'Etat, dans la même affaire, accueille des conclusions de même nature. Pour faire le point sur cette décision, Lexbase Hebdo — édition publique a rencontré Pierre Sultan, Of
Counsel et responsable du pôle Energies et Télécoms et Céline Gagey, Cabinet Earth Avocats.
Lexbase : Quel est le motif de l'annulation de l'arrêté tarifaire de 2008 ?
Pierre Sultan : Le motif de l'annulation est simple : l'arrêté tarifaire éolien du 17 novembre 2008, modifié par l'arrêté
du 23 décembre 2008, est constitutif d'une aide d'Etat qui n'a pas été préalablement notifiée à la Commission européenne en méconnaissance des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'Etat (1). Il est, par conséquent
et de ce seul fait, illégal.
Pour aboutir à cette conclusion, le Conseil d'Etat a, dans un premier temps, dû procéder à la qualification de l'arrêté
tarifaire éolien. Aux termes de l'article 107 § 1 TFUE (N° Lexbase : L2404IPQ) (2), une aide est qualifiée d'aide
d'Etat si quatre conditions sont remplies. Premièrement, il doit s'agir d'une intervention de l'Etat ou au moyen de
ressources d'Etat. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d'affecter les échanges entre les Etats
membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou
menacer de fausser la concurrence (3).
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Une aide qui remplit ces critères doit être notifiée à la Commission européenne préalablement à sa mise en œuvre
afin que celle-ci vérifie si l'aide est compatible avec le marché intérieur (4).
La décision du Conseil d'Etat du 28 mai 2014 est ainsi l'aboutissement d'une longue procédure contentieuse. Saisi
d'un recours en annulation contre l'arrêté tarifaire éolien de 2008 par une association, le Conseil d'Etat a, dans
une décision du 15 mai 2012 (5), considéré que l'arrêté (i) accordait un avantage aux producteurs d'électricité
éolienne, que cet avantage était susceptible (ii) d'affecter les échanges entre Etats membres et (iii) d'avoir une
incidence sur la concurrence. En revanche, le Conseil d'Etat a considéré que la question de savoir s'il s'agissait
d'une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat soulevait une difficulté sérieuse. C'est pourquoi, il a
posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 TFUE
(N° Lexbase : L2581IPB).
Pour bien comprendre l'interrogation du Conseil d'Etat, il convient de revenir brièvement sur le mécanisme de
soutien à l'énergie éolienne. Le mécanisme de soutien à l'énergie éolienne dit de "l'obligation d'achat" consiste en
une obligation imposée à EDF et aux distributeurs non nationalisés d'acheter l'énergie produite par les producteurs
éoliens au prix fixé par l'arrêté tarifaire de 2008 (6). Les surcoûts occasionnés pour EDF et les distributeurs non
nationalisés par cette obligation d'achat sont intégralement compensés à travers le mécanisme de la contribution au
service public de l'électricité ("CSPE"). Le Conseil d'Etat a donc demandé à la CJUE si le mécanisme de financement
de l'obligation d'achat à travers la CSPE devait être regardé comme une intervention de l'Etat ou au moyen de
ressources d'Etat.
Dans un arrêt rendu le 19 décembre 2013, la CJUE a répondu que le mécanisme de financement par la CSPE de
l'obligation d'achat de l'électricité d'origine éolienne à un prix supérieur à celui du marché était une intervention au
moyen de ressources d'Etat (7).
Sans surprise, le Conseil d'Etat a donc, par la décision du 28 mai 2014, considéré que l'arrêté éolien remplissait
les quatre critères d'une aide d'Etat. L'arrêté n'ayant pas été préalablement notifié à la Commission européenne,
en méconnaissance de l'article 88 § 3 du TCE (8), le Conseil d'Etat a logiquement jugé que celui-ci était illégal et
devait, par conséquent, être annulé. Un autre aspect de la décision du Conseil d'Etat mérite d'être souligné : le
refus de limitation dans le temps des effets de l'annulation.
En principe, l'annulation d'un arrêté implique que celui-ci est réputé n'avoir jamais existé. L'annulation a donc un
effet rétroactif. Toutefois, lorsque cet effet rétroactif est de nature à emporter des conséquences manifestement
excessives (9), le juge administratif peut limiter dans le temps les effets de l'annulation (10).
En l'espèce, le Gouvernement avait demandé au Conseil d'Etat la modulation dans le temps des effets d'une éventuelle annulation. Mais, le Conseil d'Etat a considéré que cette demande de modulation dans le temps ne pouvait
qu'être rejetée au motif que la CJUE, dans son arrêt du 19 décembre 2013, a rejeté la demande de limitation dans
le temps des effets de son interprétation du mécanisme de financement de l'obligation d'achat. Ainsi, le Conseil
d'Etat a considéré que le rejet par la CJUE des conclusions dont elle était saisie quant à une limitation dans le
temps des effets d'un arrêt qu'elle rend fait obstacle à ce que le Conseil d'Etat, dans la même affaire, accueille des
conclusions de même nature.
Juridiquement, c'est l'aspect novateur de la décision. C'est d'ailleurs sur ce point qu'il sera publié au recueil Lebon.
Lexbase : Dans la foulée de cet arrêt, la ministre de l'Ecologie s'est engagée à prendre un nouvel arrêté.
Quel devrait être son contenu selon vous ?
Céline Gagey : Ségolène Royal s'est engagée à prendre un nouvel arrêté tarifaire. La Commission de régulation
de l'énergie (CRE), saisie mi-mai, a déjà rendu son avis sur le projet d'arrêté. Le Conseil supérieur de l'énergie
(CSE) a approuvé le projet d'arrêté tarifaire éolien le 4 juin 2014. La ministre l'a signé le 5 juin.
L'arrêté qui, cette fois-ci, a été notifié à la Commission européenne et a fait l'objet d'une décision de comptabilité le 27
mars devrait ainsi paraître au Journal officiel dans les prochains jours. La ministre de l'Ecologie, du Développement
durable et de l'Energie a annoncé que cet arrêté assurerait aux producteurs les "mêmes conditions de rentabilité".
Le tarif de rachat devrait donc être similaire à celui de l'arrêté tarifaire annulé.
A ce stade, on pourrait imaginer que ce nouvel arrêté bénéficie d'un effet rétroactif uniquement en ce sens qu'il
s'applique immédiatement aux contrats en cours : ce qui permet que ces contrats bénéficient désormais du nouvel
arrêté.
Lexbase : La question du remboursement des sommes déjà versées s'annonce délicate. Quel est votre avis
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sur la question ?
Céline Gagey : En droit, dès lors que l'Etat a versé une aide illégale, il lui incombe de la récupérer (11). Il appartient,
en outre, aux juridictions nationales, afin de garantir la pleine efficacité du droit de l'Union européenne, d'ordonner la
récupération de l'aide (12). Toutefois, dans le cas où une aide est illégale du fait d'un défaut de notification préalable
mais qu'elle est ensuite déclarée compatible par la Commission européenne, la CJUE considère que le juge national
n'est pas tenu d'ordonner la récupération de la totalité des sommes versées au titre de l'aide, mais uniquement le
paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité (13).
Les intérêts que doit restituer le bénéficiaire de l'aide correspondent à ce qu'il aurait supporté s'il avait dû emprunter
les fonds correspondant à l'aide octroyée au taux de marché. Ce taux d'intérêt est un taux de base -le taux Euribor
à un an— auquel est ajoutée la marge correspondant à la notation de l'entreprise concernée ainsi qu'au niveau de
sûretés offert. Les intérêts courus pour une année produisent des intérêts chaque année suivante (14).
En l'espèce, la France a notifié le mécanisme de soutien à l'énergie éolienne. Le 27 mars 2014, la Commission
européenne a considéré que ce mécanisme était compatible avec règles de l'Union européenne en matière d'aides
d'Etat (15). Par conséquent, la récupération de l'aide octroyée aux producteurs d'énergie éolienne peut donc ne
porter que sur les intérêts. En revanche, il ne fait aucun doute que le paiement des intérêts de l'aide versée doit
être recherché auprès des producteurs (16).
Pour l'instant, bien que l'Etat soit juridiquement tenu de demander la récupération des intérêts auprès des producteurs, rien n'indique, qu'en pratique, il va le faire s'il n'y est pas contraint par la Commission européenne ou par
un juge. A cet égard, il faut relever que, le Conseil d'Etat, dans sa décision du 28 mai, a procédé à une annulation
"sèche" : il s'est contenté d'annuler l'arrêté tarifaire, sans enjoindre l'Etat à procéder à la récupération des intérêts.
Dans ses conclusions sous cet arrêt, le rapporteur public, Claire Legras, invitait pourtant le Conseil d'Etat à enjoindre
l'Etat à procéder à la récupération des intérêts des sommes versées auprès des producteurs. Il n'a pas été suivi sur
ce point. Le Conseil d'Etat, qui n'était pas saisi de conclusions aux fins d'injonction, n'a, sans doute, pas souhaité
faire une exception à l'interdiction faite au juge de statuer ultra petita (17).
Si l'Etat ne procède pas à la demande de restitution des intérêts des sommes versées auprès des producteurs, il est
donc possible que les contentieux se poursuivent, soit par une saisine du juge à la suite d'un refus opposé par l'Etat
à une demande tendant à ce qu'il exige la restitution des intérêts des sommes versées auprès des producteurs,
soit par une action en manquement de la Commission (18) (le cas échéant, à la suite d'observations déposées à la
Commission par une partie intéressée (19)).
La question des restitutions ne fait que commencer, surtout qu'en pratique, elle pourrait s'avérer très compliquée.
Le rapporteur public laissait entendre que plus de 400 bénéficiaires étaient concernés, mais il n'a pas précisé le
nombre de sites touchés, ni le nombre de contrats d'achat conclus.
Lexbase : Enfin, concernant la suite de cette affaire, à quoi les acteurs de la filière éolienne doivent-ils
s'attendre selon vous ?
Pierre Sultan : Concernant les conséquences de l'annulation de l'arrêté tarifaire de 2008, comme nous l'avons
dit, pour les producteurs qui ont vendu de l'électricité en vertu de l'arrêté de 2008, l'affaire n'est pas finie. Ils pourraient devoir rembourser les intérêts des sommes versées avant la déclaration de compatibilité du mécanisme par
la Commission le 27 mars 2014. Par ailleurs, même si cela pourrait s'avérer délicat, il ne peut être exclu que certains producteurs décident d'introduire un recours en responsabilité à l'encontre de l'Etat du fait de la faute que
constituerait l'absence de notification de l'arrêté tarifaire.
De manière plus générale, concernant le secteur éolien, il semble que l'orientation générale du soutien à l'éolien
terrestre se tourne vers le recours aux appels d'offres. Ainsi, en avril 2014, la CRE (20) a recommandé pour l'éolien
terrestre de privilégier le recours aux appels d'offres à un tarif d'achat unique. Elle a également indiqué que la
structure des tarifs d'obligation d'achat d'énergie éolienne terrestre devait être revue. Elle considère, en effet, que
les projets avec des meilleures conditions de vent bénéficient d'une rentabilité excessive.
Elle préconise également une révision régulière du tarif de rachat (qui est le même depuis 2006) afin de tenir
compte de l'évolution des coûts ainsi qu'une révision de la durée des contrats d'achat qui doit correspondre à la
durée d'exploitation réelle des parcs. Par ailleurs, la Commission européenne, dans ses nouvelles lignes directrices
sur les aides d'Etat à la protection de l'environnement et à l'énergie adoptées le 9 avril 2014, entend favoriser
"une évolution progressive vers des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables fondées sur le marché".
Ces lignes directrices privilégient les procédures d'appel d'offres et prévoient la suppression à terme des tarifs
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préférentiels de rachat.
Il conviendra donc d'être très attentif au projet de loi de programmation sur la transition énergétique -dont la date
d'adoption fait actuellement l'objet d'intenses débats— qui pourrait prendre en compte ces éléments et s'orienter
vers un soutien à travers des procédures d'appels d'offres.
A cet égard, nous notons également que, dans son communiqué de presse du 5 juin 2014 annonçant la signature
du nouvel arrêté tarifaire, la ministre de l'Ecologie a également précisé que de nouveaux appels d'offres seraient
lancés prochainement en matière d'énergies renouvelables.
(1) Article 88 § 3 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE) : actuel article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2405IPR).
(2) Ancien article 87 du TCE.
(3) CJUE, 30 mai 2013, aff. C-677/11 (N° Lexbase : A0409KGA).
(4) TFUE, art. 108.
(5) CE 9˚ et 10˚ s-s-r., 15 mai 2012, n˚ 324 852, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7171IL8).
(6) C. energie, art. L. 314-1 (N° Lexbase : L6326IW9), ancien article 10 de la loi n˚ 2000-108 du 10 février 2000,
relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (N° Lexbase : L4327A3N).
(7) CJUE, 19 décembre 2013, aff. C-262/12 (N° Lexbase : A8082KRR).
(8) TFUE, art. 108.
(9) En raison des effets que cet acte a produits, des situations constituées ainsi que de l'intérêt général attaché à
un maintien temporaire de ses effets.
(10) CE, Ass., 11 mai 2004, n˚ 255 886, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1829DCQ) ; CE, Ass., 23 décembre
2011, n˚ 335 033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9048H8M).
(11) Règlement (CE) n˚ 659/1999 du 22 mars 1999 (N° Lexbase : L4215AUN), art. 14.1.
(12) CJCE, 12 février 2008, aff. C-199/06 (N° Lexbase : A7461D44).
(13) CJCE, 12 février 2008, aff. C-199/06, préc., point 55.
(14) Règlement (CE) n˚ 794/2004 du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du Règlement (CE) n˚ 659/1999
du Conseil portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE (N° Lexbase : L4610HD4) ; Communication
de la Commission relative à la révision de la méthode de calcul des taux de référence et d'actualisation (2008/C
14/02).
(15) Commission européenne, Communiqué de presse, IP/14/327.
(16) Les conclusions du rapporteur public, Claire Legras, sont d'ailleurs très claires à cet égard : "Au cas d'espèce,
nous n'avons aucun doute sur le fait que le paiement des intérêts doit être recherché auprès des producteurs
d'énergie éolienne".
(17) Voir, par exemple, CE 7˚ et 10˚ s-s-r., 10 juillet 1996, n˚ 132 921, publié au recueil Lebon (N° Lexbase :
A0167APU).
(18) Règlement (CE) n˚ 659/1999 du 22 mars 1999, art. 14 et 23.1 ; CJUE, 12 décembre 2013, aff. C-411/12 (N° Lexbase : A2603KRT).
(19) Règlement (CE) n˚ 659/1999 du 22 mars 1999, art. 20.
(20) Coûts et rentabilité des énergies renouvelables en France métropolitaine, Commission de régulation de l'énergie, avril 2014.
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