Texte de sa présentation (retranscrit par Marie Malécot)

Transcription

Texte de sa présentation (retranscrit par Marie Malécot)
Conférence SCIENCETAB octobre 2015-10-06
Neurobiologie du cannabis
Alain Dervaux
Psychiatre et addictologue à l’hôpital Saint Anne (Paris)
Très peu d’études qui étudient spécifiquement les relations tabac, cannabis en
terme de neurobiologie alors je vais me focaliser essentiellement maintenant sur
la question du cannabis
1. D’abord des notions de pharmacologie
Le cannabis contient plus de 60 substances cannabinoïdes dont seulement deux
sont connues pour être pharmaco actives, psycho actives
- le delta 9 tétrahydrocannabinol (THC) qui est le principal principe actif du
cannabis qui va provoquer ce que va rechercher l’usager : l’euphorie, la
détente, la décontraction, le fait d’améliorer la socialisation, de rigoler avec
les copains, etc…
- le cannabidiol qui atténuerait les effets du THC, cependant ces effets sont
discutés dans la littérature : ces effets antagonistes du cannabidiol contre le
THC ne sont pour l’instant pas définitivement établis. On dit souvent que le
cannabidiol pourrait avoir des vertus anxiolytiques, c’est beaucoup discuté
mais pas prouvé.
On trouve ces substances dans l’herbe et dans la plupart des pays anglo saxons,
les gens fument de l’herbe pure sans tabac mais en France 99 % mélangent du
cannabis avec le tabac et dans les feuilles de cannabis (l’herbe), il y a des taux
actuel de THC entre 6 et 14 %, excepté certaines variétés importées des Pays Bas
où on en trouve plus de 20 %, notamment dans ce qu’on appelle le Skunk qui est
beaucoup fumé en Angleterre et dont la toxicité est beaucoup plus importante.
Dans l’herbe, il n’y a pas du tout de cannabidiol.
Dans le cannabis, qui est fumé beaucoup plus souvent en France mais pas
exclusivement, il y a des taux à peu près similaires de THC entre 7 et 12 %, sauf
dans 3,5 à 4,5 % des échantillons (ce sont les statistiques de la Police qui analyse
des échantillons pris un peu partout sur le territoire national et publie ces
résultats) où il y a plus de 20 % de THC. Et dans le cannabis résine, alors qu’il n’y
en a pas dans l’herbe, il y a du cannabidiol qui pourrait limiter l’effet du THC, ce
qui fait dire à certains auteurs que la résine de cannabis serait un peu moins
toxique que l’herbe et cela a été beaucoup discuté en Angleterre où les études
montreraient que les effets du cannabidiol limiteraient les effets du THC sur la
cognition (mémoire de travail, mémoire épisodique, fonctions exécutives,
attention, concentration) : cependant cela est discuté car les choses ne sont pas
pareilles en fonction des doses. Il y a une étude récente qui a été présentée
l’année dernière au congrès américain de psychiatrie par Nadia Solovitch
(orthographe ?), une des plus grandes spécialistes des troubles cognitifs du
cannabis, et qui a montré que les effets modulateurs du cannabidiol sur le THC ne
sont pas tout à fait exactement identiques parce que le cannabidiol peut
améliorer les choses chez les consommateurs expérimentaux, c’est à dire ceux qui
n’ont pas l’habitude alors là effectivement, mettre du cannabidiol en plus du THC
limite les effets du THC. Chez les sujets, utilisateurs réguliers, cela ne se passe pas
comme ça et au contraire, il se peut, du moins c’est ce qui est montré dans cette
étude (qui n’est pas encore publiée), que le cannabidiol et le THC aient au
contraire des effets additifs donc grande prudence pour affirmer que le
cannabidiol limiterait les effets du THC.
Ce qui est certain, c’est que les taux de THC augmentent au fur et à mesure du
temps : dans les années 90, ils étaient de 4 à 6 %, ont augmenté progressivement
au début des années 2 000 et atteint à peu près 8 % il y a 5 ou 6 ans et
actuellement ces dernières années, les taux sont entre 10 à 14 %: le cannabis
fumé actuellement n’est pas le cannabis fumé il y a 20 ans ! Et en terme de
toxicité, c’est plus important.
Les modes de consommation sont aussi importants : fumer des bangs entrainent
des taux de THC plus importants (contrairement à ce que pensent les utilisateurs
qui pensent que c’est plus écolo)
En terme de pharmaco cinétique : une fois que les sujets respirent en inspirant le
plus souvent profondément pour garder un maximum d’effets, le THC traverse les
alvéoles pulmonaires, et entrer dans la circulation sanguine avec un pic
plasmatique qui va être maximum après 30 minutes et puis il y a un métabolisme
hépatique avec une transformation en THC COH , métabolite qui est lui aussi
psychoactif au niveau cérébral et va participer aussi aux effets maximaux 30
minutes après avoir commencé.
Et que va devenir le THC ds l’organisme ? Il se fixe au niveau cérébral sur des
récepteurs spécifiques, cannabinoïdes CB1. Tout le monde, physiologiquement, a
un système endocannabinoïde sur lequel va se fixer le THC ou ses métabolites et
ils ont comme action d’être agonistes partiels, c’est à dire d’avoir la même action
que les endocannabinoïdes. Ces récepteurs cannabinoïdes sont largement
représentés dans le cerveau et notamment dans l’hippocampe, qui est un centre
de la mémoire, dans le cervelet (ce qui peut provoquer des troubles de
l’équilibre), dans le cortex frontal, dans le striatum, dans les ganglions de la base
et dans l’amygdale, autre centre de la mémoire et de la mémoire procédurale. Les
CB1 sont diffusés un peu partout et ils sont physiologiquement activés par des
neurotransmetteurs, des endocannabinoïdes physiologiques : il y en a surtout
deux qui sont les plus connus :
- anandamide, agoniste partiel comme le THC sauf que le THC va rester fixer
longtemps sur les récepteurs CB1 alors que l’anandamide va percuter les
récepteurs CB1 mais va rester relativement peu de temps
- 2 arachidonylglycérol (2AG) qui est un full agoniste des CB1
Ce système endocannabinoïde va moduler les neurotransmetteurs qui existent
déjà physiologiquement et particulièrement les récepteurs gabaergiques qui sont
des modulateurs du SNC (système nerveux central) de type privatif (alors que le
glutamate est un neurotransmetteur excitateur) ; il va moduler également la
dopamine de façon très importante et aussi d’autres monoamines.
Voici le schéma d’une synapse gabaergique qui va transmettre une information
dans le sens d’une sédation. Voilà le récepteur gabaergique qui va dans la fente
synaptique pour délivrer le gaba qui va se fixer et exciter le neurone post
synaptique qui va lui-même avoir une action sur d’autres systèmes de
neurotransmetteurs. Et bien, une fois que le gaba va arriver ici en post
synaptique, il va activer le système endocannabinoïde et ce système va être un
système de rétro contrôle, d’inhibition rétro active du neurone pré synaptique.
Autrement dit et c’est vrai pour les autres neurotransmetteurs, une fois qu’il y a
neurotransmission d’un neuro transmetteur, cela va activer le système
endocannabinoïde qui va freiner le système pour ne pas qu’il s’emballe.
Il y a une difficulté qui fait l’objet de pas mal d’études : comment se fait-il que le
cannabis active les systèmes de récompense dopaminergiques ?
Le THC, qui va activer les CB1, va en fait augmenter la neurotransmission de
dopamine, notamment dans l’ATV (aire tegmentale ventrale) de l’hypothalamus,
le striatum qui contient le noyau accumbens (structure cérébrale grosse comme
une tête d’épingle) et qui donne cette euphorie quand on consomme la substance.
L’activation sera similaire à celle que l’on trouve avec l’alcool, les amphétamines,
l’alcool, l’héroïne et la cocaïne, peut-être dans des dimensions moindres mais de
façon significative.
La difficulté des études et ce que les neurobiologistes n’arrivent pas à
comprendre, c’est comment se fait-il que le système endocannabinoïde qui
module le système dopaminergique entraine ce genre de choses puisque
justement ça module. Alors pour l’instant on n’a pas d’explications !
L’hypothèse est que cela passerait par des récepteurs gaba et pas directement par
des récepteurs dopaminergiques mais là, cette question là n’est pas élucidée
Le système endocannabinoïde est un système qui permet en général d’ajuster
l’activité neuronale et il pourrait jouer un rôle important dans l’ajustement
émotionnel et comportemental via peut-être, mais on n’a pas de certitude,
notamment dans des situations de stress parce qu’il y a des interactions entre
système endocannabinoïde et système de stress, c’est à dire l’axe hypothalamohypophyso-surrénalien
2. Qu’est ce que cela signifie en terme de dépendance ?
La dépendance au cannabis est une réalité et cela concerne à peu près, dans les
pays européen et les US où cela a été fait, 1 % de la population à un moment
donné de sa vie sur la vie entière. Alors ce n’est pas complètement négligeable à
comparer au 3,5 % de sujets de la population générale qui présente une alcoolo
dépendance donc c’est quelque chose de relativement courant même si les sujets
ne vont pas nécessairement et spécifiquement consulter pour ça.
La dépendance au cannabis a les mêmes critères que pour les autres substances
et c’est surtout, dans la nouvelle classification du DSM V, marqué par le craving
qui est cette envie irrésistible de consommer alors même que l’on sait que la
consommation va entrainer des … et puis le DSM V a introduit le syndrome de
sevrage au cannabis qui est caractérisé par au moins trois des manifestations
suivantes :
- irritabilité
- colère
- agressivité
- nervosité
- anxiété
- troubles du sommeil
- appétit diminué ou augmenté, ou perte de poids
- agitation
- humeur dysphorique
- symptômes somatiques
Ces signes sont assez proches des signes de sevrage du tabac auquel il est
entièrement associé
Alors en terme de dépendance et de neurobiologie, il y a une très belle étude qui
vient de paraître financée par le NIH (l’équivalent de l’INSERM aux US) et qui a
montré l’adaptation des récepteurs CB1 chez un fumeur de cannabis dépendant
Que se passe-t-il dans son cerveau ? Et bien il se passe ce qui se passe très
souvent dans le cerveau quand il y a un apport exogène d’une substance, ce que
les pharmacologue appellent le « down regulation », c’est –à-dire, que plus on a
un apport exogène de substance, plus le cerveau va réagir en internalisant ces
récepteurs, c’est-à-dire en les faisant disparaître : plus il va y avoir une exposition
importante au cannabis, plus la densité des récepteurs cannabinoïdes va être
faible dans le cerveau.
C’est le même système que les récepteurs opiacés. Plus il y a de substances
opioïdes, plus la densité des récepteurs mu va être faible et c’est ce qui se passe
dans le schéma et qui est coloré en jaune : c’est la visualisation de la perte de
densité de récepteurs CB1 : il y en a beaucoup et partout au niveau du cortex
frontal mais aussi du système limbique et on peut visualiser cette « down
regulation » des récepteurs CB1 en imagerie fonctionnelle, en IRM fonctionnel.
3. Du point de vue neurobiologique, quels vont être les effets du cannabis à
long terme ?
On va retrouver des choses similaires à ce que disait Michel Underner pour le
poumon avec beaucoup d’études contradictoires : il y a des études longitudinales
qui retrouvent que le cannabis a peu d’action sur le cerveau et d’autres qui disent
qu’il y a beaucoup de choses. Cela peu paraître contradictoire, mais ce qui doit
être pris en compte, c’est la dose et quand on regarde les études qui ont pris des
utilisateurs occasionnels, généralement les études ne montrent pas grand chose,
en revanche chez les utilisateurs chroniques et fortement dépendants, alors là
effectivement on trouve des altérations neurobiologiques et ça, je pense que c’est
important de bien faire attention dans les études à comment est défini le
consommateur parce que ce n’est pas du tout la même chose : il y a plein d’études
où on voit que le cannabis n’entraine pas d’effet respiratoire ou neurobiologique
mais quand on regarde bien , les sujets ne fument en moyenne qu’une fois par
semaine et ce n’est pas du tout la même chose que les sujets qui fument au moins
une fois par jour et après dix ans. Alors il y a un certain nombre de revues
systématiques de la littérature et de méta analyses qui ont été faites sur toutes les
études d’imagerie qui ont étudié de façon cas témoin (car il y a peu d’études
longitudinales) les rapports entre le cannabis et le cerveau
Alors dans cette méta analyse récente de 14 études, on montre que, en cas de
consommation prolongée et importante (les études commencent à partir de 1
joint par jour et après 10 ans), on retrouve effectivement des altérations qui sont
dans les régions riches en récepteurs CB1 et tout particulièrement dans
l’hippocampe, c’est à dire un des centres de la mémoire et cela correspond aux
troubles cognitifs de la mémoire épisodique et de la mémoire de travail qui sont
rencontrés chez les sujets. Alors l’effet est faible mais réel d’un point de vue
statistique.
Alors par exemple, une des études qui va dans le sens d’une perte de substance
grise au niveau cérébral chez les consommateurs de cannabis qui avait consommé
au moins trois joints par jour pendant plus de dix ans : l’imagerie retrouve une
diminution de 12 % en moyenne de la substance grise hippocampique.
Les choses sont un peu contradictoires car il y a une étude qui est parue
récemment qui montre en imagerie fonctionnelle par DTI (Imagerie de Tenseur
de Diffusion) qui va visualiser la substance blanche et pas seulement la substance
grise et qui indique que même des sujets qui vont fumer de manière occasionnelle
vont avoir quelques petites anomalies au niveau de l’hippocampe, au niveau de la
substance blanche, qui ne sont pas visibles en IRM traditionnelle qui étudie
structurellement la substance grise. Donc peut être bien que, quand même, on
voit avec les nouvelles techniques plus sophistiquées actuelles, des petites
anomalies survenant chez des sujets même consommateurs occasionnels, par
rapport aux sujets ne consommant pas du tout.
Ces derniers temps il y a beaucoup d’études qui vont paraître la dessus, par
exemple, celle-ci qui est parue dans PNAS (Proceedings of the National Academy
of Sciences) qui est une revue de l’académie des sciences américaines et qui
retrouve une diminution également de la substance grise au niveau du cortex
orbito frontal chez des sujets dépendants au cannabis et pas seulement
consommateurs occasionnels et (c’est une étude multimodale c’est à dire qui va
étudier à la fois la structure, la fonctionnalité et la substance blanche à plusieurs
niveaux) qui va retrouver aussi des systèmes de compensation au niveau d’hyper
connectivité au niveau de la substance blanche pour compenser certains déficits
structuraux et fonctionnels, frontaux notamment.
Et puis au niveau des cliniques, notre équipe avait montré que chez les sujets
consommateurs de cannabis, mais des sujets qui sont fortement dépendants, la
moyenne dans notre centre étant de 7 joints par jour pendant 10 ans, aussi ils ont
beaucoup de facteurs de risque d’avoir des problèmes : quand on fait des tests
des signes neurologiques mineurs, qui sont des signes d’intégration sensorielle,
les fumeurs de cannabis ont plus de signes neurologiques mineurs par rapport
aux sujets témoins.
4. Je voudrais dire un mot spécifiquement sur l’adolescence
Car le cannabis, comme le tabac et comme toutes les substances est généralement
consommé au début, à l’adolescence.
La consommation de cannabis avait tendance à baisser ces dernières années : elle
avait atteint un maximum au début des années 2000 (la moitié des jeunes
français âgés de 17 ans , lors de la journée de préparation à la défense, avait
expérimenté au moins une fois le cannabis), puis c’était descendu dans la fin des
années 2000 et c’est remonté à 48 % en 2014 et cela devient préoccupant avec un
âge d’initiation en moyenne à 15 ans (statistiques de l’OFDT) avec l’âge de 14 ans
pour le tabac et âge de 15 ans pour la première ivresse. Les sujets commencent
très tôt et on sait (je ne vais pas détailler les études) que plus la consommation
est précoce, plus le risque de dépendance ultérieur est important. C’est la même
chose d’ailleurs pour d’autres substances (alcool, tabac) et le risque de
dépendance à d’autres substances est également augmenté. C’est important au
niveau des troubles cognitifs dont je vous ai parlé tout à l’heure, notamment
troubles de l’attention et concentration, mémoire et fonctions exécutives et le
facteur le plus important qui va influencer ces troubles cognitifs va être la
précocité de la consommation plus que la dose, même si la dose est aussi
importante. L’effet délétère sur les fonctions cognitives est surtout présent si on
fume avant 15 ans. Cela a bien été montré chez l’animal (équipe INSERM de Ste
Anne) : si on expose des animaux, des rats, à l’adolescence et qu’on ne les expose
plus à l’âge adulte, ils vont garder des troubles cognitifs qui n’existeraient pas si
on les expose à l’âge adulte et pas à l’adolescence.
C’est pareil, on a des choses relativement analogues en ce qui concerne la
schizophrénie, vous savez que la consommation de cannabis augmente l’incidence
très légèrement mais de façon significative, augmente le risque (il n’y a pas de
relation de causalité) de schizophrénie par 2 et que un des éléments les plus
importants c’est la précocité : plus la consommation est précoce et plus le risque
augmente et plus on consomme plus le risque augmente et il y a un autre effet qui
sont les ATC familiaux avec un risque important s’il y a plusieurs éléments (chez
un jeune qui fume du cannabis et chez qui on se pose la question, les facteurs de
risque à rechercher sont donc la dose, la précocité de la consommation et les
antécédents psychotiques )
D’un point de vue neurobiologique, l’initiation se fait à l’adolescence, la
maturation se fait au maximum à l’adolescence et sur l’ensemble du cerveau, il y a
une augmentation de la substance blanche en rapport avec une myélinisation des
connections inter hémisphériques et cortico sous corticales et donc là le système
endocannabinoïde a un rôle très important car outre le rôle de modulation des
autres neuro transmetteurs, il joue un rôle dans la régulation de la douleur, dans
l’équilibre, et dans les phénomènes de mémorisation. Il va avoir un rôle très
important pour faciliter le développement cérébral à l’adolescence.
Il aura un rôle important aussi lors de la gestation : comme vous le voyez sur le
schéma, le 2AG et l’anandamide ont leur maximum d’activité lors de la gestation
suivie d’une période de quiescence et puis à l’adolescence augmentation de
l’activité de ce système régulateur. Et l’influence du système endocannabinoïde
sur le développement des neurones se fait sentir à plusieurs niveaux
- sur la prolifération des neurones
- sur la migration
- sur la différenciation
- sur la morphogénèse et la synaptogénèse des neurones
- sur l’arborisation dendritique, c’est à dire le phénomène de « pruning »
- sur l’élongation et l’élagage et tout particulièrement et c’est ce qui nous
intéresse (ce qui ressort le plus dans les études), c’est le phénomène
d’élagage synaptique qui correspond à ce que les neurobiologistes
appellent le « sprouting », c’est à dire : quand il y a une expansion
neuronale lors de l’adolescence, il y a aussi un phénomène d’élagage
simultané qui correspond à la perte de dendrites pour les neurones qui ne
sont pas fonctionnels et il y en a énormément (30 000 synapses
disparaissent physiologiquement par seconde pendant la période de
l’adolescence).
Et bien le système endocannabinoïde va faciliter ce phénomène physiologique ce
qui fait qu’il y a élimination des dendrites et des synapses qui ne sont pas
fonctionnelles. Le THC va jouer essentiellement à ce niveau là (d’après ce que
suggèrent les dernières études) en se fixant sur le système endocannabinoïde en
lieu et place de l’anandamide et comme je vous l’ai dit tout à l’heure, il va se fixer
en restant beaucoup plus longtemps que l’anandamide et va perturber le système
physiologique et le développement cérébral normal et c’est comme cela que l’on
suppose qu’il y a des effets nocifs du cannabis chez les jeunes mais beaucoup de
questions ne sont pas résolues :
- tous les jeunes, exposés au cannabis, ne vont pas faire des complications
notamment psychotiques, mais une bonne majorité va avoir des troubles
cognitifs quand même, sur l’apprentissage ce qui va favoriser l’échec
scolaire, sauf qu’il n’y a pas d’études qui le mesurent précisément (c’est
extrêmement compliqué à faire !)
- on ne sait pas exactement comment ça marche sur la dépendance, et il y a
beaucoup de travaux actuellement dans les laboratoires autour du monde
et notamment en Californie chez Suzan Lapert ( ?) qui travaillent beaucoup
sur ce thème de « comment ça fonctionne et quel est l’impact exact du THC
sur le développement cérébral ». Tous les sujets ne sont pas égaux pour les
drogues : certaines personnes sont plus vulnérables et il y en a d’autres qui
ne le sont pas et ça on ne peut pas dire comment ça marche aujourd’hui
Ce qu’on sait, c’est que chez les adolescents, ce système là va être
particulièrement important au niveau du cortex frontal qui est le cortex des
fonctions exécutives : c’est lui qui permet de planifier nos actions, notamment
dans l’inscription dans le temps
Par ex : aujourd’hui je vous fais un topo, après je vais prendre le train ; cet
après midi, j’ai un jury de thèse et ce soir je vais faire des courses parce que
je reçois des amis à manger parce qu’on va parler de nos vacances futures.
Quand je fais ça, j’anticipe et je planifie et donc je vais réaliser toutes ces
actions et si, par ex, j’ai oublié quelque chose en faisant des courses,
j’appelle la maison donc j’adapte cette planification à un environnement qui
peut changer.
Et c’est ce qu’on appelle les fonctions exécutives et ce sont celles-ci qui sont
altérées par la consommation de cannabis et tout particulièrement en ce qui
concerne l’estimation du temps : le cannabis entraine des distorsions d’estimation
du temps. Or c’est très important dans la planification du temps et c’est ce qui fait
que les sujets perdent progressivement une estimation à peu près correcte du
temps avec une temporalité qui n’est pas tout à fait la même. Nous, nous avons
clairement un passé ancien, un passé proche, un présent, un futur proche, un
futur lointain : tout cela se déroule de façon parfaitement linéaire chez nous et
parfaitement claire. Chez un certain nombre de sujets, ce n’est pas du tout le cas,
et quand on fume du cannabis, cela va altérer encore plus les perturbations si
elles existent déjà.
Donc la maturation des circuits limbiques et des connections avec le cortex pré
frontal au cours de l’adolescence risquent d’être altérée par la prise de cannabis
de même que la prise de décision, la résolution de problèmes difficiles,
l’adaptation du comportement aux situations et une moindre prise de risques.
5. En pratique, à quoi est ce que cela peut aboutir ?
Et bien, on est très embêté car il n’existe pas de médicaments spécifiques de
l’addiction au cannabis comme il existe les substituts nicotiniques, la varénicline
ou le bupropion pour le tabac, alors j’ai repris cette méta analyse de la Cochrane
qui a relevé toutes les études qui ont étudié spécifiquement un certain nombre de
molécules dans l’addiction au cannabis. Vous voyez, il y en a beaucoup qui ont
essayé les antidépresseurs, spécifiques de la sérotonine ou de la noradrénaline, le
bupropion, les anticonvulsivants, la buspirone, etc… Et en fait toutes ces études
sont négatives, il n’y a pas d’effet sur l’addiction au cannabis.
Existe-t-il une substitution ? Pourquoi pas faire comme le tabac ou les opiacés,
une substitution du THC ?
Deux études, en fait une seule étude qui a des résultats méthodologiquement
fiables (étude de Levin ( ?)) et qui montre que le dronabinol pourrait avoir un
intérêt : il n’est pas commercialisé en France et il n’est commercialisé nulle part
d’ailleurs parce que c’est du THC.
Donc, il n’y a pas de traitement pharmacologique ce qui est ennuyeux pour nous
et bien qu’on connaisse mieux la neurobiologie des systèmes endocannabinoïdes,
il n’y a pas de traitement qui a fait la preuve de son efficacité sur un grand
nombre de patients pour diminuer l’appétence au cannabis et aucun traitement
de substitution
Il n’y a que deux études préliminaires en double aveugle contre placebo qui aient
de façon formelle prouvée l’efficacité
• N acétyle cystéine (Mucomyst) à fortes doses qui diminuerait la
consommation de sujets. Cela diminue, ce n’est pas un effet majeur et
il n’y a qu’une étude, elle n’est pas répliquée et j’ai essayé, ce n’est pas
miraculeux mais pourquoi pas ?
• et l’autre c’est la gabapentine (Neurontin) qui montre, là j’ai trouvé,
en effet un intérêt
Alors pour conclure ce qui apparaît maintenant ce sont les cannabinoïdes de
synthèse, notamment le Spice ou K2, qui sont très facilement disponibles sur
internet où on peut les acheter très facilement et ils ont une affinité 5 à 50 fois
supérieure pour les récepteurs cannabinoïdes CB1
Donc on peut supposer qu’il peut y avoir des effets nocifs par exemple
pulmonaires mais aussi cérébraux, par exemple des idées délirants aigues avec ce
type de produit. Ils sont apparus depuis les années 2007, 2008 et là, on
commence à voir une montée en puissance extrêmement forte.
Si vous voulez avoir une idée, vous tapez ? ou Spice ou K2 sur Google et vous avez
tout ce que vous voulez en 30 secondes
Beaucoup de sujets les utilisent parce qu’ils ne sont pas détectables par les tests
de dépistage du cannabis
On ne sait pas trop ce que cela va donner mais cela arrive !!!
Je vous remercie de votre attention

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