Michel-Émile Gendron, le rapailleur de gais souvenirs
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Michel-Émile Gendron, le rapailleur de gais souvenirs
Groupe Capitales Médias Publié le 05 septembre 2015 à 05h00 | Mis à jour le 05 septembre 2015 à 05h00 Michel-Émile Gendron, le rapailleur de gais souvenirs Michel-Émile Gendron, auteur du livre La vie gaie à Québec, considère Québec comme une ville «très tolérante» à l'égard de la communauté homosexuelle. Son ouvrage a été écrit «en hommage» à la militante Denyse Goyette, la députée Agnès Maltais et à l'homme d'affaires Yvon Pépin. PHOTO LE SOLEIL, ERICK LABBÉ Normand Provencher Le Soleil (Québec) Le Québec gai a bien peu de secrets pour Michel-Émile Gendron. Sorti du placard à la fin de l'adolescence, arrivé dans la capitale au milieu des années 60, en pleine époque de libération sexuelle, l'ex-enseignant de littérature du Cégep de Sainte-Foy ne s'en cache pas : «Tous les bars qui sont dans mon livre, à part deux, trois, je les connais pour y être allé au moins une fois.» Auteur de La vie gaie à Québec, lancé demain à l'occasion de la fin de semaine de la Fête Arc-en-ciel, Michel-Émile Gendron, 67 ans, avoue que le travail de recension des établissements homosexuels qui ont émaillé le night life local depuis un plus d'un demisiècle n'a pas été une sinécure. Si l'histoire gaie à Montréal est bien documentée, il en va autrement pour celle de Québec. D'où l'importance d'avoir fréquenté ces endroits et... de posséder une bonne mémoire. Aussi loin qu'il peut remonter en arrière, le sexagénaire avoue avoir toujours su qu'il était homosexuel. «Je le savais depuis mon enfance. J'aimais mieux me tenir avec les p'tits gars qu'avec les p'tites filles.» Il s'en était ouvert à quelques amis et à l'une de ses soeurs, sa confidente. À 17 ans, il fait son coming out à ses parents. Ni pleurs ni larmes, seulement le soulagement d'entendre leur fils dévoiler un secret qui n'en était plus un. «Ma mère m'avait toujours conseillé de ne jamais me marier, parce que j'allais rendre ma femme malheureuse. Mon père, lui, avait toujours fermé l'oeil. On ne s'en est jamais parlé. Lui aussi avait compris. Il m'a même acheté une voiture lorsque j'ai obtenu ma licence en lettres de l'Université Laval.» Dans son livre, M. Gendron s'attarde sur la petite histoire de l'homosexualité, «avant l'âge des tavernes, jusqu'à la Révolution tranquille». Il évoque les «berdaches», nom donné à ces membres des communautés autochtones considérés comme homosexuels. D'après l'auteur, «cette liberté de moeurs» attira de nombreux explorateurs , dont Des Groseilliers et Radisson, «qui en subirent les foudres verbales des Jésuites à maintes reprises». Une ville tolérante Si Québec, «une ville très tolérante», ne compte plus qu'une poignée d'établissements gais, dont le légendaire Ballon rouge, rue Saint-Jean, il en a déjà été autrement. L'Étalon, La Fausse Alarme, le Gay-temps, L'Adonis, La taverne Malette, autant d'endroits maintenant disparus où se retrouvait la communauté homosexuelle de Québec, dans les décennies 60-80. Le «rapailleur de gais souvenirs», comme il se qualifie dans son bouquin, consacre également quelques pages à la communauté lesbienne, plus discrète. Le Vénus (ou Studio 157), sur le chemin Sainte-Foy, a été le premier bar «qui favorisa les apparitions publiques en dépit des quelques rixes émotifs» qui éclataient à l'occasion. «On les disait plus facilement irritables que les hommes», écrit-il. «Maintenant, ajoute l'auteur, on les retrouve surtout au Drague. Les soirs de karaoké, les femmes sont plus nombreuses que les hommes.» Les Plaines : lieu de rencontres À l'époque comme c'est le cas encore aujourd'hui, la vie clandestine des homosexuels de Québec se déroulait aussi dans les parcs et «autres lieux de plaisirs en plein air». M. Gendron l'admet sans faux-fuyant : «L'exhibitionnisme, tout comme le voyeurisme, a de tout temps fait partie des tendances naturelles de beaucoup d'entre nous.» Les plaines d'Abraham, rappelle M. Gendron, ont longtemps attiré «quelques dizaines de garçons pour se faire dorer la couenne in naturalibus, dans les arbustes, près de la tour Martello». Sans en avoir la preuve formelle, M. Gendron croit que les autorités fédérales, propriétaires des Plaines, ont fait planter de l'herbe à puces aux abords des principaux sentiers afin de décourager les visiteurs volages. Aujourd'hui, note-t-il, rares sont les adeptes de la drague qui fréquentent encore l'endroit, «quoiqu'on y retrouve certains habitués, sans doute à la recherche d'anciens souvenirs». Trois lacs de la Rive-Sud, baptisés lac Vert, ont aussi été longtemps des lieux de rencontres clandestines. D'abord à Saint-Romuald, puis à Lévis, finalement à SaintApollinaire. Tous ont été fermés. «Le propriétaire du dernier lac a ceinturé l'endroit. Il se promène même avec son 12» pour faire fuir les indésirables. Nostalgique de cette époque? Michel-Émile Gendron réprime un sourire. «Ce qui a disparu, c'est cette forme de jouissance clandestine, la peur de se faire prendre, cette impression de faire quelque chose de mal. C'était un stress positif.» Les années sida L'éclosion du sida, au milieu des années 80, a eu l'effet d'un électrochoc dans la communauté gaie. Québec n'a pas échappé au tsunami. Les bars et les saunas sont devenus moins fréquentés. «Pour ma recherche, j'ai eu du mal à trouver des photos [de victimes]. Les familles les ont détruites. À l'époque, j'avais la chance d'être en amour. J'étais fidèle.» Une vingtaine d'années plus tard, l'arrivée d'Internet et les médias sociaux a complètement changé la donne, avance-t-il, pour expliquer la désaffection des bars gais et autres lieux de rencontre. La drague virtuelle est maintenant un jeu d'enfant. «Plus besoin d'aller dans les bars pour rencontrer quelqu'un. Dans 10 ans, allez savoir, il n'y aura peutêtre plus aucun bar gai ni défilé de la fierté gaie.» De moins en moins marginalisés, encouragés par des personnalités sorties de la garderobe, dont plusieurs politiciens dont il donne les noms dans son livre, les gais ne doivent pas croire que la lutte est terminée, estime l'auteur. «N'oublions pas qu'il existe encore 75 pays qui condamnent l'homosexualité.» Vous voulez y aller? Quoi : Fête Arc-en-ciel Quand : jusqu'à dimanche soir Où : place D'Youville, Bar Le Drague, quartier Saint-Jean-Baptiste Billets : gratuit Info : arcencielquebec.ca