Faites-moi confiance… - Revue Médicale Suisse

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Faites-moi confiance… - Revue Médicale Suisse
Faites-moi confiance…
Un inconnu vous accoste dans la rue et vous
déclare «Si vous me donnez 1000 francs,
vous pourrez venir les reprendre quand vous
voudrez». Vous le faites ? Sans doute, non.
Maintenant disons qu’un inconnu assis
derrière le guichet d’une banque vous dise
la même chose. Vous le faites ? Là, votre ré­
ponse pourrait bien dépendre de votre réac­
tion à la crise financière. Admettons. Je suis
cependant prête à parier que vous serez
nettement plus nombreux à accepter. Dans
le fond, les institutions servent entre
autres à cela : permettre la con­fiance
entre des personnes inconnues.
La même chose existe dans la
médecine. Comme patient, comme
collègue, nous devons tous pouvoir
faire confiance à des personnes
que nous ne connaissons pas. Elles
sont médecins, infirmières, ratta­
chées à une profession ou à une
institution qui s’en porte garante à
nos yeux. Le port de la blouse blan­
che ; le rattachement à un hôpital ;
la plaque sur la rue ; la recomman­
dation d’un ami ou d’un confrère :
nous ne faisons pas, c’est compré­
hensible, confiance aveuglément.
Une fois donnée, cette confiance
devient une des pierres angulaires
de la médecine. Nos patients se
confient. Sans cela, d’ailleurs, com­
ment les soigner ? La médecine est
une pratique qui requiert que soient mis
entre ses mains nos corps, nos informations
les plus intimes, et finalement notre sort.
Jamais vraiment aveugle, la confiance n’est
donc pas vide non plus. On a confiance
que ; que la personne à laquelle on se confie
se comporte d’une certaine façon. Qu’elle
m’aide, et surtout qu’elle ne me fasse aucun
mal.
Se laisser soigner par des inconnus, voilà
qui requiert donc un engagement collectif.
Les codes de déontologie qui accompa­gnent
depuis leurs débuts les professions aux­
quelles nous nous confions servent à cela.
Ils sont une promesse : nous serons dignes
1
Pr Samia Hurst
Médecin et bioéthicienne
Institut d’éthique biomédicale
Faculté de médecine
CMU, 1211 Genève 4
[email protected]
de votre confiance et s’il s’en trouve parmi
nous qui ne le sont pas nous les corrigerons.
La médecine exercée sans lien préalable
est à ce prix. La création de liens thérapeu­
tiques est à ce prix. La médecine exercée
en groupe, en équipes, en institution, est
certainement à ce prix.
Cet engagement, cependant, et les ten­
sions qui entourent le port du badge aux
HUG durant l’épidémie de grippe nous en
montrent bien les difficultés. Ne pas nuire :
voilà qui met tout le monde d’accord. Eviter
de transmettre une maladie infectieuse, qui
le contesterait ? Cela peut nous arriver à
tous, mais nous avons comme soignants
© istockphoto.com/JulieVMac
carte blanche
une responsabilité particulière. Des dizaines
de milliers de gestes quotidiens réalisés
souvent sans même y penser attestent dans
les hôpitaux de cet accord de tous. Mais
comment, sur ce point, mériter loyalement la
confiance des personnes hospitalisées ? En
en appelant à la conscience des profession­
nels ? Même si elle met tout le monde d’ac­
cord, éviter de transmettre une maladie in­
fectieuse est une tâche exigeante où notre
quotidien a ses failles. Et dans un groupe
comment obtenir une telle confiance à titre
individuel ? Il va donc falloir s’engager collec­
tivement ? Promettre ensemble. Mais alors il
faudra, d’une manière ou d’une autre, véri­
fier. Cela n’ira pas sans problème : en repo­
sant sur l’idée que, peut-être, nous avons
besoin d’être corrigés, cette vérification peut
entamer la confiance. Mais ne pas vérifier
peut vouloir dire renoncer à en être, finale­
ment, digne. Faites-nous confiance. Difficile
exercice que cela…
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 28 novembre 2012
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