« LA RAISON GRAPHIQUE, La domestication de la pensée sauvage »

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« LA RAISON GRAPHIQUE, La domestication de la pensée sauvage »
Résumé 1 Maryline Le Tiec
PEMF Sciences 07/2004
« LA RAISON GRAPHIQUE, La domestication de la pensée sauvage »
JACK GOODY 1977
AVANT PROPOS :
La pensée n’ est pas distincte d’ une série d’ actes de langage et de communication.
L’ ouvrage se centre sur les conditions effectives de production et de reproduction. Le choix ici est de ne pas partager contenu et expression qui sont intimement liés. Même si on ne peut réduire un message à son expression, le système de communications a des effets importants sur les contenus transmis. L’ étude des systèmes d’ écriture doit permettre de dégager une certaine spécificité de la pensée écrite, du savoir graphique. L’ écriture n’ est pas seulement la transcription d’ énoncés oraux. Goody relie son extériorité, sa capacité d’ autonomie aux modes de pensée baptisés « rationnels, abstraits ou scientifiques ». Il s’ intéresse aux conditions concrètes de stockage et d’ accumulation du savoir appelé sciences. Elle permet un « jeu » sur les structures et les éléments : lettres et mots. Extractions possibles de la dimension orale : circonstancielle et singulière, interpersonnelle et non reproductible. Exemples du mot « rapporter » de la dimension horizontale et verticale de matrices telles que listes et tableaux qui imposent leur logique. C’ est un système de pensée différent que développe l’ écriture qui d’ une certaine manière dévalorise la parole. La tradition orale : répétition de récits mythiques par exemple est une recréation, un réaménagement en fonction des circonstances, intérêts, goûts du moment. Il n’ y a en ce sens de tradition qu’ écrite. Le travail de l’ ethnologue qui pose par écrit les paroles entendues génère une illusion de cohérence formelle parfaite qui n’ est pas le reflet de la culture étudiée : problèmes de décalages dans le temps, d’ élimination de traits jugés non pertinents..etc. Les systèmes supposés derrière ce travail de reconstruction existent­ils réellement ? Les conditions pratiques de l’ énonciation et les auteurs disparaissent. C’ est donc la dimension symbolique qui prévaut (sociétés primitives sans « auteurs ») au détriment de la dimension cognitive.
Les premières phases des civilisations écrites du Moyen­Orient foisonnent de productions de listes et tableaux : c’ est une rupture décisive dans le développement de la pensée : transformation profonde des formes du savoir oral qui rappelle ce travail de l’ ethnologue. Les classements sont beaucoup plus fluctuants à l’ oral qu’ à l’ écrit qui impose des définitions logiques plus rigides et amène des questions qui ne se posent pas en pratique. Question d’ efficacité ces indéterminations et ambiguïtés du langage pratique.
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A l’ égard des mythes, Claude Lévy Strauss a une structure d’ analyse plus algébrique que taxinomique. Il dit qu’ un mythe doit s’ étudier comme une partition où le même thème va être transmis sous forme de codes différents :
Linéarité du récit projetée dans un espace bidimensionnel :
Chaîne syntagmatique : abscisses, parole
Chaîne paradigmatique : ordonnées, langue
Mais hors de ce cadre écrit, le mythe a t­il une autonomie (les mythes peuvent­ils se penser entre eux à l’ insu des acteurs ?) : n’ est­ce pas les conditions d’ exercice de la méthode qui lui confèrent cette nature ?
Les mythes sont­ils mystérieux pour ceux qui les racontent et écoutent ? Ont­ils un tout autre sens que celui que le chercheur leur confère ? Toutes les significations possibles n’ apparaissent pas dans une proposition. Le sens d’ un énoncé n’ est pas dissociable du rapport social dans lequel il est produit et écouté. Comme outil efficace social le mythe est polyvalent : divertir, enseigner la toponymie aux enfants, réaffirmer le code des bonnes manières, tenter de légitimer les prétentions d’ un groupe à la chefferie...
Lévi Strauss, selon l’ analyse de Derrida attribue ainsi un statut d’ »innocence » aux sociétés primitives non dotées d’ une écriture, celle­ci étant destinée à faciliter l’ asservissement à une hiérarchie.
Pour Goody, pas question de faire le grand partage entre cultures orales et écrites. L’ écriture n’ est qu’ un facteur de changement parmi d’ autres. Compte­tenu de la diversité des systèmes d’ écriture, la rupture n’ est pas unique, difficile à situer. Il ne dissocie pas écriture et arts graphiques. Leroi­Gourhan situe lui­même les productions graphiques de la préhistoire plus près de l’ écriture que de l’ œ uvre d’ art. Pour Goody, la transcription linéaire est elle aussi bi dimensionnelle. La communication orale comporte tout comme l’ écrit ses jeux de pouvoirs : il y a toujours plusieurs manières socialement différenciées de parler une « même » langue, qu’ elle soit orale ou écrite.
L’ écriture a transformé le savoir politique, a permis de mettre en place de nouveaux modes de pensées correspondant à de nouveaux modes de domination. Elle n’ est pas à l’ origine de toute hiérarchie ou domination : ce qui est intéressant, c’ est de comprendre son rôle dans la transformation des rapports sociaux. L’ Etat fonctionne avec des archives : chiffres de population, données diverses… qui dépersonnalisent et renforcent une domination. La production d’ idéologie se base elle aussi sur des classements synoptiques, ordonnés de l’ information, sur la codification de règles. Les sociétés purement orales peuvent­elles avoir une idéologie ? Quelles sont les conditions pour qu’ apparaisse effectivement et historiquement quelque chose comme un système ?
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CHAPITRE 1 : EVOLUTION ET COMMUNICATION Jack Goody prend position contre un certain nombre de cadres d’ étude fixés par l ‘ anthropologie sociale : en particulier l’ opposition limitative et ethnocentrique du « Nous/Eux » et la référence à l’ idée de progrès.
L’ ouvrage se propose de prendre en considération une dynamique de changements liés aux modes de communication au sein d’ une société, selon des critères qui lui sont spécifiques puis de comparer les différences entre sociétés en particulier en regard des diverses formes d’ écritures.
Leur émergence et les transformations générées par leur développement sont l’ objet d’ analyse principal.
L’ enjeu est de saisir la synergie entre extension des activités cognitives, conditions matérielles de leur exercice et développement du langage et de la communication.
CHAPITRE 2 : DES INTELLECTUELS DANS LES SOCIETES SANS ECRITURE ? Goody a là aussi un parti pris qui n’ est pas forcément partagé par les autorités en la matière : il considère le domaine religieux comme un des lieux d’ exercice des intellectuels – au sens d’ »individus engagés dans l’ exploration créatrice de la culture » – et l’ influence individuelle sur les mythes ou autres formes de la tradition orale comme un axe essentiel.
Que cela concerne la culture écrite ou orale, la question du rôle de l’ individu dans la création répond à la question­titre du chapitre, sachant qu’ en ce qui concerne la tradition orale, la signature individuelle d’ un auteur s’ efface petit à petit au profit d’ une transmission créatrice. Pour autant, les intellectuels sont bien présents individuellement et influent sur la culture (ou la société) qui n’ est pas pour Goody une réalité sui generis.
Chapitre 3 : ECRITURE, ESPRIT CRITIQUE ET PROGRES DE LA CONNAISSANCE.
Les traits majeurs de la différence entre systèmes fermés ou ouverts décrits par Horton sont repris par Goody en regard des systèmes cognitifs fonctionnels que sont les modes de communication. C’ est ce que génèrent l’ oral et l’ écrit en terme de champs ouverts ou de contraintes qui permet une compréhension des possibilités­impossibilités de ces sociétés humaines concernant le développement de leur pensée.
En particulier, le discours critique ne peut s’ exercer que sur un capital cumulatif de savoirs écrits, que l’ on peut ré interroger ; l’ oral étant intrinsèquement imprécis, persuasif et moins accessible à la critique.
Chapitre 4 : ECRITURE ET CLASSIFICATION ou l’ art de jouer sur les tableaux. Le processus de standardisation qui se résume dans le tableau est essentiellement le résultat de l’ application d’ une technique graphique à un matériel oral. Au travers de cette simplification, le cadre de référence de l’ acteur ne peut être saisi dans toute sa complexité et sa mouvance. Le tableau ne laisse pas d’ espace à l’ ambivalence et à l’ ambiguïté quand il s’ agit par exemple d’ analyser des symboles. Par ailleurs, les origines des données, de différentes natures, mettent en question la validité de cet outil d’ analyse. binaire typique de la culture des anthropologues.
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Chapitre 5 : QUE CONTIENT UNE LISTE ? La liste est une forme caractéristique des premiers usages de l’ écriture. L’ importance prise par ces listes est l’ effet en partie des besoins d’ une économie et d’ une organisation étatique complexe, en partie des méthodes de formation des scribes, en partie aussi d’ une sorte de jeu intellectuel : on essaie d’ explorer les possibilités qu’ offre ce nouveau moyen de communication. Une activité comme la mise en liste, difficilement envisageable dans les cultures orales, est de celles qui ont favorisé le développement de l’ histoire et des sciences d’ observation ainsi que, à un niveau plus général, la recherche et la définition de schémas plus classificatoires.
Pour Goody, la représentation graphique de la parole est un outil, un « amplificateur », un auxiliaire d’ une extrême importance. Elle a des fonctions mnémotechniques mais surtout facilite la réflexion sur l’ information et son organisation : c’ est donc les modes de pensée, les aptitudes à la réflexion, le développement de l’ activité cognitive qui se trouvent transformés.
Chapitre 6 : SELON LA FORMULE… La formule permet de développer une réflexion sur les relations qu’ il y a entre formes standardisées écrites et orales et de faire des rapprochements avec la littérature écrite : apprentissage et composition. Ce mot est communément employé dans un contexte scientifique et est étymologiquement relié à « formulation », « formalisation » et « formalisme ».
Ce sujet permet de mieux comprendre la conscience des formes et formalisations que génère l’ écriture.
Chapitre 7 : RECETTE, PRESCRIPTION, EXPERIMENTATION. Les listes qui engendrent un ordre comportent un ensemble d’ informations implicites qui nuancent les informations organisées.
Elles s’ apparentent, par les variations qu’ on peut y opérer, aux recettes culinaires et médicales. Ces dernières, grâce aux développements cumulatifs qu’ elles permettent (conservation et classement d’ une information médicale de plus en plus élaborée) ont favorisé un accroissement général des connaissances.
Les changements dans les modes de communication constituent un grand pas vers la « science moderne ».
Chapitre 8 : RETOUR AU GRAND PARTAGE. Le processus de sécularisation général observé dans les sociétés faisant usage de l’ écriture est une transformation progressive, spécifique de chaque société humaine, influencée par de nombreux facteurs. Le partage dichotomique entre modes de pensée abstrait/concret qui seraient liés à des sociétés civilisée/primitive ne rend pas compte de la complexité du développement humain. Ces modes de pensée se retrouvent à la fois dans une même société et chez un même individu.
L’ écriture transforme les processus cognitifs et en particulier : tableaux, listes et formules ont une grande importance.
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