Il était une fois dans l`Ouest

Transcription

Il était une fois dans l`Ouest
isharmonies
Gratuit
Il était une fois dans l’Ouest
Année 7, Numéro 49
OCTOBRE 2014
"You see, in this world there's two kinds of people, my friend: those with loaded
guns, and those who dig. You dig. »
Clint Eastwood, dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone (1966)
Édito
Comme il est trop tôt pour
affronter l’automne, Disharmonies vous emmène
ce mois-ci affronter les
paysages arides, les cactus
et les canyons du Grand
Ouest américain ! Mettez
votre plus beau chapeau de
cow-boy, prenez votre lasso, et en selle ! Avant d’aller trouver votre bonne
fortune dans les contrées
sauvages, avant de vous
lancer tête baissée, Historiquement vôtre et Géographiquement vôtre vous
fourniront quelques informations pour préparer au
mieux votre équipée : vous
serez prêts à aller commercer avec les Indiens et à
traverser la Frontière entre
villes du Grand Est et
terres inexplorées. Si vous
aussi, vous vous sentez
l’âme d’un chercheur d’or,
avec Echoes of Science
vous découvrirez tous les
secrets de l’or avant de
vous lancer dans l’aventure ! Pour les moins téméraires, la communauté disharmonienne se propose
d’animer de belles soirées
dans votre salo(o)n : les
Mystères
de
l’Ouest
(Regards, Cris, Tics) n’auront plus rien de mystérieux, le Kid dévoilera la
fin
de
ses
jours
(Miscellanées) ou bien
vous irez affronter les cactus et déserts arides aux
côtés de Clint et de ses successeurs modernes (Jeux ;
Ces images qui bougent).
Pour ceux qui refuseraient
l’arrivée de la télévision,
Oumpah-pah
le
Peau
Rouge (Regards, cris, tics)
et Kidd, presque égaré
entre deux continents, se
chargent de vous faire
voyager
en
quelques
planches. Pour les mélomanes Puccini et Arthur
Jamin (La onzième harmonie) devraient vous emmener très loin dans ce grand
Ouest fascinant et sauvage.
Attablés à un comptoir
graisseux dans un saloon
pour se protéger du soleil
de midi, toute la Rédac’,
son whisky à la main vous
attend pour vous faire revivre à sa manière le Wild
West Show de Buffalo Bill !
À la suite de Mac Lyntock
dans Les Affameurs, nous
vous disons donc, chers
lecteurs : « On se reverra.
Tu me reverras, crois-moi.
Chaque fois que tu seras
prêt à t'endormir, tu fouilleras l'obscurité en te demandant si je n'y suis pas à
l'affût en train de t'épier
dans un coin. Une nuit, j'y
serai précisément. On se
reverra ». Bref… Ne ratez
pas la diligence !
Binh Minh
Historiquement vôtre
2
Miscellanées
4
Regards, cris, tics
5
Ces images qui bougent
6
(BD) Les aventures du
Captain Kid
7
La onzième harmonie
10
Géographiquement
vôtre
12
Jeux
14
Regards, cris, tics (2)
15
Echoes of Science
15
Regards, cris, tics (3)
18
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Année 7, Numéro 49
Historiquement vôtre
De l’Indien des westerns à
l’Indien de réserve : la
place
des
Amérindiens
dans l’espace social et politique américain
Ayons un peu l’esprit simpliste :
si l’on vous dit Indien, vous penserez peut-être d’abord à votre
enfance, à un tipi, ou encore au
calumet de la paix. Pourtant, l’
« Indien », c’est avant tout cet
homme du Far West, celui qui
sera nommé dans les textes officiels native American, celui qui
était là le premier sur les terres
de l’Ouest sauvage. Si la cohabitation pacifique entre l’homme de
la frontière (voir Géographiquement vôtre) et l’Indien dura jusqu’à la Guerre de Sécession, c’est
surtout leur face à face, leurs conflits qui ont fait émerger la figure
mythique de l’Indien. Celui qui
combat l’Indien, c’est celui qui
combat le sauvage, la barbarie.
Malgré des conflits dont on
trouve largement l’illustration
dans des films, l’Indien est aujourd’hui un citoyen américain,
citoyenneté qui fait de sa communauté une véritable nation ins-
crite dans l’espace états-unien.
On peut ainsi parler et de
« nation indienne », et de la diversité des « tribus indiennes » :
pour autant, avant qu’en 1823 la
nation Cherokee ne dépose une
injonction fédérale à l’encontre
de l’État de Géorgie, chaque tribu
était une entité souveraine. Plus à
l’Ouest, alors que l’expansion
territoriale américaine battait son
plein, au détriment de la France,
de l’Espagne, de la Hollande, les
populations autochtones restaient en place et cherchèrent
elles aussi à gagner des terres sur
les terres nouvellement américaines. Les tribus apaches, navajos et hopis occupaient largement
la Californie et toutes les terres
du Sud-Ouest américain. Mais à
partir de 1848 et de ce que l’on
pourrait nommer la « fièvre de
l’or », les immigrants arrivent en
masse à l’Ouest, exterminant tout
ce qu’ils trouvent sur leur passage : les terrains de chasse des
Indiens devinrent ainsi champs
de bataille au nom de l’expansion
de la « Frontière ». Peu à peu, la
colonisation est autorisée sur ce
qui constituait les terres mêmes
des réserves indiennes : en 1889,
le General Allotment Act autorise
ainsi la colonisation en Oklahoma, sous toutes ses formes, avec
extraction minière, défrichage…
etc. Alors même qu’il faisait partie de l’État des « Cinq nations »
indiennes depuis 1834 et deviendra véritablement État américain
en 1907. La piste des Indiens évoquée par Turner dans son essai
The Significance of the Frontier
in American History doit ainsi
laisser la place aux voies de chemin de fer. L’expansion territoriale est ainsi caractérisée par
une colonisation qui n’autorise
pas les Indiens à y prendre part :
les Indiens sont d’une certaine
manière les premiers à être des
« pionniers » en direction de
l’Ouest. Par l’Indian Removal Act
de 1830, tous les Indiens se trouvant à l’Est du Mississipi doivent
se regrouper dans ce qui est communément nommé « réserves »
plus à l’Ouest : plus de 100 000
Indiens sont déplacés entre 1830
et 1850. En 1862 est réellement
mise en place une sorte de
« dépossession » privant les Indiens de leurs terres : toutes les
familles non indiennes peuvent
désormais obtenir gratuitement
Disharmonies
des terres agricoles, une fois vidées de leurs occupants Indiens.
Enfin, ce sont les lois de 1871 et
de 1887 qui portent définitivement atteinte à la souveraineté
indienne : la première loi, Indian
Appropriation Act, ne reconnaît
plus l’indépendance des nations
indiennes présentes sur le territoire américain mais ne laisse
que la reconnaissance individuelle de tout individu alors que
la seconde, le General Allotment
Act, permet la redistribution des
terres indiennes en parcelles allouées à des familles, indiennes
ou non, par décision du Président
des États-Unis.
Tout au long du xixe siècle, les
Indiens sont donc les victimes de
spoliations, déportations, massacres et voient leur indépendance en tant que nation disparaître au profit d’une dépendance
vis-à-vis des États-Unis, dans une
sorte de relation de tutelle. Néanmoins, le système de réserves
n’était absolument pas nouveau :
dès 1820 on trouve dans les
textes des mentions d’Indian
Territory pour les Native Americans. Les réserves devaient avant
tout servir à éviter des affrontements directs entre autochtones
et colons blancs en éloignant les
uns des autres : pourtant, l’expansion vers l’Ouest ne permit
pas aux Indiens de vivre librement, car leurs terres, même éloignées, devinrent l’objet de convoitises. Peu à peu les Indiens
furent déplacés vers des zones de
moins en moins fertiles ou convoitées par les colons blancs. Les
Indiens devaient seulement survivre de leurs activités agraires,
mais, cela ne produisant pas assez de ressources, dès les années
1880 on tenta de leur faire adopter le mode de vie américain.
L’expansion territoriale, si elle fut
dictée par des motifs économiques, à savoir la mise en culture de terres toujours plus étendues trouva un prétexte, un argument divin : en 1845, un sénateur
affirme ainsi que c’est la volonté
de Dieu que les Américains (à
savoir les Blancs) s’étendent
d’une mer à l’autre.
Pour autant, si après 1887 les
parcelles purent être redistribuées à des familles indiennes, il
s’agissait avant tout de mieux les
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intégrer à un
modèle agraire
est-américain, en
faisant des Indiens non des
sauvages mais de
vrais
paysans
américains, et de
créer en eux un
sentiment d’individualité.
La
taille des terres
allouées
était
ainsi fonction de
la structure familiale : de 16
hectares pour un
jeune indien célibataire à 62 hectares pour un
homme
avec
charge de famille. Néanmoins, les terres restaient gérées par le Bureau des
Affaires Indiennes, créé en 1824.
Par ailleurs, les Indiens étaient
contraints de fréquenter des
écoles en vue d’une certaine acculturation au mode de vie des
Blancs. Si les Indiens avaient une
identité, ils ne devinrent des citoyens des États-Unis d’Amérique qu’en 1924, par l’Indian
Citizen Act, et s’enfoncèrent pour
la plupart dans la misère, ne parvenant pas à devenir de véritables fermiers. La reconnaissance de l’existence des Indiens
fit aussi partie du New Deal américain : on leur reconnaît de nouveau le droit de pratiquer la propriété collective mais l’interdiction d’avoir des chefs tribaux. Ce
n’est qu’en 1953 que le Termination Act supprime le statut spécial des Indiens dans les réserves : a priori porteur de liberté, en faisant d’eux des citoyens à
part entière, cet acte supprime
une bonne partie des réserves,
entraînant l’éparpillement des
tribus et la migration vers les
villes à cause de la perte de leur
moyen de subsistance, la terre.
Ce n’est qu’en 1970 que l’on reconnaît véritablement le droit des
Indiens à exister dans l’espace
social américain : le président
Nixon affirme lui-même que la
rupture a été trop violente et on
fournit par la suite des moyens
d’éducation décents aux populations indiennes, mais on interdit
aussi l’enlèvement d’enfants indiens afin qu’ils soient élevés
comme des citoyens américains
par des familles non indiennes
tout en autorisant la pratique de
religions traditionnelles. Enfin,
ce n’est qu’en 1983 que le Termination Act est véritablement aboli : chaque tribu indienne est désormais reconnue et libre d’exister. Les Indiens s’intègrent désormais à l’espace social américain
en droit, même si l’on trouve encore
des
réserves
« touristiques » : en Californie
particulièrement, il s’agit surtout
de faire renaître, de réhabiliter
une culture perdue : les Native
Americans constituent moins de
1% de la population totale mais
ont le plus de tribus présentes
dans l’État. C’est avant tout un
manque de moyens et de développement économique qui a
conduit à une telle vulnérabilité
sur le plan politique.
Binh Minh
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Année 7, Numéro 49
Miscellanées
La mort de Billy the Kid
pour Paulita Maxwell. W et B pour William Boney,
lui-même, alias Billy the Kid. Les souvenirs se
14 juillet 1881. Colline de Fort Sumner, Nouveaubousculent dans sa mémoire à la vue de ces deux
Mexique.
initiales.
Soudain, un bruit sourd se fait entendre.
Le Kid tourne la poignée. La porte branlante s’ouvre.
« ¿ Quién es ? » Demande le Kid.
Personne à l’intérieur. Il esquisse quelques pas pruIl n’a pas pu détacher les yeux du napperon. En une
dents dans le salon. Le plancher craque sous ses
seconde, William Boney revoit toute sa vie. Son enpieds. Les éperons de ses bottes émettent un léger
fance dans les faubourgs crapuleux de Silver City.
claquement métallique. En homme prudent, il garde
Son premier meurtre, à dix-huit ans, dans le saloon
la main sur la crosse de sa carabine, chargée à bloc,
de Fort Grant. Sa fuite en Arizona, le long des parois
et rajuste sa ceinture à munitions.
vertigineuses de grès rouge, avec le vent sec du dé« Paulita ? » appelle-t-il doucement.
sert qui murmurait dans les pins comme un appel à
Aucune réponse. Aussi souple et discret qu’un jeune
la liberté. Son arrivée au Nouveau-Mexique, ses
chat, il traverse le salon désert. Avant de passer dans
luttes contre le clan des Irlandais, les Dolan, spole couloir, il lorgne un court instant sur son reflet
liant les natifs de leurs terres. Un bandit, lui ? Non,
dans les carreaux sales : il y voit un jeune homme
un justicier, plutôt. C’était ainsi que le voyaient les
maigre, d’une vingtaine d’années tout au plus, vêtu
petits fermiers mexicains, qui le considéraient
d’un pantalon de grosse toile et d’une chemise rapiécomme un des leurs. Les acquittements successifs,
cée, tenant fermement une Winchester et prêt à tuer
toujours suivis de nouveaux méfaits, avaient fait de
de sang-froid au moindre signe suspect.
lui un éternel fugitif. Sa tête était mise à prix pour
« Pas très présentable pour une visite galante… »
cinq cents dollars. Il espérait cependant une dermurmure-t-il, avec une moue dubitative.
nière amnistie qui lui permettrait de se retirer ici, à
Il soulève légèrement son large chapeau noir et
Fort Sumner : il rachèterait le terrain aux Dolan, il
passe une main dans ses cheveux couleur de paille,
vivrait avec les Maxwell et épouserait Paulita. Il deavant de cracher dans le fumoir de la cheminée. Ses
viendrait un propriétaire respectable. Il fonderait
yeux clairs balayent de nouveau la pièce. Mais où
une famille. Enfin, il toucherait sa part de bonheur.
donc est Paulita ? Elle lui a seulement envoyé un
Mais en ce jour du 14 juillet 1881, la famille Maxwell
message lapidaire, l’enjoignant à la rejoindre au plus
était partie à Albuquerque vendre sa production de
vite chez elle, ici, à Fort Sumner... Or, le redoutable
blé, laissant la maison déserte. Paulita n’avait pas
Pat Garrett, shérif du Comté de Lincoln, sait comécrit au Kid. Quelqu’un d’autre s’en était chargé, en
bien la jolie mexicaine lui est chère : le Kid craint un
signant de son nom. Ce même jour, le bandit expérienlèvement, voire une embusmenté s’était laissé distraire
cade.
par un napperon brodé à ses
Il traverse le couloir et péinitiales et à celles de la fille
nètre dans la petite cuisine.
qu’il aimait. Une seconde
Sous chacun de ses pas s’élève
d’inattention. Une seconde de
un nuage de cette poussière
trop.
fine et suffocante, la poussière
« ¿ Quién es ? » demande le
aride de l’Ouest. Ses muscles
Kid.
se tendent. Il sent des gouttes
La détonation retentit. Une
de sueur perler à son front : il
douleur lancinante lui transest près de midi ; la chaleur
perce l’estomac. Il se tient le
est écrasante. Il contourne le
ventre des deux mains, le
gros poêle à charbon et se
sang
s’échappe,
la
vie
décide à monter les escaliers
s’écoule. Le Kid s’affaisse,
menant à la chambre de Pauchancelle. Une deuxième
lita.
balle l’abat, près du cœur. Le
Peut-être n’a-t-elle pas osé
rideau tombe. C’est la fin.
sortir et est-elle restée barriOn lui a tiré dessus dans le
cadée là, à l’attendre. Peutdos. Il ne saura jamais qui.
être… Il pousse légèrement la
Quién es. Qui est-ce. La derporte. N’entrevoit personne.
nière question du Kid meurt
Le lit, encore plein d’odeurs
sur ses lèvres, en même
légères, semble s’offrir à lui,
temps qu’il expire son dernier
tandis que de l’autre côté, face
souffle.
à la fenêtre aux carreaux jauPat Garrett sort de derrière le
nis, gît sur une petite table un
lit, éclatant d’un rire triomnapperon inachevé. Le jeune
phateur. Certes, le geste manhomme s’approche, poussé
quait d’élégance. Mais qu’impar la curiosité, et ne peut
porte ? Il l’a eu lâchement, ce
s’empêcher de sourire en licoyote, mais il l’a eu tout de
sant les quatre initiales bromême. Les vendeurs de bétail
dées : un W et un B, entrela- Dernière photo de Billy the Kid, prise en 1880 au vont pouvoir dormir sur leurs
cées à un P et un M. P et M
deux oreilles et, lui, empoNouveau-Mexique.
Disharmonies
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cher une belle prime. Et pourtant, en observant le
corps sans vie de ce garçon de vingt-et-un ans, le
shérif a déjà un pénible pressentiment qui ne le quittera plus.
Pat Garrett, homme d’une intelligence médiocre,
mais non dénué de clairvoyance, comprendrait son
erreur bien des années plus tard. Quand les éleveurs
irlandais feraient faillite et sombreraient dans l’oubli. Quand le petit malfrat qui n’avait eu de cesse de
lutter contre eux serait au contraire auréolé de
gloire. Alors Pat Garrett saurait qu’il avait en fait
échoué. Par un paradoxe incompréhensible de tous
les shérifs du comté de Lincoln, le jour du 14 juillet
1881 avait eu deux conséquences a priori mutuellement exclusives : ce jour-là, William Boney était
mort… mais Billy the Kid, lui, jeune pour l’éternité,
était devenu immortel.
BLAKE
Regards, cris, tics
Les Mystères de l’Ouest
Imaginez James Bond sillonnant
les États-Unis des années 1860
en compagnie de Q, à cheval ou à
bord d’un wagon cossu rempli
d’armes et d’accessoires secrets,
le tout agrémenté d’une dose non
négligeable de frisson, de fantastique et de science-fiction : cela
vous donnera une première idée
du principe des Mystères de
l’Ouest (Wild Wild West), une
série télévisée américaine diffusée dans les années 1960. James
West (Robert Conrad) et Artemus
Gordon (Ross Martin) sont deux
cow-boys membres des services
secrets au service du président
Grant. James West, avec ses allures de shérif, est l’archétype du
héros au grand cœur, impeccablement blanc et propre sur lui,
aussi sagace dans ses investigations que redoutable lorsque
vient l’heure des bagarres de saloon ou des fusillades contre des
bandes de gredins aux couleurs
variées. Artemus Gordon, lui,
recourt généralement à la ruse
plutôt qu’à la force : passé maître
dans l’art du déguisement et de
l’infiltration, il peut se glisser à
plaisir dans l’accoutrement d’un
vieux loup de mer portugais, d’un
grand propriétaire du Sud ou
d’un guerrier apache, voire d’une
danseuse de cabaret ou d’un peu
tous ces gens à la fois si nécessaire ; il invente aussi toutes
sortes d’accessoires et d’armes
secrètes qui sauvent régulièrement la mise à James West.
Ensemble, ils ont à remplir les
missions les plus diverses. Ils
enquêtent sur toutes les affaires
louches, des disparitions inexpliquées aux frasques des puissants
en passant par le grand banditisme pur et simple et par les affaires diplomatiques délicates
impliquant les Amérindiens. Ils
découvrent et désamorcent régulièrement les complots les plus
improbables et les plus abjects
destinés à suborner ou à anéantir
le pays, voire le monde entier.
Car leurs pires ennemis ne manquent pas d’envergure : le plus
tenace, le Docteur Miguelito Loveless (incarné par le mémorable
acteur nain Michael Dunn), est
un savant fou qui rêve de devenir
maître du monde. Comme le titre
le laisse attendre, l’étrange et le
bizarre sont souvent au rendezvous, ainsi que de nombreux stéréotypes de la littérature pulp et
du cinéma du samedi soir.
Chose normale en ces temps où
les séries télévisées n’étaient pas
encore les chefs-d’œuvre absolus
que l’on sait, avec leurs intrigues
feuilletonnisantes
sources
d’insomnies et leurs approfondissements psychologiques révolutionnaires, chaque épisode des
Mystères de l’Ouest est autonome
et l’on est assuré d’y retrouver
chaque personnage jouant à peu
près toujours le même rôle, dans
une nouvelle affaire dont le titre
commence toujours par La Nuit
de…. et dont le dénouement ne
manque jamais de survenir en
moins de cinquante minutes, ce
qui vous permettait de dormir le
cœur en paix et éventuellement
de faire autre chose de votre vie
en attendant l’épisode suivant.
Au fil des quatre saisons qu’a
connues la série, en noir et blanc
puis très vite en couleur, les spectateurs eurent ainsi droit à des
affaires comme La Nuit du lit qui
tue, La Nuit du cadavre fluorescent, La Nuit du détonateur humain, La Nuit du bison à deux
pattes, La Nuit du poison, La
Nuit de la marée maudite, La
Nuit des cosaques, La Nuit du
trésor des Aztèques, etc.
L’évolution des moyens tech-
niques, mais aussi des mœurs et
des codes narratifs, nous rend
déjà étranges des séries comme
celle-ci, qu’il devient difficile de
regarder entièrement au premier
degré. On jettera des regards apitoyés à certains effets spéciaux,
on s’étonnera du peu de solidité
des garde-fous des saloons (voire
des murs) pendant les rixes, on
montrera les dents devant
quelques ficelles scénaristiques
éhontément grossières, on tiquera devant la représentation stéréotypée et ordinairement discriminante de tout ce qui n’est pas
un Américain blanc chrétien et
hétérosexuel, on cherchera en
vain un personnage féminin qui
ne soit pas cruche ou foncièrement maléfique... Et pourtant,
ces vieilles aventures n’ont pas
perdu tout leur charme. Administrées à dose raisonnable, elles
peuvent même s’avérer rafraîchissantes : il n’est pas désagréable de temps en temps de
voir des héros simplement honnêtes et généreux, pas particulièrement tourmentés, affronter des
pelletées de lascars et d’acolytes à
coups de crochets du droit dans
un décor en carton-pâte qu’on
rêverait de peindre soi-même un
dimanche, tandis qu’un méchant
absolument irrécupérable s’empresse autour d’un laboratoire
dont on devine les ampoules colorées et les électro-aimants. Je
ne peux en tout cas que recommander un coup d’œil à la série
originale, plutôt qu’à la grosse
production qui en a été tirée en
1999 mais qui ne garde de Wild
Wild West que le titre et un ou
deux noms propres apposés abusivement sur une pâtée scénaristique reformatée.
Eunostos
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Ces images qui bougent
Une histoire du western à
toute vapeur...
… car de toute façon, il serait
idiot de chercher à résumer en un
petit article un siècle entier de
western. Nous nous limiterons à
un aperçu sommaire et sélectif
des grandes tendances qui ont
dicté l’évolution de ce genre désormais connu et reconnu de tous
– un signe tangible de cette adoption par la culture populaire étant
le nombre de parodies et pastiches qui ont fleuri en marge des
grands classiques.
Mais avant les cactus en cartonpâte et les cowboys de pacotille,
les premiers films sur le Far
West, quoique majoritairement
tournés sur la côte est, sont frappés au coin de l’authenticité : en
ce tournant du xxe siècle, l’esprit
pionnier est encore tout frais et
les westerns avant la lettre ne
font que référer à une réalité contemporaine, tout en exploitant le
filon des déjà légendaires Buffalo
Bill, Calamity Jane, Jesse James
ou encore Billy the Kid. C’est seulement à partir des années 1920
que western devient une véritable étiquette de genre avec des
cowboys, des Indiens et des bandits au grand cœur. Les studios
sont désormais à Hollywood, au
sud de cette Californie mythique
qui fut la terre promise des colons ; mais les acteurs, bien que
l’industrie du show-business ne
tarde pas à en faire des stars professionnelles, sont encore pour la
plupart de vrais cowboys nés au
fin fond du Texas ou de l’Oklahoma. Will Rogers, qui se spécialisera dans le vaudeville et la comédie (muette puis parlante), est
d’origine amérindienne cherokee ; aujourd’hui, un immense
parc à Los Angeles porte encore
son nom. C’est l’époque du western pour les familles, avec un
humour bon enfant et des valeurs
morales triomphantes.
Les années 1930 marquent le
début de l’âge d’or du western
classique. Tandis que se développent en marge des sous-genres
comme le western chanté avec
Gene Autry (mieux connu à présent pour ses chansons de Noël),
les grandes fresques à la John
Ford (La Chevauchée fantastique, 1939) donnent à l’homme
d’action intègre et un peu brut la
figure de John Wayne, pour qui
un bon Indien est un Indien
mort. Avec plus de profondeur
psychologique, la silhouette allongée de Gary Cooper (Le Train
sifflera trois fois, 1952) incarne le
shérif brave et séduisant.
Alors que le western américain
s’essouffle, dans les années 1960,
c’est l’Italie qui prend la relève, et
avec quelle maestria ! Trois noms
dominent ce nouveau genre
qu’on a surnommé, de manière
aussi pérenne que raciste,
« western spaghetti » : un réalisateur, Sergio Leone, un compositeur, Ennio Morricone, et un
acteur, Clint Eastwood. La
« trilogie du dollar » (voir le jeu
« Aaaaaah, Clint ! ») et celle des
Il était une fois... (Il était une fois
dans l’Ouest, Il était une fois la
révolution, Il était une fois en
Amérique) marquent les esprits
des cinéphiles, avec ces longs
plans désertiques dont la chaleur
est presque palpable, cette tension dans les duels au soleil et
surtout cette violence physique et
morale sur fond de valeurs
éthiques chancelantes. Jamais
l’Amérique de John Ford n’aurait
mis en avant des personnages si
douteux et négatifs que ceux qui
dorénavant sont la référence du
genre.
Mais aujourd’hui, qu’en est-il du
western et de ses clichés ? Avec le
fameux Secret de Brokeback
Mountain (Ang Lee, 2005), la
figure du cowboy gay bouleverse
les conventions viriles établies
par le western classique comme
par sa version spaghetti. D’ailleurs, les personnages féminins,
autrefois relégués aux rôles de
potiches en robe à tablier juste
bonnes à être enlevées par les
Indiens, s’étoffent jusqu’à s’emparer des rôles principaux, à
l’instar de la furie vengeresse
incarnée par Sharon Stone dans
Mort ou vif (1995) ou de la toute
petite héroïne aux nerfs d’acier
de True Grit, chef-d’œuvre
épique et grinçant des frères Cohen (2010). L’époque contemporaine aime s’amuser avec les
codes du genre, par exemple en
en
livrant
des
parodies
steampunk (voir l’article « Far
Far West ») ou en y introduisant
des extra-terrestres (Cowboys &
Aliens, 2011). Il y a bien longtemps, en effet, que les Indiens
ont cessé d’être les ennemis stéréotypés (voir les personnages
joués par Robert Redford dans
Jeremiah Johnson, 1972, et par
Kevin Costner dans Danse avec
les loups, 1990). Mais le stetson,
le colt et le lasso ont encore un
brillant avenir devant eux…
Am42one
À lire :
Lucky Luke, BD de Morris (et
Goscinny, sinon c’est moins bon).
Blueberry, BD de Jean-Michel
Charlier et Jean Giraud.
Western(s), J.-L. Leutrat et S.
Liandrat-Guiges, Paris, coll. « 50
questions », 2007.
À visiter :
Autry National Center, Los Angeles, Californie (un superbe musée du Far West tant réel que
fictif).
À voir : tout, et entre autres
Le train sifflera trois fois (High
Noon), 1952.
Les sept mercenaires (The magnificent seven), 1960.
Le Bon, la Brute et le Truand (Il
buono, il brutto, il cattivo), 1966.
Le secret de Brokeback Mountain (Brokeback Mountain),
2005.
True Grit, 2010.
Disharmonies
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Disharmonies
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BLAKE
P a g e 10
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La onzième harmonie
Du Far West à Hollywood,
en passant par le Metropolitan Opera.
Le Grand Ouest américain au
siècle de la ruée vers l’or est un
cadre étonnant pour un opéra. Le
confort des fauteuils de velours
des salles occidentales s’accommode assez mal, pourrait-on
croire, avec celui, plus spartiate,
des bancs de bois des saloons.
Tout comme la simplicité, pour
ne pas dire la trivialité, d’une
intrigue reposant sur la poursuite
par un shérif d’un bandit amoureux de la jolie tenancière d’un
bar détone avec le tragique et la
noblesse de nos héros accoutumés, avec leur courage et leurs
hauts faits : Idoménée prêt à sacrifier son fils à Neptune, les Hébreux suppliciés par Nabucco,
Pelléas et Mélisande tendrement
épris l’un de l’autre, déclamant
leur amour dans un décor de Rodin.
Croire qu’avant Puccini et sa
Fanciulla del West, on n’admirait
à la Scala et au Palais Garnier que
des reines antiques et des héros
vertueux en proie aux caprices
d’un irrésistible destin, serait
cependant une erreur. Certes, le
xviie siècle connaissait ses
opéras-bouffe et ce genre s’est
maintenu jusqu’à l’aube du xxe
siècle, mais, de Platée à La Belle
Hélène, les ressorts de l’intrigue
étaient principalement comiques.
Au-delà de l’attrait de l’Orient
(L’Enlèvement au Sérail) ou des
paysans et bergers (le chœur des
bergers dans l’Orfeo, ou dans un
autre registre la Pastorale et ses
mélodies paysannes au troisième
mouvement), qui ont toujours
fait recette, c’est à partir du xviiie
siècle que s’est installé le genre
qu’on pourrait nommer l’opéra
bourgeois, celui qui met en scène
des personnages contemporains
dans des intrigues, sinon ordinaires, du moins familières, avec
leurs sentiments contradictoires,
leurs faiblesses et leurs doutes,
leurs pauvres moyens d’humains,
trop humains… Ce ne sont pas les
moins autorisés des compositeurs qui s’y sont essayés : Don
Giovanni, Figaro, Rigoletto, La
Traviata, où se fait sentir
l’influence des révolutions libérales et du romantisme. À l’avènement du siècle bourgeois, c’est
Beethoven qui nous fait suivre les
péripéties de trois protagonistes
très semblables à ceux de Puccini : de même que la serveuse
Minnie sauve le bandit Johnson
du shérif Rance qui voulait le
faire exécuter, Léonore sauve
Florestan de Rocco qui le retenait
captif. À l’instant où le héros frôle
la mort, c’est, coup de théâtre,
son amante et protectrice qui fait
irruption, brandissant un pistolet, dea ex machina, pour le sauver : Léonore et Minnie tiennent
les rênes de l’intrigue. L’action
évolue par les femmes, et parce
que les femmes aiment. Un siècle
sépare la composition de Fidelio
(1802) de celle de la Fanciulla
(1910), mais l’histoire suit le
même modèle intemporel. Une
femme aime un homme retenu
par un geôlier qui la convoite luimême — directement chez Puccini, indirectement chez Beethoven, car Léonore se déguise en
homme, Fidelio, et s’attire les
faveurs de la fille du geôlier Rocco, Marzelline. Quoi qu’il en soit,
les deux drames jouent sur l’effacement des frontières entre les
sexes, sur la duplicité de la condition
féminine,
exactement
comme le théâtre de Shakespeare
lorsqu’il met en scène une lady
Macbeth froide et calculatrice qui
tient son mari, ou comme le
drame hugolien lorsqu’il représente Lucrèce Borgia tiraillée
entre ses sentiments de mère et
ses transports de souveraine
autoritaire. C’est dans le travestissement que cette confusion
entre les genres atteint son paroxysme. Il n’empêche pas les
amantes d’être d’une fidélité inébranlable, ni de se montrer sensibles dans le beau duo d’amour
au centre des deux œuvres.
L’amour en est, en effet, toujours
le principal ressort : c’est de lui
que tout part et c’est pour lui que
tout se fait. Il porte en lui la faculté de bouleverser l’ordre social, de tenir les puissants juste
assez pour que les opprimés
s’échappent. Florestan retenu
pour des raisons obscures obtient
l’intervention du ministre en sa
faveur grâce à la bravoure de
Léonore, et c’est Minnie sur son
cheval
qui
aiguillonne
les
hommes à se montrer plus justes
envers ce pauvre Johnson qui
s’est fait brigand par nécessité.
Depuis Verdi, nous sommes tous
habitués à ce que l’opéra puisse
porter un message politique ;
c’est la condition des pauvres, ou,
peut-être, dans Fidelio, des opposants politiques, que Beethoven
comme Puccini interrogent.
Il n’en demeure pas moins que le
cadre choisi par celui qui avait
accoutumé avec Madame Butterfly à l’Extrême-Orient a de quoi
étonner. Si l’on tient pour audacieux le choix d’un fait divers par
Beethoven pour composer Fidelio, alors Puccini est révolutionnaire ! Non seulement, c’est la
première fois qu’un opéra se
passe au Far West, lors de la ruée
vers l’or, précisément, mais encore, c’est la première fois qu’une
première mondiale d’opéra a lieu
à New York, au Metropolitan, le
10 décembre 1910. Il faut dire
que l’intrigue s’y prêtait bien, le
passé de la ruée vers l’or étant
bien plus évocateur pour le public
de l’époque que pour celui d’aujourd’hui, tous l’ayant vécu, sinon
directement, au moins par le récit
d’un proche parent. C’est comme
si l’on faisait aujourd’hui un spectacle sur la découverte de l’informatique ou sur la crise économique. L’opéra de New York fit
du reste honneur au compositeur
italien en confiant le rôle de
Johnson à Caruso, et le public fut
très enthousiaste.
Aujourd’hui, la Fanciulla est largement ignorée du grand public.
Pourtant, le caractère un peu stéréotypé des protagonistes — le
shérif simple d’esprit, le bandit
dur au dehors et tendre au dedans, la jeune fille courtisée par
tous et sincèrement éprise d’un
seul — n’a rien d’étonnant dans
un livret d’opéra, et les mêmes
traits sont partagés par les héros
de nos romans, et non les moins
cités en exemple : Javert, Jean
Valjean, ou bien Esther dans
Splendeurs et misères des courtisanes. L’intrigue elle-même est
assez convenue dans sa forme,
quoique originale par le cadre
dans lequel elle se déroule, et la
trivialité des personnages ou de
leurs préoccupations n’a rien
d’inférieur à celle de Madame
Butterfly, ou sa niaiserie, à celle
d’Orphée et Eurydice. Sur le plan
musical, Puccini signe une œuvre
très accomplie, très dans la veine
de l’époque, en excluant la mélo-
Disharmonies
die classique, en utilisant les ressorts de la gamme chromatique
pour créer des effets dramatiques, des sensations d’inconfort, lors de la chasse à l’homme
du troisième acte, ou des résolutions tout en tensions, à la fin du
duo amoureux du deuxième acte.
Les accents de Debussy sont partout : dans le récitatif mélodique
abondant, dans ce dramatisme
inquiétant, dans les permanents
jeux de timbres, dans la simplicité de l’harmonie. Simplicité renforcée par l’emploi de quelques
thèmes issus des mélodies du Far
West, rien, à nouveau, que de très
normal pour l’époque (qu’on
pense à Hansel et Gretel de
Humperdinck qui intègre en 1893
des mélodies enfantines), ou
même pour toutes les époques
(mélodies hongroises de Liszt,
danses paysannes dans la Pastorale, thèmes espagnols dans les
sonates de Scarlatti…).
Les rebondissements spectaculaires de l’intrigue, les éléments
de décor, saloon, chevaux, mine
d’or, ou la mentalité religieuse
des personnages — car c’est en
leur lisant la Bible que Minnie
apaise les mineurs qui se battaient pour elle — inscrivent
l’œuvre dans la lignée des films
de western, certes pas encore très
répandus le soir de la première,
puisque le premier western est
placé traditionnellement en 1903,
mais qui avaient déjà tout pour
attirer, le Far West étant très à la
mode depuis les années 1880 aux
États-Unis : c’est dans cette décennie que fut monté le Wild
West Show de Buffalo Bill, au
succès retentissant.
Et ce qui faisait recette auprès du
public de l’époque, au-delà de
l’intérêt strictement artistique,
des trépidations de l’action, ou
simplement de la couleur locale
historique, c’est, pour l’esprit
américain, la symbolique des
personnages et de leurs actes, de
cette sorte de mythe fondateur
qu’est la conquête de l’Ouest. Le
shérif, qui représente l’arbitraire
de l’ordre ancien, c’est-à-dire, de
l’absence de droit, ou du droit
gardé secret par les rares détenteurs de sa science, s’oppose à
celui des mineurs qui refuse de
rentrer dans le rang, qui s’est fait
bandit — paria — pour survivre,
fils naturel de Robin des Bois et
de Jean Valjean. Il trouve en
Minnie son alliée évidente, car
c’est toujours par la femme que
les changements se font. La
P a g e 11
que le Far West ? Changer les
femme préfère en effet, aux
mineurs en jeunes traders dynamoyens violents du shérif —
miques, Johnson en un consort
traque, mise à mort sous la vinde Jérôme Kerviel serait peutdicte populaire — l’art de la négoêtre une meilleure satire de
ciation, apanage nécessaire de la
l’Amérique du xxie siècle ! Quoi
démocratie, la défense des intéqu’on ait pensé et compris de la
rêts légitimes et de la juste conmise en scène, entendre la voix
trepartie (après avoir surgi avec
de Nina Stemme était un vrai
son pistolet, elle convainc les
délice ; le DVD filmé à Amstermineurs et le shérif de libérer
dam en 2008, lorsque celle que la
Johnson eu égard à tous les sercritique qualifie parfois de digne
vices qu’elle a rendus aux mihéritière de Kirsten Flagstad (1)
neurs), et le secours de la relitenait déjà le rôle, est une excelgion. En forçant un peu le trait, si
lente manière, si ce n’est pas déjà
Johnson était l’Oreste d’Eschyle,
fait, de découvrir cette pièce mule shérif, les Érinyes, alors Minsicale méconnue et de se délecter
nie serait Athéna, voire : Lucrèce,
de cette grande soprano wagnéoù le shérif serait Sextus, et
rienne.
Johnson,
Collatinus.
Quoiqu’Athéna n’aimait pas Oreste,
ou que Collatinus n’était pas un
paria de la société romaine, il est
amusant, par ce parallèle, de
constater que les mêmes faits,
(1) Née à Hamar en 1895 et morte
semper eadem, se retrouvent
à Oslo en 1962, Kirsten Flagstad
dans les mythes fondateurs du
est
généralement
présentée
droit et de la nation.
comme la plus grande soprano
Le public actuel, en particulier
wagnérienne de l’histoire, et la
européen, comprend moins la
meilleure Isolde de tous les
symbolique de cette histoire.
temps. Sa voix, à la fois puissante
C’est là sans doute une explicaet calme, d’une grande justesse et
tion à la désaffection que subit
d’un timbre éclatant, lui a permis
cette œuvre de nos jours. Une
d’enregistrer en 1952, sous la
seconde vie pourrait lui être dondirection de Furtwängler, la vernée par la mise en scène de Nikosion de Tristan que tout amateur
laus Lehnhoff, montrée pour la
de musique doit posséder dans sa
première fois à Amsterdam en
discothèque. Son interprétation
2008, et qu’on a pu découvrir à
de la mort d’Isolde est à notre
Paris à la saison dernière, en fésens la seule où le calme avec
vrier, à Bastille — l’œuvre faisant
lequel elle quitte la vie se ressent
ainsi son entrée au répertoire de
à ce point. Il est possible de l’ennotre vénérable institution lytendre sur le site du musée Kirsrique. Délaissant les mineurs, les
ten Flagstad de Hamar.
chevaux, il déplace l’action à
l’époque actuelle, transformant
l’œuvre en critique du monde
moderne. Le saloon se transforme en bar pour mauvais garçons en blouson de cuir, Minnie
en diva hollywoodienne, la poursuite de Johnson au troisième acte se
fait dans un
atelier
de
casse de voitures.
Nous
n’avons
pas
bien compris
le sens de
cette transposition : est-ce
seulement
parce que la
Californie
évoque
aujourd’hui plu- La Fanciulla del West de Puccini dans la mise en scène
tôt Hollywood
de Niko-laus Lehnhoff, Amsterdam, 2008.
Florimont
P a g e 12
Année 7, Numéro 49
Géographiquement vôtre
De la frontière au mythe de
l’Ouest : la naissance du
western
Il ne s’agira nullement ici de se
lancer dans un historique de la
constitution des États-Unis mais
bien plutôt de voir comment le
Grand Ouest, en tant qu’espace
géographique (1) est réellement
né. En effet, la Frontière marque
au xixè siècle à la fois l’espace de
la conquête, mais aussi la limite
entre monde civilisé (les Etats de
l’Est) et monde sauvage. Aux
États-Unis, la frontière ne représente donc pas seulement une
ligne de démarcation, mais bien
un lieu physique, à savoir tout
l’espace vierge en tant que tel. À
partir des années 1840, de
grandes routes s’ouvrent en direction de l’Ouest après la conquête effectuée sur des territoires
mexicains (Californie, Texas), ce
qui favorise le déplacement des
premiers pionniers. Les native
Americans doivent toujours être
repoussés le plus loin possible de
cette « frontière », et les installations de pionniers sont facilitées :
ils deviennent agriculteurs grâce
à la redistribution de terres prises
aux Mexicains ou aux native
Americans. La Frontière fait
donc partie du processus de colonisation et d’expansion américain
et constitue l’un des mythes fondateurs des États-Unis, construisant l’identité américaine ellemême : dès la fin du xixesiècle,
elle est au centre de la réflexion
de Frederick Jackson Turner
dans The Significance of the
Frontier in American History,
qui en fait un des facteurs d’explication de l’identité américaine.
La Frontière elle-même aurait
ainsi créé la démocratie américaine. La Frontière américaine
ressemble ainsi plus à ce que
nous appellerions un « front
pionnier ».
Lorsque l’on évoque le terme de
« western », ce sont automatiquement des images de films, de
batailles, de fusils chargés, de
courses-poursuites qui sont convoquées alors même qu’étymologiquement le terme signifie avant
tout « venu de l’Ouest ». Pour
autant, il ne faut pas négliger ce
que l’on pourrait nommer les
« westerns littéraires », qui apparaissent dès la fin du xixè siècle
à l’instar de la nouvelle The Bride
Comes to Yellow Sky, écrite par
Stephen Crane, qui montre le
regard de la fiancée venue de
l’Est sur un « Ouest » presque
mythique, où la figure du shérif
fait face à l’alter ego négatif du
personnage principal. Le train est
ici perçu comme un protagoniste
principal : il est celui qui ramène
Potter, le personnage principal,
dans ses terres « sauvages » natales. On assiste au fil de la lecture à la disparition de l’Ouest
mythique et à la construction
d’un homme nouveau. L’Ouest et
ses terres sauvages deviennent le
terrain de jeu, ou plutôt le lieu de
la réalisation de l’homme améri-
cain, au sens où, dans sa conquête
de
l’Ouest
sauvage,
l’homme est avant tout confronté
à lui-même. Les terres vierges
laissent ainsi la place à l’homme,
à ses bêtes et à ses constructions :
ici débute ce que l’on pourrait
nommer le mythe agrairien. Dans
les terres sauvages, quiconque
peut bâtir sa vie, ou reconstruire
son identité même. Depuis Thomas Jefferson, le citoyen américain idéal semble ainsi se composer à partir de personnages mythiques : le fermier, le cow-boy et
l’Indien (dans une moindre mesure) se partagent cet espace en
apparence vierge dans un équilibre fragile. C’est la Guerre de
Sécession qui paraît rompre cet
équilibre, la frontière entre Est et
monde sauvage est ainsi de plus
Carte de la formation politique et territoriale des Etats-Unis (1789-1889), 1/10 000
(Source : portail Gallica de la Bibliothèque nationale de France, gallica.bnf.fr)
Disharmonies
en plus mince, et le monde des
villes gagne même l’Ouest jusque
-là préservé. Ce qui se trouvait au
-delà de la frontière correspondait ainsi à une espèce d’idéal
édénique, de paradis perdu fait
de l’harmonie entre l’homme et
son milieu, et c’est véritablement
l’intrusion des hommes venus de
l’Est qui conduit à une rupture
des relations entre les Indiens
(Native Americans) et les
« hommes de la frontière » : Anthony Mann en 1955 décrit ainsi
dans La Charge des tuniques
bleues la rupture de l’équilibre
entre les trappeurs de l’Ouest et
les Indiens. L’engagement du
protagoniste principal dans l’armée laisse ainsi paraître la haine
consumant certains militaires
envers les Indiens : la bataille
contre l’Indien devient ainsi le
prétexte à l’affirmation de la
puissance humaine, ce qui laisse
0 000. Dessiné et gravé par R. Hausermann.
P a g e 13
présager l’émergence de degrés
différents de citoyenneté américaine. Les trappeurs eux-mêmes
voient le danger s’incarner dans
la figure des soldats. Tous ceux
qui pouvaient être caractérisés
comme des« hommes de la frontière », d’hommes en marge du
monde de l’Est, sans être pour
autant Indiens doivent ainsi choisir entre deux mondes désormais
opposés : l’homme de la frontière
incarne lui aussi une certaine
forme de barbarie. Dans les films
ou dans les livres, la caractéristique même du genre « western »
semble être de fournir une série
d’oppositions qui constituent le
paradoxe même de l’unité américaine : de l’Ouest sauvage, barbare, sont venues les ressources
naturelles, qui paraissent au
commencement presque illimitées, alors que de l’Est, sorte de
terreau de civilisation, proviennent les techniques, et les
moyens d’expansion de la puissance américaine.
La disparition de la frontière correspond donc à une image unifiée
de ce qui tend à devenir les
« États- Unis », une image lissée
qui se doit de transcender les
oppositions, notamment entre les
hommes, en asservissant ce qui
semble rester de « barbarie ». À
une certaine violence primitive à
l’Ouest doivent ainsi s’imposer
les lois venues de l’Est. L’homme
du passé disparait au profit de la
légende. La Frontière, d’un espace en mouvement, constitué
par la conquête elle-même, disparaît physiquement : l’industrialisation, et surtout l’arrivée du
chemin de fer repoussent un peu
plus les limites de l’espace sauvage : les hommes de l’Ouest tendent à ne plus reconnaître leur
propre pays : l’Ouest devient une
scène de théâtre, largement parodiée plus à l’Est. La notion même
de Far West convoque ainsi au
tournant du xxe siècle une série
de clichés, de représentations, à
l’instar de ce que Buffalo Bill
avait commencé à faire dès 1882
avec le Buffalo Bill’s Wild West :
dans le titre même de son spectacle, donné dans toute l’Amérique et en Europe jusqu’en 1916,
le mythe même de l’Ouest sauvage est convoqué, et Buffalo Bill
cherche ainsi à recréer sur la
scène ce que l’on pourrait nom-
mer une « atmosphère du far
West ». Apparaissent alors les
grands clichés qui feront les joies
du cinéma hollywoodien par la
suite : l’attaque de la diligence,
celle du Fort, la vie des premiers
pionniers. Dès lors émergent les
figures de ces « hommes de
l’Ouest », qui ont contribué à
construire l’Amérique. La Frontière, d’entité géographique est
ainsi devenue une figure mythique, un élément de construction de l’Amérique avec un grand
« A ». La Frontière disparaît au
profit d’une unité, qui semble
s’être faite au détriment des populations déjà sur place (voir
Historiquement vôtre).
Le
Grand Ouest, le Far West devient
un espace social, au sens où il est
à la fois espace apprivoisé et vécu
par la civilisation, mais aussi espace produit des représentations
des hommes qui le parcourent.
Binh Minh
1. Espace géographique : espace
social, produit des groupes humains qui l'organisent et le mettent en valeur pour répondre à
des objectifs fondamentaux : appropriation, habitat, échanges et
communication,
exploitation.
(Géoconfluences, ENS Lyon)
P a g e 14
Année 7, Numéro 49
Jeux
Aaaaaah, Clint !
Si le western avait un visage, ce
serait celui-ci. Lancé dans le Far
West hollywoodien par la série
Rawhide, Clint Eastwood atteint
la consécration sous la houlette
de Sergio Leone avec la trilogie
du dollar (Pour une poignée de
dollars, Et pour quelques dollars
de plus et Le Bon, la Brute et le
Truand). Il a trouvé le look définitif du chasseur de têtes solitaire : chapeau fatigué, foulard
noir au cou, large poncho, gilet
en mouton retourné, cigarette au
coin des lèvres et regard qui foudroie depuis le coin d’un œil plissé. Ce personnage rugueux, viril,
violent, qui fait advenir une justice immanente en gardant toujours une pointe de sarcasme et
d’autodérision et qui ne fait de
concessions ni à la morale ni à
l’esthétique
conventionnelles
s’impose à l’acteur comme une
seconde peau. Lui qui n’a jamais
vraiment été cowboy (ni fumeur,
d’ailleurs !), il s’éprendra de musique country, collectionnera les
rôles
à
la
Dirty
Harry
(L’inspecteur Harry) avec un
Magnum 44 à la gâchette facile...
et ne manquera pas des clins
d’œil comme le titre Space Cowboys (un film sur les pionniers de
la conquête spatiale, sorti en
2000).
Une seule tête, donc, pour des
dizaines de westerns... Saurezvous attribuer à chaque cliché le
film dont il est extrait ?
Am42one
Per qualche dollaro in più (Et pour quelques dollars de plus) - Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars) High plains drifter (L’homme des hautes plaines) - Hang’em high (Pendez-les haut et court) - Pale rider (Pale rider, le
cavalier solitaire) - Rawhide - Unforgiven (Impitoyable) - Il buono, il brutto, il cattivo (Le Bon, la Brute et le Truand)
Réponses (de haut en bas et de gauche à droite) :
Disharmonies
P a g e 15
Regards, cris, tics (2)
sur lequel se braquent les regards
et, dans les pires situations les
colts (et autres…) d’autrui ;
l’agressivité est la loi, et
« personne n’en sortira indemne ».
Western moderne
Un jeune artiste prometteur vient
de sortir un premier album : La
ballade du garçon brouillon, signée Arthur Jamin. Le chanteur,
qui se réclame notamment
d’Alain Souchon, a parfois été
qualifié par la presse de digne
représentant d’une pop raffinée
et sensible. Un titre-phare et qui
retient l’attention, « Western
moderne », mérite pour plusieurs
raisons qu’on en fasse mention
ici.
La justification du nom de la
chanson ne se fait pas attendre :
le premier son qui vient est celui
de l’harmonica (et il reviendra
souvent). On aura plus tard (en
français) une réplique archicélèbre de Clint Eastwood dans
Le Bon, la Brute et le Truand ; et
on aurait tort d’oublier les bruitages évoquant la manipulation
d’un cran d’arrêt, ou, si l’on a
encore plus d’imagination, le pas
de bottes à éperons…
Le texte s’appuie évidemment sur
cette ambiance très efficace ;
épars, sobre, il laisse au fond instrumental toute latitude pour se
déployer et plonger le spectateur
dans un western – et pas n’im-
Le clip rend encore plus explicite,
s’il en était besoin, le pessimisme
du constat : ce sont des images
déroutantes, exposant inégalités,
pauvreté, violences, mais aussi
certains dirigeants européens qui
se retrouvent ainsi, par sousentendus, accusés d’attiser voire
d’aggraver l’embrasement de la
planète.
porte lequel, hélas : le nôtre, celui
du xxie siècle. Les paroles le disent très clairement ; au doublage
de Clint Eastwood s’ajoute, de
façon à la fois inattendue et percutante, un extrait d’un commentaire de journal télévisé relevant
la fin d’une trêve fragile. Quelle
trêve ? entre qui ? Cela importe
peu, car le message est à la fois
désabusé et direct : le « western
moderne » désigne notre triste
situation contemporaine, où l’on
doit lutter tant bien que mal pour
la survie mais où « les plus forts
sont toujours les mêmes ». Chacun peut se retrouver dans la situation de « l’étranger en ville »
Une vision presque désespérée,
mais exprimée avec retenue et
sobriété. On peut ne pas la partager, mais rester insensible au
charme de la chanson et de celles
qui l’accompagnent dans l’album,
c’est une autre paire de manches.
Fantômas
(Pour retrouver la chanson, ainsi
que les autres titres de l’artiste :
http://www.arthurjamin.com.)
Echoes of science
L’or : trucs et astuces
L’or. Deux lettres, mais quel
mot ! Capable de précipiter des
millions de personnes vers ce
grand Ouest américain que Disharmonies a choisi d’explorer ce
mois-ci. Une ruée folle pour trouver ce métal si précieux. Mais
qu’est-ce que l’or exactement ?
Pourquoi lui accorde-t-on tant
d’importance ? Pour comprendre
un peu mieux tous ces chercheurs
d’or, aventuriers du grand Ouest,
tournons-nous vers la géologie.
L’or est un des métaux natifs
(c’est-à-dire composé d’un seul
élément chimique, Au, et présent
naturellement dans la croûte terrestre) présents sur Terre, mais
en
très
faible
quantité :
0,000001% en poids, c’est-à-dire
1 centigramme par tonne de
croûte continentale qui est l’enveloppe solide de la Terre au niveau
des continents. Il n’est jamais
présent seul, mais toujours en
association avec d’autres minéraux (plomb, antimoine, argent…). Il possède de nombreuses
propriétés
physicochimiques assez particulières,
que l’homme sait bien exploiter.
Il réagit très peu avec l’oxygène,
et possède donc une bonne résistance à la corrosion. De plus, il
n’est impliqué dans aucune réaction acido-basique (une réaction
qui implique un échange d’électrons entre deux espèces, un
acide et une base) : seule l’eau
régale, un mélange d’acide chlorhydrique et d’acide nitrique, parvient à l’attaquer. C’est donc un
métal globalement très stable. Il
est aussi un excellent conducteur
d’électricité et de chaleur, et pos-
sède une densité élevée. Enfin, il
a de l’éclat, et est un des métaux
les plus ductiles (c’est-à-dire malléables). Toutes ces propriétés
sont d’un grand intérêt pour
l’homme, comme nous allons le
voir par la suite.
L’or est en général très peu concentré dans la croûte terrestre, on
l’a vu. Initialement, lors de la
formation du système solaire, il
est originaire de la nucléosynthèse au sein des étoiles les plus
massives. Ces étoiles très massives explosent en fin de vie en
supernovae, et disséminent ainsi
une bonne partie du matériel qui
les constitue, dont des atomes
d’or. Ils figuraient donc parmi les
débris du disque protoplanétaire
qui, par lente accrétion, a donné
la planète Terre. Une autre propriété chimique de l’or, pas en-
P a g e 16
core mentionnée, entre alors en
jeu : il a une forte affinité avec le
fer. Or, le fer s’est concentré dans
le noyau de la Terre au cours de
la différentiation de la planète
qui suit son accrétion… l’or s’y
trouve donc piégé. Mais, heureusement pour nos chercheurs d’or,
une partie est aussi accumulée au
niveau des fluides hydrothermaux, où l’or est transporté sous
forme dissoute, en complexe avec
du chlore ou du soufre.
Son exploitation se fait sur des
zones où sa concentration est
anormalement haute. On peut le
trouver dans différents types de
gisements. Les gisements primaires sont en association avec
du quartz, et souvent peu concentrés. Il s’agit de veines de quartz,
où l’on trouve aussi de l’or. Ces
éléments se forment lors de
l’érection des chaînes de montagnes, pendant laquelle des
roches sont élevées, compressées
dans cette poussée qui fait pousser les montagnes, et ainsi sujettes à du métamorphisme, concomitant avec une déshydratation des roches. Ces roches où l’or
est peu concentré pourront par la
suite être érodées, et il se formera
Année 7, Numéro 49
des gisements secondaires sédimentaires nommés placers. En
raison de sa forte densité, l’or
coule rapidement après érosion.
Un modèle de formation de l’or
grâce aux séismes existe aussi :
nous avons dit plus haut que l’or
peut s’accumuler dans les fluides
hydrothermaux chauds de la
croûte. Lors d’un séisme, il y a
relâchement brusque des contraintes entre deux morceaux de
croûte en contact. Pour simplifier : pendant longtemps, la pression a été élevée, et, d’un coup,
tout lâche. Il y a donc une
brusque diminution de pression,
qui a pour effet de vaporiser les
fluides présents dans la zone du
séisme. Imaginez : vous avez le
même volume, mais devez occuper un espace bien moins comprimé : que faire ? Passer à l’état
gazeux ! Imaginer l’inverse revient au même : une même pression, mais d’un coup un volume
bien plus grand ; et on disperse
donc les molécules en gaz pour
tout occuper. Ne se trouvant plus
en solution, l’or précipite et
forme des dépôts solides. Une
dernière possibilité de formation
de l’or est celle impliquant des
bactéries. Il s’agit encore d’une
hypothèse à vérifier : deux bactéries ont été observées à la surface
de grains d’or, Delfta acidororans et Cupriavidus metallidurans. Elles seraient capables de
former des biofilms sur les grains
d’or, et d’accumuler des complexes d’or (III), le chiffre entre
parenthèses signifiant le degré
d’oxydation de l’or. Or, cette accumulation au sein de la cellule
est couplée à la formation
d’autres complexes, avec du
soufre, potentiellement toxiques
pour la cellule. Mais ces deux
bactéries possèdent des gènes de
résistance à la toxicité : la détoxification se réalise grâce à la combinaison de l’expulsion des complexes et d’autres processus chimiques qui aboutissent à la formation, entre autres, de nanoparticules d’or, mises en solution.
Ces bactéries sont donc des moteurs pour la mobilité de l’or, qui
peut de nouveau précipiter ensuite, dans un contexte plus favorable pour l’extraction par
exemple, et en plus grande quantité.
Bien, nous avons nos mécanismes de formation de l’or et ses
Disharmonies
propriétés
physico-chimiques.
Voyons maintenant ce que
l’homme en fait. Même s’il n’a
pas eu connaissance des propriétés d’oxydo-réduction ou de conduction électrique de ce métal,
l’homme du Néolithique (5000
ans avant J.-C.) exploitait déjà
l’or pour sa malléabilité : il en fait
des bijoux, des parures, des ornements funéraires… L’Égypte fut
une des nations antiques qui exploita le plus l’or, en faisant un
symbole de prestige, de récompense. Il était pour elle la « chair
du Soleil ». Les autres civilisations s’y intéressèrent aussi, et il
y eut une première ruée (de
moins grande ampleur) lors de la
conquête de l’Amérique du Sud
par les Espagnols qui se servirent
alors largement dans les réserves
des Incas, pour lesquels l’or était
la « sueur du Soleil ». Sa rareté,
sa résistance à la corrosion et sa
faible implication dans les réactions chimiques en font un métal
idéal pour les échanges commerciaux. Il est aussi apprécié pour
sa couleur et son éclat. C’est au
moment où les hommes avaient
ce type d’images en tête (or des
Incas, or brillant, etc.) que se
produit la découverte, dans une
scierie en construction, de paillettes d’or dans un canal d’écoulement d’eau en Californie. Le
propriétaire de la mine sera ruiné
par les milliers de chercheurs qui
saccageront son terrain à la recherche d’or, mais la folie est lancée. Tous espèrent faire fortune
rapidement, et les États-Unis en
profiteront pour faire une rapide
guerre au Mexique afin d’annexer
la Californie, qui était alors mexicaine. La production d’or n’est
pas stable au cours du temps,
mais suit une courbe en dents de
scie, montée de fièvre comme
celle qui prit tous les hommes qui
se ruèrent vers l’Ouest. D’ailleurs,
il y eut aussi « l’or des fous », de
la pyrite ou calcopyrite, très semblable à l’or, mais bien plus répandue. Plus tard, ce fut en Alaska, au Canada, en Australie.
Actuellement, les premiers pays
producteurs d’or sont l’Afrique
du Sud, le Canada, les États-Unis,
le Brésil et les Philippines. Viennent aussi dans le classement de
nombreux pays africains, pour
lesquels on peut se demander qui
profite de l’or : ceux qui travaillent à l’extraire, ou les anciens
colonisateurs ?
Les utilisations de l’or ont aussi
P a g e 17
évolué. L’exploitation sert maintenant majoritairement à la thésaurisation, à la fabrication de
composants électroniques et à la
bijouterie. Un nouveau groupe
plus surprenant s’intéresse aussi
de plus en plus à l’or : les scientifiques, attirés plus particulièrement par le « nano-or ». On qualifie de nano toute particule dont
la taille est nanométrique, c’est-à
-dire de l’échelle du milliardième
de mètre. Mais pourquoi cet attrait pour elles ? Les chercheurs
espèrent-ils rassembler suffisamment de ces nanoparticules afin
de financer leur domaine ? Non,
évidemment. Ils s’intéressent
bien plus aux propriétés physiques et chimiques particulières
de ce nano-or. En effet, si l’or
massif est d’une grande stabilité,
les nanoparticules sont plus réactives. Cela est dû à la façon dont
les électrons sont organisés en
plusieurs couches (les orbitales)
autour de l’atome d’or. Dans l’or
massif, un comportement collectif des atomes d’or est observé, où
les électrons des couches sont
peu mobiles. Mais dans le cas des
nanoparticules, l’effet de groupe
disparaît, et l’or est plus enclin à
« prêter » des électrons. On peut
ainsi utiliser l’or comme catalyseur : il facilite ou accélère de
nombreuses réactions chimiques.
En particulier, la réaction qui
transforme le monoxyde de carbone très toxique en dioxyde de
carbone… qui a lieu dans les pots
catalytiques des voitures ! Ils ne
sont actuellement efficaces qu’à
plus de 300°C (un moteur froid
pollue donc beaucoup) tandis que
les nanoparticules d’or sont utilisables à température ambiante.
Cependant, vous faudra attendre
encore un peu pour cette application, l’industrie automobile ne s’y
étant pas encore lancée.
Dans le domaine médical, des
études portent aussi sur le nanoor, en lien cette fois-ci avec le
traitement du cancer. La radiothérapie, méthode usuelle, consiste à irradier la tumeur avec des
rayonnements ionisants très
énergétiques, aptes à détruire les
cellules cancéreuses… mais aussi
des cellules non-cancéreuses voisines par manque de précision,
inhérent à la méthode. L’or, lui,
est injecté, sous forme de nanoparticules, au niveau des cellules
de la tumeur avant l’irradiation.
Lorsque ses atomes sont touchés
par le rayonnement ionisant, ils
émettent certains de leurs électrons internes (une propriété
nommée « effet Auger »). Ces
électrons sont eux-mêmes chargés et peuvent à leur tour arracher des électrons aux atomes
d’or voisins, et ainsi de suite.
C’est une cascade électronique,
qui entraîne une décomposition
des molécules d’eau aux environs
en radicaux oxydants libres
(OH-), délétères pour les cellules
(rappelez-vous les fruits qu’il faut
manger parce qu’ils contiennent
des antioxydants : les oxydants
concernés sont, entre autres,
OH-). Par la cascade électronique,
l’effet du rayonnement est amplifié : on peut irradier moins fort,
et donc toucher moins de cellules
saines, tout en améliorant l’efficacité du traitement.
L’or a toujours suscité autant de
rêves, des souhaits de richesses
des premiers chercheurs d’or aux
espoirs des chercheurs aujourd’hui. Lors de la conquête de
l’Ouest et de la ruée vers l’or,
alors que tous cherchaient à dénicher LA plus grosse pépite
(record en réalité détenu par une
mine en Australie), on ne se serait pas douté que plusieurs décennies plus tard, on s’enthousiasmerait bien plus pour des
nanoparticules, même pas visibles à l’œil nu !
Mademoiselle
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Année 7, Numéro 49
Regards, cris, tics (3)
« Yak yak, que diantre !
Yak yak ! »
croiser l’inventeur du chewinggum, et on apprend comment le
cheval a été introduit en Amérique par les colons européens.
Vous savez peut-être qu’avec Astérix, le duo formé par Uderzo et
Goscinny n’en était pas, et de
loin, à son coup d’essai. En 1958,
les deux complices avaient déjà
frappé une première fois, avec
l’apparition de la série de bande
dessinée intitulée Oumpah-pah.
Cette série raconte les exploits
d’un peau-rouge, membre de la
tribu des Shavashavah, et de son
improbable ami le chevalier Hubert de la Pâte Feuilletée, tout
droit débarqué du royaume de
Louis xvi pour découvrir la Nouvelle-France.
Le grand point fort de la série,
vous le devinez, c’est bien sûr
l’humour. Il n’est pas exagéré de
dire que tout ce qui a fait plus
tard le succès mondial d’Astérix
est déjà présent ; l’esprit de Goscinny, couplé avec le trait caricatural et expressif d’Uderzo, fait
merveille à toutes les époques.
Le premier est aussi vaillant et
fort que le second est étourdi et
maladroit. L’un n’a connu que les
plaines et les forêts autour sa
tribu natale, l’autre s’exprime
comme s’il était encore dans le
salon de sa mère la marquise. Et
néanmoins tous deux vont très
vite devenir inséparables, se considérant comme des « frères ».
Leurs aventures, de l’Amérique à
la France prérévolutionnaire puis
de nouveau en Amérique, se déclinent en cinq épisodes relativement longs (mais chacun l’est
moins qu’un album de BD standard) : Oumpah-pah le peau
rouge, Oumpah-pah sur le sentier de la guerre, Oumpah-pah et
les pirates, La mission secrète,
Oumpah-pah
contre
Foiemalade.
Certes, nous sommes loin du Far
West avec ses cow-boys et surtout
son indétachable xixe siècle. Mais
les Indiens et la cavalerie sont en
quelque sorte déjà sur place. Et le
continent américain, et ce qu’il
représente d’inconnu pour un œil
Européen, est bel et bien là. La
nature sauvage autour du campement des Shavashavah, plus que
dépaysante pour le naïf la Pâte
Feuilletée, n’est évidemment pas
oubliée : cascades, grandes
plaines, forêts peuplées d’écureuils gris, voilà le décor où se
déploie plus de la moitié des
hauts faits de nos héros. Au cours
de leurs équipées, ceux-ci vont
croiser la route de bisons (bien
malgré eux), d’élans, de fauves
(amateurs de gros canards sauvages)… On a même l’occasion de
Les situations vont du cocasse
(un aristocrate français contraint
de vivre chez les peaux-rouges) à
l’absurde (des signaux de fumée
arrivant dans le désordre créent
un message incompréhensible).
Les didascalies ne sont pas en
reste, parfois volontairement redondantes par rapport au propos
des personnages. Comme dans
Astérix, c’est la confrontation des
cultures qui se révèle l’une des
meilleures sources de comique.
Hubert de la Pâte Feuilletée, essayant de se faire passer pour le
sorcier des Pieds-Plats en revêtant un grand masque de cérémonie peau-rouge, se trahit lorsqu’il
s’exclame vexé : « Fi ! je suis le
meilleur danseur à la cour du roi
mon maître !... Aïe. »
Les personnages eux-mêmes,
éminemment sympathiques, déclenchent rires et sourires à
toutes les étapes. Hubert de la
Pâte Feuilletée, malgré tous ses
efforts, reste maladroit et ne bénéficie guère des leçons d’Oumpah-pah : il croit marcher silen-
cieusement
dans
la
forêt
(« comme la sardine qui nage
dans l’huile ! ») mais n’arrive
qu’à se faire suivre par les Piedsplats qui le captureront sans
peine. Le peau-rouge, de son côté, mesure parfois mal sa force
(une sorte d’Obélix américain) et
humilie sans le vouloir l’équipage
d’un vaisseau du roi en dépassant
celui-ci à la nage.
Les jeux de langage s’y trouvent
en abondance, c’est l’une des
grandes marques de Goscinny
(sauf lorsque celui-ci écrivait
pour Morris). Aucun nom de personnage ne doit laisser le lecteur
indifférent, du pied-plat FoieMalade (comprenez : Napoléon)
jusqu’au sorcier Y-pleuh, sans
oublier l’inénarrable chevalier
prussien Franz Katzenblummerswishundwagenplaftembomm. Les
tics de langage et les « parlures »
sont tous aussi savoureux les uns
que les autres : Oumpah-pah ne
jure que par le puma (« mon totem »), les Prussiens ont du mal
avec nos consonnes (« Endrez ! »
- à quoi l’influençable Hubert
réplique : « Endrons. »)… et les
aristocrates Français ne sont pas
derniers en la matière (« Fi ! vous
eûtes raison ! »)
On trouve également, vous l’aurez peut-être compris, des rappels des affrontements francoallemands, en particulier de la
Seconde Guerre mondiale. Des
Goths, pardon, des Prussiens
arrivent en Amérique et tâchent
de contrer l’influence française
auprès des tribus voisines ; ils
obtiennent l’aide de certaines
d’entre elles (lisez : de collaborateurs, comme le peuple d’Aplusbégalix dans Le Combat des
chefs) ; mais un petit village, celui des Shavashavahs, résiste encore et toujours à l’envahisseur…
Si Astérix vous a plu, je ne peux
que vous recommander cette lecture fort divertissante, un rappel
bienvenu de feue l’une des collaborations les plus fructueuses de
la bande-dessinée française. Ou,
pour le dire plus économiquement : yak-yak !
Fantômas
isharmonies
Crédits :
Illustrations :
Blake
Tsum
Tatu
Ys’tenn
Rédacteur en chef :
Binh Minh
Rédaction :
Am42one
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