Il était une fois dans l`Ouest
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Il était une fois dans l`Ouest
isharmonies Gratuit Il était une fois dans l’Ouest Année 7, Numéro 49 OCTOBRE 2014 "You see, in this world there's two kinds of people, my friend: those with loaded guns, and those who dig. You dig. » Clint Eastwood, dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone (1966) Édito Comme il est trop tôt pour affronter l’automne, Disharmonies vous emmène ce mois-ci affronter les paysages arides, les cactus et les canyons du Grand Ouest américain ! Mettez votre plus beau chapeau de cow-boy, prenez votre lasso, et en selle ! Avant d’aller trouver votre bonne fortune dans les contrées sauvages, avant de vous lancer tête baissée, Historiquement vôtre et Géographiquement vôtre vous fourniront quelques informations pour préparer au mieux votre équipée : vous serez prêts à aller commercer avec les Indiens et à traverser la Frontière entre villes du Grand Est et terres inexplorées. Si vous aussi, vous vous sentez l’âme d’un chercheur d’or, avec Echoes of Science vous découvrirez tous les secrets de l’or avant de vous lancer dans l’aventure ! Pour les moins téméraires, la communauté disharmonienne se propose d’animer de belles soirées dans votre salo(o)n : les Mystères de l’Ouest (Regards, Cris, Tics) n’auront plus rien de mystérieux, le Kid dévoilera la fin de ses jours (Miscellanées) ou bien vous irez affronter les cactus et déserts arides aux côtés de Clint et de ses successeurs modernes (Jeux ; Ces images qui bougent). Pour ceux qui refuseraient l’arrivée de la télévision, Oumpah-pah le Peau Rouge (Regards, cris, tics) et Kidd, presque égaré entre deux continents, se chargent de vous faire voyager en quelques planches. Pour les mélomanes Puccini et Arthur Jamin (La onzième harmonie) devraient vous emmener très loin dans ce grand Ouest fascinant et sauvage. Attablés à un comptoir graisseux dans un saloon pour se protéger du soleil de midi, toute la Rédac’, son whisky à la main vous attend pour vous faire revivre à sa manière le Wild West Show de Buffalo Bill ! À la suite de Mac Lyntock dans Les Affameurs, nous vous disons donc, chers lecteurs : « On se reverra. Tu me reverras, crois-moi. Chaque fois que tu seras prêt à t'endormir, tu fouilleras l'obscurité en te demandant si je n'y suis pas à l'affût en train de t'épier dans un coin. Une nuit, j'y serai précisément. On se reverra ». Bref… Ne ratez pas la diligence ! Binh Minh Historiquement vôtre 2 Miscellanées 4 Regards, cris, tics 5 Ces images qui bougent 6 (BD) Les aventures du Captain Kid 7 La onzième harmonie 10 Géographiquement vôtre 12 Jeux 14 Regards, cris, tics (2) 15 Echoes of Science 15 Regards, cris, tics (3) 18 Page 2 Année 7, Numéro 49 Historiquement vôtre De l’Indien des westerns à l’Indien de réserve : la place des Amérindiens dans l’espace social et politique américain Ayons un peu l’esprit simpliste : si l’on vous dit Indien, vous penserez peut-être d’abord à votre enfance, à un tipi, ou encore au calumet de la paix. Pourtant, l’ « Indien », c’est avant tout cet homme du Far West, celui qui sera nommé dans les textes officiels native American, celui qui était là le premier sur les terres de l’Ouest sauvage. Si la cohabitation pacifique entre l’homme de la frontière (voir Géographiquement vôtre) et l’Indien dura jusqu’à la Guerre de Sécession, c’est surtout leur face à face, leurs conflits qui ont fait émerger la figure mythique de l’Indien. Celui qui combat l’Indien, c’est celui qui combat le sauvage, la barbarie. Malgré des conflits dont on trouve largement l’illustration dans des films, l’Indien est aujourd’hui un citoyen américain, citoyenneté qui fait de sa communauté une véritable nation ins- crite dans l’espace états-unien. On peut ainsi parler et de « nation indienne », et de la diversité des « tribus indiennes » : pour autant, avant qu’en 1823 la nation Cherokee ne dépose une injonction fédérale à l’encontre de l’État de Géorgie, chaque tribu était une entité souveraine. Plus à l’Ouest, alors que l’expansion territoriale américaine battait son plein, au détriment de la France, de l’Espagne, de la Hollande, les populations autochtones restaient en place et cherchèrent elles aussi à gagner des terres sur les terres nouvellement américaines. Les tribus apaches, navajos et hopis occupaient largement la Californie et toutes les terres du Sud-Ouest américain. Mais à partir de 1848 et de ce que l’on pourrait nommer la « fièvre de l’or », les immigrants arrivent en masse à l’Ouest, exterminant tout ce qu’ils trouvent sur leur passage : les terrains de chasse des Indiens devinrent ainsi champs de bataille au nom de l’expansion de la « Frontière ». Peu à peu, la colonisation est autorisée sur ce qui constituait les terres mêmes des réserves indiennes : en 1889, le General Allotment Act autorise ainsi la colonisation en Oklahoma, sous toutes ses formes, avec extraction minière, défrichage… etc. Alors même qu’il faisait partie de l’État des « Cinq nations » indiennes depuis 1834 et deviendra véritablement État américain en 1907. La piste des Indiens évoquée par Turner dans son essai The Significance of the Frontier in American History doit ainsi laisser la place aux voies de chemin de fer. L’expansion territoriale est ainsi caractérisée par une colonisation qui n’autorise pas les Indiens à y prendre part : les Indiens sont d’une certaine manière les premiers à être des « pionniers » en direction de l’Ouest. Par l’Indian Removal Act de 1830, tous les Indiens se trouvant à l’Est du Mississipi doivent se regrouper dans ce qui est communément nommé « réserves » plus à l’Ouest : plus de 100 000 Indiens sont déplacés entre 1830 et 1850. En 1862 est réellement mise en place une sorte de « dépossession » privant les Indiens de leurs terres : toutes les familles non indiennes peuvent désormais obtenir gratuitement Disharmonies des terres agricoles, une fois vidées de leurs occupants Indiens. Enfin, ce sont les lois de 1871 et de 1887 qui portent définitivement atteinte à la souveraineté indienne : la première loi, Indian Appropriation Act, ne reconnaît plus l’indépendance des nations indiennes présentes sur le territoire américain mais ne laisse que la reconnaissance individuelle de tout individu alors que la seconde, le General Allotment Act, permet la redistribution des terres indiennes en parcelles allouées à des familles, indiennes ou non, par décision du Président des États-Unis. Tout au long du xixe siècle, les Indiens sont donc les victimes de spoliations, déportations, massacres et voient leur indépendance en tant que nation disparaître au profit d’une dépendance vis-à-vis des États-Unis, dans une sorte de relation de tutelle. Néanmoins, le système de réserves n’était absolument pas nouveau : dès 1820 on trouve dans les textes des mentions d’Indian Territory pour les Native Americans. Les réserves devaient avant tout servir à éviter des affrontements directs entre autochtones et colons blancs en éloignant les uns des autres : pourtant, l’expansion vers l’Ouest ne permit pas aux Indiens de vivre librement, car leurs terres, même éloignées, devinrent l’objet de convoitises. Peu à peu les Indiens furent déplacés vers des zones de moins en moins fertiles ou convoitées par les colons blancs. Les Indiens devaient seulement survivre de leurs activités agraires, mais, cela ne produisant pas assez de ressources, dès les années 1880 on tenta de leur faire adopter le mode de vie américain. L’expansion territoriale, si elle fut dictée par des motifs économiques, à savoir la mise en culture de terres toujours plus étendues trouva un prétexte, un argument divin : en 1845, un sénateur affirme ainsi que c’est la volonté de Dieu que les Américains (à savoir les Blancs) s’étendent d’une mer à l’autre. Pour autant, si après 1887 les parcelles purent être redistribuées à des familles indiennes, il s’agissait avant tout de mieux les Page 3 intégrer à un modèle agraire est-américain, en faisant des Indiens non des sauvages mais de vrais paysans américains, et de créer en eux un sentiment d’individualité. La taille des terres allouées était ainsi fonction de la structure familiale : de 16 hectares pour un jeune indien célibataire à 62 hectares pour un homme avec charge de famille. Néanmoins, les terres restaient gérées par le Bureau des Affaires Indiennes, créé en 1824. Par ailleurs, les Indiens étaient contraints de fréquenter des écoles en vue d’une certaine acculturation au mode de vie des Blancs. Si les Indiens avaient une identité, ils ne devinrent des citoyens des États-Unis d’Amérique qu’en 1924, par l’Indian Citizen Act, et s’enfoncèrent pour la plupart dans la misère, ne parvenant pas à devenir de véritables fermiers. La reconnaissance de l’existence des Indiens fit aussi partie du New Deal américain : on leur reconnaît de nouveau le droit de pratiquer la propriété collective mais l’interdiction d’avoir des chefs tribaux. Ce n’est qu’en 1953 que le Termination Act supprime le statut spécial des Indiens dans les réserves : a priori porteur de liberté, en faisant d’eux des citoyens à part entière, cet acte supprime une bonne partie des réserves, entraînant l’éparpillement des tribus et la migration vers les villes à cause de la perte de leur moyen de subsistance, la terre. Ce n’est qu’en 1970 que l’on reconnaît véritablement le droit des Indiens à exister dans l’espace social américain : le président Nixon affirme lui-même que la rupture a été trop violente et on fournit par la suite des moyens d’éducation décents aux populations indiennes, mais on interdit aussi l’enlèvement d’enfants indiens afin qu’ils soient élevés comme des citoyens américains par des familles non indiennes tout en autorisant la pratique de religions traditionnelles. Enfin, ce n’est qu’en 1983 que le Termination Act est véritablement aboli : chaque tribu indienne est désormais reconnue et libre d’exister. Les Indiens s’intègrent désormais à l’espace social américain en droit, même si l’on trouve encore des réserves « touristiques » : en Californie particulièrement, il s’agit surtout de faire renaître, de réhabiliter une culture perdue : les Native Americans constituent moins de 1% de la population totale mais ont le plus de tribus présentes dans l’État. C’est avant tout un manque de moyens et de développement économique qui a conduit à une telle vulnérabilité sur le plan politique. Binh Minh Page 4 Année 7, Numéro 49 Miscellanées La mort de Billy the Kid pour Paulita Maxwell. W et B pour William Boney, lui-même, alias Billy the Kid. Les souvenirs se 14 juillet 1881. Colline de Fort Sumner, Nouveaubousculent dans sa mémoire à la vue de ces deux Mexique. initiales. Soudain, un bruit sourd se fait entendre. Le Kid tourne la poignée. La porte branlante s’ouvre. « ¿ Quién es ? » Demande le Kid. Personne à l’intérieur. Il esquisse quelques pas pruIl n’a pas pu détacher les yeux du napperon. En une dents dans le salon. Le plancher craque sous ses seconde, William Boney revoit toute sa vie. Son enpieds. Les éperons de ses bottes émettent un léger fance dans les faubourgs crapuleux de Silver City. claquement métallique. En homme prudent, il garde Son premier meurtre, à dix-huit ans, dans le saloon la main sur la crosse de sa carabine, chargée à bloc, de Fort Grant. Sa fuite en Arizona, le long des parois et rajuste sa ceinture à munitions. vertigineuses de grès rouge, avec le vent sec du dé« Paulita ? » appelle-t-il doucement. sert qui murmurait dans les pins comme un appel à Aucune réponse. Aussi souple et discret qu’un jeune la liberté. Son arrivée au Nouveau-Mexique, ses chat, il traverse le salon désert. Avant de passer dans luttes contre le clan des Irlandais, les Dolan, spole couloir, il lorgne un court instant sur son reflet liant les natifs de leurs terres. Un bandit, lui ? Non, dans les carreaux sales : il y voit un jeune homme un justicier, plutôt. C’était ainsi que le voyaient les maigre, d’une vingtaine d’années tout au plus, vêtu petits fermiers mexicains, qui le considéraient d’un pantalon de grosse toile et d’une chemise rapiécomme un des leurs. Les acquittements successifs, cée, tenant fermement une Winchester et prêt à tuer toujours suivis de nouveaux méfaits, avaient fait de de sang-froid au moindre signe suspect. lui un éternel fugitif. Sa tête était mise à prix pour « Pas très présentable pour une visite galante… » cinq cents dollars. Il espérait cependant une dermurmure-t-il, avec une moue dubitative. nière amnistie qui lui permettrait de se retirer ici, à Il soulève légèrement son large chapeau noir et Fort Sumner : il rachèterait le terrain aux Dolan, il passe une main dans ses cheveux couleur de paille, vivrait avec les Maxwell et épouserait Paulita. Il deavant de cracher dans le fumoir de la cheminée. Ses viendrait un propriétaire respectable. Il fonderait yeux clairs balayent de nouveau la pièce. Mais où une famille. Enfin, il toucherait sa part de bonheur. donc est Paulita ? Elle lui a seulement envoyé un Mais en ce jour du 14 juillet 1881, la famille Maxwell message lapidaire, l’enjoignant à la rejoindre au plus était partie à Albuquerque vendre sa production de vite chez elle, ici, à Fort Sumner... Or, le redoutable blé, laissant la maison déserte. Paulita n’avait pas Pat Garrett, shérif du Comté de Lincoln, sait comécrit au Kid. Quelqu’un d’autre s’en était chargé, en bien la jolie mexicaine lui est chère : le Kid craint un signant de son nom. Ce même jour, le bandit expérienlèvement, voire une embusmenté s’était laissé distraire cade. par un napperon brodé à ses Il traverse le couloir et péinitiales et à celles de la fille nètre dans la petite cuisine. qu’il aimait. Une seconde Sous chacun de ses pas s’élève d’inattention. Une seconde de un nuage de cette poussière trop. fine et suffocante, la poussière « ¿ Quién es ? » demande le aride de l’Ouest. Ses muscles Kid. se tendent. Il sent des gouttes La détonation retentit. Une de sueur perler à son front : il douleur lancinante lui transest près de midi ; la chaleur perce l’estomac. Il se tient le est écrasante. Il contourne le ventre des deux mains, le gros poêle à charbon et se sang s’échappe, la vie décide à monter les escaliers s’écoule. Le Kid s’affaisse, menant à la chambre de Pauchancelle. Une deuxième lita. balle l’abat, près du cœur. Le Peut-être n’a-t-elle pas osé rideau tombe. C’est la fin. sortir et est-elle restée barriOn lui a tiré dessus dans le cadée là, à l’attendre. Peutdos. Il ne saura jamais qui. être… Il pousse légèrement la Quién es. Qui est-ce. La derporte. N’entrevoit personne. nière question du Kid meurt Le lit, encore plein d’odeurs sur ses lèvres, en même légères, semble s’offrir à lui, temps qu’il expire son dernier tandis que de l’autre côté, face souffle. à la fenêtre aux carreaux jauPat Garrett sort de derrière le nis, gît sur une petite table un lit, éclatant d’un rire triomnapperon inachevé. Le jeune phateur. Certes, le geste manhomme s’approche, poussé quait d’élégance. Mais qu’impar la curiosité, et ne peut porte ? Il l’a eu lâchement, ce s’empêcher de sourire en licoyote, mais il l’a eu tout de sant les quatre initiales bromême. Les vendeurs de bétail dées : un W et un B, entrela- Dernière photo de Billy the Kid, prise en 1880 au vont pouvoir dormir sur leurs cées à un P et un M. P et M deux oreilles et, lui, empoNouveau-Mexique. Disharmonies Page 5 cher une belle prime. Et pourtant, en observant le corps sans vie de ce garçon de vingt-et-un ans, le shérif a déjà un pénible pressentiment qui ne le quittera plus. Pat Garrett, homme d’une intelligence médiocre, mais non dénué de clairvoyance, comprendrait son erreur bien des années plus tard. Quand les éleveurs irlandais feraient faillite et sombreraient dans l’oubli. Quand le petit malfrat qui n’avait eu de cesse de lutter contre eux serait au contraire auréolé de gloire. Alors Pat Garrett saurait qu’il avait en fait échoué. Par un paradoxe incompréhensible de tous les shérifs du comté de Lincoln, le jour du 14 juillet 1881 avait eu deux conséquences a priori mutuellement exclusives : ce jour-là, William Boney était mort… mais Billy the Kid, lui, jeune pour l’éternité, était devenu immortel. BLAKE Regards, cris, tics Les Mystères de l’Ouest Imaginez James Bond sillonnant les États-Unis des années 1860 en compagnie de Q, à cheval ou à bord d’un wagon cossu rempli d’armes et d’accessoires secrets, le tout agrémenté d’une dose non négligeable de frisson, de fantastique et de science-fiction : cela vous donnera une première idée du principe des Mystères de l’Ouest (Wild Wild West), une série télévisée américaine diffusée dans les années 1960. James West (Robert Conrad) et Artemus Gordon (Ross Martin) sont deux cow-boys membres des services secrets au service du président Grant. James West, avec ses allures de shérif, est l’archétype du héros au grand cœur, impeccablement blanc et propre sur lui, aussi sagace dans ses investigations que redoutable lorsque vient l’heure des bagarres de saloon ou des fusillades contre des bandes de gredins aux couleurs variées. Artemus Gordon, lui, recourt généralement à la ruse plutôt qu’à la force : passé maître dans l’art du déguisement et de l’infiltration, il peut se glisser à plaisir dans l’accoutrement d’un vieux loup de mer portugais, d’un grand propriétaire du Sud ou d’un guerrier apache, voire d’une danseuse de cabaret ou d’un peu tous ces gens à la fois si nécessaire ; il invente aussi toutes sortes d’accessoires et d’armes secrètes qui sauvent régulièrement la mise à James West. Ensemble, ils ont à remplir les missions les plus diverses. Ils enquêtent sur toutes les affaires louches, des disparitions inexpliquées aux frasques des puissants en passant par le grand banditisme pur et simple et par les affaires diplomatiques délicates impliquant les Amérindiens. Ils découvrent et désamorcent régulièrement les complots les plus improbables et les plus abjects destinés à suborner ou à anéantir le pays, voire le monde entier. Car leurs pires ennemis ne manquent pas d’envergure : le plus tenace, le Docteur Miguelito Loveless (incarné par le mémorable acteur nain Michael Dunn), est un savant fou qui rêve de devenir maître du monde. Comme le titre le laisse attendre, l’étrange et le bizarre sont souvent au rendezvous, ainsi que de nombreux stéréotypes de la littérature pulp et du cinéma du samedi soir. Chose normale en ces temps où les séries télévisées n’étaient pas encore les chefs-d’œuvre absolus que l’on sait, avec leurs intrigues feuilletonnisantes sources d’insomnies et leurs approfondissements psychologiques révolutionnaires, chaque épisode des Mystères de l’Ouest est autonome et l’on est assuré d’y retrouver chaque personnage jouant à peu près toujours le même rôle, dans une nouvelle affaire dont le titre commence toujours par La Nuit de…. et dont le dénouement ne manque jamais de survenir en moins de cinquante minutes, ce qui vous permettait de dormir le cœur en paix et éventuellement de faire autre chose de votre vie en attendant l’épisode suivant. Au fil des quatre saisons qu’a connues la série, en noir et blanc puis très vite en couleur, les spectateurs eurent ainsi droit à des affaires comme La Nuit du lit qui tue, La Nuit du cadavre fluorescent, La Nuit du détonateur humain, La Nuit du bison à deux pattes, La Nuit du poison, La Nuit de la marée maudite, La Nuit des cosaques, La Nuit du trésor des Aztèques, etc. L’évolution des moyens tech- niques, mais aussi des mœurs et des codes narratifs, nous rend déjà étranges des séries comme celle-ci, qu’il devient difficile de regarder entièrement au premier degré. On jettera des regards apitoyés à certains effets spéciaux, on s’étonnera du peu de solidité des garde-fous des saloons (voire des murs) pendant les rixes, on montrera les dents devant quelques ficelles scénaristiques éhontément grossières, on tiquera devant la représentation stéréotypée et ordinairement discriminante de tout ce qui n’est pas un Américain blanc chrétien et hétérosexuel, on cherchera en vain un personnage féminin qui ne soit pas cruche ou foncièrement maléfique... Et pourtant, ces vieilles aventures n’ont pas perdu tout leur charme. Administrées à dose raisonnable, elles peuvent même s’avérer rafraîchissantes : il n’est pas désagréable de temps en temps de voir des héros simplement honnêtes et généreux, pas particulièrement tourmentés, affronter des pelletées de lascars et d’acolytes à coups de crochets du droit dans un décor en carton-pâte qu’on rêverait de peindre soi-même un dimanche, tandis qu’un méchant absolument irrécupérable s’empresse autour d’un laboratoire dont on devine les ampoules colorées et les électro-aimants. Je ne peux en tout cas que recommander un coup d’œil à la série originale, plutôt qu’à la grosse production qui en a été tirée en 1999 mais qui ne garde de Wild Wild West que le titre et un ou deux noms propres apposés abusivement sur une pâtée scénaristique reformatée. Eunostos Page 6 Année 7, Numéro 49 Ces images qui bougent Une histoire du western à toute vapeur... … car de toute façon, il serait idiot de chercher à résumer en un petit article un siècle entier de western. Nous nous limiterons à un aperçu sommaire et sélectif des grandes tendances qui ont dicté l’évolution de ce genre désormais connu et reconnu de tous – un signe tangible de cette adoption par la culture populaire étant le nombre de parodies et pastiches qui ont fleuri en marge des grands classiques. Mais avant les cactus en cartonpâte et les cowboys de pacotille, les premiers films sur le Far West, quoique majoritairement tournés sur la côte est, sont frappés au coin de l’authenticité : en ce tournant du xxe siècle, l’esprit pionnier est encore tout frais et les westerns avant la lettre ne font que référer à une réalité contemporaine, tout en exploitant le filon des déjà légendaires Buffalo Bill, Calamity Jane, Jesse James ou encore Billy the Kid. C’est seulement à partir des années 1920 que western devient une véritable étiquette de genre avec des cowboys, des Indiens et des bandits au grand cœur. Les studios sont désormais à Hollywood, au sud de cette Californie mythique qui fut la terre promise des colons ; mais les acteurs, bien que l’industrie du show-business ne tarde pas à en faire des stars professionnelles, sont encore pour la plupart de vrais cowboys nés au fin fond du Texas ou de l’Oklahoma. Will Rogers, qui se spécialisera dans le vaudeville et la comédie (muette puis parlante), est d’origine amérindienne cherokee ; aujourd’hui, un immense parc à Los Angeles porte encore son nom. C’est l’époque du western pour les familles, avec un humour bon enfant et des valeurs morales triomphantes. Les années 1930 marquent le début de l’âge d’or du western classique. Tandis que se développent en marge des sous-genres comme le western chanté avec Gene Autry (mieux connu à présent pour ses chansons de Noël), les grandes fresques à la John Ford (La Chevauchée fantastique, 1939) donnent à l’homme d’action intègre et un peu brut la figure de John Wayne, pour qui un bon Indien est un Indien mort. Avec plus de profondeur psychologique, la silhouette allongée de Gary Cooper (Le Train sifflera trois fois, 1952) incarne le shérif brave et séduisant. Alors que le western américain s’essouffle, dans les années 1960, c’est l’Italie qui prend la relève, et avec quelle maestria ! Trois noms dominent ce nouveau genre qu’on a surnommé, de manière aussi pérenne que raciste, « western spaghetti » : un réalisateur, Sergio Leone, un compositeur, Ennio Morricone, et un acteur, Clint Eastwood. La « trilogie du dollar » (voir le jeu « Aaaaaah, Clint ! ») et celle des Il était une fois... (Il était une fois dans l’Ouest, Il était une fois la révolution, Il était une fois en Amérique) marquent les esprits des cinéphiles, avec ces longs plans désertiques dont la chaleur est presque palpable, cette tension dans les duels au soleil et surtout cette violence physique et morale sur fond de valeurs éthiques chancelantes. Jamais l’Amérique de John Ford n’aurait mis en avant des personnages si douteux et négatifs que ceux qui dorénavant sont la référence du genre. Mais aujourd’hui, qu’en est-il du western et de ses clichés ? Avec le fameux Secret de Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005), la figure du cowboy gay bouleverse les conventions viriles établies par le western classique comme par sa version spaghetti. D’ailleurs, les personnages féminins, autrefois relégués aux rôles de potiches en robe à tablier juste bonnes à être enlevées par les Indiens, s’étoffent jusqu’à s’emparer des rôles principaux, à l’instar de la furie vengeresse incarnée par Sharon Stone dans Mort ou vif (1995) ou de la toute petite héroïne aux nerfs d’acier de True Grit, chef-d’œuvre épique et grinçant des frères Cohen (2010). L’époque contemporaine aime s’amuser avec les codes du genre, par exemple en en livrant des parodies steampunk (voir l’article « Far Far West ») ou en y introduisant des extra-terrestres (Cowboys & Aliens, 2011). Il y a bien longtemps, en effet, que les Indiens ont cessé d’être les ennemis stéréotypés (voir les personnages joués par Robert Redford dans Jeremiah Johnson, 1972, et par Kevin Costner dans Danse avec les loups, 1990). Mais le stetson, le colt et le lasso ont encore un brillant avenir devant eux… Am42one À lire : Lucky Luke, BD de Morris (et Goscinny, sinon c’est moins bon). Blueberry, BD de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud. Western(s), J.-L. Leutrat et S. Liandrat-Guiges, Paris, coll. « 50 questions », 2007. À visiter : Autry National Center, Los Angeles, Californie (un superbe musée du Far West tant réel que fictif). À voir : tout, et entre autres Le train sifflera trois fois (High Noon), 1952. Les sept mercenaires (The magnificent seven), 1960. Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo), 1966. Le secret de Brokeback Mountain (Brokeback Mountain), 2005. True Grit, 2010. Disharmonies Page 7 Page 8 Année 7, Numéro 49 Disharmonies Page 9 BLAKE P a g e 10 Année 7, Numéro 49 La onzième harmonie Du Far West à Hollywood, en passant par le Metropolitan Opera. Le Grand Ouest américain au siècle de la ruée vers l’or est un cadre étonnant pour un opéra. Le confort des fauteuils de velours des salles occidentales s’accommode assez mal, pourrait-on croire, avec celui, plus spartiate, des bancs de bois des saloons. Tout comme la simplicité, pour ne pas dire la trivialité, d’une intrigue reposant sur la poursuite par un shérif d’un bandit amoureux de la jolie tenancière d’un bar détone avec le tragique et la noblesse de nos héros accoutumés, avec leur courage et leurs hauts faits : Idoménée prêt à sacrifier son fils à Neptune, les Hébreux suppliciés par Nabucco, Pelléas et Mélisande tendrement épris l’un de l’autre, déclamant leur amour dans un décor de Rodin. Croire qu’avant Puccini et sa Fanciulla del West, on n’admirait à la Scala et au Palais Garnier que des reines antiques et des héros vertueux en proie aux caprices d’un irrésistible destin, serait cependant une erreur. Certes, le xviie siècle connaissait ses opéras-bouffe et ce genre s’est maintenu jusqu’à l’aube du xxe siècle, mais, de Platée à La Belle Hélène, les ressorts de l’intrigue étaient principalement comiques. Au-delà de l’attrait de l’Orient (L’Enlèvement au Sérail) ou des paysans et bergers (le chœur des bergers dans l’Orfeo, ou dans un autre registre la Pastorale et ses mélodies paysannes au troisième mouvement), qui ont toujours fait recette, c’est à partir du xviiie siècle que s’est installé le genre qu’on pourrait nommer l’opéra bourgeois, celui qui met en scène des personnages contemporains dans des intrigues, sinon ordinaires, du moins familières, avec leurs sentiments contradictoires, leurs faiblesses et leurs doutes, leurs pauvres moyens d’humains, trop humains… Ce ne sont pas les moins autorisés des compositeurs qui s’y sont essayés : Don Giovanni, Figaro, Rigoletto, La Traviata, où se fait sentir l’influence des révolutions libérales et du romantisme. À l’avènement du siècle bourgeois, c’est Beethoven qui nous fait suivre les péripéties de trois protagonistes très semblables à ceux de Puccini : de même que la serveuse Minnie sauve le bandit Johnson du shérif Rance qui voulait le faire exécuter, Léonore sauve Florestan de Rocco qui le retenait captif. À l’instant où le héros frôle la mort, c’est, coup de théâtre, son amante et protectrice qui fait irruption, brandissant un pistolet, dea ex machina, pour le sauver : Léonore et Minnie tiennent les rênes de l’intrigue. L’action évolue par les femmes, et parce que les femmes aiment. Un siècle sépare la composition de Fidelio (1802) de celle de la Fanciulla (1910), mais l’histoire suit le même modèle intemporel. Une femme aime un homme retenu par un geôlier qui la convoite luimême — directement chez Puccini, indirectement chez Beethoven, car Léonore se déguise en homme, Fidelio, et s’attire les faveurs de la fille du geôlier Rocco, Marzelline. Quoi qu’il en soit, les deux drames jouent sur l’effacement des frontières entre les sexes, sur la duplicité de la condition féminine, exactement comme le théâtre de Shakespeare lorsqu’il met en scène une lady Macbeth froide et calculatrice qui tient son mari, ou comme le drame hugolien lorsqu’il représente Lucrèce Borgia tiraillée entre ses sentiments de mère et ses transports de souveraine autoritaire. C’est dans le travestissement que cette confusion entre les genres atteint son paroxysme. Il n’empêche pas les amantes d’être d’une fidélité inébranlable, ni de se montrer sensibles dans le beau duo d’amour au centre des deux œuvres. L’amour en est, en effet, toujours le principal ressort : c’est de lui que tout part et c’est pour lui que tout se fait. Il porte en lui la faculté de bouleverser l’ordre social, de tenir les puissants juste assez pour que les opprimés s’échappent. Florestan retenu pour des raisons obscures obtient l’intervention du ministre en sa faveur grâce à la bravoure de Léonore, et c’est Minnie sur son cheval qui aiguillonne les hommes à se montrer plus justes envers ce pauvre Johnson qui s’est fait brigand par nécessité. Depuis Verdi, nous sommes tous habitués à ce que l’opéra puisse porter un message politique ; c’est la condition des pauvres, ou, peut-être, dans Fidelio, des opposants politiques, que Beethoven comme Puccini interrogent. Il n’en demeure pas moins que le cadre choisi par celui qui avait accoutumé avec Madame Butterfly à l’Extrême-Orient a de quoi étonner. Si l’on tient pour audacieux le choix d’un fait divers par Beethoven pour composer Fidelio, alors Puccini est révolutionnaire ! Non seulement, c’est la première fois qu’un opéra se passe au Far West, lors de la ruée vers l’or, précisément, mais encore, c’est la première fois qu’une première mondiale d’opéra a lieu à New York, au Metropolitan, le 10 décembre 1910. Il faut dire que l’intrigue s’y prêtait bien, le passé de la ruée vers l’or étant bien plus évocateur pour le public de l’époque que pour celui d’aujourd’hui, tous l’ayant vécu, sinon directement, au moins par le récit d’un proche parent. C’est comme si l’on faisait aujourd’hui un spectacle sur la découverte de l’informatique ou sur la crise économique. L’opéra de New York fit du reste honneur au compositeur italien en confiant le rôle de Johnson à Caruso, et le public fut très enthousiaste. Aujourd’hui, la Fanciulla est largement ignorée du grand public. Pourtant, le caractère un peu stéréotypé des protagonistes — le shérif simple d’esprit, le bandit dur au dehors et tendre au dedans, la jeune fille courtisée par tous et sincèrement éprise d’un seul — n’a rien d’étonnant dans un livret d’opéra, et les mêmes traits sont partagés par les héros de nos romans, et non les moins cités en exemple : Javert, Jean Valjean, ou bien Esther dans Splendeurs et misères des courtisanes. L’intrigue elle-même est assez convenue dans sa forme, quoique originale par le cadre dans lequel elle se déroule, et la trivialité des personnages ou de leurs préoccupations n’a rien d’inférieur à celle de Madame Butterfly, ou sa niaiserie, à celle d’Orphée et Eurydice. Sur le plan musical, Puccini signe une œuvre très accomplie, très dans la veine de l’époque, en excluant la mélo- Disharmonies die classique, en utilisant les ressorts de la gamme chromatique pour créer des effets dramatiques, des sensations d’inconfort, lors de la chasse à l’homme du troisième acte, ou des résolutions tout en tensions, à la fin du duo amoureux du deuxième acte. Les accents de Debussy sont partout : dans le récitatif mélodique abondant, dans ce dramatisme inquiétant, dans les permanents jeux de timbres, dans la simplicité de l’harmonie. Simplicité renforcée par l’emploi de quelques thèmes issus des mélodies du Far West, rien, à nouveau, que de très normal pour l’époque (qu’on pense à Hansel et Gretel de Humperdinck qui intègre en 1893 des mélodies enfantines), ou même pour toutes les époques (mélodies hongroises de Liszt, danses paysannes dans la Pastorale, thèmes espagnols dans les sonates de Scarlatti…). Les rebondissements spectaculaires de l’intrigue, les éléments de décor, saloon, chevaux, mine d’or, ou la mentalité religieuse des personnages — car c’est en leur lisant la Bible que Minnie apaise les mineurs qui se battaient pour elle — inscrivent l’œuvre dans la lignée des films de western, certes pas encore très répandus le soir de la première, puisque le premier western est placé traditionnellement en 1903, mais qui avaient déjà tout pour attirer, le Far West étant très à la mode depuis les années 1880 aux États-Unis : c’est dans cette décennie que fut monté le Wild West Show de Buffalo Bill, au succès retentissant. Et ce qui faisait recette auprès du public de l’époque, au-delà de l’intérêt strictement artistique, des trépidations de l’action, ou simplement de la couleur locale historique, c’est, pour l’esprit américain, la symbolique des personnages et de leurs actes, de cette sorte de mythe fondateur qu’est la conquête de l’Ouest. Le shérif, qui représente l’arbitraire de l’ordre ancien, c’est-à-dire, de l’absence de droit, ou du droit gardé secret par les rares détenteurs de sa science, s’oppose à celui des mineurs qui refuse de rentrer dans le rang, qui s’est fait bandit — paria — pour survivre, fils naturel de Robin des Bois et de Jean Valjean. Il trouve en Minnie son alliée évidente, car c’est toujours par la femme que les changements se font. La P a g e 11 que le Far West ? Changer les femme préfère en effet, aux mineurs en jeunes traders dynamoyens violents du shérif — miques, Johnson en un consort traque, mise à mort sous la vinde Jérôme Kerviel serait peutdicte populaire — l’art de la négoêtre une meilleure satire de ciation, apanage nécessaire de la l’Amérique du xxie siècle ! Quoi démocratie, la défense des intéqu’on ait pensé et compris de la rêts légitimes et de la juste conmise en scène, entendre la voix trepartie (après avoir surgi avec de Nina Stemme était un vrai son pistolet, elle convainc les délice ; le DVD filmé à Amstermineurs et le shérif de libérer dam en 2008, lorsque celle que la Johnson eu égard à tous les sercritique qualifie parfois de digne vices qu’elle a rendus aux mihéritière de Kirsten Flagstad (1) neurs), et le secours de la relitenait déjà le rôle, est une excelgion. En forçant un peu le trait, si lente manière, si ce n’est pas déjà Johnson était l’Oreste d’Eschyle, fait, de découvrir cette pièce mule shérif, les Érinyes, alors Minsicale méconnue et de se délecter nie serait Athéna, voire : Lucrèce, de cette grande soprano wagnéoù le shérif serait Sextus, et rienne. Johnson, Collatinus. Quoiqu’Athéna n’aimait pas Oreste, ou que Collatinus n’était pas un paria de la société romaine, il est amusant, par ce parallèle, de constater que les mêmes faits, (1) Née à Hamar en 1895 et morte semper eadem, se retrouvent à Oslo en 1962, Kirsten Flagstad dans les mythes fondateurs du est généralement présentée droit et de la nation. comme la plus grande soprano Le public actuel, en particulier wagnérienne de l’histoire, et la européen, comprend moins la meilleure Isolde de tous les symbolique de cette histoire. temps. Sa voix, à la fois puissante C’est là sans doute une explicaet calme, d’une grande justesse et tion à la désaffection que subit d’un timbre éclatant, lui a permis cette œuvre de nos jours. Une d’enregistrer en 1952, sous la seconde vie pourrait lui être dondirection de Furtwängler, la vernée par la mise en scène de Nikosion de Tristan que tout amateur laus Lehnhoff, montrée pour la de musique doit posséder dans sa première fois à Amsterdam en discothèque. Son interprétation 2008, et qu’on a pu découvrir à de la mort d’Isolde est à notre Paris à la saison dernière, en fésens la seule où le calme avec vrier, à Bastille — l’œuvre faisant lequel elle quitte la vie se ressent ainsi son entrée au répertoire de à ce point. Il est possible de l’ennotre vénérable institution lytendre sur le site du musée Kirsrique. Délaissant les mineurs, les ten Flagstad de Hamar. chevaux, il déplace l’action à l’époque actuelle, transformant l’œuvre en critique du monde moderne. Le saloon se transforme en bar pour mauvais garçons en blouson de cuir, Minnie en diva hollywoodienne, la poursuite de Johnson au troisième acte se fait dans un atelier de casse de voitures. Nous n’avons pas bien compris le sens de cette transposition : est-ce seulement parce que la Californie évoque aujourd’hui plu- La Fanciulla del West de Puccini dans la mise en scène tôt Hollywood de Niko-laus Lehnhoff, Amsterdam, 2008. Florimont P a g e 12 Année 7, Numéro 49 Géographiquement vôtre De la frontière au mythe de l’Ouest : la naissance du western Il ne s’agira nullement ici de se lancer dans un historique de la constitution des États-Unis mais bien plutôt de voir comment le Grand Ouest, en tant qu’espace géographique (1) est réellement né. En effet, la Frontière marque au xixè siècle à la fois l’espace de la conquête, mais aussi la limite entre monde civilisé (les Etats de l’Est) et monde sauvage. Aux États-Unis, la frontière ne représente donc pas seulement une ligne de démarcation, mais bien un lieu physique, à savoir tout l’espace vierge en tant que tel. À partir des années 1840, de grandes routes s’ouvrent en direction de l’Ouest après la conquête effectuée sur des territoires mexicains (Californie, Texas), ce qui favorise le déplacement des premiers pionniers. Les native Americans doivent toujours être repoussés le plus loin possible de cette « frontière », et les installations de pionniers sont facilitées : ils deviennent agriculteurs grâce à la redistribution de terres prises aux Mexicains ou aux native Americans. La Frontière fait donc partie du processus de colonisation et d’expansion américain et constitue l’un des mythes fondateurs des États-Unis, construisant l’identité américaine ellemême : dès la fin du xixesiècle, elle est au centre de la réflexion de Frederick Jackson Turner dans The Significance of the Frontier in American History, qui en fait un des facteurs d’explication de l’identité américaine. La Frontière elle-même aurait ainsi créé la démocratie américaine. La Frontière américaine ressemble ainsi plus à ce que nous appellerions un « front pionnier ». Lorsque l’on évoque le terme de « western », ce sont automatiquement des images de films, de batailles, de fusils chargés, de courses-poursuites qui sont convoquées alors même qu’étymologiquement le terme signifie avant tout « venu de l’Ouest ». Pour autant, il ne faut pas négliger ce que l’on pourrait nommer les « westerns littéraires », qui apparaissent dès la fin du xixè siècle à l’instar de la nouvelle The Bride Comes to Yellow Sky, écrite par Stephen Crane, qui montre le regard de la fiancée venue de l’Est sur un « Ouest » presque mythique, où la figure du shérif fait face à l’alter ego négatif du personnage principal. Le train est ici perçu comme un protagoniste principal : il est celui qui ramène Potter, le personnage principal, dans ses terres « sauvages » natales. On assiste au fil de la lecture à la disparition de l’Ouest mythique et à la construction d’un homme nouveau. L’Ouest et ses terres sauvages deviennent le terrain de jeu, ou plutôt le lieu de la réalisation de l’homme améri- cain, au sens où, dans sa conquête de l’Ouest sauvage, l’homme est avant tout confronté à lui-même. Les terres vierges laissent ainsi la place à l’homme, à ses bêtes et à ses constructions : ici débute ce que l’on pourrait nommer le mythe agrairien. Dans les terres sauvages, quiconque peut bâtir sa vie, ou reconstruire son identité même. Depuis Thomas Jefferson, le citoyen américain idéal semble ainsi se composer à partir de personnages mythiques : le fermier, le cow-boy et l’Indien (dans une moindre mesure) se partagent cet espace en apparence vierge dans un équilibre fragile. C’est la Guerre de Sécession qui paraît rompre cet équilibre, la frontière entre Est et monde sauvage est ainsi de plus Carte de la formation politique et territoriale des Etats-Unis (1789-1889), 1/10 000 (Source : portail Gallica de la Bibliothèque nationale de France, gallica.bnf.fr) Disharmonies en plus mince, et le monde des villes gagne même l’Ouest jusque -là préservé. Ce qui se trouvait au -delà de la frontière correspondait ainsi à une espèce d’idéal édénique, de paradis perdu fait de l’harmonie entre l’homme et son milieu, et c’est véritablement l’intrusion des hommes venus de l’Est qui conduit à une rupture des relations entre les Indiens (Native Americans) et les « hommes de la frontière » : Anthony Mann en 1955 décrit ainsi dans La Charge des tuniques bleues la rupture de l’équilibre entre les trappeurs de l’Ouest et les Indiens. L’engagement du protagoniste principal dans l’armée laisse ainsi paraître la haine consumant certains militaires envers les Indiens : la bataille contre l’Indien devient ainsi le prétexte à l’affirmation de la puissance humaine, ce qui laisse 0 000. Dessiné et gravé par R. Hausermann. P a g e 13 présager l’émergence de degrés différents de citoyenneté américaine. Les trappeurs eux-mêmes voient le danger s’incarner dans la figure des soldats. Tous ceux qui pouvaient être caractérisés comme des« hommes de la frontière », d’hommes en marge du monde de l’Est, sans être pour autant Indiens doivent ainsi choisir entre deux mondes désormais opposés : l’homme de la frontière incarne lui aussi une certaine forme de barbarie. Dans les films ou dans les livres, la caractéristique même du genre « western » semble être de fournir une série d’oppositions qui constituent le paradoxe même de l’unité américaine : de l’Ouest sauvage, barbare, sont venues les ressources naturelles, qui paraissent au commencement presque illimitées, alors que de l’Est, sorte de terreau de civilisation, proviennent les techniques, et les moyens d’expansion de la puissance américaine. La disparition de la frontière correspond donc à une image unifiée de ce qui tend à devenir les « États- Unis », une image lissée qui se doit de transcender les oppositions, notamment entre les hommes, en asservissant ce qui semble rester de « barbarie ». À une certaine violence primitive à l’Ouest doivent ainsi s’imposer les lois venues de l’Est. L’homme du passé disparait au profit de la légende. La Frontière, d’un espace en mouvement, constitué par la conquête elle-même, disparaît physiquement : l’industrialisation, et surtout l’arrivée du chemin de fer repoussent un peu plus les limites de l’espace sauvage : les hommes de l’Ouest tendent à ne plus reconnaître leur propre pays : l’Ouest devient une scène de théâtre, largement parodiée plus à l’Est. La notion même de Far West convoque ainsi au tournant du xxe siècle une série de clichés, de représentations, à l’instar de ce que Buffalo Bill avait commencé à faire dès 1882 avec le Buffalo Bill’s Wild West : dans le titre même de son spectacle, donné dans toute l’Amérique et en Europe jusqu’en 1916, le mythe même de l’Ouest sauvage est convoqué, et Buffalo Bill cherche ainsi à recréer sur la scène ce que l’on pourrait nom- mer une « atmosphère du far West ». Apparaissent alors les grands clichés qui feront les joies du cinéma hollywoodien par la suite : l’attaque de la diligence, celle du Fort, la vie des premiers pionniers. Dès lors émergent les figures de ces « hommes de l’Ouest », qui ont contribué à construire l’Amérique. La Frontière, d’entité géographique est ainsi devenue une figure mythique, un élément de construction de l’Amérique avec un grand « A ». La Frontière disparaît au profit d’une unité, qui semble s’être faite au détriment des populations déjà sur place (voir Historiquement vôtre). Le Grand Ouest, le Far West devient un espace social, au sens où il est à la fois espace apprivoisé et vécu par la civilisation, mais aussi espace produit des représentations des hommes qui le parcourent. Binh Minh 1. Espace géographique : espace social, produit des groupes humains qui l'organisent et le mettent en valeur pour répondre à des objectifs fondamentaux : appropriation, habitat, échanges et communication, exploitation. (Géoconfluences, ENS Lyon) P a g e 14 Année 7, Numéro 49 Jeux Aaaaaah, Clint ! Si le western avait un visage, ce serait celui-ci. Lancé dans le Far West hollywoodien par la série Rawhide, Clint Eastwood atteint la consécration sous la houlette de Sergio Leone avec la trilogie du dollar (Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le Truand). Il a trouvé le look définitif du chasseur de têtes solitaire : chapeau fatigué, foulard noir au cou, large poncho, gilet en mouton retourné, cigarette au coin des lèvres et regard qui foudroie depuis le coin d’un œil plissé. Ce personnage rugueux, viril, violent, qui fait advenir une justice immanente en gardant toujours une pointe de sarcasme et d’autodérision et qui ne fait de concessions ni à la morale ni à l’esthétique conventionnelles s’impose à l’acteur comme une seconde peau. Lui qui n’a jamais vraiment été cowboy (ni fumeur, d’ailleurs !), il s’éprendra de musique country, collectionnera les rôles à la Dirty Harry (L’inspecteur Harry) avec un Magnum 44 à la gâchette facile... et ne manquera pas des clins d’œil comme le titre Space Cowboys (un film sur les pionniers de la conquête spatiale, sorti en 2000). Une seule tête, donc, pour des dizaines de westerns... Saurezvous attribuer à chaque cliché le film dont il est extrait ? Am42one Per qualche dollaro in più (Et pour quelques dollars de plus) - Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars) High plains drifter (L’homme des hautes plaines) - Hang’em high (Pendez-les haut et court) - Pale rider (Pale rider, le cavalier solitaire) - Rawhide - Unforgiven (Impitoyable) - Il buono, il brutto, il cattivo (Le Bon, la Brute et le Truand) Réponses (de haut en bas et de gauche à droite) : Disharmonies P a g e 15 Regards, cris, tics (2) sur lequel se braquent les regards et, dans les pires situations les colts (et autres…) d’autrui ; l’agressivité est la loi, et « personne n’en sortira indemne ». Western moderne Un jeune artiste prometteur vient de sortir un premier album : La ballade du garçon brouillon, signée Arthur Jamin. Le chanteur, qui se réclame notamment d’Alain Souchon, a parfois été qualifié par la presse de digne représentant d’une pop raffinée et sensible. Un titre-phare et qui retient l’attention, « Western moderne », mérite pour plusieurs raisons qu’on en fasse mention ici. La justification du nom de la chanson ne se fait pas attendre : le premier son qui vient est celui de l’harmonica (et il reviendra souvent). On aura plus tard (en français) une réplique archicélèbre de Clint Eastwood dans Le Bon, la Brute et le Truand ; et on aurait tort d’oublier les bruitages évoquant la manipulation d’un cran d’arrêt, ou, si l’on a encore plus d’imagination, le pas de bottes à éperons… Le texte s’appuie évidemment sur cette ambiance très efficace ; épars, sobre, il laisse au fond instrumental toute latitude pour se déployer et plonger le spectateur dans un western – et pas n’im- Le clip rend encore plus explicite, s’il en était besoin, le pessimisme du constat : ce sont des images déroutantes, exposant inégalités, pauvreté, violences, mais aussi certains dirigeants européens qui se retrouvent ainsi, par sousentendus, accusés d’attiser voire d’aggraver l’embrasement de la planète. porte lequel, hélas : le nôtre, celui du xxie siècle. Les paroles le disent très clairement ; au doublage de Clint Eastwood s’ajoute, de façon à la fois inattendue et percutante, un extrait d’un commentaire de journal télévisé relevant la fin d’une trêve fragile. Quelle trêve ? entre qui ? Cela importe peu, car le message est à la fois désabusé et direct : le « western moderne » désigne notre triste situation contemporaine, où l’on doit lutter tant bien que mal pour la survie mais où « les plus forts sont toujours les mêmes ». Chacun peut se retrouver dans la situation de « l’étranger en ville » Une vision presque désespérée, mais exprimée avec retenue et sobriété. On peut ne pas la partager, mais rester insensible au charme de la chanson et de celles qui l’accompagnent dans l’album, c’est une autre paire de manches. Fantômas (Pour retrouver la chanson, ainsi que les autres titres de l’artiste : http://www.arthurjamin.com.) Echoes of science L’or : trucs et astuces L’or. Deux lettres, mais quel mot ! Capable de précipiter des millions de personnes vers ce grand Ouest américain que Disharmonies a choisi d’explorer ce mois-ci. Une ruée folle pour trouver ce métal si précieux. Mais qu’est-ce que l’or exactement ? Pourquoi lui accorde-t-on tant d’importance ? Pour comprendre un peu mieux tous ces chercheurs d’or, aventuriers du grand Ouest, tournons-nous vers la géologie. L’or est un des métaux natifs (c’est-à-dire composé d’un seul élément chimique, Au, et présent naturellement dans la croûte terrestre) présents sur Terre, mais en très faible quantité : 0,000001% en poids, c’est-à-dire 1 centigramme par tonne de croûte continentale qui est l’enveloppe solide de la Terre au niveau des continents. Il n’est jamais présent seul, mais toujours en association avec d’autres minéraux (plomb, antimoine, argent…). Il possède de nombreuses propriétés physicochimiques assez particulières, que l’homme sait bien exploiter. Il réagit très peu avec l’oxygène, et possède donc une bonne résistance à la corrosion. De plus, il n’est impliqué dans aucune réaction acido-basique (une réaction qui implique un échange d’électrons entre deux espèces, un acide et une base) : seule l’eau régale, un mélange d’acide chlorhydrique et d’acide nitrique, parvient à l’attaquer. C’est donc un métal globalement très stable. Il est aussi un excellent conducteur d’électricité et de chaleur, et pos- sède une densité élevée. Enfin, il a de l’éclat, et est un des métaux les plus ductiles (c’est-à-dire malléables). Toutes ces propriétés sont d’un grand intérêt pour l’homme, comme nous allons le voir par la suite. L’or est en général très peu concentré dans la croûte terrestre, on l’a vu. Initialement, lors de la formation du système solaire, il est originaire de la nucléosynthèse au sein des étoiles les plus massives. Ces étoiles très massives explosent en fin de vie en supernovae, et disséminent ainsi une bonne partie du matériel qui les constitue, dont des atomes d’or. Ils figuraient donc parmi les débris du disque protoplanétaire qui, par lente accrétion, a donné la planète Terre. Une autre propriété chimique de l’or, pas en- P a g e 16 core mentionnée, entre alors en jeu : il a une forte affinité avec le fer. Or, le fer s’est concentré dans le noyau de la Terre au cours de la différentiation de la planète qui suit son accrétion… l’or s’y trouve donc piégé. Mais, heureusement pour nos chercheurs d’or, une partie est aussi accumulée au niveau des fluides hydrothermaux, où l’or est transporté sous forme dissoute, en complexe avec du chlore ou du soufre. Son exploitation se fait sur des zones où sa concentration est anormalement haute. On peut le trouver dans différents types de gisements. Les gisements primaires sont en association avec du quartz, et souvent peu concentrés. Il s’agit de veines de quartz, où l’on trouve aussi de l’or. Ces éléments se forment lors de l’érection des chaînes de montagnes, pendant laquelle des roches sont élevées, compressées dans cette poussée qui fait pousser les montagnes, et ainsi sujettes à du métamorphisme, concomitant avec une déshydratation des roches. Ces roches où l’or est peu concentré pourront par la suite être érodées, et il se formera Année 7, Numéro 49 des gisements secondaires sédimentaires nommés placers. En raison de sa forte densité, l’or coule rapidement après érosion. Un modèle de formation de l’or grâce aux séismes existe aussi : nous avons dit plus haut que l’or peut s’accumuler dans les fluides hydrothermaux chauds de la croûte. Lors d’un séisme, il y a relâchement brusque des contraintes entre deux morceaux de croûte en contact. Pour simplifier : pendant longtemps, la pression a été élevée, et, d’un coup, tout lâche. Il y a donc une brusque diminution de pression, qui a pour effet de vaporiser les fluides présents dans la zone du séisme. Imaginez : vous avez le même volume, mais devez occuper un espace bien moins comprimé : que faire ? Passer à l’état gazeux ! Imaginer l’inverse revient au même : une même pression, mais d’un coup un volume bien plus grand ; et on disperse donc les molécules en gaz pour tout occuper. Ne se trouvant plus en solution, l’or précipite et forme des dépôts solides. Une dernière possibilité de formation de l’or est celle impliquant des bactéries. Il s’agit encore d’une hypothèse à vérifier : deux bactéries ont été observées à la surface de grains d’or, Delfta acidororans et Cupriavidus metallidurans. Elles seraient capables de former des biofilms sur les grains d’or, et d’accumuler des complexes d’or (III), le chiffre entre parenthèses signifiant le degré d’oxydation de l’or. Or, cette accumulation au sein de la cellule est couplée à la formation d’autres complexes, avec du soufre, potentiellement toxiques pour la cellule. Mais ces deux bactéries possèdent des gènes de résistance à la toxicité : la détoxification se réalise grâce à la combinaison de l’expulsion des complexes et d’autres processus chimiques qui aboutissent à la formation, entre autres, de nanoparticules d’or, mises en solution. Ces bactéries sont donc des moteurs pour la mobilité de l’or, qui peut de nouveau précipiter ensuite, dans un contexte plus favorable pour l’extraction par exemple, et en plus grande quantité. Bien, nous avons nos mécanismes de formation de l’or et ses Disharmonies propriétés physico-chimiques. Voyons maintenant ce que l’homme en fait. Même s’il n’a pas eu connaissance des propriétés d’oxydo-réduction ou de conduction électrique de ce métal, l’homme du Néolithique (5000 ans avant J.-C.) exploitait déjà l’or pour sa malléabilité : il en fait des bijoux, des parures, des ornements funéraires… L’Égypte fut une des nations antiques qui exploita le plus l’or, en faisant un symbole de prestige, de récompense. Il était pour elle la « chair du Soleil ». Les autres civilisations s’y intéressèrent aussi, et il y eut une première ruée (de moins grande ampleur) lors de la conquête de l’Amérique du Sud par les Espagnols qui se servirent alors largement dans les réserves des Incas, pour lesquels l’or était la « sueur du Soleil ». Sa rareté, sa résistance à la corrosion et sa faible implication dans les réactions chimiques en font un métal idéal pour les échanges commerciaux. Il est aussi apprécié pour sa couleur et son éclat. C’est au moment où les hommes avaient ce type d’images en tête (or des Incas, or brillant, etc.) que se produit la découverte, dans une scierie en construction, de paillettes d’or dans un canal d’écoulement d’eau en Californie. Le propriétaire de la mine sera ruiné par les milliers de chercheurs qui saccageront son terrain à la recherche d’or, mais la folie est lancée. Tous espèrent faire fortune rapidement, et les États-Unis en profiteront pour faire une rapide guerre au Mexique afin d’annexer la Californie, qui était alors mexicaine. La production d’or n’est pas stable au cours du temps, mais suit une courbe en dents de scie, montée de fièvre comme celle qui prit tous les hommes qui se ruèrent vers l’Ouest. D’ailleurs, il y eut aussi « l’or des fous », de la pyrite ou calcopyrite, très semblable à l’or, mais bien plus répandue. Plus tard, ce fut en Alaska, au Canada, en Australie. Actuellement, les premiers pays producteurs d’or sont l’Afrique du Sud, le Canada, les États-Unis, le Brésil et les Philippines. Viennent aussi dans le classement de nombreux pays africains, pour lesquels on peut se demander qui profite de l’or : ceux qui travaillent à l’extraire, ou les anciens colonisateurs ? Les utilisations de l’or ont aussi P a g e 17 évolué. L’exploitation sert maintenant majoritairement à la thésaurisation, à la fabrication de composants électroniques et à la bijouterie. Un nouveau groupe plus surprenant s’intéresse aussi de plus en plus à l’or : les scientifiques, attirés plus particulièrement par le « nano-or ». On qualifie de nano toute particule dont la taille est nanométrique, c’est-à -dire de l’échelle du milliardième de mètre. Mais pourquoi cet attrait pour elles ? Les chercheurs espèrent-ils rassembler suffisamment de ces nanoparticules afin de financer leur domaine ? Non, évidemment. Ils s’intéressent bien plus aux propriétés physiques et chimiques particulières de ce nano-or. En effet, si l’or massif est d’une grande stabilité, les nanoparticules sont plus réactives. Cela est dû à la façon dont les électrons sont organisés en plusieurs couches (les orbitales) autour de l’atome d’or. Dans l’or massif, un comportement collectif des atomes d’or est observé, où les électrons des couches sont peu mobiles. Mais dans le cas des nanoparticules, l’effet de groupe disparaît, et l’or est plus enclin à « prêter » des électrons. On peut ainsi utiliser l’or comme catalyseur : il facilite ou accélère de nombreuses réactions chimiques. En particulier, la réaction qui transforme le monoxyde de carbone très toxique en dioxyde de carbone… qui a lieu dans les pots catalytiques des voitures ! Ils ne sont actuellement efficaces qu’à plus de 300°C (un moteur froid pollue donc beaucoup) tandis que les nanoparticules d’or sont utilisables à température ambiante. Cependant, vous faudra attendre encore un peu pour cette application, l’industrie automobile ne s’y étant pas encore lancée. Dans le domaine médical, des études portent aussi sur le nanoor, en lien cette fois-ci avec le traitement du cancer. La radiothérapie, méthode usuelle, consiste à irradier la tumeur avec des rayonnements ionisants très énergétiques, aptes à détruire les cellules cancéreuses… mais aussi des cellules non-cancéreuses voisines par manque de précision, inhérent à la méthode. L’or, lui, est injecté, sous forme de nanoparticules, au niveau des cellules de la tumeur avant l’irradiation. Lorsque ses atomes sont touchés par le rayonnement ionisant, ils émettent certains de leurs électrons internes (une propriété nommée « effet Auger »). Ces électrons sont eux-mêmes chargés et peuvent à leur tour arracher des électrons aux atomes d’or voisins, et ainsi de suite. C’est une cascade électronique, qui entraîne une décomposition des molécules d’eau aux environs en radicaux oxydants libres (OH-), délétères pour les cellules (rappelez-vous les fruits qu’il faut manger parce qu’ils contiennent des antioxydants : les oxydants concernés sont, entre autres, OH-). Par la cascade électronique, l’effet du rayonnement est amplifié : on peut irradier moins fort, et donc toucher moins de cellules saines, tout en améliorant l’efficacité du traitement. L’or a toujours suscité autant de rêves, des souhaits de richesses des premiers chercheurs d’or aux espoirs des chercheurs aujourd’hui. Lors de la conquête de l’Ouest et de la ruée vers l’or, alors que tous cherchaient à dénicher LA plus grosse pépite (record en réalité détenu par une mine en Australie), on ne se serait pas douté que plusieurs décennies plus tard, on s’enthousiasmerait bien plus pour des nanoparticules, même pas visibles à l’œil nu ! Mademoiselle P a g e 18 Année 7, Numéro 49 Regards, cris, tics (3) « Yak yak, que diantre ! Yak yak ! » croiser l’inventeur du chewinggum, et on apprend comment le cheval a été introduit en Amérique par les colons européens. Vous savez peut-être qu’avec Astérix, le duo formé par Uderzo et Goscinny n’en était pas, et de loin, à son coup d’essai. En 1958, les deux complices avaient déjà frappé une première fois, avec l’apparition de la série de bande dessinée intitulée Oumpah-pah. Cette série raconte les exploits d’un peau-rouge, membre de la tribu des Shavashavah, et de son improbable ami le chevalier Hubert de la Pâte Feuilletée, tout droit débarqué du royaume de Louis xvi pour découvrir la Nouvelle-France. Le grand point fort de la série, vous le devinez, c’est bien sûr l’humour. Il n’est pas exagéré de dire que tout ce qui a fait plus tard le succès mondial d’Astérix est déjà présent ; l’esprit de Goscinny, couplé avec le trait caricatural et expressif d’Uderzo, fait merveille à toutes les époques. Le premier est aussi vaillant et fort que le second est étourdi et maladroit. L’un n’a connu que les plaines et les forêts autour sa tribu natale, l’autre s’exprime comme s’il était encore dans le salon de sa mère la marquise. Et néanmoins tous deux vont très vite devenir inséparables, se considérant comme des « frères ». Leurs aventures, de l’Amérique à la France prérévolutionnaire puis de nouveau en Amérique, se déclinent en cinq épisodes relativement longs (mais chacun l’est moins qu’un album de BD standard) : Oumpah-pah le peau rouge, Oumpah-pah sur le sentier de la guerre, Oumpah-pah et les pirates, La mission secrète, Oumpah-pah contre Foiemalade. Certes, nous sommes loin du Far West avec ses cow-boys et surtout son indétachable xixe siècle. Mais les Indiens et la cavalerie sont en quelque sorte déjà sur place. Et le continent américain, et ce qu’il représente d’inconnu pour un œil Européen, est bel et bien là. La nature sauvage autour du campement des Shavashavah, plus que dépaysante pour le naïf la Pâte Feuilletée, n’est évidemment pas oubliée : cascades, grandes plaines, forêts peuplées d’écureuils gris, voilà le décor où se déploie plus de la moitié des hauts faits de nos héros. Au cours de leurs équipées, ceux-ci vont croiser la route de bisons (bien malgré eux), d’élans, de fauves (amateurs de gros canards sauvages)… On a même l’occasion de Les situations vont du cocasse (un aristocrate français contraint de vivre chez les peaux-rouges) à l’absurde (des signaux de fumée arrivant dans le désordre créent un message incompréhensible). Les didascalies ne sont pas en reste, parfois volontairement redondantes par rapport au propos des personnages. Comme dans Astérix, c’est la confrontation des cultures qui se révèle l’une des meilleures sources de comique. Hubert de la Pâte Feuilletée, essayant de se faire passer pour le sorcier des Pieds-Plats en revêtant un grand masque de cérémonie peau-rouge, se trahit lorsqu’il s’exclame vexé : « Fi ! je suis le meilleur danseur à la cour du roi mon maître !... Aïe. » Les personnages eux-mêmes, éminemment sympathiques, déclenchent rires et sourires à toutes les étapes. Hubert de la Pâte Feuilletée, malgré tous ses efforts, reste maladroit et ne bénéficie guère des leçons d’Oumpah-pah : il croit marcher silen- cieusement dans la forêt (« comme la sardine qui nage dans l’huile ! ») mais n’arrive qu’à se faire suivre par les Piedsplats qui le captureront sans peine. Le peau-rouge, de son côté, mesure parfois mal sa force (une sorte d’Obélix américain) et humilie sans le vouloir l’équipage d’un vaisseau du roi en dépassant celui-ci à la nage. Les jeux de langage s’y trouvent en abondance, c’est l’une des grandes marques de Goscinny (sauf lorsque celui-ci écrivait pour Morris). Aucun nom de personnage ne doit laisser le lecteur indifférent, du pied-plat FoieMalade (comprenez : Napoléon) jusqu’au sorcier Y-pleuh, sans oublier l’inénarrable chevalier prussien Franz Katzenblummerswishundwagenplaftembomm. Les tics de langage et les « parlures » sont tous aussi savoureux les uns que les autres : Oumpah-pah ne jure que par le puma (« mon totem »), les Prussiens ont du mal avec nos consonnes (« Endrez ! » - à quoi l’influençable Hubert réplique : « Endrons. »)… et les aristocrates Français ne sont pas derniers en la matière (« Fi ! vous eûtes raison ! ») On trouve également, vous l’aurez peut-être compris, des rappels des affrontements francoallemands, en particulier de la Seconde Guerre mondiale. Des Goths, pardon, des Prussiens arrivent en Amérique et tâchent de contrer l’influence française auprès des tribus voisines ; ils obtiennent l’aide de certaines d’entre elles (lisez : de collaborateurs, comme le peuple d’Aplusbégalix dans Le Combat des chefs) ; mais un petit village, celui des Shavashavahs, résiste encore et toujours à l’envahisseur… Si Astérix vous a plu, je ne peux que vous recommander cette lecture fort divertissante, un rappel bienvenu de feue l’une des collaborations les plus fructueuses de la bande-dessinée française. Ou, pour le dire plus économiquement : yak-yak ! Fantômas isharmonies Crédits : Illustrations : Blake Tsum Tatu Ys’tenn Rédacteur en chef : Binh Minh Rédaction : Am42one Fantômas Binh Minh Florimont Blake Mademoiselle Eunostos Maquette : Mademoiselle Remerciements : Écrivez-nous ! [email protected] Want more ? Rendez-vous sur : http://www.cof-ulm.fr/? page_id=332 et retrouvez les anciens numéros ! 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