L`Asile des photographies

Transcription

L`Asile des photographies
Centred’artÉditeur
www.lepointdujour.eu
Kermesse, hôpital de Picauville, sans date. Photographe inconnu
Du 20 octobre 2013 au 26 janvier 2014
L’Asile des
photographies
Philippe Artières et Mathieu Pernot
Avant-propos
En 2010, nous avons été invités à
travailler par Le Point du Jour et la
Fondation Bon-Sauveur sur les archives
de l’hôpital psychiatrique de Picauville,
à une quarantaine de kilomètres de
Cherbourg. Cette invitation faisait
suite à une demande adressée par
la Fondation au Point du Jour : les
vieux bâtiments de l’hôpital seraient
bientôt détruits ; il fallait, d’une manière
différente, conserver la mémoire du
lieu. Première originalité du projet,
c’est une institution médicale qui
avait sollicité une institution culturelle
installée sur le même territoire. Nous
ne savions pas précisément ce que
nous trouverions mais on nous avait
indiqué qu’un service audiovisuel animé
par un infirmier passionné, Léon Faligot,
disposait de films et de photographies
anciennes ; parallèlement, nous aurions
libre accès aux archives écrites de
l’hôpital, et notamment
aux dossiers médicaux datant parfois
d’avant la Seconde Guerre mondiale.
En découvrant les centaines d’images,
des années 1930 à nos jours,
conservées dans ces nombreux
cartons, pochettes, classeurs, nous
avons eu immédiatement le sentiment
d’être tombés sur un trésor oublié.
La plupart des images n’étaient
pas légendées, on n’en connaissait
ni les auteurs, ni les personnes
représentées, mais le corpus était
formidablement divers et témoignait,
outre de la vie d’une institution, de
tous les usages du médium : portrait
d’identité, photographie d’architecture,
imagerie médicale, photographie
de vacances, reportage de presse,
instantanés domestiques, cartes
postales ou images officielles.
Très vite, s’est imposée à nous l’idée
que ce corpus constituait moins
l’histoire en images d’une institution,
emblématique de l’évolution de la
psychiatrie, qu’une histoire de la
photographie vue depuis l’hôpital,
lieu de vie à la fois spécifique et banal
– une histoire non marginale
mais à la marge, une sorte d’asile des
photographies. Ainsi, s’établissait
une correspondance entre
la nature et le sujet de ces images :
ici, pas de grands noms, ni le plus
souvent d’événements remarquables
mais le quotidien d’anonymes ;
pas de chefs-d’œuvre bien
composés mais l’éclat du réel que
la photographie enregistre.
Quelques images pouvaient évoquer
les « monstres » photographiés
en 1971 par Diane Arbus dans des
institutions du New Jersey, les fous du
vieil asile de San Clemente, en Italie,
filmés au début des années 1980
par Raymond Depardon ou encore,
un siècle plus tôt, les hystériques
du docteur Charcot à l’hôpital
de la Salpêtrière à Paris. Néanmoins,
pour l’essentiel, les instantanés
de Picauville – repas, kermesses,
vacances – renvoyaient, eux,
à une forme de normalité,
celle de l’iconographie familiale.
Ils formaient un contrepoint inédit
à la vision dramatisée de la « folie »,
dominante depuis le XIXe siècle.
SALLE 1
Plutôt que de nous servir de ce corpus
pour faire, chacun de notre côté, notre
travail habituel d’historien ou d’artiste,
nous avons voulu en faire la matière
même d’une élaboration commune au
cours des trois ans qu’a duré ce projet.
L’exposition et le livre qui en résultent
sont des montages où notre vision
voisine avec celles des bonnes sœurs,
des médecins, des patients et de leurs
familles qui, comme nous, ont connu
Picauville. L’Asile des photographies
ne prétend donc pas à l’exactitude,
quoiqu’il s’agisse de documents,
ni a fortiori à l’exhaustivité,
bien que fidèle à leur diversité.
Il traduit avant tout une expérience,
la nôtre, inscrite dans une histoire
collective, et comme telle multiple.
Nous remercions chaleureusement
la Fondation Bon-Sauveur
ainsi que les « gens de Picauville »,
de nous avoir offert cette liberté.
Philippe Artières et Mathieu Pernot
Sauf indication contraire, tous les textes
sont de Philippe Artières, extraits de L’Asile
des photographies (Le Point du Jour, 2013).
Album-souvenir
Cérémonies du centenaire
du Bon-Sauveur, 1937
Ruines de Picauville / Pont-l’Abbé, 1944
Photographes inconnus
« En l’ouvrant, on espère qu’il contiendra des images des jours de
bombardements ; toujours l’envie que
la photographie nous ramène à la scène
première, qu’avec elle l’on se retrouve
soudain un soir de juin 1944. Mais il n’en
est rien. Nul cliché du jour le plus long.
L’album porte cette absence, ce trou.
Il renferme ensemble – et sans doute
est-ce une part de sa magie – des photographies d’avant et d’après.
Sur les premières, on voit de grandes
processions dans les rues du village et
dans les allées de l’asile. Des religieuses
au regard sévère s’avancent vers le photographe ; elles marchent sans doute
en chantant des psaumes ; alentour,
il y a une foule ; un peu plus loin des
prêtres. C’est le jour de la célébration du
centenaire, un jour de 1937. Les sœurs
ne savent pas que bientôt la guerre va
éclater, que bientôt le décor qu’elles traversent va disparaître ; le photographe
ne sait pas qu’il saisit là les derniers instants d’un monde.
En tournant la page, on découvrira le
même paysage dévasté, un village en
ruine, une institution réduite à quelques
bâtiments, elle qui en comptait une douzaine. Étrange objet que cet album où
les clichés sont collés de guingois, en désordre, comme si le support des images
était lui-même victime du chaos représenté. Étonnant montage qui fait de cet
objet un vestige. Objet incomplet dont
certaines pages manquent, d’où des clichés ont été extraits, laissant comme
seules traces des restes de colle. »
surélevés, occupent le haut du site, il
faut emprunter un grand escalier en
pierre ; on le croirait d’apparat avec ses
larges marches et ses deux rampes soutenues par des piliers. Ce jeudi, l’escalier
est barré d’un haut grillage métallique
qui en interdit l’accès « à toute personne
extérieure au chantier ».
Hôpital de Picauville après
les bombardements de juin 1944
Photographe inconnu
On reste là, sidéré, à imaginer les patients monter et descendre ces marches
à longueur de journée, de mois, d’année.
On pense aux articulations douloureuses, au corps qui pèse, à la fatigue
quotidienne. En contrebas, une statue
en bronze de saint Michel terrassant
le dragon renforce encore la solennité
austère du lieu. Une fois gravies les
marches, le patient devait se trouver à
hauteur du saint guerrier, ou plutôt du
monstre vaincu.
« Il y a les clichés de la catastrophe,
ceux des mois qui ont suivi, lorsque les
compagnies d’assurance et les responsables de l’État sont venus constater les
dégâts, évaluer les travaux à mener et
estimer les sommes à verser au titre des
dommages de guerre.
Les assureurs et le préfet ont dépêché des photographes sur place pour
documenter le dossier. Ils ont inventorié les ruines avec la précision d’un
archéologue. Ils sont les premiers photographes. Ils ont procédé avec méthode :
il s’agit par la photographie de saisir tout
ce qui n’est plus.
L’enveloppe qui sera jointe au constat
contient tous ces clichés ; à partir d’eux,
les experts ont sans doute calculé, affiné
et validé ce qu’ils avaient in situ estimé.
Reste aujourd’hui de cette opération
complexe une simple enveloppe avec
des tirages. La photographie comme
reste d’une activité comptable. »
Les Herbes folles, Picauville, 2010
Bâtiments désaffectés de l’hôpital
Mathieu Pernot
« Pour atteindre le ser vice SainteMarie dont les bâtiments, légèrement
Cette violence symbolique a été depuis
neutralisée ; la scène a perdu son caractère menaçant : saint Michel est entouré
de beaux massifs de fleurs, et un pan
incliné permet d’avancer jusqu’à lui pour
se placer sous sa protection. »
Représentation théâtrale
Les Mains ouvertes, Picauville, 1937
Album du centenaire du Bon-Sauveur
Photographe inconnu
« Sous les amas de pierres, il y a une histoire, celle d’une institution, celle d’une
mission. Tout avait commencé deux cents
ans plus tôt, avant l’avènement de la psychiatrie moderne, avec une œuvre de
bienfaisance. Faire le bien en prenant en
charge les dérangés, les aliénés. Se servir
de l’invisible, de sa foi, pour fonder un
lieu, ouvrir des bâtiments, prodiguer des
soins, construire au milieu des marais.
Carte postale de la série « Bon-Sauveur de Picauville », sans date. Photographie : Chardey
De cette maison de santé, il ne reste
rien ; rien sauf un ensemble de photographies qui montrent dans le plus grand
des détails, l’événement – représentation
ou reconstitution. Ces images datent du
centenaire de 1937 ; elles ont échappé
à la destruction de 1944. On y voit une
succession de scènes en costumes, devenues tableaux. C’est une exhibition de
reliques, une cérémonie.
Les Mains ouvertes raconte la création
de l'institution en 1837 par Sophie de
Riou, une aristocrate philanthrope qui en
deviendra la mère supérieure. Le photographe a saisi la pièce comme telle.
Surtout ne pas exprimer un point de
vue sur ce qui se passe, mais saisir cet
instant unique d’une synchronie parfaite
de l’image et du texte. »
SALLE 2
Cartes postales, Picauville, 1930-1980
Photographies de Bioret, Chardey,
Le Goubey et al.
« On croyait devoir faire les sites spécialisés en vente de cartes postales,
et, pour notre plus grand bonheur,
tout est là ; les séries en entier ; rien
ne manque : les promenades en
images dans l’institution, les jardins,
la chaufferie, la cuisine, les ateliers ;
mais ce sont les dortoirs et les chambres
individuelles qui sont l’objet du plus
grand nombre de clichés.
On pourrait, d’année en année, suivre la
manière dont chaque espace a été aménagé, modifié, réaménagé... Magie de la
carte postale quand elle s’obstine sur
Mathieu Pernot, L’Inventaire, Picauville, 2010
des micro lieux. Le classeur les tient en
ses pages comme si toutes ces images,
faites par l’institution pour produire son
autoportrait, ne devaient pas être séparées. Surtout maintenir cette impression
de continuité, faire en sorte que la ligne
ne soit pas brisée, que les photographies
constituent un récit à une seule voix. »
Intérieurs, Picauville, 2010
Bloc opératoire, cuisine, escalier
bains, dortoir, salle de repos
Mathieu Pernot
« Cette fois-ci, on s’est fait expliquer
l’origine de cette montagne de cailloux
gris et rouges : la grande cheminée de
brique avait été détruite quelques semaines auparavant ; on ne pouvait la
conserver pour des raisons de sécurité,
la commission ne tergiverse pas. Des
amas de terre et de pierre, il y en a plusieurs sur le site ; on les escalade pour
se figurer à quoi pouvait ressembler le
paysage avant les récentes destructions.
La Fondation change comme elle a
changé au fur et à mesure de son histoire, intégrant de nouveaux bâtiments,
supprimant les plus vétustes ; la guerre
a fait le reste. En parcourant ces allées,
à nouveau au milieu des ruines, on réalise soudain qu’on est les témoins de la
fin d’une époque de la psychiatrie ; les
grilles rouillées sont empilées dans un
coin, et une protection provisoire est
dépliée pour interdire l’accès à ce qui
n’existe déjà plus. »
« Hôpital psychiatrique. Plan directeur »
Picauville, années 1950
Dossier préparatoire aux travaux
Photographe inconnu
« Monsieur le Dr. Gosselin donne lecture
d’un rapport au nom de la commission d’Assistance et d’Hygiène, sur le
fonctionnement en 1944 de l’hôpital psychiatrique du « Bon-Sauveur ».
Malgré les événements de 1944, l’hôpital
psychiatrique du « Bon-Sauveur » a su
fonctionner au mieux. Sur 203 entrées,
il y a eu 108 sorties. Les sœurs méritent
des félicitations pour leur belle attitude
et leur sang-froid pendant la bataille.
L’une d’elles a été tuée, on a aussi à
déplorer la mort d’un infirmier.
Il ressort d’autre part de la lecture de
ce rapport qu’il est devenu nécessaire
de créer un service ouvert, c’est-à-dire
un service non soumis à la loi de 1838
sur l’internement (certificat médical
timbré concluant à l’internement) qui
serait considéré comme un hôpital libre
pour maladies mentales. Ce ne serait
pas quelque chose de nouveau – ces
services existant dans d’autres régions.
Il n’en coûterait rien au département
en ce qui concerne la construction et
l’aménagement, il y contribuerait en participant au prix de journée qu’il paye de
toute façon. Il en résulterait des avantages, car les familles et les médecins
répugnent à placer les malades suivant
la loi de 1838 et ne les conduisent que
lorsqu’ils ne peuvent plus les garder
dans les familles, ils sont alors devenus
incurables et aussi peuvent vivre des années à l’asile d’aliénés, en attendant leur
mort, alors que pris plus tôt, ils auraient
pu être rendus à leur famille, à la société, à leur travail. Pour les malades à la
charge du département, il en résulterait
une économie notable.
La commission de la Santé et de
l’Hygiène émet à l’unanimité de ses
membres le vœu qu’un service ouvert
soit créé au Bon-Sauveur. »
Conseil général du Calvados
Rapport médical sur le fonctionnement en 1944
de l’hôpital psychiatrique du Bon-Sauveur
L’Inventaire, Picauville, 2010
Objets trouvés sur le site de l’hôpital
Mathieu Pernot
« Établir un inventaire des objets.
Chercher les masques des bals costumés, identifier le nom des patients
auxquels étaient destinés les gobelets
situés sur les plateaux des traitements
et revoir les dessins que René Leichtnam
adres s ait à François Mit terrand.
Photographier les appareils photos
et projecteurs de films abandonnés.
Constituer une archéologie des appareils
qui ont vu. »
Mathieu Pernot
Plans d’une cité imaginaire
Picauville, années 1980
Dessins de René Leichtnam
« Dispersés dans les salles de l’ancien
hôpital, des rouleaux de papier raisin ;
nous les avons déroulés sans trop savoir
ce qui pouvait s’y cacher. Et soudain
la cité de René Leichtnam a surgi avec
ses pavillons, ses maisons identiques,
ses immeubles, son stade… Soudain
dans ce lieu voué à la destruction, dans
l’espace même de l’enfermement,
quelqu’un avait imaginé un dehors,
quelqu’un s’était rêvé bâtisseur. »
SALLE 3
Religieuses de la communauté
Espérance de Picauville, 1950-1970
Photographes inconnus
« Traces vivantes de l’origine de l’institution, elles ne sont pas seulement des
personnages sur les images. […] Les
cloîtrées se prennent en photo dans
chacune de leurs occupations, marchant
dans le jardin, à la cuisine, à la laverie...
Elles n’hésitent pas non plus à se mettre
en scène dans des poses parfois inattendues. Ces clichés servent aussi à la
production d’images pieuses. Ou bien
les carmélites en font des albums que
l’archiviste conserve. C’est souvent l’une
d’entre elles qui sera la seule auteure
des images ; ce sera la photographe.
Lorsque la communauté est de sortie,
son activité s’intensifie, elle mitraille.
aube ; il y a une absente, une sœur
morte ou alitée à l’infirmerie. La photographie ne viole aucun interdit ; elle se
tient dans les limites de la Règle, mais
elle permet un petit écart, un infime
plaisir. »
Patients dans la cour du service
hommes, Picauville, sans date
Photographe inconnu
(tirages modernes)
Patients dans la cour du service
hommes, Picauville, sans date
Auteur inconnu
(film numérisé)
Involontairement, on expose alors
un autre visage de la vie religieuse,
celle d’une communauté de filles qui
s’amuse, rigole parfois ; une vie joyeuse
en somme. Lors des sorties avec les
patients, la photographie capte aussi
une étrange complicité entre les deux
communautés ; les corps et les uniformes semblent moins rigides, on sent
des affinités et des complicités. On se
donne la main, on se tient par l’épaule.
On y affectionne beaucoup le portrait de
groupe. […]
« On a profité d’un passage dans
l’épaisse haie de buis pour contourner
les barrières métalliques et rejoindre la
cour. L’herbe y a été fauchée récemment ; il n’y a plus de Sainte Vierge sur
le socle de pierre, la statue a dû être
mise à l’abri. La pancarte portant le mot
« Lourdes » paraît, elle, anachronique ;
on la croirait d’hier à côté du long banc
dont les planches ont été abîmées, érodées. À peine assis, on découvre que
cette cour est certes bordée de deux
grands murs mais qu’une double rangée de frênes l’ouvre sur un ailleurs.
Soudain, le mur d’enceinte que l’on
aperçoit apparaît dérisoire car, derrière,
il y a les marais, l’eau et plus loin la mer.
La cour est, cet après-midi comme tous
les jours, vide ; seules quelques fleurs de
printemps tapissent la pelouse. […]
Ces photographies n’ont pas pour vocation de sortir de l’institution, mais sans
doute, à date régulière, de produire un
instantané de la communauté ; souvent
à de rares détails, le cliché est le même
d’une année sur l’autre. Elles sont à la
même place ; elles portent la même
Cette autre cour est fermée ; en débouchant du petit couloir qui y mène, on
ressent l’étrange présence de ceux qui,
pendant au moins cinquante ans, l’ont
occupée. Ils nous environnent. On pourrait tourner la tête et voir à quelques pas,
un jeune homme agenouillé regardant
Mathieu Pernot, Le Dortoir des agités, Picauville, 2010
fixement un point de la dalle ; à gauche,
sur le banc, un patient plus vieux serait
allongé, fumant une cigarette les yeux
fermés ; devant, pourrait passer un troisième homme qui ferait les cent pas, en
répétant la même phrase. »
Le Dortoir des agités, Picauville, 2010
Installation réalisée et photographiée
par Mathieu Pernot sur le site de l’hôpital
« Faire revenir les fantômes de l’image.
Ces fantômes sont agités et les images
violentes. L’installation Le Dortoir des
agités évoque les premières représentations photographiques de la folie :
les hystériques du docteur Charcot
à l’hôpital de la Salpêtrière à la fin du
XIXe siècle. L’installation a été réalisée
dans les anciens dortoirs d’un bâtiment
désaffecté. Attachés par des cordes
aux lits, les matelas sont en proie à des
convulsions, traversés par l’histoire des
corps en souffrance. Le dortoir est à
nouveau habité. »
Mathieu Pernot
Portraits de patients, sans date
Photographe inconnu
Correspondance, dossiers médicaux
et documents administratifs
Picauville, 1900-1980
« La composition des dossiers surprend par l’omniprésence des images
et pourtant par la rareté des portraits
photographiques. Le bertillonnage,
cette technique qui a consisté à ficher
par milliers des individus, ne fait partie
des pratiques ni de l’aliénisme fin de
siècle ni de la psychiatrie du premier
xx e siècle. Cela ne signifie pas pour
autant qu’elle n’a pas stigmatisé ces
populations, qu’elle n’a pas montré du
doigt les troubles et les délires, qu’elle
n’a pas exercé sur eux des violences ;
mais l’œil photographique n’a pas été,
avant le moment nazi, l’instrument de
cette exclusion. […]
O n c o m p re n d a i n s i p o u r q u o i à
Picauville, comme dans la majorité des
institutions de prise en charge de la
maladie mentale, il n’y eut pas de studio de prises de vue, pas de tabouret à
cet effet, pas de fond neutre. L’image
du malade dans le dossier n’est pas,
ou rarement, photographique ; elle
est accumulation de signes. Sur du
papier pelure, un médecin a noté jour
après jour, séance après séance, ses
observations ; ses notes n’avaient pas
vocation à être lues par d’autres, elles
constituaient les traces d’un travail en
cours ; presque illisibles. On y reconnaît
quelques mots : aucun jargon médical ici, mais des mots simples, crus,
presque grossiers. Plus loin, des courriers reçus de la famille. »
SALLE DE PROJECTION
Excursions, 1960-1970
Auteur inconnu
(film numérisé)
Kermesses, bals masqués
et sorties, 1960-1980
Photographes inconnus
(duplicata de diapositives)
« Ce sont les images des groupes,
souvent en extérieur, faites pour être
regardées collectivement : des diapos
qui font soirées, des diapos qui sont
projetées en grand quelques se maines après les vacances. Occasion
de se souvenir de moments singuliers :
les sorties, les fêtes, les séjours audehors... […]
On sort de soi, des rôles ordinaires :
dans l’institution même, par les jeux,
les déguisements, les repas de fête ;
à l’occasion de la kermesse, c’est le
monde du dehors qui entre à l’intérieur. Pendant l’été, c’est l’hôpital qui
part en vacances. On est en groupe,
en couple, presque en famille. Comme
un équivalent de la vie au-dehors où
parfois pourtant un mari, une femme,
des parents vous attendent et qu’on
voudrait rejoindre. On part. On fait sa
valise et on monte dans l’autobus du
Bon-Sauveur. […]
Bien sûr, au cours du printemps, quand
les beaux jours arrivent, on fait des excursions, ces longues journées dehors
avec le fameux pique-nique préparé
par la cantinière : à Saint-Malo, au zoo,
au pont de Tancarville... Mais l’été c’est
différent, nul besoin de visiter, de s’activer, de manger sur ses genoux ; on
déménage au-dehors – on s’installe
pour au moins deux semaines au fort
de Ravenoville, la maison de vacances.
Le temps est alors rythmé autrement ;
ce ne sont plus les rendez-vous avec
le médecin qui ponctuent la vie quotidienne ; on n’attend plus les visites, il
n’y en aura pas – vacances aussi pour
les familles. Désormais, ce seront la
baignade, les repas et les jeux. Tout
s’achève par la fête de fin de séjour... »
Répères chronologiques
Fondation Bon-Sauveur
de Picauville
1837 – Février. Installation de cinq
sœurs au château Bertin de Picauville.
1838 – Construction et acquisition
de maisons voisines du château.
1847 – Les effectifs s’élèvent
à 150 personnes.
1850 – Sophie de Riou devient mère
supérieure de l’établissement.
1852 – Le droit de recevoir et de
soigner des aliénés est officiellement
accordé.
1870 – Le Bon-Sauveur se voit charger
d’héberger des troupes et de porter
secours aux réfugiés, malades
et blessés.
1956 – Le bâtiment de l’école technique
et de l’internat ouvre ses portes
à 90 élèves. Chauffage central dans
l’hôpital et les autres bâtiments.
1957 – Nouvel habit des sœurs.
Nouveaux garages et bureaux pour
l’administration et l’économat.
1963 – Arrivée de deux cents malades
de l’hôpital algérien de Blida
à la suite des accords d’Évian et
de l’indépendance de l’Algérie.
1964 – Mise en place du plan
de sectorisation du département
de la Manche : quatre secteurs sont
attribués à l’hôpital de Picauville.
Ouverture d’une école d’infirmiers.
1970 – 900 malades.
1972 – Février. Inauguration des
nouveaux bâtiments.
1901 – Ouverture d’un orphelinat
qui ferme en 1903.
1981 – La Fondation Bon-Sauveur
prend le relais de la communauté
religieuse pour la responsabilité et la
gestion de l’hôpital.
1906 – 27 janvier. Autorisation d’ouvrir
1 000 lits (400 hommes et 600 femmes).
1985 – Ouverture de la nouvelle maison
de retraite.
1937 – Célébration du centenaire.
1990 – Ouverture d'une antenne
psychiatrique d'urgence à l'hôpital
Pasteur de Cherbourg
1943 – Avril. Arrivée de 150 malades
de Stephansfeld (Bas-Rhin).
1944 – Juin. Destruction presque totale
de l’hôpital par les bombardements.
1946 – Juin. 81 sœurs à la
communauté.
1950 – Juillet. Bénédiction de la
première pierre de la chapelle.
1952 – 785 malades.
1955 – Juillet. Achat du fort de
Ravenoville, au bord de la mer.
2002 – Installation du service d'archives
dans le bâtiment abritant jusqu'alors
le service Sophie de Riou, déménagé,
lui, à La Glacerie.
2010-2011 – Démolition de plusieurs
bâtiments sur le site de Picauville
2012 – 155 lits sur les trois sites
gérés par la Fondation Bon-Sauveur
(La Glacerie, Picauville, Valognes)
dont 62 lits à Picauville.
Biographies
Projections
Mathieu Pernot a, entre autres,
exposé à la Cité nationale de l’histoire
de l’immigration (2009), au musée
Nicéphore-Niépce (2007) et aux
Rencontres d’Arles (2007, 2002 et 1997).
Il est l’auteur de dix livres depuis
Tsiganes (Actes Sud, 1999). Après
Le Grand Ensemble en 2007, Le Point du
Jour publiera, début 2014, La Traversée
à l’occasion de la rétrospective de
Mathieu Pernot au Jeu de Paume.
Dans le cadre du Mois du film
documentaire, en partenariat
avec la bibliothèque Jacques-Prévert
Directeur de recherches du CNRS
à l’EHESS, Philippe Artières a publié
La Vie écrite. Thérèse de Lisieux
(Les Belles Lettres, 2011), D’après
Foucault. Gestes, programmes, luttes,
avec Mathieu Potte-Bonneville,
(Les Prairies ordinaires, 2007) et Le Livre
des vies coupables. Autobiographies
de criminels, 1896-1909 (Albin-Michel,
2000). En 2013, il a dirigé, au Point du
Jour, La Révolte de la prison de Nancy.
15 janvier 1972.
16h : La Devinière
de Benoît Dervaux (2001, 90 min.)
Livre
15h : Titicut Follies
de Frederick Wiseman (1967, 84 min.)
L'Asile des photographies
Format : 28 x 21 cm (relié)
288 pages, 176 photographies
38 euros
17h : Les Jardins d’Abel
de Sergio Zavoli (1968, 27 min.)
Rencontres
20h30 : Histoire de Paul
de René Féret (1975, 81 min.)
Jeudi 21 novembre à 18h30
Conférence de Philippe Artières
« Des archives, pour quoi faire ? »
samedi 30 novembre
Samedi 25 janvier
Journée d'études
« La psychiatrie aujourd'hui »
vendredi 8 novembre
20h30 : Histoires autour de la folie
de Paule Muxel et Bertrand de Solliers
(1993, 210 min. )
samedi 9 novembre
14h : La Terre de la folie
de Luc Moullet (2010, 90 min.)
18h : Le Fils de la famille
de Mickaël Hamon (2012, 59 min.)
En présence du réalisateur
21h : Regard sur la folie
de Mario Ruspoli (1961, 48 min.)
Valvert de Valérie Mréjen (2008, 52 min.)
dimanche 10 novembre
11h : La Moindre des choses
de Nicolas Philibert (1997, 104 min.)
San Clemente de Raymond Depardon
et Sophie Ristelhueber (1982, 100 min.)
15h & 20h30 : Couleurs folie
d'Abraham Ségal (1986, 13 min.)
La Beauté crue
de Hervé Nisic (2008, 65 min.)
L'Apothéose d'Arthur Bispo do Rosario
de Maione de Queiroz Silva (2004, 26 min.)