Massacres extra-judiciaires de Ouïghours au Turkestan Oriental

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Massacres extra-judiciaires de Ouïghours au Turkestan Oriental
CONGRES MONDIAL OUÏGHOUR
Massacres extra-judiciaires de Ouïghours au
Turkestan Oriental
Janvier 2014
World Uyghur Congress (WUC)
Congrès Mondial Ouïghour
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RESUME OFFICIEL
Au cours des 9 derniers mois (depuis avril 2013), plus de 30 incidents sanglants
ont frappé le peuple ouïghour au Turkestan Oriental, également connu sous le nom de
Région Autonome Ouïghoure du Xinjiang (RAOX). Ces incidents sanglants, souvent
caractérisés par l'agression brutale des forces de sécurité chinoises contre des civils
ouïghours paisibles et sans armes, ont été rapportés par le gouvernement chinois, et par
les médias qui en dépendent, comme des “attaques terroristes”, et les très nombreux
Ouïghours qui ont été tués par balles sur ordre des autorités chinoises ont été qualifiés de
terroristes. Des témoins oculaires sur le terrain ont permis à la communauté internationale
de rétablir sans ambiguïté la véritable nature de ces incidents, et de faire connaître les
conditions de vie des Ouïghours au Turkestan Oriental. Ces compte-rendus d'incidents
réfutent la version officielle chinoise en établissant que les forces de sécurité chinoises ne
protègent pas les citoyens en supprimant des djihadistes formés à l'étranger, mais tirent
sans provocation sur des foules ouïghoures désarmées. Bien plus, les nombreuses et
récentes mises à mort extra-judiciaires prouvent que la politique de Beijing envers les
Ouïghours a pris une direction nouvelle ; les autorités chinoises ne prennent plus la peine
d'arrêter, et de faire passer en jugement, des criminels supposés, mais visent plutôt à les
supprimer. Lorsque leurs familles demandent des nouvelles des victimes, elles ne
peuvent, le plus souvent, obtenir d'informations, elles sont congédiées, ou même arrêtées
elles-mêmes ; on ne leur permet même pas de donner à leurs proches une sépulture
convenable.
L'ampleur de l'attaque du gouvernement chinois contre la société civile ouïghoure,
et de la répression des dissidents, est tout simplement effrayante.
En évoquant les “trois maux” [Ch. San gu shili], qui sont le terrorisme, le
séparatisme et l'extrémisme, le gouvernement chinois a réussi à obtenir l'impunité pour
les massacres extra-judiciaires de Ouïghours mentionnés ci-dessus. La difficulté à obtenir
des preuves, et l'interdiction de toute investigation indépendante et vérifiable sur ces
incidents, qui sont des tendances récentes, reflètent la violence d'Etat avec laquelle les
autorités chinoises commencent par massacrer des Ouïghours, puis, plus tard, inventent
une explication supposée justifier leur brutalité. Le récent pic de massacres extrajudiciaires de Ouïghours représente un grave souci, car il est emblématique de la très
grave atteinte aux droits humains fondamentaux des Ouïghours, et indique de plus la
montée d'une résistance des Ouïghours à la politique de répression de la Chine envers
leur peuple.
D'après un certain nombre de compte-rendus récents, la politique de répression de
la Chine envers les Ouïghours s'intensifie, avec pour résultat une escalade de la tension
dans la région. Les médias n'ont pas cessé de signaler la montée des meurtres extrajudiciaires, de la torture, de l'emploi de la force brutale, des disparitions sous la menace
des armes, des détentions illégales et des rafles arbitraires de Ouïghours dans le but
d'étouffer toute résistance, même pacifique. La politique sévèrement répressive de la
Chine envers le peuple ouïghour comporte de graves restrictions mises à son expression
religieuse, à son éducation, à sa liberté de parole, ainsi qu'à la liberté de la presse. En
outre, en dépit du développement économique de type "bond en avant" de la région, la
grande majorité des Ouïghours reste à l'écart, très pauvre, du fait de la discrimination
systématique, de l'immigration massive de Chinois Han dans la région, et de la politique
du gouvernement chinois visant à assimiler de force les Ouïghours pour les transformer
en Hans, en diluant leur culture, leur identité et leur conscience religieuse. Les violations
des droits humains mentionnées ci-dessus se sont manifestées principalement dans des
zones à peuplement ouïghour prédominant à Maralbeshi (Ch. Bucha), Kachgar, Aksu,
Turpan, Ouroumtsi, Hotan et Yarkant (Ch. Shache).
Dans la présente note d'information, le Congrès Mondial Ouïghour - World
Uyghur Congress (WUC) – a établi, sur la base de rapports des médias et des autorités
chinoises, que des centaines de Ouïghours ont été détenus à la suite d'incidents récents
qui se sont produits au Turkestan Oriental, et que plus de 300 ont été tués de façon extrajudiciaire par les autorités chinoises depuis avril 2013. La résistance, et l'effusion de sang
qui en est la conséquence, est inextricablement liée à la poursuite de la répression exercée
par le gouvernement chinois envers le peuple ouïghour.
Etant donné les événements récents, le WUC conclut que, plutôt que d'adopter
une société libre et pluraliste où le peuple ouïghour pourrait jouer un rôle important, avec
les richesses de sa langue, de sa culture, de son histoire et de sa religion, au sein d'une
Chine émergente, les autorités chinoises scient la branche sur laquelle elles sont assises,
en poursuivant leur politique de répression, de mépris, de réticence à aborder les
problèmes sous-jacents, et en interprétant la légitime dissention pacifique dans le cadre
d'une guerre mondiale contre le terrorisme.
INCIDENTS
MARALBESHI
Le 23 avril 2013, les autorités chinoises ont révélé, par l'intermédiaire de leurs
médias, qu'aux environs de midi 21 personnes ont été tuées et 19 arrêtées (11
immédiatement, et 8 autres dix jours plus tard) à Serikbuya dans le Maralbeshi.
Selon les autorités chinoises, 15 travailleurs sociaux, dont le rôle n'a pas été
précisé, accompagnés par des policiers, ont été avertis de l'existence d'individus
“suspects” qui, d'après M. Meng Honwei, Secrétaire d'Etat à la Sécurité publique, ont été
surpris à fabriquer des explosifs artisanaux, des “armes léthales” et des drapeaux faisant
la promotion de l'indépendance du Turkestan Oriental (nom traditionnel du pays où
résident les Ouïghours) ; 1 un autre média chinois a rapporté que ces drapeaux
comportaient des slogans pro-djihadistes, 2 sans préciser le libellé effectif de ces slogans,
ainsi que du matériel pour fabriquer des armes, des équipements d'entraînement au
combat et de la documentation religieuse illégale. 3
Outre cela, Radio Free Asia a signalé le 26 avril 2013 d'autres violences dans le
village de Yengi Awat (Yingawa en chinois), préfecture de Hotan, où 2 “agents de
sécurité publics” ont été tués, sans fournir d'autres informations. 4
Les récits officiels souffrent de nombreuses contradictions et d'un défaut de
vérification indépendante des faits. Le Congrès Mondial Ouïghour (WUC), 5 et l'Uyghur
American Association (UAA), 6 ont de fortes raisons de penser que la narration officielle
ne reflète pas la tournure effective des événements, doutes auxquels a fait écho M.
Patrick Ventrill, faisant fonction de porte-parole du Secrétariat d'Etat des Etats-Unis, dans
une mise au point du 24 avril 2013. 7 Ces doutes ont également été corroborés par une
enquête de la BBC portant sur Serikbuya. 8
Selon des sources locales, cette violente confrontation a commencé lorsque des
"travailleurs sociaux" chinois et des policiers sont entrés illégalement au domicile d'une
famille ouïghoure, ont forcé les femmes présentes à se dévoiler et les hommes à raser leur
barbe, 9 puis ont tiré et tué un protestataire ouïghour de sexe masculin, ce qui a précipité
l'affrontement violent. La confrontation s'aggravant, les Ouïghours de la maison, se
sentant menacés, se sont défendus avec des couteaux et des haches. 10 Bien
qu'officiellement, les habitants soient accusés d'avoir brûlé leur propre maison, certains
experts ont soutenu que c'est la police chinoise qui en réalité aurait lancé une bombe
incendiaire sur le bâtiment, avec toutes les personnes qui s'y trouvaient.
Une enquête ultérieure discrètement menée sur le terrain par la BBC, et réalisée par
Damien Grammaticas, a largement corroboré cette version de l'incident. M. Grammaticas
a informé les auditeurs de la BBC de plusieurs points essentiels : nombre des personnes à
qui il s'adressait avaient peur de lui parler par crainte de représailles ; beaucoup avaient
reçu l'instruction de ne pas parler à des “journalistes” ni à des “étrangers” ; et la version
officielle était notablement différente de celle des habitants. M. Grammaticas et son
équipe ont été ensuite temporairement détenus et éloignés de la région.
Pour plus d'informations sur cet incident, consulter le court rapport du WUC sur
l'incident de Maralbeshi. 11
LUKCHUN, COMTE DE PICHAN
Reprenant une source originale de l'Agence Chine nouvelle (Xinhua), divers
médias ont signalé aux premières heures de la matinée du 26 juin 2013 qu'un incident
s'était produit au village de Lukchun, peuplé principalement de Ouïghours, dans la
préfecture de Turpan.
Ces rapports expliquaient que des “émeutiers” avaient commencé à attaquer des
passants à l'arme blanche et à incendier des véhicules devant un poste de police, des
bâtiments publics et un chantier de construction. 12 Xinhua affirme que 9 policiers et
gardes de sécurité, ainsi que 8 civils, ont été tués dans des affrontements avec lesdits
supposés “émeutiers“, dont 10 ont été abattus par les forces de police. Trois autres
personnes sont signalées comme ayant été blessées au cours de ces événements, et trois
autres encore ont été arrêtées. Les images diffusées sur Internet montrent la brutalité de
l'incident.
Bien que l'origine ethnique des personnes décédées n'ait pas été révélée, elle était
indiquée par la qualification des émeutiers comme “agitateurs brandissant des couteaux”,
accusation récurrente de la part des autorités chinoises. Sur le moment, ni celles-ci, ni les
médias qui en dépendent, n'ont donné les raisons de cet incident ; mais après avoir
commencé par dire qu'il avait été provoqué par des “agitateurs”, les autorités chinoises
ont modifié leur discours en parlant d'incident terroriste dans des déclarations et
publications ultérieures.
Le site Internet ouïghour en langue chinoise www.uighurbiz.net, dirigé par M.
Ilham Tohti, éminent chercheur ouïghour basé à Beijing, lui-même ultérieurement
assigné à domicile, suggère que l'origine en est à chercher dans les programmes de
démolition forcée du gouvernement. 13 L'Uyghur American Association a en outre noté
dans un communiqué de presse que les tensions dans la région étaient montées d'un cran
depuis un incident survenu le 10 avril 2013 à Dighar, village proche de Lukchun. 14
Selon Radio Free Asia, un Chinois Han âgé de 52 ans aurait battu à mort un petit garçon
ouïghour âgé de 7 ans soupçonné, avec deux de ses camarades, d'avoir volé des objets
dans un four où travaillait l'adulte. 15 Le moment où s'est produit l'incident, proche du
quatrième anniversaire de celui du 5 juillet, et du lancement de la répression religieuse
précédant le Ramadan, doit également être pris en considération pour en comprendre
l'origine.
HOTAN ET OUROUMTSI
Le 28 juin 2013, les médias chinois ont publié des informations sur d'autres
désordres qui se sont produits à Hotan et à Ouroumtsi. Selon le Global Times, 16 un
certain nombre de victimes sont à déplorer après un incident vendredi dans lequel une
centaine de personnes sont accusées d'avoir attaqué un poste de police à Hotan, comté de
Qaraqah (Moyu en mandarin) après “s'être rassemblées dans des bâtiments religieux de la
localité,” inférant ainsi que ces 100 individus étaient Ouïghours. Global Times a
également affirmé que 200 autres personnes avaient “essayé de fomenter des troubles”
dans un centre commercial important d'Ouroumtsi, bien qu'aucun blessé n'ait été à
déplorer.
Les rapports provenant du terrain, tels que repris par Radio Free Asia (RFA),
diffèrent notablement du récit officiel. 17 RFA a révélé le 30 juin 2013 que des résidents
ouïghours de Hotan ont été choqués par un raid effectué sur une mosquée par la police
pendant la prière, l'imam local ayant été forcé de censurer ses sermons “selon la ligne
politique officielle,” après quoi les Ouïghours ont protesté dans la rue et ont très vite
essuyé des tirs, lesquels ont tué au moins 2 personnes, bien que des compte-rendus
ultérieurs suggèrent que le bilan a été de 15 tués.
Comme pour les incidents de Lukchun et de Maralbeshi, les autorités chinoises
ont très rapidement qualifié les incidents d'attaques terroristes. Cependant, comme le
WUC, 18 l'UAA 19 et d'autres organisations consacrées aux droits de l'homme l'ont
souligné, tant pour Lukchun que pour Maralbeshi, ces remarques étant corroborées par
des médias internationaux indépendants, 20, l'impossibilité de vérifier les faits, et la
différence entre les compte-rendus obtenus sur le terrain et le récit officiel, doivent inciter
aux plus grandes précautions lorsqu'on s'efforce de comprendre les causes fondamentales
des incidents.
Il vaut la peine de mentionner qu'entre les incidents de Lukchun et ceux de Hotan
et d'Ouroumtsi, un homme a été détenu pour avoir “inventé” et “répandu des rumeurs” le
27 juin 2013 en prétendant que 8 personnes étaient mortes à Kachgar. 21 Aucune autre
mention n'a été faite de cet incident.
AYKOL, PREFECTURE D'AKSU
On estime que trois Ouïghours ont été tués, et beaucoup d'autres blessés, à Aykol,
dans la préfecture d'Aksu, après que des policiers aient tiré sur des Ouïghours dans une
foule dont il est dit qu'elle aurait essayé d'empêcher la police de procéder à des
arrestations avant le festival d'Eid al-Fitr.
L'incident s'est produit dans la soirée du mercredi 7 août, tandis que les Ouïghours
se préparaient en vue des prières qui précèdent l'Eid, fête très importante qui marque la
fin du Ramadan dans la religion musulmane. Selon RFA, la police explique qu'elle était
allée à la mosquée du bazar de Peyshenbe à Aykol, dans le but d'arrêter quatre Ouïghours
soupçonnés d' "activités religieuses illégales," lorsqu'elle s'est heurtée à une foule agitée
qui lui a lancé des pierres pour l'empêcher d'avancer. La foule continuant de croître et
d'entourer les policiers, ceux-ci ont ouvert le feu. 22 Parmi les Ouïghours tués par balle
se trouvait une femme. 23
De nombreux observateurs ont souligné que la principale raison de ces
affrontements, ainsi que d'autres, est à rechercher dans le renforcement des restrictions
mises à la pratique religieuse. Ce fait a été confirmé par des résidents d'Aykol, qui ont
également mentionné les restrictions mises à la prière comme cause vraisemblable de ces
heurts. 24
Commentant l'incident, Nicholas Bequelin, chercheur expérimenté et spécialiste
des questions asiatiques à l'Human Rights Watch, a déclaré "L'Etat s'est lancé dans un
projet visant à vider complètement la pratique religieuse ouïghoure de tout ce qu'il ne
contrôle pas ou ne se conforme pas à sa vision de ce que devraient être les activités
religieuses." 25
YILKIQI, COMTE DE KARGILIK (Ch. YECHENG)
Le 20 août, un groupe de 22 Ouïghours a essuyé des tirs alors qu'il priait dans une
maison au bord du désert, dans une opération anti-terrorisme. Le comté de Kargilik, dont
la population est presque totalement ouïghoure, a subi une opération de répression antiterroriste sur tout son territoire.
Selon les officiels chinois, le raid a été ordonné alors que la police avait suivi de
près des "activités suspectes" pendant environ une semaine autour de la maison où
vivaient les Ouïghours. 26 Il est signalé que des couteaux et des haches ont été récupérés
à l'endroit de l'incident. 27
Dans un communiqué de presse daté du 28 août 2013, l'Uyghur American
Association (UAA) a condamné les massacres extra-judiciaires, affirmant que "L'incident
[de Yilkiqi] souligne le refus du gouvernement chinois de se conformer aux normes
internationales en matière de droits humains, et représente le dernier d'une longue chaîne
d'incidents en 2013, ce qui témoigne d'une escalade inacceptable de la répression contre
les Ouïghours." 28 En outre, l'UAA incite la communauté internationale à interpréter les
affirmations du gouvernement chinois quant à la nature terroriste de l'incident avec
"scepticisme." 29
POKSAM, PREFECTURE DE KACHGAR
Les autorités chinoises ont abattu 12 Ouïghours dans un raid sur ce que la police a
qualifié d'installation "terroriste", selon des représentants locaux de l'Etat ainsi que des
résidents. La police a confirmé les tirs qui se seraient produits dans le comté de Poskam
(Ch. Zepu). A la date où RFA a signalé l'incident, celui-ci avait été en réalité caché
depuis environ trois semaines. Selon RFA, aux dires des fonctionnaires et des résidents,
l'incident se serait produit au village de Jigdejay le 23 août au cours d'un raid sur un
supposé camp d'entraînement terroriste et entrepôt de munitions où travaillait un groupe
d'environ 30 Ouïghours. 30
Les activistes ouïghours font porter la responsabilité de l'incident sur une
"répression et provocation prolongée" à l'égard du peuple Ouïghour. 31
YARKANT, PREFECTURE DE KACHGAR
Sept personnes appartenant à la minorité ethnique ouïghoure ont été tuées par
balles par la police dans des incidents séparés à Yarkant. Quatre d'entre elles sont
décédées après que la police, à Yarkant, ait ouvert le feu sur un groupe de Ouïghours
dans une résidence privée jeudi dernier, sur une accusation de "réunion illégale." Dans
une interview à RFA, Dilxat Raxit, porte-parole du WUC basé en Suède, affirme qu' "aux
environs de 18 heures le soir du 3 octobre, des éléments armés ont cerné une résidence
dans le village d'Abu Dona No. 16 et ont accusé [les occupants] de réunion illégale."
Raxit a ajouté que ces individus armés ont "ouvert le feu, tuant quatre Ouïghours." 32
En outre selon RFA, l'incident mentionné ci-dessus est intervenu après que la
police ait ouvert le feu sur quatre Ouïghours dans une gare de chemin de fer, ainsi que
dans un village du même comté une semaine auparavant. Raxit affirme que la police avait
abattu deux résidents du village d'Abu Dona No. 29 le 26 septembre, et que le 28
septembre, la police avait tiré sur des suspects à la gare de chemin de fer de Yarkant,
tuant un Ouïghour. 33 Des restrictions plus sévères et une multiplication des postes de
contrôle ont été mises en place après ces incidents. 34
COMMUNE DE YINGWUSITAN, YARKANT
Le vendredi 11 octobre, les forces de sécurité chinoises ont tiré sur cinq
Ouïghours dans la commune de Yingwusitang, comté de Yarkand, préfecture de Kachgar,
lorsque la police de la RAOX a cerné une maison et en abattu cinq occupants dans la
période précédant l'Eid al-Adha, importante fête musulmane. RFA n'a pas pu confirmer
les informations relatives à cet incident ; les policiers du poste de Yingwusitang,
contactés, ont prétendu ne rien savoir de ces tirs, et n'ont divulgué aucune autre
information. 35 Selon l'article de RFA, le personnel du motel de l'endroit a déclaré que
les tirs sont intervenus lorsque "certains perturbateurs se sont échappés et que [la police]
n'a pu les arrêter." 36
SELIBUYA, MARALBESHI
Le samedi 16 novembre, les autorités chinoises ont tiré sur neuf jeunes Ouïghours
qui auraient attaqué un poste de police, et qui sont accusés d'avoir tué deux agents de
police de la RAOX. 37 Cette petite ville de la préfecture de Kachgar a également été le
cadre des affrontements d'avril dernier entre les Ouïghours et les forces de sécurité
chinoises qui ont abouti à la mort de 21 personnes. Les médias d'Etat chinois ont affirmé
que les neuf Ouïghours étaient munis d'armes telles que des couteaux, et se sont
précipités dans le poste de police pour y tuer deux agents désarmés.
RFA a parlé de l'incident à des témoins oculaires, parmi lesquels Hesen Ablet,
chef adjoint du poste de police de Selibuya, qui a déclaré à RFA que l'un des deux
policiers tués était Ouïghour, l'identifiant comme étant Yusup Abdukerim. M. Ablet a
déclaré à RFA "que les tirs ont attiré un grand nombre de résidents ouïghours, dont
certains étaient furieux de ce qu'ils pensaient être une action arbitraire de la police." 38
L'article explique en outre que les témoins de la scène ont supplié la police de ne pas tuer
les jeunes Ouïghours, disant que l'attaque pouvait être le résultat de la colère suscitée par
les mesures prises ou les politiques suivies par les autorités chinoises. En fait, il est
signalé que les résidents ont plaidé auprès des policiers pour qu'ils arrêtent et fassent
passer en jugement les supposés criminels, au lieu de se contenter de les abattre sur place.
39 Selon RFA, un témoin ouïghour a déclaré "Ce n'étaient que des enfants, mon coeur est
brisé," et un autre témoin ouïghour a ajouté "Les policiers, s'ils devaient vraiment tirer,
auraient dû viser le pied ou le bras, non la tête, et auraient dû les capturer vivants. Ils
pouvaient le faire." 40
SAYBAGH, PREFECTURE DE KASHGAR
Le 15 décembre 2013, diverses organisations de médias internationaux ont relevé
une information publiée par l'agence Tianshan 41, qui dépend du gouvernement de la
Région Autonome Ouïghoure du Xinjiang (RAOX), concernant le décès de 14
manifestants et de deux agents de police dans le village de Saybagh, situé dans la
préfecture de Kachgar. 42 Il y est dit que les agents de police s'efforçaient de retenir
certains individus accusés de délits non spécifiés, lorsque des manifestants, qualifiés d'
“assassins”, auraient attaqué les policiers avec des dispositifs “explosifs” et des couteaux,
sans ajouter d'autre information. Deux personnes auraient été détenues à la suite de cet
incident. Cependant, le WUC a pu établir, d'après des sources locales, que deux des
manifestants étaient des adolescents, qui ont été tués du fait des tirs aveugles des forces
de sécurité. 43 Au moment de son communiqué de presse, le WUC n'avait pas donné les
raisons des protestations des manifestants, mais se faisait l'écho de la récente mise en
oeuvre de nouvelles restrictions portant sur l'observation religieuse, comme cause
probable de ces protestations. De plus, le gouvernement de la RAOX n'a pu expliquer
pourquoi la police cherchait à détenir un nombre non spécifié d'individus. Le
gouvernement de la RAOX n'a pas non plus expliqué pourquoi 14 manifestants étaient
morts de façon si brutale.
A peine deux jours plus tard, le 18 décembre 2013, le service ouïghour de RFA
signale que les autorités ont perturbé la préparation d'un mariage et dévoilé une femme
ouïghoure, déclenchant un incident qui a abouti à la mort de 14 Ouïghours, dont 6
femmes. 44 RFA, sur la base de témoignages locaux, a expliqué qu'un officier de police
du nom de Memet Sidiq a soulevé le voile de la femme de l'un des quatre frères de la
famille Ismayil. 45 C'est cette intervention des autorités dans un domicile privé qui aurait
déclenché l'attaque ultérieure contre le poste de police.
YARKANT
Le 30 décembre 2013, les organisations médiatiques internationales ont repris une
information publiée par l'agence d'Etat chinoise Tianshan concernant la mort de huit
manifestants ouïghours dans le comté de Yarkant, proche de Kachgar, ancienne ville de
la Route de la Soie. 46 Selon le peu d'informations diffusées par Tianshan, des
“assassins” ouïghours, brandissant des couteaux et armés de dispositifs “explosifs”, ont
attaqué les policiers et brûlé des voitures de police. Le bref article qualifie cet incident
d'attaque terroriste, et explique que la police a pris des mesures "décisives", abattant huit
Ouïghours, et en capturant un, sans fournir d'autres informations à propos de cet
incident. 47 Selon l'Associated Press (AP), un chargé de communication du
gouvernement du Xinjiang, nommé Cao, a confirmé ces rapports, mais n'a pas donné
d'autres détails. 48 AP a également signalé que les autorités de Yarkant et de la ville
voisine de Kachgar n'avaient pas d'informations sur cet incident. 49
Le 31 décembre, the Global Times a mentionné que les neuf supposés terroristes
s'étaient antérieurement réunis au mois d'août pour visionner des vidéos de propagande
terroriste, et promouvoir l'extrémisme religieux, avant de préparer leur attaque. 50 Après
avoir cité les "trois maux," l'article continue en s'étendant sur les prétendues preuves
orientant vers une attaque terroriste comme seule nature probable de l'incident, y compris
le fait qu'un poste de police aurait été volontairement ciblé, et que l'attaque se serait
déroulée aux premières heures de la matinée. 51
Malheureusement, du fait du manque de transparence de la part du gouvernement
chinois, des sévères restrictions imposées aux journalistes étrangers et de l'absence
d'enquête indépendante et fiable sur l'incident, le WUC n'a pu établir l'identité que de
deux des huit victimes, Osman Barat et Abdughani Abdukadir, et il lui reste encore à
découvrir les motivations particulières des manifestants, bien que les récents incidents
sanglants au Turkestan Oriental évoquent les restrictions les plus sévères portées à la
liberté religieuse, les pratiques d'assimilation forcée, et la montée des disparitions
inexpliquées, des détentions arbitraires, des massacres extra-judiciaires et autres
violations flagrantes des droits humains comme principales causes du mécontentement
des Ouïghours, et donc des protestations, contre l'actuel gouvernement autoritaire chinois.
52
RECOMMANDATIONS
Le WUC recommande à la République Populaire de Chine :
1.
de mettre sur pied une enquête internationale indépendante et détaillée sur ces
incidents afin d'établir, entre autres choses, le nombre précis des détentions, des
disparitions inexpliquées et des massacres extra-judiciaires qui ont été
documentés durant cette période ; de laisser libre accès aux enquêteurs
internationaaux au Turkestan Oriental pour vérifier les faits, ainsi que pour établir
les causes fondamentales de ces incidents, y compris la longue impunité de
l'incident d'Ouroumtsi du 5 juillet 2009 ;
1.
de libérer tous les prisonniers politiques ouïghours, détenus dans tous les incidents
sanglants décrits dans le présent rapport, s'ils ne sont pas immédiatement traduits
en justice d'une façon libre et équitable ;
1.
de nommer un médiateur détenant un mandat complet, et entièrement
indépendant, pour recevoir et examiner les plaintes concernant les violations des
droits humains ;
1.
de réviser sa politique officielle à l'égard des Ouïghours, ce qui inclut, sans s'y
limiter, la répression arbitraire de leur religion, de leur culture et de leur identité,
sans compter les restrictions portant sur l'éducation des Ouïghours, les
déportations, et le recours au harcèlement, à la détention arbitraire, aux
disparitions inexpliquées, aux massacres extra-judiciaires et à la peine de mort
pour réduire les critiques au silence ;
1.
d'introduire la transparence, l'ouverture et l'équité dans son système juridique, et
de mettre ses définitions du terrorisme en accord avec les normes légales
internationalement acceptées ;
1.
de permettre la vérification des faits par une enquête indépendante, et de lancer
une invitation à mettre en oeuvre les Procédures spéciales du Conseil des Droits
de l'Homme des Nations Unies à titre d'exemple de possibilité d'action à cet effet.
Cela permettra à la RPC ;
1.
d'ouvrir un dialogue significatif avec les Ouïghours afin de réaliser ce qui
précède, ainsi que d'atteindre la prospérité et l'établissement d'une société paisible
qui sont ses objectifs déclarés ;
1.
de laisser s'établir un système judiciaire libre, ouvert, transparent et indépendant
sous le regard d'un milieu médiatique disposant des mêmes libertés.