Faut-il avoir peur des sucres chez l`enfant
Transcription
Faut-il avoir peur des sucres chez l`enfant
réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012 Le dossier Risques alimentaires chez l’enfant Faut-il avoir peur des sucres chez l’enfant ? Résumé : L’excès de sucres chez l’enfant occasionne une véritable peur phobique chez un grand nombre de parents et de professionnels de santé, notamment en raison du risque d’obésité qu’il ferait encourir. Dans cet article, chacun des arguments motivant cette peur est analysé en se basant sur les données objectives de la littérature scientifique. Il résulte de cette analyse que la peur des sucres est clairement démesurée chez l’enfant. Quant à leur surconsommation, parfois rapportée chez les enfants obèses, elle est la conséquence des ingesta accrus de ces enfants, mais en aucun cas la cause de la maladie. P our votre santé, évitez de manger trop sucré”. Ce célèbre slogan du PNNS est maintenant bien connu dans notre pays. Il n’est donc pas impossible qu’il contribue à majorer la peur du sucre chez beaucoup de parents, et nombreux sont ceux qui, notamment dans les milieux favorisés, le restreignent chez leurs enfants, convaincus de sa potentielle nocivité. “ ➞p. tounian Service de Nutrition et Gastroentérologie Pédiatriques, Hôpital Armand-Trousseau, PARIS. S’il est indéniable qu’un excès de produits sucrés risque de provoquer un déséquilibre alimentaire préjudiciable, les raisons habituelles qui motivent la peur des sucres chez l’enfant sont le plus souvent injustifiées. [ Les sucres : de quoi s’agit-il ? L’appellation “sucres” est traditionnellement réservée aux mono- et disaccharides ayant une saveur sucrée. Elle désigne donc le saccharose (ou sucre au singulier), le glucose et le fructose. Le pouvoir sucrant du saccharose est arbitrairement fixé à 1, ceux du glucose et du fructose étant respectivement de 0,7 et 1,3. On trouve ces glucides dans des produits naturels (fruits, légumes, miel) ou sous forme de sucres ajoutés dans certains aliments ou boissons. Dans ce dernier cas, il s’agit principalement du saccharose extrait de la betterave ou de la canne à sucre, mais également des sirops de glucose et/ou de fructose. Les sirops de glucose sont obtenus par hydrolyse de l’amidon de blé ou de maïs. Une partie du glucose de ces sirops peut être isomérisée en fructose pour obtenir du sirop de glucose/fructose contenant habituellement 45 % de glucose et 55 % de fructose, c’està-dire pratiquement les mêmes proportions que dans le saccharose. Une telle conversion a pour but d’accroître le pouvoir sucrant de ces sirops. Les sirops de fructose sont aussi connus sous le nom de High Fructose Corn Syrup (HFCS). avoir peur d’habituer [ Funaut-il enfant au goût sucré ? Tous les nouveau-nés ont une préférence innée pour la saveur sucrée qui s’estompe en partie dans la petite enfance [1]. La pérennisation de cette appétence innée, voire sa majoration par l’exposition exagérée du nourrisson à des produits sucrés, est une question qui mérite incontestablement d’être posée. 1 réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012 Le dossier Risques alimentaires chez l’enfant Les préférences alimentaires demeurent sensiblement identiques de la petite enfance jusqu’au début de l’âge adulte [2]. Une éducation du goût est par ailleurs possible chez l’enfant à condition de lui proposer à de nombreuses reprises le même aliment. En effet, des enfants soumis à l’exposition répétée d’un même aliment salé, sucré, ou nature préfèrent quelques semaines plus tard la version à laquelle ils ont été exposés, alors que les trois versions leur sont proposées [3]. Il est donc possible d’imaginer qu’un enfant habitué très tôt au goût sucré conservera cette appétence au cours des décennies suivantes. Il peut néanmoins ne s’agir que d’une simple familiarisation propre à un aliment donné, non extrapolable aux autres aliments. Un enfant peut ainsi préférer consommer des yaourts natures mais être singulièrement attiré par les produits sucrés. Cette hypothèse est loin d’être stupide dans la mesure où les enfants dont les parents restreignent la consommation de sucres expriment une préférence accrue pour les boissons les plus sucrées lorsqu’ils sont laissés libres de leur choix, comparés aux enfants n’ayant été soumis à aucune restriction [4]. S’il est certain que la manière d’alimenter un enfant est susceptible de lui inculquer certaines habitudes gustatives, les préférences alimentaires d’un individu semblent davantage régies par les variations génétiques des récepteurs du goût. Les molécules sucrées sont détectées au niveau de la langue par deux récepteurs : T1R2 et T1R3 pour taste receptor, type 1 et, respectivement, member 2 et 3. Un polymorphisme génétique du gène codant pour l’un de ces récepteurs (TAS1R2) a été récemment associé à la consommation de sucres, notamment chez les sujets en surcharge pondérale [5]. Des études sont encore nécessaires pour déterminer le rôle précis de ces variations génétiques dans l’attirance pour le goût sucré, mais les études de 2 jumeaux montrent que la composante génétique est probablement prééminente [6]. Contrairement à une pensée largement répandue, il n’y a pas non plus d’addiction aux sucres [7]. L’addiction signifie l’existence d’une dépendance physique caractérisée par des manifestations de tolérance entraînant des besoins de plus en plus conséquents pour obtenir le même effet, et des symptômes de sevrage lorsque l’individu est privé de la substance en question. Elle conduit donc à un comportement cherchant à se procurer de manière incontrôlable la substance dont on est dépendant. Les sucres ne suscitent aucun de ces signes physiques ou comportementaux [7]. Donc, si l’ingestion de sucre produit effectivement un plaisir qui partage les mêmes voies cérébrales que celui induit par la consommation de certaines drogues (nicotine, alcool), aucun élément ne permet d’affirmer que les sucres en partagent également la dépendance toxicomaniaque. Tous ces arguments sont plutôt rassurants sur le risque potentiel d’habituer un enfant au goût sucré en lui proposant trop de produits sucrés. Et même si une telle attitude majorait effectivement l’appétence de l’enfant pour la saveur sucrée pour le restant de ses jours, une telle préférence gustative n’est associée à aucun risque particulier. Elle n’est en effet reliée ni à une surconsommation énergétique [8], ni à une tendance au grignotage interprandial [9], ni surtout à un risque accru d’obésité [10]. Au contraire, la consommation de produits sucrés a plutôt un effet satiétogène [11] et les individus minces ont plus souvent une préférence pour le goût sucré que les obèses [12]. Il faut donc savoir rassurer les parents qui redoutent d’habituer leur enfant au goût sucré et restreignent de manière exagérée la consommation de produits sucrés ou l’ajout de sucre dans les mets qu’ils leur proposent. On peut même les encourager à ajouter un peu de sucre dans certains aliments qu’ils donnent à leurs enfants, comme les produits laitiers ou certaines compotes de fruits acides, si cela permet qu’ils soient mieux acceptés [13]. Cela ne signifie toutefois pas que les produits sucrés peuvent être proposés à volonté aux enfants, une telle attitude est au contraire à proscrire, car elle risquerait de déséquilibrer leur alimentation et d’entraîner des carences. [ Faut-il avoir peur du fructose ? Le fructose est un isomère du glucose. Il se différencie de ce dernier par un pouvoir sucrant deux fois plus élevé, une captation cellulaire indépendante de l’insuline, un métabolisme quasi exclusivement hépatique (avec augmentation de la production de VLDL), une lipogenèse plus importante et un index glycémique plus bas (19 vs 100) [14]. En raison de ce métabolisme particulier, il a été accusé d’entraîner, chez l’adulte, une hypertriglycéridémie, une hyperuricémie, une insulinorésistance, et de favoriser l’obésité [14]. Le seuil à partir duquel ces risques deviennent significatifs à été fixé à 100 g/j [14], soit l’équivalent de 2 litres de Coca-Cola ou 1,5 litre de jus de pomme sans sucres ajoutés par jour. Qu’en est-il chez l’enfant ? L’hypertriglycéridémie, l’hyperuricémie et l’insulinorésistance que le fructose est susceptible d’induire n’ont pas les mêmes conséquences chez l’enfant. D’abord parce qu’il est rare que l’enfant soit capable d’ingérer suffisamment de fructose pour atteindre un seuil critique. Mais aussi parce que ces troubles métaboliques n’accroissent pas les risques vasculaires, de diabète ou de goutte à cet âge. Le lien entre consommation de fructose et obésité a été établi sur des arguments réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012 épidémiologiques et métaboliques. Aux Etats-Unis, l’augmentation parallèle entre la consommation de fructose (notamment sous forme de HFCS) et la prévalence de l’obésité a conduit à suggérer un lien entre ces deux phénomènes [15]. Si la consommation de fructose, surtout sous forme de sucres ajoutés, a effectivement crû de 15 % entre 1970 et 2006, les consommations de graisses ajoutées, de féculents et de calories totales ingérées ont également augmenté de respectivement 55 %, 42 % et 24 % au cours de la même période [14]. Le fructose a donc effectivement contribué à accroître les ingesta énergétiques des Américains, mais plutôt moins que les autres nutriments. La lipogenèse, c’est-à-dire la synthèse d’acides gras, est plus importante avec le fructose qu’elle ne l’est avec le glucose [16, 17]. La lipogenèse à partir des glucides est cependant un processus biochimique consommant beaucoup d’énergie et aboutissant donc à un bilan lipidique quasi nul. En effet, pour synthétiser une molécule d’acide gras à partir du fructose ou du glucose, il est nécessaire d’oxyder une autre molécule d’acide gras pour fournir l’énergie nécessaire à cette transformation. Donc, même si le pouvoir lipogénique du fructose est supérieur à celui du glucose, il demeure tout à fait négligeable [16]. La participation potentielle du fructose dans l’augmentation de la masse grasse d’un enfant prédisposé à devenir obèse est donc infime. La peur du fructose est donc difficile à légitimer chez l’enfant. Cependant, la palatabilité accrue qu’il confère aux aliments qui en contiennent peut en faire des cibles privilégiées pour les enfants prédisposés à devenir obèses et expliquer ainsi la plus grande consommation de fructose rapportée par certains chez ces enfants [18]. Mais les arguments qui viennent d’être développés démontrent qu’il est scientifiquement inexact de penser que le lien de cause à effet puisse exister dans l’autre sens. [ F aut-il avoir davantage peur des sucres simples que des sucres complexes ? S’il est traditionnellement conseillé de réduire la consommation des sucres simples (lactose exclu), celle des glucides complexes est au contraire encouragée avec comme argument principal la prévention de l’obésité [19]. Quel que soit le type de glucide ingéré, seuls le glucose et le fructose sont absorbés par l’intestin (nous ne parlerons pas du galactose). Les glucides complexes ne contiennent pas de fructose (à l’exception de l’insuline qui ne peut cependant être hydrolysée dans la lumière intestinale). Il s’agit donc là d’une importante différence avec les sucres simples, mais on vient de voir que le fructose n’était pas particulièrement délétère chez l’enfant. En revanche, il n’y a aucune différence entre le glucose provenant d’un sucre simple et celui issu d’un glucide complexe. Donc, en dehors du fructose, les éventuelles disparités entre ces deux types de glucides se situent en amont de l’absorption intestinale. Analysons-les pour voir si les recommandations précédemment évoquées sont justifiées. 1. Saveur sucrée La saveur sucrée des glucides simples les distingue des glucides complexes. La palatabilité accrue que confère ce goût sucré pourrait favoriser la surconsommation des sucres simples et conduire ainsi à un excès de calories ingérées. Certains travaux montrent effectivement que les enfants obèses consomment davantage de sucres simples que leurs congénères de poids normal [20]. Il est cependant fort probable que cette différence soit la conséquence de l’hyperphagie relative des enfants obèses et non la cause de la surconsommation énergétique. Il a en effet été démontré dans une étude prospective que la qualité des glucides consommés n’influait pas sur l’évolution de la composition corporelle chez les enfants non prédis- posés à l’obésité [21]. Les enfants obèses sont programmés pour avoir des ingesta accrus et on peut tout à fait concevoir qu’ils soient davantage attirés par les produits sucrés pour satisfaire plus agréablement leurs besoins augmentés. L’excès de glucides simples parfois constaté chez les enfants obèses n’est donc pas la cause mais la conséquence de leur surcharge pondérale [22]. 2. Index glycémique Les sucres simples sont censés avoir un index glycémique plus élevé que celui des glucides complexes, ce qui signifie que le pic de glycémie postprandial est plus élevé, mais l’élévation de la glycémie se prolonge moins longtemps. Dans la mesure où la prolongation de la glycémie postprandiale allongerait la durée du rassasiement [23], certains auteurs suggèrent que les aliments à fort index glycémique pourraient favoriser une surconsommation énergétique, et donc une surcharge pondérale, en raccourcissant la satiété postprandiale [24]. Cette opinion, largement répandue, est en fait erronée pour trois raisons. En premier lieu, les déterminants de l’index glycémique d’un aliment donné sont multiples et les réduire à la longueur de la chaîne glucidique est simpliste. La nature de l’amidon, sa préparation culinaire et le temps de mastication influent sur l’index glycémique des glucides complexes. Les aliments avec lesquels sont consommés les sucres simples peuvent également diminuer leur index glycémique. Deuxièmement, la notion d’index glycémique ne peut être dissociée de la charge glucidique ingérée. Une grande quantité de sucres simples ingurgitée augmentera la glycémie postprandiale bien plus longtemps qu’un faible volume de glucides complexes. Enfin, même s’il était vrai que le temps de rassasiement était plus court après ingestion de sucres simples, les centres hypothalamiques qui régissent la régulation du poids intègrent ces données et adaptent la dépense énergétique de repos et les ingesta au 3 réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012 Le dossier Risques alimentaires chez l’enfant cours des repas suivants pour s’opposer à toute dérive pondérale [25]. L’index glycémique d’un aliment n’a donc pas d’influence sur l’évolution du poids à long terme [21]. Il est donc inopportun d’accuser l’index glycémique élevé des sucres simples de favoriser la survenue d’une surcharge pondérale chez l’enfant. 3. Formes liquide et solide L’ingestion des sucres sous forme liquide plutôt que solide a été accusée de favoriser l’apparition d’une obésité chez l’enfant [18]. L’hypothèse avancée était que les centres de régulation de la prise alimentaire étaient leurrés par la forme liquide sous laquelle les calories étaient ingérées et ne les prenaient pas bien en compte dans le bilan énergétique qu’ils sont censés contrôler [18]. D’autres auteurs ont confirmé le lien entre consommation de boissons sucrées et obésité de l’enfant [26, 27]. Comme pour les aliments à fort index glycémique, si les centres contrôlant la prise alimentaire étaient effectivement susceptibles d’être trompés sur le court terme, une adaptation surviendrait à plus long terme pour compenser l’éventuel excédent énergétique ingéré [25]. L’argument d’une défaillance prolongée du pondérostat liée à la forme liquide de l’apport énergétique n’est donc pas plausible. Il est néanmoins tout à fait imaginable que la consommation de boissons sucrées soit véritablement augmentée chez les enfants obèses, mais il s’agit là encore non pas de la cause mais de la conséquence des ingesta accrus induits par l’obésité. La forte palatabilité des boissons sucrées explique l’attraction particulière qu’elles peuvent provoquer chez ces enfants. Il faut cependant signaler que la relation entre une consommation excessive de boisson sucrées et l’obésité de l’enfant est sérieusement contestée [28, 29]. 4. En conclusion L’ensemble de ces arguments démontre que le combat engagé contre les sucres 4 simples au profit des glucides complexes dans l’objectif de lutter contre l’obésité de l’enfant n’est pas vraiment légitime. Ni leur contenu en fructose, ni leur saveur sucrée, ni leur index glycémique plus élevé, ni leur présentation sous forme liquide ne peuvent favoriser l’apparition d’une surcharge pondérale chez un enfant non prédisposé. Quant au glucose qui en est issu après absorption intestinale, il fournira toujours 4 calories, qu’il provienne d’un féculent ou d’une boisson sucrée. Un enfant obèse cherchant à réduire son excès pondéral devra donc autant limiter les sucres simples que les glucides complexes. avoir peur [ Fdesaut-il sucres ajoutés ? En 2004, un rapport de l’Afssa a dénoncé le caractère nocif pour la santé des sucres ajoutés [30] et entraîné une défiance particulière à leur égard. Profitant de cette aubaine, les industriels en ont fait un argument commercial en signalant ostentatoirement sur l’étiquetage de certains de leurs produits l’absence de sucres ajoutés. Il s’agit malheureusement d’une maladresse scientifique ayant conduit à des effets pervers. Parmi les sucres ajoutés, le sirop de glucose-fructose (HFCS) est celui qui est le plus décrié [15], peut-être parce qu’il est issu d’un procédé industriel (cf. supra), contrairement au saccharose directement extrait de la betterave ou de la canne à sucre. Les données scientifiques montrent pourtant que les effets des HFCS sur la glycémie, l’insulinémie, la triglycéridémie, la satiété ou la prise alimentaire sont identiques à ceux du saccharose [14]. Ces résultats ne sont pas surprenants dans la mesure où les compositions moléculaires des HFCS et du saccharose sont quasi identiques. Les auteurs les plus sérieux dénoncent d’ailleurs le manque de preuves pour justifier de telles critiques [31, 32]. Le devenir dans l’organisme des sucres ajoutés est exactement le même que celui des glucides naturellement présents dans les fruits, dans la mesure où il s’agit des mêmes molécules (glucose, fructose). Dénoncer le caractère délétère des premiers et encourager la consommation des seconds est donc paradoxal ! Certains tentent de contourner cette évidente contradiction en suggérant que les fibres et micronutriments apportés par les fruits atténuent l’effet nocif des sucres qu’ils contiennent [33]. Même si ces phytonutriments ont peutêtre effectivement des effets bénéfiques – bien que cela reste à démontrer chez l’enfant – cet argument relève davantage de la méthode Coué que d’une véritable démonstration scientifique. Les sucres ajoutés ont également été accusés de stimuler la prise alimentaire et d’entraîner ainsi des ingesta excessifs. Cette affirmation est erronée à double titre. Premièrement, lorsqu’on compare la prise alimentaire suivant l’ingestion de deux boissons isoénergétiques, l’une contenant des sucres ajoutés et l’autre pas, aucune différence n’est mise en évidence [34]. Deuxièmement, lorsque l’ajout de sucres entraîne une augmentation de la densité énergétique de l’aliment ou de la boisson qui les contient, les systèmes de régulation du poids prennent en compte cet excédent énergétique et régulent en conséquence l’appétit et les dépenses énergétiques pour éviter toute dérive pondérale [31]. Au-delà de toutes ces contrevérités scientifiques, plus inquiétants encore sont les effets pervers que peut avoir la signalisation de l’absence de sucres ajoutés sur l’étiquetage des aliments et boissons. Les parents interprètent cette information comme l’absence de sucres nocifs, voire l’absence totale de sucres. Rassurés par cette restriction apparente, ils laissent leur enfant consommer ces produits sans retenue au risque de déséquilibrer son alimentation. Il est d’ailleurs important de préciser que bon nombre de jus de fruits sans sucres ajou- réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012 Boissons sans sucres ajoutés Teneur en glucides (mg/100 mL) Boissons avec sucres ajoutés Teneur en glucides (mg/100 mL) Jus d’orange 9,8 Ice-Tea 7,7 Jus de pomme 10,0 Limonade 9,5 Tropicana pomme-litchi 12,4 Orangina 9,6 Jus d’ananas 12,5 Coca-Cola 11,0 Jus de raisin 16,2 Fanta 12,0 Tableau I : Tableau comparatif des teneurs en glucides de quelques jus de fruits “sans sucres ajoutés” et de quelques boissons ne comprenant pratiquement que des sucres ajoutés. tés contiennent autant, voire davantage de sucres que d’autres boissons ne comprenant pratiquement que des sucres ajoutés (tableau I), et rappelons qu’il s’agit des mêmes glucides. ’excès de sucres peut-il [ Lrendre un enfant obèse ? L’obésité de l’enfant est l’expression phénotypique d’une maladie constitutionnelle entraînant une augmentation de la prise alimentaire [22]. En d’autres termes, les ingesta excessifs des enfants obèses sont avant tout la conséquence de leur pathologie. Un enfant indemne de toute prédisposition n’a aucun risque de devenir obèse, quelle que soit son alimentation. L’excès de sucres ne peut donc pas rendre obèse un enfant non prédisposé à le devenir, car il sera compensé par une diminution adaptative des ingesta. Il peut, en revanche, déséquilibrer son alimentation et entraîner des carences en réduisant la consommation des autres nutriments (fer, calcium, acides gras essentiels) [13]. Il existe même à l’inverse une corrélation négative entre la part relative des glucides ingérés et le risque d’obésité, alors que celle des ingesta lipidiques y est directement corrélée [35]. Ces résultats peuvent s’expliquer par l’absence de lipogenèse nette à partir des glucides. Ces derniers ne peuvent donc être qu’indirectement responsables de l’inflation de la masse grasse en favorisant le stockage des lipides ingérés au cours du même repas, alors que les graisses peuvent directement s’accumuler dans le tissu adipeux lorsqu’elles sont consommées en excès. Cette corrélation négative peut également traduire la préférence des enfants minces pour les produits sucrés, alors que les obèses seraient plutôt attirés par les aliments gras. avoir peur du risque [ Fdeaut-il caries dentaires ? Un lien entre consommation de sucres et survenue de caries dentaires est souvent évoqué [36]. S’il est vrai que les glucides simples contribuent au développement des bactéries cariogènes de la plaque dentaire, une mauvaise hygiène buccodentaire et la prédisposition génétique aux caries sont des facteurs favorisants bien plus prééminents [36, 37]. Les sucres peuvent donc favoriser la survenue de caries dentaires chez les enfants ayant une mauvaise hygiène bucco-dentaire et/ou un fort potentiel cariogène constitutionnel, mais ils sont pratiquement sans danger pour les autres. [ Conclusion A la lumière de toutes ces données, il semble cohérent d’affirmer que la peur irraisonnée des sucres chez l’enfant n’est pas scientifiquement justifiée. Les risques accrus d’obésité, d’addiction ou de caries dentaires que les parents, mais aussi certains professionnels de santé, évoquent, doivent donc être relativisés. Mais alors, pourquoi une telle phobie ? Dans notre culture judéo-chrétienne, les plaisirs de la bouche sont toujours entachés d’une certaine culpabilité. Dans la mesure où l’être humain naît avec une attirance innée pour le goût sucré, la peur des sucres ne reflèterait-elle pas tout simplement la crainte de succomber au péché originel ? Bibliographie 01. Beauchamp GK, Moran M. Acceptance of sweet and salty taste in 2-year-old children. Appetite, 1984 ; 5 : 291-305. 02. Nicklaus S, Boggio V, Chabanet C et al. A prospective study of food variety seeking in childhood, adolescence and early adult life. Appetite, 2005 ; 44 : 289-297. 03. Sullivan SA, Birch LL. Pass the sugar, pass the salt : experience dictates preference. Dev Psychol, 1990 ; 26 : 546-551. 04. Liem DG, Mars M, de Graaf C. Sweet preferences and sugar consumption of 4and 5-year-old children : role of parents. Appetite, 2004 ; 43 : 235-245. 05. Eny KM, Wolever TMS, Corey PN et al. Genetic variation in TAS1R2 (Ile191Val) is associated with consumption of sugars in overweight and obese individuals in 2 distinct populations. Am J Clin Nutr, 2010 ; 92 : 1 501-1 510. 06. Keskitalo K, Tuorila H, Spector TD et al. Same genetic components underlie different measures of sweet taste preference. Am J Clin Nutr, 2007 ; 86 : 1 663-1 669. 07. Bellisle F. Addiction au goût sucré : vrai ou faux débat ? Cah Nutr Diet, 2008 ; 43 Horssérie 2 : 2S52-2S55. 08. Anderson GH. Sugars, sweetness, and food intake. Am J Clin Nutr, 1995 ; 62 (suppl) : 195S-202S. 09. Green SM, Wales JK, Lawton CL et al. Comparison of high-fat and high-carbohydrate foods in a meal or snack on short-term fat and energy intakes in obese women. Br J Nutr, 2000 ; 84 : 521-530. 10. Hill JO, Prentice AM. Sugar and body weight regulation. Am J Clin Nutr, 1995 ; 62 (suppl) ; 264S-274S. 11. Anderson GH, Woodend D. Consumption of sugars and the regulation of short-term satiety and food intake. Am J Clin Nutr, 2003 ; 78 (suppl) : 843S-849S. 12. Cox DN, Perry L, Moore PB et al. Sensory and hedonic associations with macronutrient and energy intakes of lean and obese consumers. Int J Obes Relat Metab Disord, 1999 ; 23 : 403-410. 13. Tounian P, Sarrio F. Alimentation de l’enfant de 0 à 3 ans. Collection Pédiatrie au quotidien, 2e édition. Ed. Masson, 2011 (In press). 14. Tappy L, Le KA. Metabolic effects of fructose and the worldwide increase in obesity. Physiol Rev, 2010 ; 90 : 23-46. 5 réalités pédiatriques # 172_Septembre 2012 Le dossier Risques alimentaires chez l’enfant 15. Bray GA, Nielsen SJ, Popkin BM. Consumption of high-fructose corn syrup in beverages may play a role in the epidemic of obesity. Am J Clin Nutr, 2004 ; 79 : 537-543. 16. Tounian P, Schneiter P, Henry S et al. Effects of infused fructose on endogenous glucose production, gluconeogenesis, and glycogen metabolism. Am J Physiol, 1994 ; 267 : E710-E717. 17. Tounian P, Schneiter P, Henry S et al. Effects of infused glucose on glycogen metabolism in healthy humans. Clin Physiol, 1996 ; 16 : 403-416. 18. Ludwig DS, Peterson KE, Gortmaker SL. Relation between consumption of sugar-sweetened drinks and childhood obesity : a prospective, observational analysis. Lancet, 2001 ; 357 : 505-508. 19. Ells LJ, Hillier FC, Shucksmith J et al. A systematic review of the effect of dietary exposure that could be achieved through normal dietary intake on learning and performance of school-aged children of relevance to UK schools. Br J Nutr, 2008 ; 100 : 927-936. 20. Nicklas TA, Yang SJ, Baranowski T et al. Eating patterns and obesity in children. The Bogalusa Heart Study. Am J Prev Med, 2003 ; 25 : 9-16. 21. Buyken AE, Cheng G, Gunther AL et al. Relation of dietary glycemic index, glycemic load, added sugar intake, or fiber intake to the development of body composition between ages 2 and 7 y. Am J Clin Nutr, 2008 ; 88 : 755-762. 22. Llewellyn CH, Van Jaarsveld CHM, Johnson L et al. Nature and nurture in infant Appetite : analysis of the Gemini twin birth cohort. Am J Clin Nutr, 2010 ; 91 : 1 172-1 179. 23. Ball SD, Keller KR, Moyer-Mileur LJ et al. Prolongation of satiety after low versus moderately high glycemic index meals in obese adolescents. Pediatrics, 2003 ; 111 : 488-494. 24. Nielsen BM, Bjørnsbo KS, Tetens I et al. Dietary glycaemic index and glycaemic load in Danish children in relation to body fatness. Br J Nutr, 2005 ; 94 : 992-997. 25. Saris WHM. Sugars, energy metabolism, and body weight control. Am J Clin Nutr, 2003 ; 78 (suppl) : 850S-857S. 26. Malik VS, Schulze MB, Hu FB. Intake of sugar-sweetened beverages and weight gain : a systematic review. Am J Clin Nutr, 2006 ; 84 : 274-288. 27. Vartanian LR, Schwartz MB, Brownell KD. Effects of soft drink consumption on nutrition and health : a systematic review and metaanalysis. Am J Public Health, 2007 ; 97 : 667-675. 28. Forshee RA, Anderson PA, Storey ML. Sugar-sweetened beverages and body mass index in children and adolescents : a meta-analysis. Am J Clin Nutr, 2008 ; 87 : 1 662-1 671. 29. Vanselow MS, Pereira MA, Neumark-Sztainer D et al. Adolescent beverage habits and changes in weight over time : findings from Project EAT. Am J Clin Nutr, 2009 ; 90 : 1 489-1 495. 30. AFSSA. Rapport glucides et santé. Etat des lieux, évaluation et recommandations. Octobre 2004. 31. Melanson KJ, Angelopoulos TJ, Nguyen V et al. High-fructose corn syrup, energy intake and appetite regulation. Am J Clin Nutr, 2008 ; 88 : 1 738S-1 744S. 32. White JS. Straight talk about high-fructose corn syrup : what it is and what it ain’t. Am J Clin Nutr, 2008 ; 88 : 1 716S-1 721S. 33. Remesy C. Sucres simples purifiés versus sucre des fruits, ont-ils les mêmes effets métaboliques ? Phytotherapie, 2008 ; 6 : 91-95. 34. Soenen S, Westerterp-Plantenga MS. No difference in satiety or energy intake after high-fructose corn syrup, sucrose, or milk preloads. Am J Clin Nutr, 2007 ; 86 : 1 586-1 594. 35. Maillard G, Charles MA, Lafay L et al. Macronutrient energy intake and adiposity in non obese prepubertal children aged 5-11 y (the Fleurbaix Laventie Ville Santé Study). Int J Obes Relat Metab Disord, 2000 ; 24 : 1 608-1 617. 36. Touger-Decker R, Van Loveren C. Sugars and dental caries. Am J Clin Nutr, 2003 ; 78 : 881S-892S. 37. Van Loveren C, Duggal MS. Rôle de l’alimentation dans la prévention des caries. Cah Nutr Diet, 2006 ; 41 : 341-346. L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts concernant les données publiées dans cet article. 6