Faut-il avoir peur des sucres chez l`enfant

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Faut-il avoir peur des sucres chez l`enfant
réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012
Le dossier
Risques alimentaires chez l’enfant
Faut-il avoir peur des sucres
chez l’enfant ?
Résumé : L’excès de sucres chez l’enfant occasionne une véritable peur phobique chez un grand nombre de
parents et de professionnels de santé, notamment en raison du risque d’obésité qu’il ferait encourir.
Dans cet article, chacun des arguments motivant cette peur est analysé en se basant sur les données objectives
de la littérature scientifique. Il résulte de cette analyse que la peur des sucres est clairement démesurée chez
l’enfant. Quant à leur surconsommation, parfois rapportée chez les enfants obèses, elle est la conséquence des
ingesta accrus de ces enfants, mais en aucun cas la cause de la maladie.
P
our votre santé, évitez de manger
trop sucré”. Ce célèbre slogan
du PNNS est maintenant bien
connu dans notre pays. Il n’est donc pas
impossible qu’il contribue à majorer la
peur du sucre chez beaucoup de parents,
et nombreux sont ceux qui, notamment
dans les milieux favorisés, le restreignent chez leurs enfants, convaincus de
sa potentielle nocivité.
“
➞p. tounian
Service de Nutrition et
Gastroentérologie Pédiatriques,
Hôpital Armand-Trousseau,
PARIS.
S’il est indéniable qu’un excès de produits sucrés risque de provoquer un
déséquilibre alimentaire préjudiciable,
les raisons habituelles qui motivent la
peur des sucres chez l’enfant sont le plus
souvent injustifiées.
[ Les sucres : de quoi s’agit-il ?
L’appellation “sucres” est traditionnellement réservée aux mono- et disaccharides ayant une saveur sucrée. Elle
désigne donc le saccharose (ou sucre au
singulier), le glucose et le fructose. Le
pouvoir sucrant du saccharose est arbitrairement fixé à 1, ceux du glucose et
du fructose étant respectivement de 0,7
et 1,3.
On trouve ces glucides dans des produits naturels (fruits, légumes, miel)
ou sous forme de sucres ajoutés dans
certains aliments ou boissons. Dans ce
dernier cas, il s’agit principalement du
saccharose extrait de la betterave ou de
la canne à sucre, mais également des
sirops de glucose et/ou de fructose.
Les sirops de glucose sont obtenus
par hydrolyse de l’amidon de blé ou
de maïs. Une partie du glucose de ces
sirops peut être isomérisée en fructose
pour obtenir du sirop de glucose/fructose contenant habituellement 45 %
de glucose et 55 % de fructose, c’està-dire pratiquement les mêmes proportions que dans le saccharose. Une
telle conversion a pour but d’accroître
le pouvoir sucrant de ces sirops. Les
sirops de fructose sont aussi connus
sous le nom de High Fructose Corn
Syrup (HFCS).
avoir peur d’habituer
[ Funaut-il
enfant au goût sucré ?
Tous les nouveau-nés ont une préférence
innée pour la saveur sucrée qui s’estompe en partie dans la petite enfance
[1]. La pérennisation de cette appétence
innée, voire sa majoration par l’exposition exagérée du nourrisson à des produits sucrés, est une question qui mérite
incontestablement d’être posée.
1
réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012
Le dossier
Risques alimentaires chez l’enfant
Les préférences alimentaires demeurent sensiblement identiques de la
petite enfance jusqu’au début de l’âge
adulte [2]. Une éducation du goût est
par ailleurs possible chez l’enfant à
condition de lui proposer à de nombreuses reprises le même aliment. En
effet, des enfants soumis à l’exposition
répétée d’un même aliment salé, sucré,
ou nature préfèrent quelques semaines
plus tard la version à laquelle ils ont
été exposés, alors que les trois versions
leur sont proposées [3]. Il est donc possible d’imaginer qu’un enfant habitué très tôt au goût sucré conservera
cette appétence au cours des décennies suivantes. Il peut néanmoins ne
s’agir que d’une simple familiarisation propre à un aliment donné, non
extrapolable aux autres aliments. Un
enfant peut ainsi préférer consommer
des yaourts natures mais être singulièrement attiré par les produits sucrés.
Cette hypothèse est loin d’être stupide
dans la mesure où les enfants dont les
parents restreignent la consommation
de sucres expriment une préférence
accrue pour les boissons les plus
sucrées lorsqu’ils sont laissés libres
de leur choix, comparés aux enfants
n’ayant été soumis à aucune restriction [4].
S’il est certain que la manière d’alimenter un enfant est susceptible de lui inculquer certaines habitudes gustatives, les
préférences alimentaires d’un individu
semblent davantage régies par les variations génétiques des récepteurs du goût.
Les molécules sucrées sont détectées
au niveau de la langue par deux récepteurs : T1R2 et T1R3 pour taste receptor, type 1 et, respectivement, member
2 et 3. Un polymorphisme génétique du
gène codant pour l’un de ces récepteurs
(TAS1R2) a été récemment associé à la
consommation de sucres, notamment
chez les sujets en surcharge pondérale
[5]. Des études sont encore nécessaires
pour déterminer le rôle précis de ces
variations génétiques dans l’attirance
pour le goût sucré, mais les études de
2
jumeaux montrent que la composante
génétique est probablement prééminente [6].
Contrairement à une pensée largement répandue, il n’y a pas non plus
d’addiction aux sucres [7]. L’addiction
signifie l’existence d’une dépendance
physique caractérisée par des manifestations de tolérance entraînant
des besoins de plus en plus conséquents pour obtenir le même effet,
et des symptômes de sevrage lorsque
l’individu est privé de la substance
en question. Elle conduit donc à un
comportement cherchant à se procurer de manière incontrôlable la
substance dont on est dépendant.
Les sucres ne suscitent aucun de ces
signes physiques ou comportementaux [7]. Donc, si l’ingestion de sucre
produit effectivement un plaisir qui
partage les mêmes voies cérébrales
que celui induit par la consommation
de certaines drogues (nicotine, alcool),
aucun élément ne permet d’affirmer
que les sucres en partagent également
la dépendance toxicomaniaque.
Tous ces arguments sont plutôt rassurants sur le risque potentiel d’habituer
un enfant au goût sucré en lui proposant
trop de produits sucrés. Et même si une
telle attitude majorait effectivement
l’appétence de l’enfant pour la saveur
sucrée pour le restant de ses jours, une
telle préférence gustative n’est associée
à aucun risque particulier. Elle n’est en
effet reliée ni à une surconsommation
énergétique [8], ni à une tendance au
grignotage interprandial [9], ni surtout
à un risque accru d’obésité [10]. Au
contraire, la consommation de produits
sucrés a plutôt un effet satiétogène [11]
et les individus minces ont plus souvent
une préférence pour le goût sucré que les
obèses [12].
Il faut donc savoir rassurer les parents
qui redoutent d’habituer leur enfant au
goût sucré et restreignent de manière
exagérée la consommation de produits
sucrés ou l’ajout de sucre dans les mets
qu’ils leur proposent. On peut même
les encourager à ajouter un peu de sucre
dans certains aliments qu’ils donnent
à leurs enfants, comme les produits
laitiers ou certaines compotes de fruits
acides, si cela permet qu’ils soient mieux
acceptés [13]. Cela ne signifie toutefois
pas que les produits sucrés peuvent être
proposés à volonté aux enfants, une telle
attitude est au contraire à proscrire, car
elle risquerait de déséquilibrer leur alimentation et d’entraîner des carences.
[ Faut-il avoir peur du fructose ?
Le fructose est un isomère du glucose.
Il se différencie de ce dernier par un
pouvoir sucrant deux fois plus élevé,
une captation cellulaire indépendante
de l’insuline, un métabolisme quasi
exclusivement hépatique (avec augmentation de la production de VLDL),
une lipogenèse plus importante et
un index glycémique plus bas (19 vs
100) [14]. En raison de ce métabolisme
particulier, il a été accusé d’entraîner,
chez l’adulte, une hypertriglycéridémie, une hyperuricémie, une insulinorésistance, et de favoriser l’obésité [14]. Le seuil à partir duquel ces
risques deviennent significatifs à été
fixé à 100 g/j [14], soit l’équivalent de
2 litres de Coca-Cola ou 1,5 litre de jus
de pomme sans sucres ajoutés par jour.
Qu’en est-il chez l’enfant ?
L’hypertriglycéridémie, l’hyperuricémie et l’insulinorésistance que le fructose est susceptible d’induire n’ont pas
les mêmes conséquences chez l’enfant.
D’abord parce qu’il est rare que l’enfant soit capable d’ingérer suffisamment de fructose pour atteindre un
seuil critique. Mais aussi parce que ces
troubles métaboliques n’accroissent pas
les risques vasculaires, de diabète ou de
goutte à cet âge.
Le lien entre consommation de fructose
et obésité a été établi sur des arguments
réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012
épidémiologiques et métaboliques.
Aux Etats-Unis, l’augmentation parallèle entre la consommation de fructose (notamment sous forme de HFCS)
et la prévalence de l’obésité a conduit
à suggérer un lien entre ces deux phénomènes [15]. Si la consommation de
fructose, surtout sous forme de sucres
ajoutés, a effectivement crû de 15 %
entre 1970 et 2006, les consommations de graisses ajoutées, de féculents
et de calories totales ingérées ont également augmenté de respectivement
55 %, 42 % et 24 % au cours de la
même période [14]. Le fructose a donc
effectivement contribué à accroître les
ingesta énergétiques des Américains,
mais plutôt moins que les autres nutriments. La lipogenèse, c’est-à-dire la
synthèse d’acides gras, est plus importante avec le fructose qu’elle ne l’est
avec le glucose [16, 17]. La lipogenèse
à partir des glucides est cependant un
processus biochimique consommant
beaucoup d’énergie et aboutissant donc
à un bilan lipidique quasi nul. En effet,
pour synthétiser une molécule d’acide
gras à partir du fructose ou du glucose,
il est nécessaire d’oxyder une autre
molécule d’acide gras pour fournir
l’énergie nécessaire à cette transformation. Donc, même si le pouvoir lipogénique du fructose est supérieur à celui
du glucose, il demeure tout à fait négligeable [16]. La participation potentielle
du fructose dans l’augmentation de la
masse grasse d’un enfant prédisposé à
devenir obèse est donc infime.
La peur du fructose est donc difficile à
légitimer chez l’enfant. Cependant, la
palatabilité accrue qu’il confère aux aliments qui en contiennent peut en faire
des cibles privilégiées pour les enfants
prédisposés à devenir obèses et expliquer ainsi la plus grande consommation
de fructose rapportée par certains chez
ces enfants [18]. Mais les arguments qui
viennent d’être développés démontrent
qu’il est scientifiquement inexact de
penser que le lien de cause à effet puisse
exister dans l’autre sens.
[
F aut-il avoir davantage peur
des sucres simples
que des sucres complexes ?
S’il est traditionnellement conseillé de
réduire la consommation des sucres
simples (lactose exclu), celle des glucides complexes est au contraire encouragée avec comme argument principal
la prévention de l’obésité [19]. Quel que
soit le type de glucide ingéré, seuls le
glucose et le fructose sont absorbés par
l’intestin (nous ne parlerons pas du
galactose). Les glucides complexes ne
contiennent pas de fructose (à l’exception de l’insuline qui ne peut cependant
être hydrolysée dans la lumière intestinale). Il s’agit donc là d’une importante
différence avec les sucres simples, mais
on vient de voir que le fructose n’était
pas particulièrement délétère chez l’enfant. En revanche, il n’y a aucune différence entre le glucose provenant d’un
sucre simple et celui issu d’un glucide
complexe. Donc, en dehors du fructose,
les éventuelles disparités entre ces deux
types de glucides se situent en amont de
l’absorption intestinale. Analysons-les
pour voir si les recommandations précédemment évoquées sont justifiées.
1. Saveur sucrée
La saveur sucrée des glucides simples
les distingue des glucides complexes. La
palatabilité accrue que confère ce goût
sucré pourrait favoriser la surconsommation des sucres simples et conduire
ainsi à un excès de calories ingérées.
Certains travaux montrent effectivement que les enfants obèses consomment davantage de sucres simples que
leurs congénères de poids normal [20].
Il est cependant fort probable que cette
différence soit la conséquence de l’hyperphagie relative des enfants obèses
et non la cause de la surconsommation
énergétique. Il a en effet été démontré
dans une étude prospective que la qualité des glucides consommés n’influait
pas sur l’évolution de la composition
corporelle chez les enfants non prédis-
posés à l’obésité [21]. Les enfants obèses
sont programmés pour avoir des ingesta
accrus et on peut tout à fait concevoir
qu’ils soient davantage attirés par les
produits sucrés pour satisfaire plus
agréablement leurs besoins augmentés.
L’excès de glucides simples parfois constaté chez les enfants obèses n’est donc
pas la cause mais la conséquence de leur
surcharge pondérale [22].
2. Index glycémique
Les sucres simples sont censés avoir un
index glycémique plus élevé que celui
des glucides complexes, ce qui signifie
que le pic de glycémie postprandial est
plus élevé, mais l’élévation de la glycémie se prolonge moins longtemps.
Dans la mesure où la prolongation de
la glycémie postprandiale allongerait
la durée du rassasiement [23], certains
auteurs suggèrent que les aliments à fort
index glycémique pourraient favoriser
une surconsommation énergétique, et
donc une surcharge pondérale, en raccourcissant la satiété postprandiale [24].
Cette opinion, largement répandue, est
en fait erronée pour trois raisons. En
premier lieu, les déterminants de l’index glycémique d’un aliment donné sont
multiples et les réduire à la longueur de
la chaîne glucidique est simpliste. La
nature de l’amidon, sa préparation culinaire et le temps de mastication influent
sur l’index glycémique des glucides
complexes. Les aliments avec lesquels
sont consommés les sucres simples peuvent également diminuer leur index glycémique. Deuxièmement, la notion d’index glycémique ne peut être dissociée de
la charge glucidique ingérée. Une grande
quantité de sucres simples ingurgitée
augmentera la glycémie postprandiale
bien plus longtemps qu’un faible volume
de glucides complexes. Enfin, même s’il
était vrai que le temps de rassasiement
était plus court après ingestion de sucres
simples, les centres hypothalamiques
qui régissent la régulation du poids intègrent ces données et adaptent la dépense
énergétique de repos et les ingesta au
3
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Le dossier
Risques alimentaires chez l’enfant
cours des repas suivants pour s’opposer
à toute dérive pondérale [25]. L’index
glycémique d’un aliment n’a donc pas
d’influence sur l’évolution du poids à
long terme [21]. Il est donc inopportun
d’accuser l’index glycémique élevé des
sucres simples de favoriser la survenue
d’une surcharge pondérale chez l’enfant.
3. Formes liquide et solide
L’ingestion des sucres sous forme liquide plutôt que solide a été accusée
de favoriser l’apparition d’une obésité
chez l’enfant [18]. L’hypothèse avancée
était que les centres de régulation de la
prise alimentaire étaient leurrés par la
forme liquide sous laquelle les calories
étaient ingérées et ne les prenaient pas
bien en compte dans le bilan énergétique qu’ils sont censés contrôler [18].
D’autres auteurs ont confirmé le lien
entre consommation de boissons sucrées
et obésité de l’enfant [26, 27]. Comme
pour les aliments à fort index glycémique, si les centres contrôlant la prise
alimentaire étaient effectivement susceptibles d’être trompés sur le court terme,
une adaptation surviendrait à plus long
terme pour compenser l’éventuel excédent énergétique ingéré [25]. L’argument
d’une défaillance prolongée du pondérostat liée à la forme liquide de l’apport
énergétique n’est donc pas plausible. Il
est néanmoins tout à fait imaginable que
la consommation de boissons sucrées
soit véritablement augmentée chez les
enfants obèses, mais il s’agit là encore non
pas de la cause mais de la conséquence
des ingesta accrus induits par l’obésité.
La forte palatabilité des boissons sucrées
explique l’attraction particulière qu’elles
peuvent provoquer chez ces enfants. Il
faut cependant signaler que la relation
entre une consommation excessive de
boisson sucrées et l’obésité de l’enfant
est sérieusement contestée [28, 29].
4. En conclusion
L’ensemble de ces arguments démontre
que le combat engagé contre les sucres
4
simples au profit des glucides complexes dans l’objectif de lutter contre
l’obésité de l’enfant n’est pas vraiment
légitime. Ni leur contenu en fructose, ni
leur saveur sucrée, ni leur index glycémique plus élevé, ni leur présentation
sous forme liquide ne peuvent favoriser
l’apparition d’une surcharge pondérale
chez un enfant non prédisposé. Quant au
glucose qui en est issu après absorption
intestinale, il fournira toujours 4 calories, qu’il provienne d’un féculent ou
d’une boisson sucrée. Un enfant obèse
cherchant à réduire son excès pondéral devra donc autant limiter les sucres
simples que les glucides complexes.
avoir peur
[ Fdesaut-il
sucres ajoutés ?
En 2004, un rapport de l’Afssa a dénoncé
le caractère nocif pour la santé des sucres
ajoutés [30] et entraîné une défiance
particulière à leur égard. Profitant de
cette aubaine, les industriels en ont fait
un argument commercial en signalant
ostentatoirement sur l’étiquetage de
certains de leurs produits l’absence de
sucres ajoutés. Il s’agit malheureusement
d’une maladresse scientifique ayant
conduit à des effets pervers.
Parmi les sucres ajoutés, le sirop de
glucose-fructose (HFCS) est celui qui
est le plus décrié [15], peut-être parce
qu’il est issu d’un procédé industriel
(cf. supra), contrairement au saccharose
directement extrait de la betterave ou
de la canne à sucre. Les données scientifiques montrent pourtant que les effets
des HFCS sur la glycémie, l’insulinémie,
la triglycéridémie, la satiété ou la prise
alimentaire sont identiques à ceux du
saccharose [14]. Ces résultats ne sont
pas surprenants dans la mesure où les
compositions moléculaires des HFCS
et du saccharose sont quasi identiques.
Les auteurs les plus sérieux dénoncent
d’ailleurs le manque de preuves pour
justifier de telles critiques [31, 32].
Le devenir dans l’organisme des sucres
ajoutés est exactement le même que
celui des glucides naturellement présents dans les fruits, dans la mesure
où il s’agit des mêmes molécules (glucose, fructose). Dénoncer le caractère
délétère des premiers et encourager la
consommation des seconds est donc
paradoxal ! Certains tentent de contourner cette évidente contradiction en suggérant que les fibres et micronutriments
apportés par les fruits atténuent l’effet
nocif des sucres qu’ils contiennent [33].
Même si ces phytonutriments ont peutêtre effectivement des effets bénéfiques
– bien que cela reste à démontrer chez
l’enfant – cet argument relève davantage
de la méthode Coué que d’une véritable
démonstration scientifique.
Les sucres ajoutés ont également été
accusés de stimuler la prise alimentaire
et d’entraîner ainsi des ingesta excessifs.
Cette affirmation est erronée à double
titre. Premièrement, lorsqu’on compare
la prise alimentaire suivant l’ingestion
de deux boissons isoénergétiques, l’une
contenant des sucres ajoutés et l’autre
pas, aucune différence n’est mise en
évidence [34]. Deuxièmement, lorsque
l’ajout de sucres entraîne une augmentation de la densité énergétique de l’aliment ou de la boisson qui les contient,
les systèmes de régulation du poids
prennent en compte cet excédent énergétique et régulent en conséquence l’appétit et les dépenses énergétiques pour
éviter toute dérive pondérale [31].
Au-delà de toutes ces contrevérités
scientifiques, plus inquiétants encore
sont les effets pervers que peut avoir
la signalisation de l’absence de sucres
ajoutés sur l’étiquetage des aliments et
boissons. Les parents interprètent cette
information comme l’absence de sucres
nocifs, voire l’absence totale de sucres.
Rassurés par cette restriction apparente,
ils laissent leur enfant consommer ces
produits sans retenue au risque de
déséquilibrer son alimentation. Il est
d’ailleurs important de préciser que bon
nombre de jus de fruits sans sucres ajou-
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Boissons sans
sucres ajoutés
Teneur en glucides
(mg/100 mL)
Boissons avec
sucres ajoutés
Teneur en glucides
(mg/100 mL)
Jus d’orange
9,8
Ice-Tea
7,7
Jus de pomme
10,0
Limonade
9,5
Tropicana pomme-litchi
12,4
Orangina
9,6
Jus d’ananas
12,5
Coca-Cola
11,0
Jus de raisin
16,2
Fanta
12,0
Tableau I : Tableau comparatif des teneurs en glucides de quelques jus de fruits “sans sucres ajoutés” et
de quelques boissons ne comprenant pratiquement que des sucres ajoutés.
tés contiennent autant, voire davantage
de sucres que d’autres boissons ne comprenant pratiquement que des sucres
ajoutés (tableau I), et rappelons qu’il
s’agit des mêmes glucides.
’excès de sucres peut-il
[ Lrendre
un enfant obèse ?
L’obésité de l’enfant est l’expression
phénotypique d’une maladie constitutionnelle entraînant une augmentation
de la prise alimentaire [22]. En d’autres
termes, les ingesta excessifs des enfants
obèses sont avant tout la conséquence de
leur pathologie. Un enfant indemne de
toute prédisposition n’a aucun risque de
devenir obèse, quelle que soit son alimentation. L’excès de sucres ne peut donc pas
rendre obèse un enfant non prédisposé à
le devenir, car il sera compensé par une
diminution adaptative des ingesta. Il peut,
en revanche, déséquilibrer son alimentation et entraîner des carences en réduisant
la consommation des autres nutriments
(fer, calcium, acides gras essentiels) [13].
Il existe même à l’inverse une corrélation négative entre la part relative des
glucides ingérés et le risque d’obésité,
alors que celle des ingesta lipidiques
y est directement corrélée [35]. Ces
résultats peuvent s’expliquer par l’absence de lipogenèse nette à partir des
glucides. Ces derniers ne peuvent donc
être qu’indirectement responsables de
l’inflation de la masse grasse en favorisant le stockage des lipides ingérés
au cours du même repas, alors que les
graisses peuvent directement s’accumuler dans le tissu adipeux lorsqu’elles sont
consommées en excès. Cette corrélation
négative peut également traduire la préférence des enfants minces pour les produits sucrés, alors que les obèses seraient
plutôt attirés par les aliments gras.
avoir peur du risque
[ Fdeaut-il
caries dentaires ?
Un lien entre consommation de sucres et
survenue de caries dentaires est souvent
évoqué [36]. S’il est vrai que les glucides
simples contribuent au développement
des bactéries cariogènes de la plaque
dentaire, une mauvaise hygiène buccodentaire et la prédisposition génétique
aux caries sont des facteurs favorisants
bien plus prééminents [36, 37].
Les sucres peuvent donc favoriser la survenue de caries dentaires chez les enfants
ayant une mauvaise hygiène bucco-dentaire et/ou un fort potentiel cariogène
constitutionnel, mais ils sont pratiquement sans danger pour les autres.
[ Conclusion
A la lumière de toutes ces données, il
semble cohérent d’affirmer que la peur
irraisonnée des sucres chez l’enfant
n’est pas scientifiquement justifiée. Les
risques accrus d’obésité, d’addiction ou
de caries dentaires que les parents, mais
aussi certains professionnels de santé,
évoquent, doivent donc être relativisés.
Mais alors, pourquoi une telle phobie ?
Dans notre culture judéo-chrétienne, les
plaisirs de la bouche sont toujours entachés
d’une certaine culpabilité. Dans la mesure
où l’être humain naît avec une attirance
innée pour le goût sucré, la peur des sucres
ne reflèterait-elle pas tout simplement la
crainte de succomber au péché originel ?
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L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts concernant les données
publiées dans cet article.
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