Nouvelle 6ème - Lycée Français de Stavanger

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Nouvelle 6ème - Lycée Français de Stavanger
Maxime Poupet
6ème
Prison à ciel ouvert
Un soir de mars humide et froid, comme on en rencontre souvent en Norvège, assis au
coin du feu de cheminée du salon, mes parents m’annoncèrent notre prochain départ de
Scandinavie. Nous allions quitter Stavanger pour partir vivre en Australie. Le grand
déménagement était prévu pour la fin de l’année scolaire. J’étais très excité car
l’Australie fait rêver. J’imaginais déjà les plages de sable chaud, les eaux turquoises, la
plongée sur la grande barrière de corail, le surf, les barbecues sur la plage, le soleil, la
chaleur, la douceur de vivre australienne, etc... Les derniers mois en Norvège passèrent
très vite, profitant au maximum des charmes nordiques que je ne retrouverais pas en
Australie comme le ski, le patinage sur les lacs gelés et surtout m’amusant avec tous
mes amis de Stavanger. Enfin le grand jour arriva…
En embarquant à l’aéroport j’étais triste de laisser derrière moi les maisons de bois du
port du vieux Stavanger, d’abandonner les fjords, de quitter cette ville cosmopolite et de
dire adieu à tous mes camarades de football, de hockey, de la fanfare et de l’école
française avec lesquels j’avais passé de si bons moments… Je m’étais tellement amusé
ici.
Une fois arrivé à Sydney après un interminable voyage de vingt quatre heures aux
multiples escales j’étais émerveillé par cette ville exceptionnelle. La mer baignait la cité,
on s’y déplaçait en ferry pour passer d’un quartier à l’autre. La vue de l’opéra depuis le
célèbre pont au coucher de soleil était fantastique. Sydney me plut instantanément. Ses
plages, les restaurants, la gentillesse de la population me plongeaient dans un véritable
paradis terrestre. Finalement je me dis que j’allais vite oublier la Norvège ! Mais hélas
mes espoirs allaient rapidement s’écrouler. Nous n’allions pas habiter à Sydney. Notre
destination finale se situait quelque part à environ deux mille kilomètres au nord…
Après quelques bonnes nuits de sommeil à l’hôtel et d’agréables journées de repos
consacrées à flâner et à explorer la ville pour récupérer du décalage horaire nous nous
mîmes en route avec le véhicule tout terrain que mon père avait acheté après notre
arrivée. Très vite le 4 x 4 s’avéra fort utile car les routes cédèrent rapidement la place
aux pistes de terre… Après trois jours de voyage éprouvant nous arrivâmes enfin à
destination… C’était un minuscule village avec pas plus de deux cents habitants. Notre
maison était toute petite et ressemblait plus à un bungalow qu’à une véritable maison…
Ma chambre était minuscule. J’étais très déçu, moi qui avais rêvé de vivre dans une
villa, dans une grande ville comme Sydney avec des plages, des parcs d’attraction des
musées, des cinémas, des zoos, des fast-food, pour profiter des plaisirs de la vie
moderne ! Je me retrouvais quasi enfermé dans un camp à dix heures de route de la
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première petite ville, perdu avec ma famille au milieu du bush australien. J’étais libre,
mais où aller ?
Le lendemain matin mon père prit ses fonctions à la mine d’uranium pour laquelle il
travaillait. Comme l’école n’avait pas encore commencé je décidai donc de sortir visiter
les lieux et d’explorer la région autour du village. Le seuil de la porte à peine franchi un
serpent surgit de derrière les broussailles et m’effraya. Terrifié je me réfugiai sur le
champ dans ma chambre où je restais enfermé pour la journée. Le lendemain je pris
mon courage à 2 mains et je ressortis protégé par de hautes bottes et armé d’un bâton.
Je réalisai alors qu’autour de notre bungalow il n’y avait rien d’autre que des eucalyptus
et des termitières… La forêt vierge nous entourait. Nous étions perdus au fin fond de
l’outback australien et du bush. Un soir quand mon père rentra du travail il m’invita à
l’accompagner à la minuscule boutique du village, seule sortie possible… Mais mis à
part quelques conserves et sodas il n’y avait aucune sucrerie pour enfants… Cette
nouvelle vie ne me plaisait pas du tout. J’étais nostalgique du froid, de la pluie, du vent
de la Norvège. Le soleil me brûlait, la chaleur me fatiguait, mes amis me manquaient.
Au bord du désespoir je me sentais comme enfermé dans une prison à ciel ouvert,
comme la mine de mon père… Je m’ennuyais car je ne trouvais rien à faire. Sans
sorties possibles je restais assis sur mon lit. Ma vie scolaire ne m’offrait pas plus
d’échappatoire. En effet à l’école j’étais seul ou presque. Il n’y avait que deux
aborigènes dans ma classe mais comment communiquer avec eux ? Il n’y avait pas non
plus de professeurs car je suivais mes cours grâce à un écran vidéo et une webcam par
correspondance… C’est ainsi que s’écoula lentement le premier trimestre de ma vie
australienne où je ne trouvais aucun des plaisirs que j’avais espérés. Les vacances
scolaires mirent fin temporairement à mon calvaire. Je partis passer les congés chez
mes grands parents en France. J’étais très heureux car j’allais enfin retrouver mes amis
d’enfance et m’amuser. J’allais enfin revivre…
Dès le premier soir j’expliquai à mon grand père que j’étais triste en Australie, que ma
vie était devenue un enfer et que je n’avais aucun amis là-bas ni rien à faire pour me
distraire. Je lui demandais aussi s’il pouvait m’aider et s’il avait une solution à mes
problèmes.
« Bien sûr répondit-il, quand j’étais un petit garçon comme toi j'ai grandi dans un pays
communiste, derrière le rideau de fer. La vie n’était pas facile et pendant longtemps
aussi j’ai senti qu’on me volait mon enfance. Il n’y avait aucune distraction, aucun jouet
sous le sapin à Noël. Les programmes à la télévision étaient rares, nous mangions
toujours les mêmes plats nourrissants mais sans goût. Et mon temps libre je le passais
aux champs à travailler pour l’État. J’étais malheureux, comme toi en ce moment, car je
pensais sans cesse à la vie des autres enfants à l’Ouest. J’en oubliais de regarder
autour de moi. Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce qui compte vraiment dans
la vie c’est d’être positif, de voir le bon côté des choses de rechercher le bonheur
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partout et de ne pas attendre trop des autres. Pour que les choses deviennent
possibles, il faudra que tu apprennes d’abord à les rêver. Il faut ouvrir ton cœur pour
bien ouvrir les yeux…»
Je montais me coucher perplexe après ces conseils de mon grand père. Il avait lui aussi
souffert mais il avait trouvé la solution. Cette réussite me consola et me redonna espoir,
même si j’ignorais encore comment j’allais m’y prendre. Au cours des jours suivants il
m’expliqua toute la richesse de l’écosystème australien, me montra dans ses livres
toutes les plantes et animaux magnifiques qui y vivent mais que je n’avais pas su
découvrir. Il m’expliqua la richesse de la culture ancestrale aborigène et m’encouragea à
inviter les enfants aborigènes voisins de ma maison. Il me conseilla de passer du temps
avec eux, mêmes si tout semblait nous séparer à commencer par la langue… Avant de
le quitter et de remonter dans l’avion à la fin des vacances il me souffla a l’oreille :
« N’oublie pas, il y a des fleurs partout pour ceux qui veulent bien les voir ». Ces paroles
me hantèrent tout le vol de retour mais à mon arrivée je tenais enfin l’explication.
Une fois de retour dans mon village australien je cherchais aussitôt à mettre en
application les conseils de mon grand père.
J’ai commencé par essayer d’améliorer un peu plus mon anglais et à apprendre
quelques mots du dialecte local pour pouvoir parler à mes camarades de classe
aborigènes. Au début je voyais bien qu’ils ne comprenaient pas tout. Puis, petit à petit,
ils commencèrent à me répondre en utilisant des mots simples. On se servait de nos
mains quand la parole nous manquait. Ils m’apprirent aussi des phrases de leur langue
et moi je leur enseignai des expressions françaises. Ils devinrent vite mes amis. On riait
beaucoup ensemble. On commença aussi à échanger la nourriture de notre panier
repas. Je découvrais ainsi de nouveaux plats inconnus. Puis après la classe ou le weekend on partait en bande explorer la forêt, voir les koalas, chasser des perdrix ou des
lapins, pêcher dans les lacs. Sans eux je n’aurais jamais vu ni attrapé le moindre gibier.
La forêt qui m’avait tant effrayé était un terrain de jeu infini. Mes nouveaux amis me
permirent ainsi de voir mes premiers crocodiles. Je dus patienter jusqu’à une randonnée
nocturne en leur compagnie pour apercevoir une famille de kangourous, invisibles en
journée. Ils me montrèrent aussi comment trouver de l’eau et boire dans la tige de
plantes riches en sucre et désaltérantes quand il n’y avait pas de source et que le soleil
brûlait.
Ce n’était plus grave s'il n’y avait pas de plage de sable blanc car je m’amusais
beaucoup plus à plonger sous les cascades. Pas de sortie au cinéma le soir mais les
images et les couleurs illuminaient le ciel au crépuscule lors de couchers de soleil
extraordinaires. Les friandises chocolatées, burgers et pizzas des fast-food ne me
manquaient plus car je les avais vite remplacés par les spécialités locales beaucoup
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plus goûteuses que mes amis me firent découvrir comme les chenilles et sauterelles
grillées ou toutes ces baies qu’on ne trouve que dans le bush.
Je ne m’ennuyais plus désormais car je m’étais fait de vrais amis. Ce qui m’effrayait au
début m’amusait désormais. Je n’avais plus peur des serpents ni des grosses araignées
qui hantaient la forêt. A l’école je retrouvais le goût d’étudier et appréciais les avantages
de me trouver dans une toute petite classe avec des contacts privilégiés entre élèves et
une grande complicité entre nous.
Grâce à l’expérience et aux conseils de mon grand père j’avais réussi à trouver au fond
de l’Australie la fleur qui s’y cachait et qui ne m’était pas apparue à mon arrivée.
Voilà pourquoi depuis, chaque année, à la date anniversaire de mon arrivée en
Australie, si vous passez me rendre visite vous trouverez dans ma chambre une
mystérieuse fleur d’eucalyptus… Mais ne le dites à personne, c’est mon secret !
Maxime POUPET
Lycée Français de Stavanger - Norvège
Classe de 6ème
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