"Py est poète, catho, gay, chanteuse." La Libre Belgique, Guy Duplat

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"Py est poète, catho, gay, chanteuse." La Libre Belgique, Guy Duplat
Découvertes
Culture
le 6 novembre 2012
l Scènes | Avant-propos
Py est poète, catho, gay, chanteuse
l’Eglise française aux projets de mariage homosexuel du gouvernement?
Cela me désespère. J’ai l’impression
que dans la parole chrétienne, qui
peut être si magnifique et large, on
n’entend que les propos les plus im­
béciles. Je défie quiconque de trou­
ver des bases théologiques pour con­
damner le mariage homosexuel. La
parole des évêques est sans argu­
ments. Cette campagne complète­
ment imbécile, éloignera de l’Eglise
des milliers de catholiques. Cela fait
partie de cette France qui a peur de
tout et qui est touchée par des argu­
ments qui deviennent vite homo­
phobes et irrationnels.
P Le
futur directeur
d’Avignon dans un récital de
chanteuse de cabaret.
Entretien Guy Duplat
M
Comment est né ce personnage?
Il est né d’un rôle dans une pièce. Je
l’ai gardé ensuite car j’adore chanter.
J’ai travaillé ma voix et Miss Knife
m’a permis de mener une double vie,
d’avoir une identité schizophréni­
que. On a tous plusieurs identités.
Moi, j’ai une identité le jour et une
autre la nuit. Je ne voulais pas appa­
raître comme un acteur chantant
mais devenir une vraie chanteuse.
Vous interprétez vos propres textes qui parlent souvent de souffrances.
Ecrire mes textes me permet (il y a
beaucoup de nouvelles chansons
dans ce récital) de continuer une
aventure poétique, de manière plus
simple et directe que dans des poè­
mes, même s’il est difficile d’écrire
des chansons. Il est vrai que j’évoque
la souffrance, mais la chanter est une
manière de ne pas trop la prendre au
sérieux. C’est une manière de l’expo­
ser en plusieurs fois deux minutes et
donc de ne pas être complaisant à
Quel est votre bilan de cinq ans à la tête de
l’Odéon jusqu’à ce que le gouvernement
vous remplace par Luc Bondy?
Pour moi, c’est le bilan artistique qui
compte avec aussi le combat inces­
sant pour une plus grande démocra­
tisation de la culture. J’ai dû faire un
effort de tous les jours pour baisser
les prix, qui sont d’ailleurs remontés
depuis mon départ. J’ai toujours
voulu tendre la main vers les change­
ments artistiques, sentir ce qui ar­
rive. Je n’ai pas de chapelles esthéti­
ques, j’aime beaucoup par exemple,
le travail de Joël Pommerat et celui
d’Alain Platel qui sont pourtant très
différents de moi. Et j’ai une longue
fidélité avec à des metteurs en scène
comme Warlikowski, Castorf ou Os­
termeier.
ALAIN FONTERAY
iss Knife, qu’on avait vue il y a
dix ans au Botanique, nous re­
vient avec de nouvelles chan­
sons au Théâtre National, avec sa voix
souple et séductrice, bien calée entre un
piano, une batterie, un saxophone et
une contrebasse. C’est une chanteuse
de cabaret, une Marlène qui chante avec
un grand talent “l’inquiétude de la nuit”,
“la souffrance d’être homme”, elle veut
“raccommoder notre rapport au monde”.
Miss Knife est un travesti. Elle est Oli­
vier Py, l’ex­directeur du Théâtre de
l’Odéon à Paris, le poète, le grand met­
teur en scène (dont un “Soulier de satin”
d’anthologie). Il sera dès 2014 le nou­
veau directeur du Festival d’Avignon. Il
est aussi metteur en scène d’opéra (il a
récemment monté à la Monnaie, le très
remarqué “Les Huguenots”).
Nous l’avons interrogé sur ce spectacle
qu’il présente ainsi: “C’est la nuit, dans ce
paradis de tristesse où les hommes se par­
lent pour se dire ce qu’ils n’osent pas se
dire le jour, qu’elle apparaît. Dans son
strass d’un autre âge, sous ses plumes noi­
res, perchée sur d’infinis talons aiguille,
elle égrène des romances douloureuses ou
insolentes. Exaltant tous les espoirs déçus,
les amours détraqués, les rêves piétinés et
les jouissances troubles, elle enjôle le public
et le fait participer à son sacrifice de
music­hall. Car il s’agit d’entendre au
cœur de la nuit les mélodies et les poèmes
inquiets qui raccommodent notre rapport
au monde.”
Le metteur en scène Olivier Py, ex-directeur du théâtre de l’Odéon, se transforme de temps
à autre en Miss Knife pour un récital de chansons réalistes entre Brel et Barbara.
son égard. On peut écrire ou peindre
de manière désespérée, pas chanter.
Quand on chante, c’est qu’il y a tou­
jours de la vie qui s’exprime. Je me si­
tue dans la tradition de la chanson
réaliste même si j’aime aussi la pop
ou la variété. Je voudrais rejoindre
Brel dont j’admire la “projection” (on
comprend toujours si bien ce qu’il
chante) et Barbara que j’ai eu l’occa­
sion de voir et qui m’offrait un exem­
ple de chanteuse. C’est Brel pour les
consonnes et Barbara pour les voyel­
les! J’aime chanter aussi grâce à ma
fréquentation avec les artistes lyri­
ques que je rencontre lors de mes
mises en scène d’opéra.
Vous expliquez que vous aimez vous travestir depuis votre enfance, quand vous étiez
dans la boutique de mode de votre mère.
J’ai toujours vécu dans les paillettes
La Libre Belgique - mardi 6 novembre 2012
et les boas, c’est ma part de femme.
J’ai toujours été proche des femmes,
dans un univers de femmes. Pour
moi, mettre des jolies robes et chan­
ger de toilettes est de l’ordre de l’évi­
dence. Je sais qu’apparaître ainsi en
scène est, au­delà des questions de
goût, une prise de risque, mais c’est
comme cela que je suis moi, que je
me donne. C’est pourquoi d’ailleurs,
j’ai conclu mes cinq années à la tête
de l’Odéon par ce spectacle et je suis
parti ensuite dans la nuit sans plus
revenir à ce théâtre. Je voulais mon­
trer qu’après cinq ans de travail in­
tense, je restais moi­même, je n’avais
pas changé. C’est ma liberté de rede­
venir Miss Knife.
Vous vous revendiquez à la fois gay et catholique. Que pensez-vous de la polémique
en cours en France qui oppose violemment
Ce sont aussi vos objectifs pour Avignon
dont vous dirigerez le festival à partir de
2014.
Bien sûr. Je serai fidèle à tous les es­
prits de Jean Vilar, celui des débuts
comme celui qu’il a eu en invitant
Béjart à la Cour d’Honneur. Je serai
aussi un héritier de toute l’histoire
du Festival, y compris celle de ces
dernières années. Mais je garderai
cet objectif de démocratisation, de
bâtir un théâtre populaire qui ne soit
pas populiste. J’ajouterai un intérêt
particulier vers la littérature, je reste
un homme de lettres.
Le théâtre reste-t-il important à l’heure du
monde virtuel, d’Internet, de Facebook?
Plus que jamais, le théâtre est essen­
tiel dans l’environnement virtuel qui
nous arrive. Je vois par exemple les
jeunes qui sont nés dans ce monde
nouveau et qui ont plus que jamais
besoin de retrouver au théâtre, du
réel, une incarnation dans des corps,
des voix. Je n’ai jamais été aussi con­
fiant qu’aujourd’hui dans la néces­
sité du théâtre et de son avenir.
U “Miss Knife chante Olivier Py”, au
Théâtre National du 14 au 17 novembre.
Res. : 02/2035303