la responsabilité ministérielle

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la responsabilité ministérielle
LA RESPONSABILITÉ MINISTÉRIELLE
Capsule d’information pour les parlementaires
TIPS-35F
Bibliothèque du Parlement
Le 29 novembre 2000
L
’essentiel de la responsabilité ministérielle se résume en quelques mots : les ministres sont
responsables de la conduite du ministère dont ils ont la charge. Cependant, comme le fait
remarquer C.E.S. Franks, la réalité est bien plus complexe(1).
L’expression « responsabilité ministérielle » recouvre
généralement deux principes :
la solidarité du Cabinet, où le Cabinet dans son
ensemble est collectivement responsable vis-à-vis
du Parlement;
la responsabilité individuelle des ministres vis-àvis du Parlement à l’égard de tout ce qui relève de
leur autorité. C’est de ce second principe dont il
est question plus loin.
Ces deux types de responsabilité ministérielle sont le
fruit de conventions constitutionnelles et non de
lois(2). Du fait de la responsabilité ministérielle
individuelle,
« un
ministre
doit
répondre
personnellement de son exercice du pouvoir à la
Chambre des communes »(3).
La responsabilité
ministérielle est issue du principe démocratique selon
lequel seuls les titulaires de charge publique, et non
les fonctionnaires qui les aident à formuler la politique
et à administrer les programmes, doivent être tenus
pour
responsables
du
fonctionnement
du
gouvernement. D’un point de vue historique, elle a
son origine en Grande-Bretagne et est le produit de la
lutte menée par le Parlement pour contrôler la
fiscalité.
Son apparition au Canada est aussi
étroitement liée à la lutte pour le gouvernement
responsable menée avant la Confédération.
Démissions de ministres
La question de la responsabilité ministérielle est
généralement mise en relief lorsque les partis
d’opposition réclament la démission d’un ministre(4)
lorsqu’on soupçonne que son ministère a commis des
fautes, comme cela a été le cas durant la controverse
qui a entouré les allégations de mauvaise gestion au
ministère du Développement des ressources humaines
durant la 36e législature. Il importe de noter que,
comme les ministres sont tenus pour responsables des
succès et des échecs de leur ministère, la doctrine de
la responsabilité individuelle des ministres est
étroitement liée à une seconde convention
Parlementaire, c’est-à-dire le respect de la neutralité et
de l’anonymat de la fonction publique.
Cependant, il n’y a jamais eu « d’âge d’or » où la
convention de la responsabilité ministérielle
individuelle aurait régulièrement et rigoureusement
entraîné la démission des ministres pour les fautes de
leurs subordonnés, que ce soit au Canada ou dans
d’autres pays dotés d’un Parlement de type
britannique(5). La mesure dans laquelle on tient les
ministres pour responsables a toujours été une
décision éminemment politique qui dépend en grande
partie de la volonté de la Chambre(6). Cette dimension
politique ne diminue en rien la responsabilité
constitutionnelle des ministres, mais explique
pourquoi la doctrine n’est pas toujours appliquée de la
même manière au Parlement.
Premièrement, dans l’usage courant, les ministres ne
démissionnent pas pour des erreurs commises par leur
ministère sous leur prédécesseur. De façon plus
générale, vu la complexité et l’envergure des
gouvernements contemporains, le bon sens et l’équité
veulent qu’un ministre ne soit pas forcé de
démissionner au moindre cas de mauvaise
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administration. Le degré de blâme qui peut être placé
sur les épaules d’un ministre dépend des
circonstances. Quelle est la gravité des actes en
cause? Le ministre aurait-il pu intervenir?
répondre d’une façon parfaitement transparente,
l’opinion publique est en général sévère à l’endroit
d’un ministre qui persiste à refuser de répondre aux
questions qui lui sont posées à la Chambre.
L’usage canadien en la matière est parfaitement
conforme à celui que l’on observe dans les autres pays
dotés d’un Parlement de type britannique. Par
exemple, l’ancien dirigeant de la fonction publique
britannique et secrétaire du Cabinet, sir Robin Butler,
a dit au début des années 90 qu’un ministre ne doit ni
être blâmé ni tenu personnellement responsable à
moins qu’il n’ait personnellement quelque chose à
voir dans les actes en cause(7).
Encore une fois, la pratique Parlementaire canadienne
a évolué dans le même sens que ce que l’on observe
dans les autres régimes de type britannique. Par
exemple, une commission royale australienne sur
l’administration publique (1976) a conclu ce qui suit :
Les répercussions d’une controverse donnée sur un
ministre dépendent aussi de divers facteurs politiques
comme le degré de popularité du gouvernement
concerné et la stature du ministre visé. À cet égard,
l’attitude du premier ministre joue un grand rôle, car il
n’existe aucune règle absolue dictant quand un
ministre doit démissionner.
Obligation de rendre compte
et obligation de s’expliquer
Ceux qui considèrent que la convention de la
responsabilité ministérielle n’est plus pertinente pour
ce qui est de comprendre le fonctionnement du
Parlement ont tendance à minimiser la différence entre
forcer un ministre à démissionner et lui demander des
comptes.
Les ministres doivent assumer la responsabilité des
actions de leurs subordonnés sans nécessairement
démissionner à la moindre faute. Dans ce sens,
responsabilité et blâme personnel ne sont pas
équivalents : une personne peut assumer une part de
responsabilité dans certaines erreurs et même prendre
des mesures pour y remédier sans pour autant être
blâmée à titre individuel pour la totalité des actions en
cause.
Même lorsque les ministres ne démissionnent pas, ils
demeurent comptables devant le Parlement et doivent
être prêts à expliquer ou à défendre publiquement les
actions de leur ministère. Si personne ne peut forcer
un ministre à répondre à des questions, ou à y
L’histoire tend à montrer que si les ministres
continuent d’être comptables au Parlement,
dans la mesure où ils sont obligés de
répondre au Parlement quand celui-ci l’exige
et de dire quelles mesures correctives ils ont
prises si cela est nécessaire, ils ne sont pas
eux-mêmes tenus pour coupables – et en
conséquence ne sont pas forcés de
démissionner ou ne risquent pas d’être
limogés – à moins que les actes en cause
soient leur fait ou qu’ils aient été exécutés
suivant leurs instructions ou auraient de
toute évidence dû susciter une intervention
de leur part.
La responsabilité ministérielle
dans les années à venir
La responsabilité ministérielle offre un cadre de
référence important pour la distribution des pouvoirs
et des responsabilités entre les ministres, les
législateurs, les fonctionnaires et l’électorat en
général. Son application concrète peut varier, mais le
principe même de la responsabilité ministérielle
demeure au cœur de la démocratie Parlementaire.
On peut résumer son usage contemporain en disant
que si l’on ne s’attend pas des ministres qu’ils
démissionnent pour la moindre erreur administrative
commise sous leur direction, ils doivent être prêts à
expliquer et à défendre les actions de leur ministère(8).
Dans ce sens, c’est le risque d’une atteinte à leur
réputation politique, bien plus que la perte éventuelle
de leur charge, qui confère son efficacité à la doctrine
de la responsabilité ministérielle.
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Il reste cependant que de nombreuses questions
entourant la question de la responsabilité ministérielle
méritent d’être débattues, par exemple les suivantes :
Peut-on imaginer une méthode pratique
permettant de distinguer nettement les sphères
bureaucratique et administrative de la sphère
politique?
41 p. 100 des démissions tenaient au fait que les
ministres concernés avaient accepté un autre poste;
près de 20 p. 100 étaient le résultat de divergences de
vues avec le premier ministre ou avec le Cabinet;
15 p. 100 des ministres démissionnaires ont invoqué des
problèmes de santé;
au total, 19 ministres ont été forcés de démissioner :
Dans quelle mesure les fonctionnaires doivent-ils
être publiquement tenus pour responsables des
erreurs administratives?
Est-il possible de ne modifier qu’une partie
seulement du réseau de conventions qui entourent
la responsabilité ministérielle ou doit-on adopter
une approche toute nouvelle? Dans ce dernier cas,
est-il possible d’en imaginer une qui serait
compatible avec les traditions parlementaires du
Canada?
−
deux ont démissionné pour mauvaise administration;
−
sept ont démissionné pour divers conflits d’intérêt
−
deux ont démissionné pour ingérence dans le
système judiciaire;
−
trois ont été chassés du gouvernement minoritaire de
Pearson;
−
quatre ont démissionné pour faute personnelle;
−
un ministre de la Défense a démissionné pour une
erreur de jugement difficile à classer.
Source : Responsabilité gouvernementale (Groupe canadien
d’étude des questions Parlementaires, octobre 1989).
Notes
(1) C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, Toronto,
University of Toronto Press, 1987, p. 227.
(2) Voir par exemple « La responsabilité constitutionnelle »,
Bureau du Conseil privé (BCP), 1993.
(3) Ibid., chapitre 1.
(5) Pour le Canada, voir Franks (1987), p. 256; pour la
Grande-Bretagne, voir David Butler, « Ministerial
Accountability: Lessons of the Scott Report », conférence au
sénat australien, 9 août 1996.
(6) Bureau du Conseil privé (1993), p. 72.
(7) Cité dans Butler (1996).
(4) Dans une étude des 147 démissions de ministres
recensées de 1867 à août 1989, Sharon Sutherland a conclu
que deux ministres seulement avaient démissionné pour
mauvaise administration et que, dans les deux cas, certains
des actes en cause étaient le fait des ministres en question.
D’après les informations réunies par Mme Sutherland :
(8) Kenneth Kernaghan et David Siegel, Public
Administration in Canada, Toronto, ITP Nelson, 1999,
p. 431-432.
préparé par
Howard Chodos et Karla Tate
Direction de la recherche parlementaire
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ou composer le (613) 996-3942