Alain Le Pommelec, observations sous Cour d`appel de Riom, 20

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Alain Le Pommelec, observations sous Cour d`appel de Riom, 20
COUR d’APPEL DE RIOM Chambre Commerciale
TF
ARRÊT N°
DU : 20 Novembre 2013
RG N° : 12/02422 CJ
Arrêt rendu le vingt Novembre deux mille treize
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré de :
M. Claude ANDRIEUX, Président Mme Chantal JAVION, Conseillère
Mme Martine MILLERAND, Conseillère
lors des débats et du prononcé : Mme Carine CESCHIN, Greffière
Sur APPEL d'une décision rendue le 5 septembre 2012 par le Tribunal de grande instance de
Clermont-Ferrand
ENTRE :
M. E…
Représentants : Me Serge GOYON, avocat au barreau de MOULINS - Me Sophie LACQUIT, avocat au
barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANT ET :
Société AGENCE DE MARKETING B
Société anonyme de droit belge immatriculée auprès du greffe du tribunal de commerce de
TOURNAI (Belgique) sous le numéro XXXXX, 1, ………77000 MOUSCRON / BELGIQUE
Représentants : Me Dominique MACHELON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND - Me Nicolas DEUR,
avocat au barreau de NICE
INTIMÉE
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à
l'audience publique du 26 septembre 2013, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Mme Javion,
Magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et à l'audience publique de ce
jour, indiquée par le magistrat rapporteur, l'arrêt dont la teneur suit a été prononcé publiquement
conformément aux dispositions de l'article 452 du code de procédure civile :
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société AGENCE DE MARKETING B qui est une société de vente par correspondance organisant des
loteries publicitaires, a adressé à plusieurs reprises à M. E… entre novembre 2009 et janvier 2010 des
documents publicitaires nominatifs le déclarant gagnant de divers chèques.
Après avoir réclamé en vain l'attribution de ses gains par lettre recommandée avec AR du 1er février 2010, il a
engagé une action en paiement sur le fondement de l'article 1371 du code civil.
Par jugement du 5 septembre 2012, le tribunal de grande instance de CLERMONT-FERRAND l'a débouté.
M. E… a interjeté appel par déclaration reçue le 22 octobre 2012.
Vu ses conclusions d'infirmation transmises par RPVA le 22 janvier 2013 aux termes desquelles il demande
de dire que la société Agence de Marketing B a engagé sa responsabilité quasi contractuelle, la condamner à
lui payer la somme en principal de 149.5000 € et celle de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de
procédure civile.
Il se réfère à l'arrêt rendu par la Chambre mixte de la Cour de cassation du 6 septembre 2002 selon lequel
'celui qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige
par ce fait purement volontaire à le délivrer', rappelant que la mise en évidence de l'aléa doit apparaître dès
l'annonce du gain et à première lecture.
Vu les conclusions de confirmation de la société Agence de Marketing B transmises par RPVA le 29 mars
2013 aux termes desquelles elle demande de :
dire que les documents publicitaires dont M. E… a été rendu destinataire mettaient en évidence à
première lecture l'existence d'un aléa s'agissant de l'attribution du prix principal mis en jeu,
dire qu'elle n'a pris aucun engagement à l'égard de M. E… concernant le versement des prix principaux mis
en jeu,
le débouter de ses demandes,
le condamner à lui payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle prétend que la mise en évidence de l'aléa à première lecture dès l'annonce du gain doit intervenir dans les
documents contenant la proposition de participation à la loterie organisée et non dans un message
postérieur et qu'en l'espèce, l'attention du destinataire est attirée sur le caractère aléatoire de l'attribution
des prix mis en jeu par diverses mentions situées à plusieurs endroits des documents dont une 'phrase
chapeau' et par la reproduction d'un règlement de jeu particulièrement précis et lisible.
Elle relève également que M. E…, expert-comptable est doté de facultés de compréhension normales,
voire supérieures à la moyenne, le mettant à l'abri de tout excès de crédulité de sorte qu'il ne peut
invoquer une croyance réelle dans l'attribution des gains et ce d'autant plus qu'il disposait de l'avis de la
DGCCRF du 26 novembre 2009 qu'il avait contactée avant même de participer au premier jeu.
La cour se réfère aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens. Vu
l'ordonnance de clôture du 4 juillet 2013.
MOTIFS :
Attendu qu'il est désormais constant que l'organisateur d'une loterie publicitaire qui annonce un gain à
une personne dénommée sans mettre clairement en évidence l'existence d'un aléa affectant
l'attribution du prix à première lecture, dès l'annonce du gain, s'oblige par ce fait purement volontaire à le
délivrer en application de l'article 1371 du code civil ;
Attendu en l'espèce que M. E… a été destinataire pour le jeu de 31.000 € d'un document
comportant entre autres les mentions suivantes énoncées de manière très apparente du fait de la taille
des caractères, du caractère gras, des couleurs dominantes, du soulignage, d'encadrés, de
certifications par huissiers, de signatures de la direction des jeux, de la direction financière :
' Convocation pour Perception de Gain',
au verso de la première page :
'Le Responsable des Remises de Gains confirme officiellement par le présent document l'attribution
d'ores et déjà acquise d'un Gain et les conditions pour recevoir le Chèque Premier Prix ;
Il est reconnu et certifié par la Direction que la personne ici contactée est bien gagnante officielle et
indiscutable d'un Chèque Confirmé'
Par ailleurs, il est rappelé que 'le Premier Prix est d'un montant vérifié de 31.000,00 Euros =
203.346,67 Francs'
au recto de la première page
'M. E…, vous êtes officiellement le Grand Gagnant du Premier Prix de 31.0000 Euros !
M. E… est déclaré : GAGNANT d'un chèque confirmé, montant de 31.000,00 Euros = 203.346,67 Frs !'
Que les autres documents afférents à ce jeu vont dans le même sens laissant croire à première vue en
raison du caractère accrocheur des annonces que le destinataire a gagné un prix de 31.000 € ; Que ce n'est
que par une lecture attentive, rendue difficile par la masse d'annonces effectuées et par des
couleurs difficilement lisibles, qu'il apparaît au final que M. E… n'a en fait gagné qu'un chèque
confirmé mineur ne correspondant pas au montant annoncé de manière accrocheuse, et ce dans le
cadre d'un pré-tirage ; Que s'il lui est demandé de prendre connaissance du règlement officiel du jeu dont
3
la lecture est pour le moins fastidieuse et s'il est fait mention à certains endroits de l'existence d'un
aléa, celui-ci n'est pas clairement mis en évidence à première lecture, une confusion étant au contraire
pernicieusement entretenue entre le chèque confirmé, le chèque du premier prix, le numéro personnel
attribué, le numéro grand gagnant ;
Que la réalité d'une simple sélection en vue d'un tirage au sort a été ainsi masquée de sorte que M.
E…, quelque soit sa profession, a pu légitiment se croire à première lecture, dès l'annonce du gain,
gagnant du premier prix ;
Que les documents relatifs aux autres jeux portant sur des sommes de 19.000 €, 35.000 €, 25.000 €,
39.500 € sont présentés selon la même technique, à savoir une mise en évidence du gain annoncé :
'Vous ne rêvez pas, vous êtes dès à présent gagnant d'un chèque définitif, il est bien pour vous. Pour rappel, le
montant du 1er Prix s'élève à 19.000,00 Euros soit plus de 120.000,00 francs. N'est-ce pas formidable '
M. E… vous avez la chance extraordinaire de gagner un chèque en valeurs euros .........Oui, c'est bien vous qui
avez officiellement gagné ! ... Grand Prix “Médaille D'or” 35.000 €
M. E..., je vous avise que le chèque de 25.000,00 Euros que vous avez indiscutablement gagné est votre
disposition depuis ce matin
M. E, vous avez gagné le chèque 1er prix de 39.500,00 Euros ! Vous n'avez plus qu'à répondre pour le
recevoir chez vous' ;
Que les 'phrases chapeau' volontairement peu mises en apparence, telles que :'A réception dans les délais
impartis de votre 'Accord d'Attribution de Gain dûment complété et signé et sous réserve de la vérification de
vos droits potentiels, nous vous confirmerons le cas échéant ce qui suit :' sont totalement
insuffisantes pour dégager la société Agence de Marketing B de sa promesse de gain dès lors que l'annonce
de gain qui suit, saute immédiatement aux yeux et évince les différentes références à un aléa, à un jeu, à
un prétirage, lesquelles sont dispersées dans un fatras d'informations diverses sur des chèques confirmés,
vérifiés, définitifs, en valeur euros laissant croire qu'ils correspondent au premier prix ;
Attendu qu'il est justifié par ailleurs que M. E… a soit commandé, soit participé aux jeux ;
Attendu qu'il échet, au vu de ces éléments, d'infirmer le jugement et de faire intégralement droit aux
demandes de M. E…, l'existence de l'aléa affectant l'attribution de ces cinq prix n'ayant pas été clairement mis
en évidence à première lecture, dès l'annonce du gain ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré,
Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau,
Dit que la société AGENCE DE MARKETING B a engagé sa responsabilité quasi contractuelle vis à vis de M.
André… sur le fondement de l'article 1371 du code civil ;
Condamne la société AGENCE DE MARKETING B à payer à M. E… la somme de 149.500 € et celle de
2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamne aux entiers dépens.
Le président : C. Andrieux ; La greffière : C. Ceschin.
4
Cour d’appel de Riom, 20 novembre 2013, n° 12/02422 CJ
Observations : A. LE POMMELEC, Maître de conférences en droit privé, Université d’Auvergne,
École de Droit, Centre Michel de l’Hospital, Axe « Normes et entreprises »
« Encore les loteries publicitaires ! », tel était le titre d’une célèbre chronique de G. VINEY
publiée il y a maintenant quatorze ans 1 . « Toujours les loteries publicitaires ! » serait-on tenté de
répondre au regard du nombre de litiges ayant encore aujourd’hui pour objet les réclamations de
prix censés avoir été gagnés de la sorte. La problématique de la qualification juridique des relations
établies entre les sociétés de vente par correspondance et les personnes ayant reçu des documents
leur annonçant le gain de « lots », par le truchement de loteries publicitaires, a durablement
interrogé la doctrine et la jurisprudence. La question semble toujours être d’actualité, comme en
témoigne un arrêt du 20 novembre 2013 de la chambre commerciale de la cour d’appel de Riom 2.
Une société de vente par correspondance dont le siège social est en Belgique a, entre le mois
de novembre 2009 et le mois de janvier 2011, adressé à plusieurs reprises, et de manière
nominative, à un particulier exerçant la profession d’expert-comptable, des documents déclarant ce
dernier « gagnant de plusieurs chèques » au terme d’une loterie publicitaire.
Ayant en vain réclamé l’attribution des gains par lettre recommandée avec avis de réception,
alors qu’il n’avait en fait gagné, dans le contexte d’un prétirage, qu’un chèque « confirmé » mineur
(ne correspondant pas du tout au montant annoncé de manière intempestive), le destinataire de ces
courriers a engagé une action en paiement fondée sur les dispositions de l’article 1371 du Code civil
contre la société de vente par correspondance. Le Tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand,
l’en a débouté par jugement du 5 septembre 2012. Dès lors, appel a été interjeté, le destinataire des
messages publicitaires demandant l’infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la
société de vente par correspondance à lui verser des sommes d’argent importantes par application
de la jurisprudence initiée par la Cour de cassation dans un célèbre arrêt rendu en chambre mixte le
6 septembre 2002 3. De son côté, la société de vente par correspondance sollicitait évidemment la
confirmation du jugement.
La question juridique à laquelle la cour d’appel de Riom était appelée à répondre était celle
de savoir si les courriers expédiés par la société de vente par correspondance, ayant pour objet les
gains prétendument obtenus au titre du mécanisme de la loterie publicitaire, avaient fait apparaître
de manière suffisamment claire et explicite le caractère aléatoire de ces gains.
La cour d’appel de Riom infirme le jugement entrepris. Selon l’arrêt analysé, la société de
vente par correspondance a engagé sa « responsabilité quasi-contractuelle » sur le fondement de
l’article 1371 du Code civil à l’égard du particulier auquel les courriers annonçant les gains avaient
été nominativement adressés, et elle est condamnée à lui payer la somme de 149 500 euros à titre
principal car « l’existence de l’aléa affectant l’attribution des prix n’avait pas été clairement mis en
évidences à première lecture dès l’annonce du gain ».
1
G. VINEY : « Encore les loteries publicitaires ! », JCP., 2000, éd G, I, n° 241, 1
Riom, 20 novembre 2013, n° 12/02422
3
Cass., ch. mixte, 6 novembre 2002, n° 98-22981
2
5
De toute évidence, l’arrêt de la cour d’appel de Riom impose une solution sévère justifiée par
une qualification juridique évolutive de la technique des loteries publicitaires (I), qui suscite des
questionnements permanents (II).
I. Une qualification juridique évolutive
La jurisprudence a longtemps hésité entre plusieurs qualification juridiques pour imposer un
régime juridique adéquat aux relations nées des pratiques de loteries publicitaires utilisées par les
sociétés de vente par correspondance ; ainsi certaines techniques ont été progressivement écartées
(A), avant que le fondement quasi-contractuel ne se soit imposé (B).
A. Des techniques progressivement écartées
Dans un premier temps, afin de dissuader les sociétés de vente par correspondance de
diffuser des messages ambigus dans des bons de participation à des loteries publicitaires 4 ,
annonçant le gain de prix, à des consommateurs naïfs, sans avoir indiqué clairement que l’attribution
était aléatoire, la Cour de cassation avait retenu l’existence d’un véritable acte juridique imposant
l’exécution de l’obligation, dès lors que des termes univoques et affirmatifs laissaient entendre un
gain effectif du « lot » annoncé, tantôt sur le fondement d’un « engagement unilatéral » original 5 ,
tantôt sous la forme plus classique d’un véritable contrat 6. La référence à l’acte juridique, voire la
formation d’un contrat de nature aléatoire, avait bien sûr pour avantage de justifier la condamnation
de la société de vente par correspondance à remettre au destinataire des messages ambigus le « prix
promis » au titre d’une exécution forcée en nature, ou, à défaut des dommages et intérêts d’un
montant équivalent à la valeur du lot sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, ou à tout le
moins au préjudice prévisible par référence aux dispositions de l’article 1150 du Code civil 7. Pour
autant, l’acte juridique suppose nécessairement que l’engagement soit volontaire pour créer
l’obligation, or il est permis de douter que l’organisateur d’une loterie publicitaire ait réellement eu
l’intention d’attribuer le prix annoncé à l’ensemble des gagnants potentiels. De plus, du point de vue
de l’emprunt à la technique contractuelle, on peut d’abord constater que l’acceptation du
destinataire des messages annonçant le gain, est susceptible d’être présumée, fût-elle silencieuse,
parce que la pollicitation a été formulée dans l’intérêt exclusif du destinataire.
4
H. HENRY, « Les loteries dans les contrats par correspondance », JCP., 1986, éd G, I, n° 3624
5
Douai, 10 février 1993, précité, D 1996, somm., p 227, note Ph. DELEBECQUE ; observations J. MESTRE, RTD.
e
Civ., 1995, p. 886 ; Cass. 1 civ, 28 mars 1995, D. 1996, p. 180, note J-L. MOURALIS ; observations J. MESTRE,
RTD Civ., 1995, p. 886 ; obs. Ph. DELEBECQUE, D. 1995, somm., p. 227 ; Toulouse, 14 février 1996, observations
e
J. MESTRE, « L’engagement unilatéral a tiré le gros lot », RTD Civ., 1996, 397 ; Trib. com., 3 ch., Nanterre, 4 juin
1999, JurisData n° 1999-111503
6
e
e
Cass., 1 civ., 26 novembre 1991, Bull. civ., 1991, I, n° 332 ; Cass. 1 civ., 28 mars 1995, Bull. civ., 1995, I, n° 150
e
; Cass., 2 civ., 11 février 1998, Bull. civ., 1998, II, n° 55 ; note G. CARDUCCI, JCP., 1998, éd G., II, 10156 ; M.
FABRE-MAGNAN, JCP., 1998, éd G, I, 155, n° 1 ;obs. R. LIBCHABER, D. 1999, somm. p. 109 ; obs. D. MAZEAUD,
e
Defrénois, 2000, p. 1044 ; obs. G. VINEY, JCP., 1998, éd G., I, 185, n° 1 ; Cass., 1 civ., 12 juin 2001, n° 98e
20309 ; note D. HOUTCIEFF, JCP., 2002 éd G, II, 10104 ; obs. D. MAZEAUD, D. 2002, p. 1316 ; Cass., 1 civ., 4 mai
2011, n° 10-13696
7
Paris, ch. 25, sect. A, 29 octobre 1998 : JurisData, n° 1998-024421
6
En revanche, on doit souligner ensuite qu’il est évidemment contestable d’admettre que
l’organisateur d’une loterie publicitaire a formulé une véritable offre de contracter ferme et précise,
ayant pour objet l’attribution d’un prix. En réalité, l’objet de la pollicitation se limite à proposer la
simple « participation à un jeu ». La loi impose d’ailleurs formellement aujourd’hui la présence d'un
bulletin de participation (et non d'acceptation du prix annoncé) totalement distinct d’u bon de
commande. 8
Selon la formule fameuse de Pothier 9 : "il n'y a que les promesses que nous faisons avec
l'intention de nous engager et d'accorder à celui à qui nous la faisons le droit d'en exiger
l'accomplissement, qui forment un contrat et une convention". La référence à l’acte juridique ayant
été jugée artificielle par de nombreux auteurs 10 a été progressivement abandonnée par la Cour de
cassation, au profit d’une application des mécanismes de la responsabilité civile délictuelle, sur le
fondement de l’article 1382 du Code civil 11 , alors même qu’aux termes de l’article L. 121-36 du Code
de la consommation, sont licites « les opérations publicitaires réalisées par la voie d'un écrit qui
tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les
modalités de tirage au sort, dès lors qu'elles n'imposent pas aux participants une contrepartie
financière ou une dépense sous quelque forme que ce soit ».
On peut souligner que la Cour d'appel de Riom avait déjà, quant à elle, renoncé aux
manipulations conceptuelles révélant de manière trop fictive un acte juridique, et qu’elle avait
naguère sanctionné une société de vente par correspondance, sur le fondement d’un fait juridique
illicite, en faisant application des mécanismes de la responsabilité délictuelle 12 pour la condamner à
verser au « gagnant supposé » une somme d’argent, d’un montant assez inférieur, il faut le
reconnaître, à la valeur vénale de la voiture qui constituait le « gros lot » du tirage de la loterie
publicitaire. Il n'y a donc ni engagement unilatéral de volonté, ni offre véritable de contrat acceptée,
la solution retenue à l’époque était fondée sur l’existence d’un fait illicite justifiant l’application pure
et simple des dispositions de l’article 1382 du Code civil. Le but poursuivi par la jurisprudence est
clairement d’abord de « punir » une pratique en soi condamnable pour avoir eu pour conséquence
d’imposer une attente illusoire et trompeuse, et ensuite d’indemniser la « victime » d’un « préjudice
de déception » 13. Dans cette analyse, les juges du fond portaient, en premier lieu, une appréciation
sur la valeur et la force de documents publicitaires, tout spécialement sur leur caractère trompeur, et
révélaient une faute civile appréciée « in abstracto » par référence à l’attitude d’un organisateur de
loteries publicitaires respectueux de la loi, des usages, et des « bonnes pratiques professionnelles »
suivies par la majorité des sociétés de vente par correspondance. En second lieu ils évaluaient, « in
concreto », le préjudice subi, à la lumière de l’intensité de la déception d’une personne selon ses
capacités personnelles de lecture, d’analyse, et de compréhension des documents publicitaires reçus.
Quand la mise en œuvre de cette technique s’avérait trop délicate, par défaut, les juges du fond se
référaient aux attentes du plus grand nombre de personnes placées dans une situation comparable
8
Cf. : article L. 121-36 du Code de la consommation
e
POTHIER : Traité des obligations, 1 partie, chap. 1, n° 3
10
J.-Ch. Saint-Pau : Jurisclasseur civil, Fasc. 11-10 : DROIT À RÉPARATION, n° 32 et s.
11
e
Cass., 2 civ., 3 mars 1988 : Bull. civ. 1988, II, n° 307 ; obs. J.-L. AUBERT, D. 1988, somm. p.405, ; obs. Ch.
GAVALDA et C. LUCAS DE LEYSSAC, D. 1990, somm. p.105 ; obs. G. VIRASSAMY, JCP., éd G, 1989, II, 21313, –
e
e
Cass., 2 civ., 7 juin 1990 : Bull. civ. 1990, II, n° 130. – Cass., 2 civ., 28 juin 1995 : note J.-L. MOURALIS, D. 1996,
e
e
p. 18 . – Cass., 2 civ., 18 décembre 1996 : Bull. civ. 1996, II, n° 307 – Cass., 2 civ., 11 février 1998 : Bull. civ.
e
1998, II, n° 55 ; obs. R. LIBCHABER, D. 1999, somm. p.109, – Cass., 2 civ., 26 octobre 2000, n° 98-18246 ; obs.
E. SAVAUX, Defrénois 2001, p. 693
9
12
e
Cf. Riom., 1 ch. civ., 24 juin, 1999, obs. A. LE POMMELEC, RJA, vol. 2000/2, PU. Faculté de Droit de Clermont
Ferrand
13
B. LECOURT, « Loteries publicitaires ; La déception a-t-elle un prix ? »: JCP., éd. G, 1999, I, 155
7
selon le critère du « plerumque fit». Le destinataire des messages publicitaires devait naturellement
être déboutée de la demande d’attribution du prix, lorsque les documents ne comportaient que des
allégations équivoques auxquelles il était raisonnable de n’attacher aucune conséquences pratiques
14
, afin d’éviter une forme de « dévoiement des actions en justice » 15 .
Dans une perspective de responsabilité civile, l’attitude fautive de l’organisateur du jeu était
susceptible de justifier la condamnation de ce dernier à une « peine privée » 16 . Toutefois, il convient
de relever que, pour l’essentiel, la réparation était limitée, dans la plupart des hypothèses, au seul
préjudice moral. Il est en effet très rare qu’un préjudice économique ou financier soit indemnisé car
les frais occasionnés par la participation au jeu étaient d’un montant dérisoire. Par voie de
conséquence, le montant des dommages et intérêts était très faible, et insuffisamment dissuasif pour
les organisateurs de loteries publicitaires, dont les « mauvaises pratiques » avaient persisté à
prospérer. Dès lors, la recherche d’une nouvelle qualification juridique plus efficace s’imposait.
B. Un fondement quasi-contractuel affirmé
L’arrêt de la cour d’appel de Riom relève d’abord qu’il est « désormais constant que
l’organisateur d’une loterie publicitaire qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre
clairement en évidence l’existence d’un aléa affectant l’attribution du prix à première lecture, dès
l’annonce du gain, s’oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer en application de l’article
1371 du code civil ». Il s’agit d’une référence explicite à la jurisprudence initiée par la Cour de
cassation le 6 septembre 2002, saluée par certains auteurs comme une manifestation majeure du
« réveil des quasi-contrats » 17 , consacrant un quasi-contrat innommé. L’arrêt analysé justifie ensuite
l’application de ce « principe » par de nombreux éléments de fait en soulignant de manière très
détaillée le caractère, à tout le moins ambigu pour ne pas dire trompeur, des allégations et
affirmations reproduites dans les divers courriers reçus par l’appelant. L'absence de précision relative
à l’existence d’un aléa est la condition fondamentale du raisonnement juridique suivi : c’est de toute
évidence l’ambiguïté des montages visuels qui crée l’attente du gain espéré par le destinataire des
messages publicitaires.
À la lumière des dispositions de l'article 1371 du Code civil, il convient de relever que le
quasi-contrat a pour source un événement « spontané » qui impose une ou plusieurs obligations
civiles en dehors de tout accord préalable de volonté des protagonistes. En revanche, l’article 1371
ne fait pas référence aux motivations de celui qui a pris l’initiative d’un comportement révélateur
d’un engagement juridique non conventionnel ; dès lors l’altruisme ou le pur désintéressement ne
constituent pas une condition sine qua non de l’existence d’un quasi-contrat. De toute évidence
l'annonce de gain effectué dans l’environnement d’une loterie publicitaire se justifie pour la société
de vente par correspondance par un motif économique et financier. Cette dernière espère
naturellement qu’en laissant espérer un avantage sous forme d’un prix, le destinataire de la « bonne
nouvelle » sera dans de bonnes conditions psychologiques pour commander des marchandises dans
le futur, ou du moins, que la « promesse » suscitera l’intérêt appuyé du destinataire pour créer dans
l’avenir une véritable « fidélité commerciale ». La principale conséquence du quasi-contrat né à
l’occasion d’une loterie publicitaire, dont les modalités sont trop équivoques, sera de contraindre
14
e
Cass., 1 civ.,19 octobre 1999, n° 97-10570
C. RISTORl-MARIA : « Les loteries publicitaires : le régal des plaideurs ou le dévoiement de l'action en
justice », Gaz. Pal 1995, 2, doct, p. 1076
16
S. CARVAL : « La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée », Thèse, L.G.D.J, 1995
17
Ph. LE TOURNEAU et A. ZABALZA : « Le réveil des quasi-contrats », CCC., 2002, chron., n° 22
15
8
celui qui l’a organisée, à délivrer le prix annoncé. La société de vente par correspondance répond de
son fait et devient alors, ipso facto, débitrice d’une obligation. En appliquant la technique du quasicontrat, il s’agit selon nous en réalité d’imposer l’exécution en nature, ou par équivalent, d’une
obligation créée spontanément par le débiteur, plutôt que de sanctionner un comportement illicite
en forçant l’organisateur du jeu à indemniser le préjudice subi par celui qui a participé, mais n’a
finalement pas gagné, contrairement aux affirmations proférées ; dès lors la notion de
« responsabilité quasi-contractuelle », ne nous semble pas idoine, mais plutôt révélatrice d’un « faux
concept »…
Selon la cour d’appel de Riom, la forme même des documents révèle la volonté de masquer
le caractère aléatoire des gains annoncés, spécialement par la taille de la police des caractères
utilisés, l’usage de couleurs et d’expressions imprimées en gras, soulignées, encadrées, des mentions
relatives à certifications par huissiers, de l’apposition des signatures de la direction financière et de la
direction des jeux de la société de vente par correspondance, etc. Les nombreux éléments relevés
par la cour d’appel démontrent à partir des procédés utilisés par la société de vente par
correspondance, que cette dernière à utiliser tous les subterfuges destinés à créer l’illusion d’une
officialisation effective d’un gain réel et définitif. Cette « mise en page » et une « véritable mise en
scène » destinée à masquer la réalité du caractère aléatoire de ce qui n’est, en réalité, qu’un très
banal « tirage au sort ». L’aléa n’est donc pas du tout mis en lumière ; tout au contraire les services
de marketing de la société de vente par correspondance ont mis en œuvre, de manière presque
« scientifique », une série de signes destinés dissimuler l’aléa consubstantiel à toute loterie
publicitaire. Dès lors, les arguments de l’intimée selon lesquels « les documents publicitaires
mettaient en évidence l’aléa s’agissant du prix principal », ou que « la mise en évidence de l’aléa à
première lecture dès l’annonce du gain doit intervenir dans les documents contenant la proposition de
participation à la loterie, et non dans un message postérieur », et « qu’en l’espèce l’attention du
destinataire avait été attirée sur le caractère aléatoire de l’attribution des prix par diverses mentions
situées à plusieurs endroits des documents dont une phrase chapeau et par la reproduction d’un
règlement de jeu particulièrement précis et lisible » ne pouvaient guère prospérer de manière
efficace en justice. Par voie de conséquence, il est tout à fait logique que la cour d’appel n’ait pas été
convaincue par cette argumentation contredite per l’apparence même des courriers adressés à
l’appelant 18 .
L’arrêt de la cour d’appel de Riom est également motivé par un rejet circonstancié des
arguments développés « au fond » par la société de vente par correspondance selon lesquels d’une
part, « elle n’avait pris aucun engagement à l’égard du destinataire concernant le versement des prix
principaux », et d’autre part, que le destinataire des courriers, expert-comptable, était « doté de
facultés de compréhension normales, voire supérieures à la moyenne (sic), le mettant à l’abri de tout
excès de crédulité de sorte qu’il ne peut invoquer une croyance réelle dans l’attribution des gains, et
ce d’autant plus qu’il disposait de l’avis de la DGCCRF du 26 novembre 2009 qu’il avait contactée
avant même de participer au premier jeu ». Dans l’un des deux arrêts rendus le 6 septembre 2002 en
chambre mixte, la Cour de cassation 19 avait pris soin d’indiquer que le fait de sanctionner les
sociétés de vente par correspondance en les condamnant à attribuer les prix annoncés de manière
ambiguë, prématurée et intempestive, ou leur équivalent en argent, n’était pas automatique. En
effet il fallait que le destinataire ait pu légitiment croire avoir réellement gagné le prix revendique,
dès lors les circonstances dans lesquelles l’opération de loterie publicitaire s’est déroulée, et
18
Ph. DEVESA : «Les loteries commerciales et la V.P.C.", JCP., 1996, éd E, suppl, n°3, p 21
19
Cass., ch. mixte, 6 septembre 2002, n° 98-14397 ; note D. MAZEAUD, D. 2002, p. 2963 ; obs. J. MESTRE et Ph.
FAGES, RTD Civ., 2003, p. 94 ; obs. G. RAYMOND, CCC, n° 151 ; note S. REIFERGERSTE, JCP., 2002, éd G., II, n°
10173 ; E. SAVAUX, Defrénois, 2002, 1608
9
l’environnement particulier dans lequel elle s’inscrit, peuvent justifier le rejet de toute condamnation
des sociétés de vente par correspondance ayant eu recours à cette technique. Ainsi, la Cour de
cassation a justifié le rejet du pourvoi tendant à obtenir la condamnation d’une société de vente par
correspondance, car il était établi que le demandeur avait été sensible au caractère fort équivoque
de l'ensemble des documents publicitaires que lui avait fait parvenir cette société de vente par
correspondance à laquelle il avait, peu de temps après, répondu pour valider son bulletin de
validation, par une lettre recommandée avec accusé de réception, dans laquelle, plutôt que de faire
part de son étonnement ou du plaisir qu'il éprouvait à l'idée de gagner, sans raison, une somme d'un
montant très élevé, il avait fait valoir au directeur de la société que, « faute de recevoir la somme
annoncée, il serait contraint de confier les documents à son avocat pour engager des poursuites »…
De tout évidence le destinataire avait dans cette hypothèse parfaitement compris avoir été
« victime » d'une publicité à « la limite de l'honnêteté intellectuelle » 20. Le demandeur au pourvoi ne
pouvait pas décemment prétendre avoir cru réellement gagner une forte somme. Cette constatation
devait conduire le juge à décider qu'il n'avait souffert « d'aucun préjudice et qu’il avait cherché à tirer
profit d'un pseudo-gain qu'il savait n'être pas le sien, ce qui permettait aux juges du fond de déduire
que son action était abusive ». Au regard de la sévérité de l’arrêt du 6 septembre 2002 auquel il est
permis de se référer, l’arrêt de la cour d’appel de Riom peut sembler très favorable au destinataire
des messages organisant des loteries publicitaires, dans la mesure où la personnalité et la qualité de
ce dernier, ne révèle aucune crédulité excessive. L’arrêt commenté prend spécialement soin de
mettre en avant « le caractère délibérément confus des documents adressés difficilement lisibles »,
« le caractère fastidieux de la lecture du règlement officiel du jeu », que « les références à l’existence
d’un aléa n’étaient pas mises clairement en évidence », « qu’une confusion entre les différents types
de prix était pernicieusement entretenue », etc. L’addition de tous ces éléments dissimulait le
caractère sélectif de l’attribution des prix par tirage au sort. La nature aléatoire du tirage était
évincée par la mise en page. Dès lors, le destinataire des documents est donc, quelle que soit sa
profession, excusé d’avoir été victime d’une apparence trompeuse, et a pu légitimement « croire à
première lecture être le gagnant du premier prix ».
Les juridictions judiciaires n’ont pas tenté de faire faire appel à « l’honneur » 21 des sociétés
de vente par correspondance ; il aurait été en effet, pour le moins illusoire d’espérer de la part des
organisateurs de loteries publicitaires qu’ils respectent un quelconque « engagement d’honneur » 22
envers les destinataires de leur prose publicitaire. De la même manière, le concept d’obligation
naturelle transformée en obligation civile n’a pas été retenu pour justifier l’attribution du prix. Dès
lors, plusieurs qualifications juridiques classiques ont donc été successivement explorées pour tenter
d’éradiquer une pratique créant un « préjudice de déception » subi par des consommateurs trop
naïfs. Des éléments de réponse ont parfois été trouvés pour réprimer pénalement certaines
infractions commises par les entreprises de vente par correspondance 23. En revanche, du point de
vue spécifique du droit civil, il faut constater une série d’errements quant à la qualification juridique
adéquate permettant d’encadrer l’usage des loteries publicitaires 24. La question posée est en effet
20
21
Cf. : J. DELGA : « Le consommateur serait-il devenu moins intelligent ? », Gaz. Pal., 1995, 2, doct, p. 1066
B. BEIGNIER, "L'honneur", Revue DROITS, P.U.F., 1994, p. 97
22
B. OPPETIT : « L'engagement d'honneur », D. 1979, chron, p. 110
Cass., crim., 8 mars 1990, n° 87-81049 ; Cass. crim., 30 janvier 1992, n° 91-81756 ; Cass., crim., 5 avril 1995,
n° 94-81940 ; Cass. crim., 30 octobre 1995, n° 94-84640 ; Cass., crim., 16 octobre 1996, n° 95-84755 ; Cass.
er
crim., 28 mai 1997, n° 96-84342 ; Cass., crim., 25 juin 1997, n° 96-84148 ; Cass., crim., 1 octobre 1997, n° 9682900 ; Cass., crim., 14 mars 2000, n° 99-85174 ; Cass. crim., 20 novembre 2012, n° de pourvoi 11-89090
24
D. AUTEM : « Quel fondement pour la responsabilité des sociétés de vente par correspondance en matière
de loterie avec prétirage ?», CCC, 1999, chron., 11
23
10
complexe : la problématique est celle de savoir quelle doit être la réponse attendue par le
destinataire du message auquel avait été annoncé, de manière intempestive, le gain d’un lot
quelconque, qui en définitive sera nécessairement déçu de n’avoir en réalité rien gagné du tout, alors
que les documents publicitaires diffusés ne comportaient pas de mentions suffisantes du caractère
aléatoire de l’attribution définitive, naturellement fondée sur un tirage au sort.
Force est de constater que les premières tentatives ont échoué 25, qu’il s’agisse des
qualifications inspirées par la logique de l’acte juridique dont le caractère artificiel était trop flagrant,
ou des qualifications fondées sur la responsabilité délictuelle par application des dispositions de
l’article 1382 du Code civil dont l’inconvénient majeur était d’indemniser que de manière très faible
le préjudice moral subi par le destinataire des documents abscons, ne dissuadant pas suffisamment
les sociétés de vente par correspondance, tout particulièrement celle ayant leurs sièges sociaux hors
du territoire français, comme dans l’affaire jugée par l’arrêt de la cour d’appel de Riom du 20
novembre 2013. Par voie de conséquence, de nombreuses sociétés de vente par correspondance
continuaient à avoir recours au procédé contestable des loteries publicitaires, nonobstant les
quelques décisions prononçant tantôt des condamnations pénales, ou civiles 26. Au visa de l’article
1371 du Code civil, deux arrêts rendus en chambre mixte par la Cour de cassation le 6 septembre
2002, ont innové 27 en retenant la qualification de quasi-contrat pour sanctionner une société de
vente par correspondance ayant créé l’illusion de l’attribution d’un lot à l’occasion d’une campagne
publicitaire fondée sur la technique du tirage au sort, sans avoir suffisamment mis en évidence le
caractère aléatoire du gain. Le fondement est original, et les conséquences sont radicales pour les
sociétés de vente par correspondance, dans la mesure où celles-ci sont condamnées, soit à attribuer
réellement le bien et la prestation annoncés comme gagnés, soit à verser une somme d’argent
correspondant à la valeur de ce bien, ou de cette prestation de service. Il convient toutefois, à notre
avis, de souligner en premier lieu, que ces arrêts ne consacrent pas le concept de « responsabilité
quasi-contractuelle » stricto sensu, mais imposent le respect de l’exécution d’un engagement fondé
sur le comportement factuel d’une personne révélant une source autonome d’obligation. En second
lieu, il paraît opportun de souligner que la question de « la source des obligations » est évidemment
posée. Ainsi, la création prétorienne d’un « nouveau » quasi-contrat sui generis indique que le
concept de quasi-contrat a été soumis à une profonde évolution, dans la mesure où l’objet des quasicontrats ne se limite plus à imposer la compensation de l’avantage reçu de l’auteur d’un fait de
manière « injuste », mais s’étend désormais au fait du débiteur tenu d’assumer l’exécution d’un
droit, dont autrui a pu légitimement croire être créancier.
L’originalité de cette nouvelle forme de quasi-contrat se manifeste aussi bien par rapport aux
deux formes classiques de quasi-contrats que sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu
consacrées par les articles 1372 à 1381 du Code civil, que par rapport au quasi-contrat créé de
manière prétorienne au XIXe siècle fondé sur l’enrichissement sans cause. Il n’est en effet pas
possible de faire appel à l’action de in rem verso pour sanctionner l’attitude d’une société de vente
par correspondance ayant utilisé la technique des loteries publicitaires pour créer l’illusion d’un gain
dans l’esprit du destinataire des documents publicitaires car il n’y a pas d’enrichissement injuste au
25
Ph. BRUN : « Loteries publicitaires trompeuses. La foire aux qualifications pour une introuvable sanction »,
Liber amicorum Jean Calais-Auloy, Études de droit de la consommation, Dalloz, 2003, p. 191.
26
M. TCHENDJOU : « La responsabilité civile des organisateurs de loteries publicitaires », Mélanges offerts à
Jean-Luc AUBERT, Dalloz, 2005, p. 311
27
e
e
e
er
Cass., 1 civ., 13 juin 2006, n° 05-18469 ; Cass., 1 civ., 25 février 2010, n° 09-12129 ; Cass., 1 civ., 1 juillet
e
e
e
2010, n° 09-12585 ; Cass. 1 civ., 4 mars 2011, n° 10-13696 ; Cass., 1 civ., 23 juin 2011, n° 10-19741 ; Cass., 1
e
e
e
civ., 1 civ., 6 février 2013, n° 12-10251 ; Cass., 1 civ., 29 mai 2013, n° 12-16647 ; Cass., 1 civ., 30 octobre
2013, n° 11-27353.
11
profit de la société de vente par correspondance (tout juste peut-elle seulement espérer fidéliser un
client et obtenir des commandes dans le futur), ni d’appauvrissement subi par le particulier
simplement déçu de ne pas avoir reçu le prix « annoncé ». Il s’agit de trouver une réponse juridique
efficace 28 pour dissuader les sociétés de vente par correspondance d’abuser d’une technique
instrumentalisant l’apparence par elle créée pour des raisons marchandes, au risque de provoquer
l’illusion d’abord, et la déception ensuite. Le fait d’avoir mis en place un stratagème de de pur
marketing fondé sur une « promesse » totalement illusoire, puisque soumise au pur hasard d’un
tirage au sort, (qui ne pourra évidemment être favorable qu’à un très faible nombre d’élus), alors
que de très nombreuses personnes ont été destinataires des mêmes messages révèle sinon un
comportement délictuel au sens de l‘article 1382 du Code civil, du moins un comportement tout de
même marqué par un indéniable cynisme, un manque de transparence, et pour tout dire une
certaine déloyauté.
La notion de quasi-contrat ne comportait pas selon l’analyse traditionnelle, jusqu’au tournant
jurisprudentiel opéré par la Cour de cassation le 6 septembre 2002, d’exemple de quasi-contrats
dont l’un des éléments constitutifs aurait été, en dehors de la loi, fondé sur l’illicéité du
comportement d’une personne. Dès lors, il est sans doute permis de constater un rapprochement
contestable entre la technique du quasi-contrat telle qu’elle utilisée aujourd’hui pour sanctionner les
artifices créateurs « d’illusions d’optique » auxquels certaines sociétés de vente par correspondance
ont encore recours, et le concept de quasi-délit fondé sur les dispositions de l’article 1383 du Code
civil, par lesquelles le créateur d’un préjudice subi par autrui est tenu de le réparer, dès lors qu’il
procède de la négligence ou de l’imprudence. La société de vente par correspondance qui a
aujourd’hui encore recours au mécanisme des loteries publicitaires sans communiquer clairement
sur le caractère strictement aléatoire du mécanisme de l’attribution des lots est tenu d’assumer les
conséquences pécuniaires de la désillusion et des vains espoirs qu’elle a créé pour le lecteur crédule
et inexpérimenté des documents publicitaires qu’elle diffuse en toute connaissance de cause et
massivement dans le grand public. Néanmoins, le quasi-délit impose d’indemniser le préjudice et
l’appauvrissement subis par la victime, alors que, classiquement, le quasi-contrat permet de corriger
les conséquences d’un appauvrissement non pas « provoqué » ? mais unilatéralement « subi » de
manière spontanée.
Nonobstant les acquis de la jurisprudence sur lesquels la cour d’appel de Riom motive sa
décision, il nous paraît souhaitable de relever que les loteries publicitaires continuent d’inciter la
doctrine et la jurisprudence à des questionnements permanents.
II./. Des questionnements permanents
L’arrêt de la cour d’appel de Riom est donc très classique. De toute évidence, par souci de
sécurité et de bonne administration de la justice elle n’a pas recherché de nouvelles approches (A).
Pour autant, il n’est pas exclu que des questions procédurales (B) soient posées dans la perspective
d’un éventuel pourvoi critiquant l’arrêt analysé.
28
J. HONORAT : « Rôle effectif et rôle concevable des quasi-contrats en droit actuel », RTD Civ., 1969, p. 633 et
s.
12
A. La recherche de nouvelles approches
Au-delà de la permanence de la solution, il est sans doute possible d’envisager de nouvelles
pistes pour éradiquer les pratiques les plus douteuses des sociétés de vente par correspondance.
Peut-être la qualification juridique alternative de « quasi-engagement » proposée par certains
auteurs 29 permettrait-elle d’écarter et de sanctionner les illusions déceptives subies par autrui. L’une
des caractéristiques du concept de « quasi-engagement » est l’illicéité du comportement. Il s’agirait
dans cette perspective d’exiger le respect de l’engagement dont une personne a pu légitimement
croire, de bonne foi, qu’il serait tenu. En revanche, le quasi-contrat resterait quant à lui à l’écart de
toute référence à l’illicéité. La mise en place d’une nouvelle catégorie juridique révélant une source
originale d’obligations aurait pour mérite évident de ne pas forcer exagérément et trop
artificiellement les critères et les limites de la qualification de quasi-contrat au-delà du raisonnable.
La Cour de cassation 30 a d’ailleurs elle-même écarté le recours à la notion de quasi-contrat, et limité
l’expansion initiée le 6 septembre 2002, en censurant au visa de l’article 1371 du Code civil un arrêt
d’une cour d’appel qui avait, sur le fondement de ces dispositions, imposé le respect d’une obligation
juridique fondée sur l’apparence créée par la révélation volontaire de l’existence d’un contrat. Dès
lors, pour la Cour de cassation, la simple annonce d'un contrat ne peut pas justifier l’existence d’un
quasi-contrat 31. La notion de « croyance légitime » a fait l’objet d’études doctrinales complexes 32. La
croyance d’une personne dans l’existence de droit et de devoirs n’est susceptible de créer des
obligations civiles véritables suppose, au-delà de la seule bonne foi, une condition sine qua non : des
signes apparents doivent permettre à celui qui les perçoit de bénéficier ensuite d’une véritable
« dispense de vérification » de la réalité. Le concept est original et complexe, dans la mesure où il ne
se confond, ni avec la théorie de l’apparence, ni avec l’erreur commune, ni avec l’erreur invincible. Il
permettrait sans doute de répondre aux attentes des destinataires ayant pu spontanément avoir
gagné un prix à la lecture d’un document occultant le caractère aléatoire de l’attribution d’un lot.
Toutefois, force est de constater que nonobstant l’apport théorique indiscutable qu’il représente, le
concept de « croyance légitime », n’a pas mis en place un régime juridique spécifique et autonome
par la Cour de cassation. Ainsi la jurisprudence, ne prend en compte la « croyance légitime », que
comme un élément de fait, mis en perspective avec la présence d’un aléa indécelable à première
lecture de l’annonce de gain, pour justifier l’application de l’article 1371 sur le fondement moins
innovant et peu subversif du quasi-contrat. Dès lors, alors même que la « théorie de l’apparence » a
principalement pour objet de protéger l’intérêt des tiers 33 , il est difficile pour les juridictions du
fond, sur le seul fondement du concept de la « croyance légitime » 34, tant de répondre aux attentes
d’une personne ayant perdu ses illusions quant à la réception d’un lot ou d’un prix, que de
sanctionner efficacement les sociétés de vente par correspondance qui le lui avait fait accroire. Ainsi
la « croyance légitime » initiale dans la réalité d’un gain, de celui qui subit en définitive un préjudice
de déception, n’est qu’un élément constitutif du quasi-contrat sui generis utilisé désormais en
matière de loteries publicitaires.
29
C. GRIMALDI : « Quasi-engagement en droit privé », thèse Paris II, 2007, n° 184 et s ; A. DANIS-FATÔME :
« Quasi-engagement et apparence : proximité ou identité ?», RDC, 2009, p. 32.
30
e
Cass., 3 civ., 15 mars 2006, n° 05-10252 ; obs. DOIREAU, RLDC., 2006, n° 2034, p. 9; obs. R. LIBCHABER,
Defrénois, 2006, 1229 ; ; obs. J. MESTRE et Ph. FAGES, RTD Civ., 2006, p. 555
31
V. PERRUCHOT-TRIBOULET : « L'annonce d'un contrat peut-elle créer un quasi-contrat ? », D. 2007, p. 1581
32
J.-L. SOURIOUX : « La croyance légitime », JCP., 1982, éd G, I, n° 3058
33
Ch. PAGNON : « L'apparence face à la réalité économique et sociale »', D. 1992, chron, p. 285
34
M.-P. HITIER : « De la croyance légitime comme critère de définition des quasi-contrats », LPA, 25 janvier
2006, n° 18
13
D’autres auteurs, critiquant également le caractère trop artificiel de l’emprunt à la notion de
quasi-contrat, ont, quant à eux 35, mis en lumière le concept « d’attente légitime » d’attribution du
prix annoncé par une société de vente par correspondance pour justifier la sanction devant être
prononcée contre cette dernière. La sanction prend alors la forme d’une obligation d’attribuer le lot
annoncé (ou son équivalent) du seul fait qu’il y a défaut d’exécution de l’engagement ayant créé une
attente d’attribution, d’autant plus légitime que le caractère aléatoire était diffus ou carrément
masqué, donc indécelable pour un simple particulier. Il faut de nouveau constater que la Cour de
cassation n’a pas non plus, en l’état actuel de la jurisprudence, consacré le concept « d’attente
légitime » pour justifier le respect d’un droit subjectif imposant la remise du prix annoncé
intempestivement par l’organisateur d’une loterie publicitaire. L’auteur du message publicitaire
ambigu, faute d’avoir clairement mis en évidence l’existence d’une simple sélection en qualité de
client ayant déjà contracté ou non, au titre d’un « prétirage », ou la nature strictement aléatoire du
tirage final, s’est finalement en quelque sorte « piégé » lui-même. En effet, il ne respecte pas sa
propre parole, et son comportement est incohérent et nuisible pour autrui. Il convient, ensuite, de
relever que la sanction n’est pas automatique, dans la mesure où la seule annonce d’un gain illusoire
à une personne dénommée, ne suffit pas pour justifier la sanction. Encore faut-il que le particulier
n’ait pas été en mesure de percevoir, par lui-même, le caractère strictement aléatoire du mécanisme
d’attribution du lot. Dès lors, une analyse « in concreto » s’avère nécessaire afin de déterminer si le
« profil » du destinataire déçu n’excluait pas, de par ses qualités, de son expérience, de sa profession,
qu’il ait pu être, de « bonne foi », véritablement « victime d’une apparence trompeuse » créée par la
société de vente par correspondance. Il convient enfin, même si le contentieux est aujourd’hui moins
important que naguère, de relativiser l’effet « prophylactique » du recours à la technique du quasicontrat pour modifier de manière profonde et pérenne, les pratiques douteuses de certaines sociétés
de vente par correspondance peu scrupuleuses, comme en témoignent les faits soumis à l’examen de
la cour d’appel de Riom (les courriers annonçant les gains de façon équivoque avaient été adressés
de 2009 à 2011). De facto, les documents organisant des loteries publicitaires sont aujourd’hui hélas
encore reçus par des particuliers plus de dix ans après l’évolution initiée par la Cour de cassation…
La première chambre civile de la Cour de cassation a très rapidement adopté la qualification
retenue en chambre mixte comme en témoigne plusieurs arrêts retenant la qualification quasicontractuelle à l’exclusion de toute autre, afin de sanctionner l’attitude quelquefois abusive de
certains organisateurs de loteries publicitaires, non sur le fondement spécifique des articles L. 121-1
et suivants du Code de la consommation, mais sur le fondement de la théorie générale des
obligations, par application de l‘article 1371 du Code civil, rejetant aussi bien toute référence à une
« tromperie fautive » de la part de la société de vente par correspondance, que le concept
d'engagement unilatéral de la part de cette dernière 36. La référence aux dispositions de l’article 1371
du Code civil est, comme le souligne la cour d’appel de Riom, désormais une « solution constante » 37
et, au total, assez peu contestée, faute d’unanimité pour imposer des solutions de substitution
susceptibles de justifier un régime juridique adéquat et efficace. Le projet de réforme du droit des
obligations impose naturellement que l’on s’interroge sur la pertinence de l’utilisation de la
technique quasi-contractuelle en matière de loteries publicitaires. Selon les dispositions de l’article
139 de l’avant-projet de réforme du droit des obligations tel qu’il a été diffusé par le bureau du droit
des obligations le 23 octobre 2013, dispose que : « les quasi-contrats sont des faits purement
35
J. CALAIS-AULOY « L’attente légitime, une nouvelle source de droit subjectif ? », Mélanges offerts à Y.
GUYON, Dalloz, p. 171 et s.
36
e
Cass., 1 civ., 18 mars 2003, n° 00-19934
37
e
e
e
er
Cass., 1 civ., 13 juin 2006, n° 05-18469 ; Cass., 1 civ., 25 février 2010, n° 09-12129 ; Cass., 1 civ., 1 juillet
e
e
e
2010, n° 09-12585 ; Cass. 1 civ., 4 mars 2011, n° 10-13696 ; Cass. 1 civ., 23 juin 2011, n° 10-19741 ; Cass., 1
e
e
e
civ., 1 civ., 6 février 2013, n° 12-10251 ; Cass., 1 civ., 29 mai 2013, n° 12-16647 ; Cass., 1 civ., 30 octobre
2013, n° 11-27353.
14
volontaires dont il résulte, un engagement de celui qui en profite, sans y avoir droit, et parfois un
engagement de leur auteur envers autrui ». L’avant-projet établit ensuite une liste de trois quasicontrats auxquels des dispositions spécifiques sont consacrées : la gestion d’affaires (articles 140 à
145), le paiement de l’indu (articles 146 à 148), et, désormais l’enrichissement injustifié (articles 149
à 151). A contrario, on constate le quasi-contrat n’est pas mentionné pour les loteries publicitaires
déceptives. Néanmoins, la qualification quasi-contractuelle ne nous paraît pas pour autant devoir
être remise en cause, dans la mesure où les termes utilisés pour définir la notion de quasi-contrat
demeurent parfaitement « compatibles » avec la jurisprudence initiée par la Cour de cassation, en
chambre mixte, le 6 septembre 2002. La solution favorable à la notion de quasi-contrat appliquée par
la cour d’appel de Riom pour sanctionner une société de vente par correspondance ayant eu recours
à la technique des loteries publicitaires, si elle n’est pas formellement consacrée par de nouvelles
dispositions légales, n’est donc pas a contrario davantage, condamnée par le projet de réforme du
droit des obligations.
B. De possibles difficultés procédurales
La majorité des sociétés de vente par correspondance ont tenu compte de la sévérité des
sanctions prononcées par la jurisprudence fondées sur les dispositions de l’article 1371 du Code civil,
sévérité dont témoigne la cour d’appel de Riom puisque le montant de la somme (149.500 euros)
dont le versement a été imposé à l’organisateur de la loterie publicitaire au profit d’une personne,
qui « a soit commandé, soit participé aux jeux » est d’un montant particulièrement élevé. En
revanche, certaines sociétés de vente par correspondance étrangères persistent malgré tout, dont
celle qui a été condamnée à plusieurs reprises par la cour d’appel de Riom et par la Cour de cassation
aujourd’hui encore, à ne pas mettre suffisamment en évidence le caractère aléatoire de l’attribution
des prix. Dès lors, cette société de vente par correspondance belge sera peut-être incitée à former un
pourvoi en cassation comme elle l’a fait déjà fait à plusieurs reprises dans un passé récent.
Précisément, lorsque la loterie publicitaire a été organisée par une société de vente par
correspondance étrangère des questions juridiques supplémentaires de nature procédurale peuvent
parfois se poser. Les difficultés elles portent sur la détermination de la juridiction compétente du
point de vue « international » lato sensu. Quels critères convient-il d’utiliser pour déterminer si
l’attributaire doit former sa demande d’attribution du lot devant une juridiction française, ou devant
une juridiction étrangère ? La réponse à la question dépend spécialement de la qualification juridique
applicable à la relation établie entre le destinataire des documents relatifs à la loterie publicitaires et
la société de vente par correspondance qui les lui a transmis.
Selon la Cour de cassation, lorsqu’une action en attribution de prix justice a été initiée sur le
fondement d’un quasi-contrat contre une société de vente par correspondance, l'option de
compétence ouverte par l'article 46, alinéa 2 du Code de procédure civile n'est pas ouverte 38 . En
revanche, par application des dispositions de l'article 5, § 1 du règlement (CE) n° 44/2001 du
22 décembre 2000, une qualification de nature contractuelle du mécanisme des loteries publicitaires,
permettrait à celui qui prétend en avoir été victime, d’intenter son action devant le tribunal du lieu
où « l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ». Par voie de
conséquence, dès lors que le prix promis devait être remis au domicile du « gagnant » la juridiction
dans le ressort de laquelle ce dernier a son domicile serait a priori compétente pour trancher le litige
39
.
38
Cass., 2 civ., 3 juillet 2008, n° 07-15151
e
39
Cass., 1 civ., 4 mai 2011, n° 10-13696
e
15
Il nous paraît important, à ce sujet, de souligner que l’exclusion de la référence à la technique
contractuelle n’est pas « absolue » en matière de contentieux relatif aux loteries publicitaires. Ainsi ,
la CJCE a relevé, dans un arrêt remarqué du 11 juillet 2002 40 la nature contractuelle de certaines
techniques de loteries publicitaires : « Les règles de compétence énoncées par la convention du
27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile
et commerciale, doivent être interprétées en ce sens que l'action juridictionnelle, par laquelle un
consommateur vise à faire condamner, dans l'État contractant sur le territoire duquel il est domicilié
et en application de la législation de cet État, une société de vente par correspondance, établie dans
un autre État contractant, à la remise d'un gain, lorsque celle-ci lui avait adressé personnellement un
envoi de nature à donner l'impression qu'un prix lui sera attribué à la condition qu'il commande des
marchandises pour un montant déterminé et que ce consommateur passe effectivement une telle
commande sans cependant obtenir le versement dudit gain, est de nature contractuelle au sens de
l'article 13, premier alinéa, point 3, de ladite convention ». Par voie de conséquence, la Cour de
cassation a été confrontée à une question procédurale liée à l’application éventuelle des dispositions
de l’article 46 du Nouveau code de procédure civile 41. Une société de vente par correspondance
avait été assignée en paiement de sommes représentant des gains annoncés par divers courriers
organisant une loterie publicitaire, devant le tribunal de grande instance du domicile du destinataire.
Ce dernier avait admis l’existence de l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société
de vente par correspondance, et s'était donc déclaré incompétent au profit du tribunal dans le
ressort duquel se situait le siège social de cette société. De son côté, le destinataire avait quant à lui
formé un contredit. La cour d’appel avait ensuite affirmé que le tribunal de grande instance du
domicile du destinataire était compétent, en relevant que l’opération ne devait pas être analysée
comme un simple d'un engagement né d’un quasi-contrat soumis aux dispositions de l’article 1371
du Code civil, car l’obligation juridique était insérée dans un contrat issu de la rencontre de volonté
des parties, le « lieu de livraison étant prévu au domicile de la cliente ». La Cour de cassation a
censuré cette analyse pour violation des articles 1371 du Code civil et de l’article 46 du Nouveau
code de procédure civile, dans la mesure où les gains réclamés résultaient d'un « jeu publicitaire » et
que les options de compétence territoriale ouvertes au demandeur par l'article 46 du Nouveau Code
de procédure civile , qui sont d'interprétation stricte, ne s'appliquent précisément pas aux actions
fondées sur un quasi-contrat. 42 .
La CJCE 43 a ensuite précisé que : « Dans une situation dans laquelle un consommateur vise à
faire condamner, en application de la législation de l'État membre sur le territoire duquel il a son
domicile et devant le tribunal du lieu où se trouve celui-ci, une société de vente par correspondance,
établie dans un autre État membre, à la remise d'un prix apparemment gagné par lui, et lorsque cette
société, dans le but d'inciter ce consommateur à contracter, a adressé à ce dernier, nominativement
désigné, un envoi de nature à lui donner l'impression qu'un prix lui serait attribué dès lors qu'il en
solliciterait le versement en retournant le « certificat de réclamation de gain » joint audit envoi, mais
sans que l'attribution de ce prix dépende d'une commande de produits offerts à la vente par cette
société ou d'une commande à titre d'essai, les règles de compétence énoncées par le règlement CE n°
44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doivent être interprétées de la manière
suivante : d’une part, une telle action juridictionnelle introduite par le consommateur relève de
40
CJCE, 11 juillet 2002, aff. C-96/00, JCP 2003, II, 10055, note H. CLARET
e
e
Cass., 2 civ., 7 juin 2006, n° 05-18614 . Cass., 1 civ., 10 mai 2010, n° 08-16071 rejetant le pourvoi formé
contre l’arrêt Riom, 9 avril 2008
42
e
Cass., 2 civ., 24 janvier 2008, n° 07-11843 cassant l’arrêt Riom, 16 juin 2005 et l’arrêt Riom, 18 janvier 2007,
au visa de l’article 1371 du Code civil
43
CJCE, 14 juin 2009, aff. C-180/06, D. 2009, AJ, p. 1546
41
16
l'article 15, paragraphe 1, sous c), dudit règlement à la condition que le vendeur professionnel se soit
juridiquement engagé à payer ce prix au consommateur ; d’autre part, lorsque cette condition n'est
pas remplie, une telle action ne relève de la même disposition du règlement CE n° 44/2001 que dans
l'hypothèse où le consommateur a effectivement passé une commande à ce vendeur professionnel ».
Plus récemment encore 44, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel de Riom d’avoir décidé
que le fait pour une personne ayant commandé des marchandises proposées par une société de
vente par correspondance en envoyant un bon de commande, en prenant soin de respecter
scrupuleusement les conditions fixées par l'expéditeur, alors que la commande avait été « traitée »
peu de temps après, démontrait que la société avait ainsi manifesté l'acceptation de la proposition,
et que le particulier pouvait, en sa qualité de consommateur, saisir le tribunal de son domicile en
application des articles 15 et 16 du Règlement (CE) n °44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I)
pour réclamer les gains qui lui avaient été annoncés sous forme de « loterie publicitaire ».
La question de la compétence juridictionnelle a été par la suite de nouveau abordée dans un
contentieux relatif à l’attribution de prix dans l’environnement spécifique des loteries publicitaires,
comme en témoignent trois arrêts de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 7 mai
2010, mettant en cause le comportement de sociétés de vente par correspondance belges, dans des
circonstances assez proches de celles relevées par l’arrêt de la cour d’appel de Riom soumis à notre
analyse. Ainsi, une personne avait réclamé le paiement de gains qui lui avaient été « promis » par
une société de vente par correspondance devant le tribunal correspondant au domicile de cette
personne, situé en France. En riposte, la société de vente par correspondance avait ensuite soulevé
l'incompétence de la juridiction française au profit de la juridiction belge. Par ordonnance du 9
octobre 2007, confirmée en appel, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de
Moulins avait rejeté l'exception soulevée par la société de vente par correspondance. Le pourvoi en
cassation formé par la société de vente par correspondance reprochait donc à l'arrêt attaqué (Riom,
8 octobre 2008 ) « de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir le tribunal de grande instance
de Moulins déclaré incompétent au profit du tribunal de Tournai (Belgique), correspondant au lieu où
est situé son siège social ». La troisième branche du pourvoi soutenait d’abord « qu'en matière
contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un
autre État membre, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été, ou
doit être, exécutée », et prétendait ensuite « qu'en application de l’article 1371 du Code civil,
l'organisateur d'une loterie annonçant un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence
l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer mais que cette obligation
est distincte de l'obligation contractuelle dont est seul titulaire le bénéficiaire du gain », et concluait
enfin que dès lors, « les modalités contractuelles d'exécution de cette dernière ne peuvent lui être
étendues et qu'en conséquence, en déclarant la juridiction française compétente, en tant que
juridiction du lieu où la société de vente par correspondance avait accepté de verser son prix au
« grand-gagnant », la cour d'appel de Riom avait violé les dispositions des articles 1134 et 1247 du
Code civil et l'article 5-1 du Règlement (CE) n° 44 / 2001 du 22 décembre 2000 ». La Cour de cassation
a rejeté le pourvoi de la société de vente par correspondance, car l’arrêt critiqué avait relevé que
cette dernière avait adressé plusieurs documents publicitaires annonçant au destinataire deux gains,
qu'à la suite de ces envois de courriers, celui-ci avait effectué des commandes, et que dès lors la cour
d'appel en avait justement déduit que le destinataire des courriers., en sa qualité de consommateur,
pouvait saisir le tribunal de son domicile, en application des articles 15 et 16 du Règlement (CE) n° 44
/ 2001 (Bruxelles I) pour l'obtention des sommes d'argent apparemment gagnées par lui. Il convient
de souligner au-delà de la problématique des « loteries publicitaires », que le principal apport des
trois arrêts du 7 mai 2010, est l’énoncé d’un principe selon lequel « en matière internationale, la
44
e
Cass., 1 civ., 7 mai 2010, n° 09-14324 rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt Riom, 28 janvier 2009 ; n° 0911177 rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt Riom, 8 octobre 2008 ; n° 09-11178 rejetant le pourvoi formé
contre l’arrêt Riom, 8 octobre 2008
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contestation élevée sur la compétence du juge français saisi ne concerne pas une répartition de
compétence entre les tribunaux nationaux, mais tend à lui retirer le pouvoir de trancher le litige au
profit d'une juridiction d'un État étranger, par voie de conséquence, le pourvoi en cassation contre le
jugement ayant statué sur une exception de procédure a pour fin selon, la Première chambre civile, de
prévenir un excès de pouvoir ; qu'il est dès lors immédiatement recevable, même s'il n'est pas mis fin
à l'instance ». On remarquera, à cette occasion, que le recours de la Cour de cassation à la notion
« d’excès de pouvoir » utilisée pour justifier la solution retenue, a été sévèrement critiqué par la
doctrine. 45 .
L’organisateur d’un jeu qui a délibérément pris le risque de l’illusion trompeuse est
légitiment tenu d’assumer les conséquences de la déception ainsi provoquée. La sanction doit rester
proportionnée à la gravité de la violation du principe selon lequel « nul ne peut se contredire au
détriment d'autrui » 46 . L’absence volontaire de toute diffusion e information pertinente relative au
caractère aléatoire de l’attribution du prix, laisse présumer que ce dernier a été réellement gagné. Le
fait de prétendre ensuite se soustraire à l’attribution annoncée entre nécessairement en
contradiction avec l’attitude initiale de la société de vente par correspondance et porte atteinte au
« principe de cohérence ». Au terme de l’analyse, il est nous semble permis de conclure que la
jurisprudence est parvenue, pour l’essentiel, à assurer une forme d’équilibre, permettant de
sanctionner les abus les plus caricaturaux de la publicité «formidable entreprise de contraintes et
d'abrutissement traitant l'homme comme le plus obtus des animaux », pour citer Georges DUHAMEL,
sans pour autant reconnaître un « droit acquis » à l’obtention des prix pour des joueurs, sans doute
frustrés, mais beaucoup trop naïfs pour être eux-mêmes parfaitement honnêtes. Une décision de
justice ne doit pas en effet être synonyme de « seconde chance garantie » pour des personnes trop
peu vigilantes pour mériter une protection systématique et bénéficier d’une réponse
automatiquement favorable à leurs prétentions.
45
46
Cf. : observations Ph. THERY, RTD Civ, 2010, p. 808
Cf. : Cass. com., 20 septembre 2011, n° 10-22888
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