2) la sanction de la clause abusive
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2) la sanction de la clause abusive
Les clauses abusives et la protection du consommateur Noomen REKIK Assistant à la Faculté de Droit de Sfax Introduction Ce qui est contractuel n’est pas nécessairement juste. C’est ce qu’on peut déduire de l’étude de la législation portant sur la protection du consommateur. Selon le principe de l’autonomie de la volonté admis par une partie de la doctrine1comme fondement de la théorie générale du contrat, les contractants sont supposés égaux. Ils peuvent discuter leur accord, défendre leurs intérêts et tirer profit de leur opération sans l’intervention de l’Etat. Le contrat conclu est présumé être juste. Toutefois, au début du 20 Emme siècle les juristes ont observé qu’une telle affirmation n’est pas exacte 2. Ils ont en effet constaté que la conclusion de plusieurs contrats n’était pas précédée d’une véritable discussion. Le principe de la liberté contractuelle et le principe de l’égalité permettaient à la partie forte d’introduire dans son contrat des clauses qui lui apportent un avantage excessif. par exemple, les clauses d’irresponsabilité ou de non garantie qui l’exonèrent des 1 J. FLOUR et J. L. AUBERT, les obligations, l’acte juridique, 6emme édition 1994, ARMAND COLIN. Ph. MALAURIE et L. AYNES, droit civil obligations, éd. CUJAS, 9 ed. 1998-1999. M. ZINE ,théorie générale des obligations, le contrat,1997. 2 E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté, thèse dacty., 1912. V. RANOUIL, l’autonomie de la volonté : naissance et évolution d’un concept, P.U.F. paris, 1980. 138 conséquences d’une inexécution ou d’une exécution défectueuse d’une obligation, ou les clauses qui prévoient d’amples dommages-intérêt en cas de dépassement des dates de paiement convenus etc.. Le rôle de la partie faible quant à elle se limitait en fait à l’adhésion à ce projet pré rédigé que lui présentait son cocontractant. Ce genre de contrat appelé contrat d’adhésion 1 est devenu de plus en plus répandu. Il pose le problème du risque d’une inéquitable disproportion dans les prestations parce qu’il stipule souvent des clauses imposées par la partie forte, apportant à celui-ci un avantage excessif et lésant ainsi les intérêts de l’autre partie. Selon les principes généraux bien établis du droit contractuel, Ces contrats d’adhésion (bien qu’ils stipulent des clauses abusives) sont valables. Le consentement oblige dés lors qu’il existe, qu’il est conscient et exempt de vices. L’intervention législative par des dispositions impératives limitant la liberté contractuelle s’avère ainsi indispensable dans le but d’assurer la protection du consommateur. Parmi les textes qui se sont apparus au début du 20 Emme siècle, on cite surtout le D. beylical du 10 octobre1919 sur la répression des fraudes, dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires et des produits agricoles ou naturels, dont les dispositions sont inspirées de la loi française du 1 er août 1905 2, et 1 G. BERLIOZ, le contrat d’adhésion, L.G.D.J., Paris 2° éd., 1976. A. AZAIEZ, contrats d’adhésion et liberté contractuelle. Etude critique de la notion d’adhésion, mémoire pour le D.E.S. Faculté de droit et des sciences politiques et économiques, 1976-1977. 2 J. GHESTIN et B. DESCHE, traité des contrats, la vente, L.G.D.J. Paris, 1990, p. 377 et s., n. 335 et s.. 139 surtout le Décret du 16 mai 1931 rendant exécutoire en Tunisie la loi française portant promulgation du code des assurances 1. Or, ces textes ne suffisent plus à protéger d’une manière efficace le consommateur. D’abord, les produits sont devenus de plus en plus complexes en raison du développement scientifique et technologique. Ils se sont aussi multipliés par l’adoption d’une politique économique libérale qui facilite l’importation de ces produits. Ensuite, une variété de techniques de distribution et de commercialisation des marchandises ont vu le jour et qui ont entraîné l’agression du consentement du consommateur ( démarchage, vente à distance.) . Enfin, on ajoute l’accroissement de la consommation surtout dans les années 1990 favorisant la conclusion des contrats d’adhésion. Plusieurs lois, qui dénotent l’hostilité du législateur à l’égard de l’injustice contractuelle, ont vu alors le jour. On cite surtout la loi 92-117 du 7 décembre 1992 relative à la protection du consommateur 2 qui constitue la législation de base en la matiére, la loi 98-39 du 2 juin 1998 portant sur les ventes avec facilités de paiement 3et la loi 98-40 du 2 juin 1998 relative aux techniques de vente et à la publicité commerciale 4etc. Cette législation s’applique d’une manière générale au rapport fournisseur-consommateur. Est fournisseur ; le fabricant, le distributeur, l’importateur, l’exportateur du produit et tout autre intervenant dans la 1 On note que ce décret a été abrogé par la loi n° 24-1992 du 9 mars 1992 portant promulgation du code des assurances. J.O.R.T. N° 17 du 17 mars 1992 p.314. 2 Loi n° 92-117 du 7 décembre 1992, relative à la protection du consommateur, J.O.R.T. n° 83 du 15 décembre 1992, p. 1571. 3 Loi n° 98-39 du 2 juin 1998 relative aux ventes avec facilités de paiement, J.O.R.T. n°44 du 2 juin 1998, p.1201. 4 Loi n°98-40 du 2 juin 1998 relative aux techniques de vente et à la publicité commerciale, J.O.R.T. n° 44 du 2 juin 1998, p.1203 et s. 140 chaîne de production et les circuits de distribution ou de commercialisation. Le consommateur est défini par la loi comme étant « celui qui achète un produit en vue de le consommer ou un service pour en bénéficier à des fins autres que professionnelles »1. La définition des clauses abusives n’a pas été précisée ni par la loi ni par la jurisprudence. On se réfère au droit comparé et en particulier au droit français qui dans l’alinéa 1 de l’article L.132-1 du Code de la consommation, a définit ces clauses comme étant celles « qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat » 2. La lutte contre les clauses abusives dans le but de protéger le consommateur a obéi selon les lois précitées, à deux méthodes différentes 3. D’un côté, la loi a agi d’une manière indirecte par l’introduction des mesures préventives : tels que, l’obligation d’information, la loyauté de publicité, les délais de réflexion et la négociation collective. D’un autre côté, l’intervention de la loi est directe. Celle-ci détermine certaines clauses considérées comme abusives afin de les annuler, et le plus souvent de les sanctionner pénalement. pose La dernière méthode, qui fera l’objet de cette étude deux séries de difficultés 4. La première a trait à 1 Cette définition est prévue par l’art.2 de la loi n° 98-39 du 2 juin 1998 précitée. Cf. F. TERRE, PH. SIMLER et Y. LEQUETTE, droit civil les obligations, DALLOZ DELTA, Paris, 1996, 6 Emme Edition, p. 257 et s., n°305 et s. 3 Cf. H. BRICKS, les clauses abusives, L.G.D.J. 1982. 4 La première méthode est écartée de l’étude parce qu’elle ne vise pas essentiellement le contenu du contrat. La plus part de ces mesures concerne le consentement des parties. 2 141 l’identification des clauses abusives. La question est de savoir si, en déterminant d’une façon directe certaines clauses qu’elle juge abusive, la loi a exclu tout rôle actif du juge, et en conséquence fait prévaloir les exigences de la sécurité juridique au détriment de la justice contractuelle. Quant à la seconde série de problèmes, elle concerne la sanction de ces clauses. Il s’agit de vérifier si la nullité est relative ou absolue. Est-ce qu’elle se limite à la clause abusive ou s’étend à tout le contrat ? La loi ne semble pas avoir tranché d’une manière claire toutes ces questions. Ce qui pose le problème de l’efficacité des techniques adoptées par le législateur pour protéger le consommateur contre ces clauses abusives. Cette efficacité va être vérifiée, en premier lieu, à travers l’étude des techniques de détermination des clauses abusives(1) et, en second lieu, par l’examen de la sanction de ces clauses(2). I- LA DETERMINATION DES CLAUSES ABUSIVES Pour sanctionner les clauses abusives, le législateur les a déterminées d’une manière directe (A). Il semble néanmoins, que l’intervention légale n’interdit pas au juge de jouer un rôle actif dans la protection du consommateur (B). A) L’intervention législative L’action du législateur a pris deux démarches différentes. D’un côté, la loi a annulé des clauses figurants dans des contrats précis. L’intervention est dans ce cas ponctuelle. D’un autre côté, le législateur ne vise plus un contrat déterminé, il sanctionne plutôt des clauses qui 142 existent dans des contrats de vente ou de prestation de service. 1- La première démarche : l’intervention ponctuelle Les contrats concernés par cette démarche sont nombreux. Mais on va limiter l’analyse à quelques exemples. S’agissant d’abord du contrat de louage d’ouvrage, la loi 94-9 du 31 janvier 1994 relative à la responsabilité et au contrôle technique dans le domaine de la construction annule dans son article 9 toute clause tendant à supprimer ou à réduire la responsabilité de l’architecte, l’ingénieur, le bureau d’études, le bureau de contrôle technique ainsi que toute autre personne liée au maître d’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage ou de service. Cette responsabilité dure 10 ans, à compter de la date de réception de l’ouvrage. Elle couvre les cas de menace évidente d’effondrement ou d’atteinte à la solidité de l’immeuble au niveau des fondations, des structures, ou de couvert, résultant soit d’erreur de calcul ou de conception soit du défaut des matériaux, soit du vice dans la construction ou dans le sol. L’action en responsabilité se préscrit dans un delai d’un an à compter du jour de la constatation de l’effondrement de l’ouvrage ou de l’apparition de sa menace d’effondrement ou de l’atteinte à sa solidité.1L’avantage d’une telle loi c’est qu’elle a fait porter la durée de la garantie de cinq à dix ans 2. 1 Ph. MALINVAUD et Ph. JESTAZ, droit de la promotion immobilière, précis DALLOZ, paris 1995 2 Les art. 876 et 879 du c.o.c.. 143 Le législateur a aussi protégé le consommateur en matiére immobilière. En premier lieu, la responsabilité décennale en matière de construction s’étend aux promoteurs. A vrai dire, cette protection n’est pas suffisante pour l’acquéreur. En effet, et selon le droit commun, le promoteur présumé être de mauvaise foi est tenu de l’obligation de garantie des vices cachés pendant quinze ans à partir de la conclusion du contrat. Le Code des obligations et des contrats prévoit alors un délai de garantie plus long que celui prévu par l’article premier de la loi 31 janvier 1994. En second lieu, la loi n 90-17 du 26 février 1990 portant refonte de la législation relative à la promotion immobilière interdit la clause qui prive l’acquéreur de la garantie des vices apparents pour un délai de trois mois 1. Enfin, il est interdit au promoteur de modifier le prix convenu dans la promesse de vente. Cette mesure protectrice au consommateur s’applique même dans le cas où le vendeur aurait établi des changements dans le projet entraînant une augmentation des coûts 2. Enfin, et pour ce qui concerne l’hébergement touristique à temps partagé 3, on note que contrairement au droit commun réglementant la cession de créance, la cession de la jouissance d’un droit d’hébergement doit être établie par écrit 4. Cet écrit rédigé en langue arabe doit comporter certaines mentions, on cite surtout, la détermination de la période de jouissance du droit d’hébergement qui ne doit 1 On signale que l’art.668 du c.o.c. dispose que « le vendeur n’est point tenu des vices apparents, ni de ceux dont l’acheteur a eu connaissance ou qu’il aurait pu facilement connaître. 2 L’art. 11 de la loi. 3 En droit français, cf. R. SAINT-ALARY, la jouissance de bien immobiliers à temps partiel et la loi n 98-566 du8 juillet 1998, D. ch. 1999,p.147s. 4 L’art. 13. 144 pas être inférieur à 7 jours, et une clause précisant que la jouissance du droit d’hébergement n’entraînera pas de frais, de charges ou d’obligations autres que ceux stipulés dans le contrat. En outre, l’arrêté du ministre du tourisme et de l’artisanat du 26 mai 1998 a approuvé un contrat type relatif à la cession de la jouissance du droit d’hébergement des unités touristiques à temps partagé. L’adoption d’un tel formalisme renforcé permet à la partie supposée faible de connaître l’étendue exacte de ses droits et engagements afin d’éviter les surprises 1. 2 - La seconde démarche : Le domaine large de l’intervention La protection du consommateur s’est accentuée par le biais de la loi du 7 décembre 1992 relative à la protection du consommateur. Celle-ci s’applique à tout contrat portant sur un produit ou un service. Le législateur ne vise plus ainsi un contrat déterminé, il s’intéresse plutôt à tout contrat nommé ou innommé ayant pour objet un produit ou un service. Or, malgré son importance, cette législation de « base » n’a pas prévu de nouvelles techniques pour la lutte contre les clauses abusives. Elle s’est contentée, en effet, d’annuler certaines clauses comme d’ailleurs dans les lois déjà étudiées. On cite surtout l’article 10 qui prohibe la clause qui exclut ou limite la responsabilité du fournisseur du dommage causé par le produit n’offrant pas la sécurité et la santé légitimement requises pour le consommateur et l’article 17 alinéa 2 qui interdit la convention ou le contrat relatif à la non garantie. Ce dernier article est important pour le consommateur. Parce qu’avant cette loi, l’acheteur ne 1 Cf. simultanément les articles 10 et 17 al.2 de la loi 92-117 du 7-12-1992. M. A. GUERRIERO, l’acte juridique solennel, L.G.D.J. 1975, p. 344 et s.. 145 peut annuler la clause de non garantie que lorsqu’il prouve la mauvaise foi du vendeur c’est à dire que celui-ci a employé des manières dolosives pour créer ou dissimuler les vices de la chose vendue 1. En outre, le fournisseur ne peut introduire une clause dans le contrat de vente ayant pour objet ou pour effet de réserver le droit de modifier unilatéralement les caractéristiques du bien à livrer ou service à fournir2. Cette interdiction légale a pour objectif de permettre aux consommateur d’avoir lors de la livraison le produit convenu. Le vendeur ne peut de se fait se réserver d’apporter à sa production et donc à l’objet futur du contrat toutes modifications qu’il jugerait utile et opportune. L’insertion d’une clause lui accordant une telle possibilité ne peut être qu’abusive car elle met l’acheteur à la discrétion du vendeur. On peut ajouter enfin que l’art. 33 de la loi du 2 juin 1998 relative aux techniques de vente et à la publicité commerciale considère comme nulle la clause insérée dans un contrat de vente à distance avec essai, et qui exonère le vendeur du risque auquel le produit est exposé et ce jusqu'à l’accomplissement de la période d’essai du produit. L’existence de cet arsenal législatif pour lutter contre les clauses abusives ne parait pas suffisant pour établir l’équilibre dans un contrat opposant un fournisseur à un consommateur. Elle n’empêche pas le premier de tirer un profit excessif de la situation de faiblesse du second. 1 Sur la question, cf. N. REKIK,reflexion sur la nullité des clauses relatives à la garantie légale des vices cachés et du défaut de qualité dans le contrat de vente, Rev. Etudes juridiques,1997, n 5, p.103 et s. 2 L’art.23 de la loi n98-39 du 2 juin 1998 relative aux ventes avec facilité de paiement. 146 C’est ainsi par exemple, on ne trouve aucune disposition de portée générale annulant la clause qui réduit le delai d’agir en garantie des vices cachés dans le contrat de vente 1 ou celle qui annule la clause attributive de compétence territoriale ou qui paralyse l’effet de la clause résolutoire… L’inefficacité partielle de la démarche législative ainsi constatée, permet de s’interroger sur le rôle du juge dans la lutte contre les clauses abusives. B) le rôle du juge dans la détermination des clauses abusives Après avoir constaté que la loi a évincé le juge, et a pris en charge la lutte contre les clauses abusives, il convient de savoir si le juge et en l’absence de texte légal peut annuler une clause qu’il considère comme abusive. En réalité, il existe deux tendances contradictoires. La première défend la neutralité du juge en la matiére. La seconde plaide pour un rôle actif du juge. 1- la « neutralité » du juge Plusieurs arguments se sont avancés pour empêcher toute intervention du juge. On expose en premier lieu ceux qui ont trait à la légalité de l’intervention. Et en second lieu ceux qui concernent son opportunité. 1 On note que le législateur interdit la clause qui réduit le delai de garantie décennale qui est à la charge du promoteur. De même l’art. 3 de l’arrêté ministériel du 17 –12-1998 précité annule toute clause qui réduit le delai de la garantie légale. Cette interdiction ne concerne que la vente des appareils d’équipements électroménagers et d’électronique grand public. 147 & - D’abord on peut soutenir que l’intervention directe du législateur implique nécessairement un refus implicite de tout rôle actif du juge. Cet argument trouve son fondement d’une part dans la loi du 7 décembre 1992 constituant le droit commun de la protection du consommateur, qui n’a prévu que la nullité de certaines clauses précises. Et d’autre part dans le caractère exceptionnel de l’arrêté du ministre du commerce du 17 février 1998 relatif aux modalités de garantie spécifique aux appareils d’équipements électroménagers et d’électronique-grand public qui permet au juge d’annuler des clauses abusives insérées dans un contrat de garantie. En plus, et au regard du droit commun, on constate que les techniques classiques existantes tels que, l’abus de droit et la lésion ne permettent pas au juge de prononcer la nullité en l’absence de texte de loi. C’est ainsi que les conditions de la première institution sont difficiles à mettre en œuvre. Il s’agit de prouver soit l’intention de nuire soit que la clause cause un dommage notable à autrui et que ce dommage peut être éviter ou supprimé sans inconvénient grave pour l’ayant droit1.Quant à la seconde technique et à l’instar du droit français, l’article 60 du Code des obligations et des contrats n’admet pas la lesion comme une cause autonome de nullité. L’amputation du contrat par le juge va aussi à l’encontre de l’article 242 du Code précité qui pose la règle de la force obligatoire du contrat. Ce principe veut que le contrat oblige les contractants comme il s’impose au juge. Celui-ci doit respecter toutes ses clauses et « cette exigence concerne, au demeurant, aussi bien les clauses réellement 1 L’art. 103 c.o.c.. 148 discutées par les parties que celles préétablies par l’une d’entre elle, ou encore les fameuses clauses dites de style reproduites dans l’acte sans que les parties y aient prête une réelle attention ou en aient vraiment saisi le sens ». 1 &- Quant aux arguments relatifs à l’inopportunité de l’intervention du juge pour annuler les clauses abusives, on peut avancer l’idée soutenue par M. AUBERT selon laquelle le rôle actif du juge entraîne « une croissance excessive des contentieux et la constitution d’une situation impossible à maîtriser au niveau de la Cour de cassation 2 ». Il crée en outre une diversité de solutions dangereuses pour la sécurité juridique. M. DENIS MAZEAUD a ajouté de sa part que cette intervention fragilise le contrat parce que, d’une part, le concept de clause abusive est fluide et, d’autre part, la révision va à l’encontre de la fonction habituelle du contrat , qui est un instrument de gestion de risque dont les vertus essentielles sont la prévisibilité et la stabilité 3. Ces arguments, malgré leurs pertinences et leur intérêt, ne doivent pas occulter la présence des arguments qui militent en faveur d’un rôle actif du juge dans la lutte contre les clauses abusives. 1 J. MESTRE et A. LAUDE, l’interprétation « active » du contrat par le juge, in le juge et l’exécution du contrat, presse universitaire d’Aix- Marseille, 1993 p.9 2 defrénois, 1991, art.34987, p. 366. 3 D. MAZEAUD, le juge face aux clauses abusives, in le juge et l’exécution du contrat précité, p. 23 et s. 149 2 - La possibilité de l’intervention du juge On peut soutenir que l’intervention du juge ne portant pas atteinte à la sécurité juridique est opportune elle est aussi juridiquement défendable. L’opportunité de l’intervention : on note que la fluidité des notions ne doit pas constituer un obstacle à l’intervention du juge. En premier lieu, le rôle unificateur de la Cour de cassation 1 et le contrôle qu’elle exerce quant à la définition et la détermination des clauses abusives réduit le risque de la diversité des solutions. En second lieu, le droit comparé nous enseigne que plusieurs systèmes juridiques, bien qu’ils connaissent un contrôle judiciaire direct des clauses abusives à partir d’une définition qui n’est pas bien précise, ne souffrent pas de l’insécurité juridique. Par exemple, la loi Allemande du 9 décembre 1976 dispose que toute clause pré-rédigée par l’une des parties et défavorable à l’autre est nulle si elle est contraire au principe de la bonne foi. Les législations suédoise et danoise se référent au caractère raisonnable ou déraisonnable de la stipulation contractuelle eu égard au contenu du contrat, aux circonstances ayant entouré sa formation, aux événements subséquents ou à d’autres circonstances. La possibilité légale de l’intervention du juge n'est pas moins défendable : D’abord, si le juge doit obéir aux règles juridiques, il faut aussi qu’il recherche comme le soutient certains auteurs, la solution juste, c’est-à-dire, qu’il établisse la justice corrective surtout en matiére 1 J. HUET, les hauts et les bas de la protection contre les clauses abusives, J.C.P. (Ed. G.), n°3592, p.271. 150 contractuelle. La réalisation de la justice contractuelle fait partie ainsi du rôle du juge 1. Ensuite, l’intervention de la loi n’empêche pas nécessairement celle du juge, surtout qu’il n‘existe aucun texte qui la prohibe. Certes, l’article 60 du Code des obligations et des contrats on l’a vu, n’admet pas la lésion en tant que vice de consentement, mais le droit positif accepte aussi la révision du contrat déséquilibré. A titre d’exemple, l’article 1103 du Code des Obligations et des Contrats qui prohibe l’usure dispose que « celui qui, abusant des besoins, de la faiblesse d’esprit ou de l’inexpérience d’une autre personne, se fait promettre, pour consentir un prêt ou le renouveler à l’échéance, des intérêts ou autres avantages qui excédent notablement le taux normal de l’intérêt et la valeur du service rendu, selon les lieux et les circonstances de l’affaire, sera l’objet de poursuites pénales. Les clauses et conventions passées en contravention au présent article pourront être annulées, à la requête de la partie et même d’office, le taux stipulé pourra être réduit, et le débiteur pourra répéter, comme indu, ce qu’il aurait payé au-dessus du taux qui sera fixé par le tribunal. S’il y a plusieurs créanciers, ils seront tenus solidairement »2. La cour de cassation 3 a étendu le domaine de cet article au contrat de vente lorsque le prix à payer est à terme. Aussi la même cour par un arrêt rendu le 28 Avril 1994 n'a t-elle pas permis la révision de la clause pénale. L’arrêt a surtout précisé que le contrat ne doit pas être un instrument entre les mains de la partie forte pour 1 J. GHESTIN, op. Cit. , p.200, n° 223. La loi n 99-64 du 15 juillet 1999 relative aux taux d’intérêt excessifs opte cependant pour une réduction légale du taux d’intérêt excessifs, J.O.R.T. n57 du 16 juillet 1999 p.1178. 3 Cass. Civ. n° 6775 du 30 avril 1970, R.J.L 1971, n. 1, p. 66. 2 151 dominer la partie faible. 1L’exemple le plus récent tiré du droit positif et qui permet expressément au juge d’annuler la clause abusive stipulée dans un contrat de garantie est l’arrêté du ministre du commerce du 17 décembre 1998, relatif aux modalités de garantie spécifique aux appareils d’équipements électroménagers et d’électronique grand public qui dispose dans son article 3 alinéa 2 que « les contrats de garanties ne doivent pas contenir de clauses pouvant présenter un caractère abusif »2. Enfin, et pour ce qui concerne le fondement légal d’une telle intervention, on peut penser à la bonne foi en tant que principe général de droit 3. Aussi, le recours à la notion de l’ordre public virtuel permet au juge de sanctionner une clause parce qu’il la considère comme abusive c’est- à -dire, rappelons-le elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. II - LA SANCTION DES CLAUSES ABUSIVES La nullité est la sanction normale des clauses abusives4. On va voir en premier lieu la nature de cette nullité (A) et en second lieu ses effets afin de saisir l’efficacité de la lutte contre ces clauses (B). 1 Cass. Civ. n° 42624 du 28 avril 1994, R.T.D. 1996, p.231 et s., note N. BEN AMOU. 2 Arrêté du ministre du commerce du 17 décembre 1998, relatif aux modalités de garantie spécifique aux appareils d’équipements électroménagers et d’électroniques grand public. J.O.R.T. n° 102 du 22 décembre 1998, p.2456. 3 J. GHESTIN, traité de droit civil, la formation du contrat, précité p.231 et s., n° 255 et s.. 4 Sur la sanction pénale, cf. M. M. CHAFFAI , essai sur la protection pénale du consommateur en Tunisie, mémoire D.E.S., faculté de droit et des sciences politiques et économiques, Tunis 1975-1976. 152 A) La nature de la nullité Le législateur ne précise pas dans la majorité des cas la nature de cette nullité. Dans certains textes, il emploie les termes « est réputée nulle et non avenue », dans d’autres textes il n’utilise que la clause est nulle ou bien elle est non avenue etc. De ces formules, et bien que la détermination de la nature de la nullité soit d’une importance indéniable, on ne peut pas savoir si la nullité est absolue ou relative 1. On peut soutenir, et au regard des textes étudiés, deux thèses opposées. Mais il semble que la thèse de la nullité relative est la plus défendable. 1 - Les arguments en faveur de la nullité absolue Il est possible de penser d’abord, au caractère illicite de l’objet du contrat. Puisqu’il ressort de l’article 325 du Code des obligations et des contrats que lorsqu’un des éléments essentiels du contrat fait défaut, la nullité du contrat sera absolue. Or, à la lecture des articles 62 à 66 du code précité, relatifs à l’objet des obligations contractuelles, il paraît que le législateur vise plutôt la chose objet de la prestation des deux parties au contrat et que l’objet du contrat. Il exclue ainsi de leur champ d’application les clauses abusives 2. 1 Sur la théorie de la nullité, cf. M. ZINE, op.cit., p.183 et s., n°.241 et s.. En droit français, cf. J. FLOUR et J-L- AUBERT, op.cit., p.237 et s., n° 329 et s. 2 Sur l’objet de l’obligation, cf. M. ZINE , op.cit., p.152 et s., n°194 et s. J. GHESTIN , traité de droit civil, la formation du contrat, L.G.D.J. DELTA , Paris1996, p. 658 et s. ,n° 682 et s. 153 En plus, on peut soutenir que dés lors que la loi sanctionne pénalement l’insertion de la clause abusive dans le contrat, la sanction civile doit être la nullité absolue. Cet argument bien que défendable 1, ne résout pas tout le problème parce qu’il existe des clauses interdites mais non sanctionnées pénalement par la loi 2. Enfin, le consommateur veut souvent garder le contrat amputé pour bénéficier du régime légal. Or, le régime de la nullité absolue autorise le fournisseur lorsque cette solution lui paraît préférable au maintien du contrat amputé à demander la nullité de la clause afin d’obtenir l’anéantissement de tout le contrat. L’admission de cette sanction va ainsi à l’encontre des intérêts du consommateur partie visée par la protection. 1 - Les arguments en faveur de la nullité relative Pour défendre la thèse de la nullité relative, on peut dire d’abord que le droit commun de la nullité ne s’y oppose pas. Il ressort en effet de l’article 330 du Code des obligations et des contrats que « l’action en rescision a lieu dans les cas prévus au présent code, articles 8,43,58,60,61 et dans les autres cas déterminés par la loi » et la législation objet de cette étude peut s’introduire dans le cadre de ces cas. En outre, cette sanction empêche le fournisseur d’invoquer la nullité de la clause et l’anéantissement du 1 Cf. O. CARMET, op. cit., p.25. Cf. par exemple, loi n 97-46 du 14 juillet 1997, relative à l’hébergement touristique à temps partagé. 2 154 contrat ce qui correspond aux objectifs de l’ordre public de protection du consommateur. Le consommateur est la seule partie qui est en mesure de demander la nullité ou de confirmer l’acte. Enfin, la seule difficulté qu’on peut soulever réside dans le bref délai de la prescription. A l’expiration d’une année à partir de la conclusion du contrat, le consommateur ne peut plus logiquement demander la nullité de la clause. Ce qui porte une atteinte sérieuse à ses droits. Peut-il dans ce cas faire appel à l’exception de nullité qui est imprescriptible. 1Si on observe son mécanisme 2la réponse doit être négative. C’est ainsi que selon l’article 335 du Code des obligations et des contrats qui prévoie cette exception, celui qui oppose l’exception de nullité est le défendeur dans une action ayant pour objet l’exécution de la convention. Or, dans notre cas, le consommateur demandant l’exécution d’une convention, va se voir opposer la clause qui ne peut plus faire l’objet de critique. Toutefois, et si on s’intéresse à la finalité de l’exception de nullité à savoir : la nécessité de protéger le titulaire de l’action en nullité on peut permettre au consommateur de se prévaloir de l’article 335 précité. B- Les effets de la sanction Hormis les quelques cas où le législateur s’est prononcé expressément pour la nullité de tout le contrat, la majorité des dispositions étudiées ne visent que la nullité de 1 Sur cette règle, cf. A.WEILL et F. TERRE, droit civil les obligations, DALLOZ, 4 Emme édition, 1986, p.328 et 329, n 323. 2 L’art. 335 du c.o.c. dispose que « L’exception de nullité peut être opposée par celui qui est assigné en exécution de la convention dans tous les cas ou il aurait pu luimême exercer l’action en rescision. 155 la clause contraire à une disposition impérative. S’agit-il dans ce cas d’une nullité totale ou partielle ? C’est- à- dire la sanction se limite-t-elle à la clause illicite ou s’étend -elle à tout le contrat ? La détermination de l’étendue de la sanction est importante. Parce que si on opte pour la nullité totale, le contrat ne peut produire aucun effet. Il est anéanti rétroactivement. Cette solution est en général favorable au fournisseur puisqu’elle le libère de l’exécution du contrat. Par exemple lorsqu’un contrat de cession de la jouissance d’un droit d’hébergement stipule que le prix indiqué est susceptible de révision en fonction des critères objectifs, cette clause est en principe abusive et va à l’encontre des dispositions de l’article 13 de la loi régissant la matière 1. La nullité de tout le contrat va permettre au promoteur de céder de nouveau le même droit à un prix supérieur à celui mentionné dans le premier contrat. La nullité totale constitue ainsi une arme contre le consommateur qui l’empêche d’agir et participe ainsi à mettre en échec l’efficacité du système de protection voulu par le législateur. Par contre, si la nullité partielle est retenue, elle a comme effet d’appliquer le régime que le législateur considère comme favorable au consommateur. La réponse à la question passe par l’analyse de l’article 327 du Code des obligations et des contrats qui dispose que « la nullité d’une partie de l’obligation annule l’obligation pour le tout, à moins que celle-ci puisse continuer à subsister à défaut de la partie atteinte de nullité, auquel cas elle continuera à subsister comme contrat distinct ». 1 Loi n°97-46 du 14-7-1997 relative à l’hébergement touristique à temps partagé. 156 Interprétant cet article qui puise sa source dans l’article 139 du Code civil allemand, la doctrine tunisienne et allemande1 estime qu’on ne peut imposer aux contractants et contre leur volonté, la réalisation partielle de l’objectif qu’ils ont visé. L’article pose ainsi un principe général de détermination de l’étendue de la nullité selon un critère intentionnel et affirme une présomption dans le sens de la nullité totale. L’acte juridique constitue dés lors un tout indissoluble et présumé être indivisible. Si par conséquent, une partie prétend que l’acte doit être partiellement maintenu, c’est à elle qu’incombe la charge de prouver que, si le vice avait été connu, l’acte aurait été cependant conclu, à l’origine, sans la partie nulle. Si elle n’apporte pas cette preuve, la nullité sera dans le doute, totale. L’interprétation de cet article, motivée par un excès de libéralisme, favorise la nullité totale2et va à l’encontre des intérêts du consommateur. La recherche d’une solution de compromis entre les dispositions de cet article et les impératifs de l’ordre public de protection du consommateur et alors nécessaire. Afin d’éviter alors ce résultat, il convient d’admettre avec la doctrine allemande3 que l’article 139 du Code civil ne s’applique que si une autre solution n’est pas exigée par le texte dont il résulte que l’acte est partiellement vicié. 1 D’après l’avant projet du C.C.C.Tunisien, l’art.327 du c.o.c. tire sa source directe de l’art. 139 du code civil allemand qui dispose que « lorsqu’une partie d’un acte juridique est nulle, l’acte tout entier est nul à moins qu’il n’y ait lieu d’admettre que, sans la partie nulle, il aurait été cependant conclu. Cf. M. ZINE, op.cit. , p.244 et s., n°308 et s.. Ph. SIMLER, la nullité partielle des actes juridiques, L. G. D. J. 1969, p.418 et s., n° 324 s. 2 Cf. DAHMEN, cité par Ph. SIMLER,op. cit.,p.428,n°352. 3 FLUME ET LAPPE, cité par Ph. SIMLER ,op. cit.,p.431, n°354. 157 Ainsi, un auteur soutenant cette valeur subsidiaire de l’article pense qu ‘ « en premier lieu, il faut toujours se demander si la règle de droit particulier, en vertu de laquelle l’acte juridique est en partie nul, ne résout pas , expressément ou d’après son sens, le problème de savoir si la nullité affecte l’acte juridique tout entier ou seulement la partie en question » 1. On doit alors faire recours aux différents textes particuliers et savoir s’ils visent la nullité totale ou partielle. Or ces textes ne sont pas toujours clairs. Par exemple l’article 17 al.2 de la loi relative à la protection du consommateur prévoit que « toute convention ou contrat relatif à la non- garantie est nul ». Cette disposition vise-telle la nullité de tout le contrat de vente ou uniquement de la clause de non garantie ? Pour trancher la question, plusieurs critères peuvent être proposés 2. On ne cite que le critère téléologique pour la détermination de l’étendue de la nullité3. La recherche du but poursuivi par le législateur, de l’esprit et de la finalité des textes permet en effet de savoir si la nullité est partielle ou totale. Il s’agit de se demander si le but visé par le législateur n’est pas compromis par l’application du droit commun. La mise en œuvre du critère intentionnel met-il en échec l’intérêt que la loi a voulu protéger ? Dans la plupart des cas, la réponse affirmative doit être retenue. La nullité partielle voulue par la loi permet en effet d’appliquer un régime juridique jugé plus favorable au consommateur. La nullité de la clause dans un contrat de garantie ne doit en aucun cas entraîner la nullité de tout le contrat parce 1 FLUME, cité par Ph. SIMLER ,op. Cit. Loc. Cit. Sur l’état de la question cf., Ph. SIMLER, op.cit., p. 405 et s., n. 333 et s.. 3 Ph. SIMLER, op.cit. 2 158 qu’alors l’acquéreur va être privé du bénéfice de la garantie conventionnelle et légale. Conclusion Au terme de cette étude, on peut conclure que l’efficacité de la lutte contre les clauses abusives est réduite. Premièrement, on a vu que le législateur a adopté une conception restrictive du consommateur, ce qui prive certains contractants de la protection légale. Deuxièmement, et quant à la détermination de ces clauses, on a constaté qu’à côté de l’insuffisance de l’intervention législative, le rôle actif du juge n’est pas expressément affirmé par la loi. Enfin, le régime juridique de la nullité est mal adapté aux impératifs de l’ordre public de protection du consommateur, ceci est d’autant plus vrai que l’Association de défense de consommateur ne dispose d’aucune action lui permettant d’annuler ces clauses abusives au lieu et place du consommateur qui ignore parfois ses droits. L’intervention du législateur est dés lors nécessaire et urgente pour rendre plus efficace la protection du consommateur contre les clauses abusives et pour mieux établir la justice contractuelle. Avril 2000 159