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J. GOODY, L'homme, l'écriture et la mort. Entretiens avec P.-E.
Dauzat, Paris, Les Belles Lettres, 1996. J. Revel-N. Wachtel (ed.), Une
école pour les sciences sociales, Paris, Ed. du Cerf, Ed. de l'EHESS, 1996.
J. Bottéro-C. Herrenschmidt-J.-P. Vernant (éd. F. Zabbal et Chaire de
l'IMA) , L'Orient ancien et nous. L'écriture, la raison et les dieux, Paris,
Bibl. Albin Michel Idées, 1996.
C'est une étrange citadelle bien close, et comme inattaquable, que ce
petit monde de la Vernantie qui s'est construit au fù des années, avec
ses rites, son langage, ses blasons et ses codes, ses références, son autosuffisance, ses lanciers, ses porte-enseignes, bastion avancé du structuralisme appliqué à la Grèce antique.
Intouchable donc est l"'Ecole de Paris", comme l'est aussi Saint LéviStrauss, père fondateur tellement auréolé qu'on ne sait plus si sa vie est
de ce monde ou de l'autre.
La surprise est d'autant plus grande de lire dans les récents entretiens de l'anthropologue anglais Jack Goody une critique sans complexe
de L.-S., une libre pensée échappant aux pesanteurs hexagonales. Il
rejette essentiellement l'attitude de L.-S. consistant à juger "absurde" le
sens superficiel du mythe. J.G. considère au contraire que "ce niveau de
surface est essentiel à l'intelligence du mythe". C'est seulement ensuite
qu'on peut chercher au plan des structures profondes, mais là le risque
est grand d'assister à une "création de l'observateur". "Ce sont d'abord
les mots en tant que tels, ou le texte en tant que texte qui m'intéressent", déclare J.G., lequel se méfie également des analyses binaires
systématiques qui évacuent "l'énoncé même du mythe". En fait, il n'y a
pas de méthode de L.-S., mais plutôt des intuitions personnelles, ce qui
n'a pas perduré chez ses émules (pp. 86-90).
La même idée vient à l'esprit à propos des émules de Jean-Pierre
Vernant, à quelques exceptions près. A ces exceptions appartient Nicole
Loraux dont les travaux les plus personnels (comme Façons tragiques de
tuer une femme, Paris, Hachette, 1985) révèlent une échappée de ce binôme "mythe et politique" obsessionnel qui caractérise l'Ecole de Paris (voir
encore le dernier Vernant autobiographique: Entre mythe et politique,
Paris, Seuil, 1996). On le sent bien à la lecture de "Back to the Greeks?
Chronique d'une expédition lointaine en terre connue" (in J. RevelN. Wachtel, Une école ... , pp. 275-297), contribution dans laquelle N.L.,
au delà de l'hommage à l'originalité de la pensée et des travaux de
J.-P. V., fait clairement percevoir comment cette école a pris le risque de
s'enfermer dans une "altérité" grecque, tellement Autre qu'elle n'est plus
réductible à rien, assimilable à rien, aboutissant à une sorte de
concrétion tautologique ("comparer la Grèce avec la Grèce"). "C'est ainsi
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que, pour ma part, écrit N.L., j'ai, finalement, peu à peu et pas à pas,
retrouvé la proximité (par rapport à l'Altérité), au début laissée de côté.
Et n'identifiant plus "le Grec" en général à l'Autre, je plaiderais maintenant pour qu'on mette de l'autre - ce qui implique aussi et d'abord du
même - à l'intérieur de cet homme intérieur grec dont Vernant a fait
son objet et notre objet d'étude". A la lecture de cet article, on comprend
bien pourquoi l'Ecole de Paris a rejeté avec véhémence et les apports de
la psychanalyse (pp. 286-287) et l'idée des sources proche-orientales de
la pensée grecque antique (pp. 292-294).
Sur le premier point, elle n'a fait que prolonger les incompréhensions
de Lévi-Strauss à l'égard de Freud, incompréhensions que mettent à jour
les travaux actuels de Jacquy Chemouni (cf. Psychanalyse et anthropologie. Lévi-Strauss et Freud, Paris, L'Harmattan, à paraître). Pour le
second, je me permettrai de souligner comme il est curieux de voir
paraître un livre intitulé L'Orient ancien et nous sous la triple signature
de Jean Bottéro, Clarisse Herrenschmidt et Jean-Pierre Vernant. Ce
livre, dont l'avant-propos de F. Zabbal affirme bien l'objet - l'idée de
source proche-orientale (mésopotamienne) de l'Occident -, ne peut que
réjouir le tenant de cette thèse que je n'ai cessé d'être, à la suite de
Jacqueline Duchemin (cf. J. Duchemin, Mythes grecs et sources orientales,
Paris, Les Belles Lettres, coll. Vérité des mythes, 1995, et B. Deforge, Le
commencement est un dieu, Paris, Les Belles Lettres, coll. Vérité des
mythes, 1990). "Cette idée d'une source "orientale" de l'Occident, qui
rencontre bien des résistances, continue de faire son chemin, écrit
F. Zabbal. Il n'est pas certain, pourtant, qu'elle triomphe, tant l'idéologie des origines demeure imperméable aux faits avérés par la science
historique". On dirait que F. Zabbal, initiateur de ce livre en tant que
Directeur de la collection "La Chaire de l'IMA" de l'Institut du Monde
Arabe, se prémunit dès les premières pages contre la critique qui vient
comme naturellement de voir la contribution consacrée à la Grèce développée par un des tenants de "la Grèce seulement confrontable à la
Grèce". Quand on en vient donc, après la lecture de "Religiosité et raison
en Mésopotamie" (J. Bottéro, pp. 15-91) et de "L'écriture entre mondes
visible et invisible en Iran, en Israël et en Grèce" (C. Herrenschmidt,
pp. 95-188), à l'article de J.-P. V., "Ecriture et religion civique en Grèce"
(pp. 191-221), on a la surprise de sentir une certaine évolution dans le
point de vue de l'auteur, qui l'a d'ailleurs conduit, je suppose, à
contribuer à cet ouvrage. Après une critique du "tout indo-européen", et
une acceptation pour la Grèce de l'arrière-plan proche-oriental, il écrit en
effet : "Mon sentiment est qu'il existe certaines continuités, peut-être
même des influences" (p. 192). Mais très vite réapparaissent les vieux
démons, si je puis dire, et il en vient à écrire : "Bien que ma connais140
sance des mythes du Proche-Orient soit très superficielle - j'ai simplement lu les textes -, je pense que, s'il y a des ressemblances, elles ne
sont pas beaucoup plus grandes que par rapport à d'autres grandes
civilisations très différentes d'Amérique précolombienne ou d'Mrique"
(p. 196). Puis en quelques lignes superficielles et conventionnelles,
J.-P. V. expédie la question en tournant en dérision quelques points de
détail (pp. 196-197) ; il l'élude en fait, et la refuse. Il est patent que
J.-P. V. a en tête ici les travaux de J. Duchemin, pour ne pas dire les
miens (à propos du combat de Marduk contre Tiamat dans l'Enuma
Elish et de Zeus contre Typhon dans la Théogonie), mais qu'il ne les
nomme jamais, selon la bonne habitude des adeptes de l'Ecole de Paris,
qui ne citent qu'eux-mêmes ! Ainsi point d'adversaire, point de thèse
adverse à la hauteur! Passé ce cap difficile, la traversée est tranquille:
nous sommes en Vernantie.
Bernard DEFORGE
Université de Caen
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