L`interview Ma juscule

Transcription

L`interview Ma juscule
Sur scène dans une pièce qu’elle a, comme à son habitude, écrite
et mise en scène, Josiane Balasko joue une psychiatre déjantée
et amoureuse. L’occasion d’évoquer l’amour et la comédie.
Propos recueillis Par Véronique Guichard
A
u coup de sonnette répondent des
aboiements furieux, qui se révèlent
provenir d’une minuscule chienne
qui ne tardera pas à faire des mamours.
Dans l’entrée, une monumentale
tête de bison, « un cadeau pour la Noël » au mari
de Josiane Balasko, d’origine apache, accueille
les visiteurs. Un chat perché sur un canapé rouge
regarde, l’air blasé, l’agitation créée par ses deux
camarades canins décidément bien excités.
La maison de la comédienne, dans le quartier animé
de Pigalle à Paris, est chaleureuse et décalée, comme
sa propriétaire. Cette actrice, réalisatrice, auteur
de théâtre et romancière, dont l’énergie semble
inépuisable, fête en 2015 ses 65 ans, dont 45 sur
les planches. Entretien autour d’un café et moult
cigarettes, à l’occasion de sa pièce, Un grand moment
de solitude, qu’elle joue depuis le 7 avril au théâtre
de la Michodière à Paris.
Vous vous êtes inspirée de l’actualité
pour écrire cette comédie ?
Je m’en suis servie pour deux personnages : Rosalie, la
jeune fille en galère qui vit dans un squat, et Jimmy, le
ha­cker qui fuit la police. J’ai aussi exploité, je l’avoue,
mon addiction pour les jeux vidéo, puisque mon personnage y joue. J’aime bien ces jeux débiles où il faut
abattre des gnomes et des farfadets, cela me repose !
18 - Femme Majuscule - mai-juin 2015
[Rires.] Mais avant tout, j’aime faire rire. Et aussi raconter une histoire d’amour. Il y en a en fait deux dans Un
grand m
­ oment de solitude : celle de Simon, un­psy coincé, avec la jeune Rosalie, et celle de Brigitte, que je joue,
avec le hacker, interprété par George A
­ guilar, mon
mari à la ville. Dans la pièce on n’arrête pas de s’embrasser ! Jusqu’où on peut aller par amour pour sauver
celui qu’on aime, c’est un moteur pour une comédie.
Tout comme les personnages de psys déjantés.
En effet, Brigitte et Simon, tous les deux
psychiatres, sont autant dérangés, voire plus,
que leurs patients !
Simon­est agoraphobe, il ne peut pas sortir de chez lui
et Brigitte, qui le soigne, est accumulatrice compulsive, à tel point qu’elle ne peut plus recevoir ses patients chez elle faute de place. Ils sont tous zinzins !
Sauf la petite SDF, qui a les pieds sur terre. J’aime
bien les personnages de psys, car ce sont des gens qui
aident les autres. J’en ai vu un trois ou quatre fois. Je
comprends­très bien que l’on ait recours à eux quand
on ressent un mal de vivre.
Votre personnage est très différent de ceux
que vous avez interprétés précédemment…
J’avais envie de jouer autre chose. Pour une fois, je ne
dis pas une seule grossièreté alors que la petite Rosalie
a un langage de charretier ! C’est un rôle que j’aurais
Philippe Quaisse / Pasco and co
L’interview Majuscule
« Il me semble
normal
de partager »
L’interview Majuscule
Comédienne, réalisatrice, auteur…
Quel mot vous caractérise le mieux ?
Saltimbanque ! Avec le Splendid, on a commencé par
jongler dans les rues, se déguiser, incarner des personnages plus âgés que nous. Nous n’avions pas peur
d’en rajouter, d’être dans l’excès, mais en gardant toujours une part de vérité. Il faut être dans le vrai quand
on joue une situation, même absurde. C’est ce qui a
fonctionné d’ailleurs, on jouait des personnages improbables mais le plus sincèrement possible. C’est
encore plus nécessaire au théâtre, où on a une intimité avec le public. J’ai beaucoup appris à l’école du
Splendid, surtout la rigueur. Et je suis restée un auteur
exigeant. Au fil des représentations, j’apporte des
améliorations, j’enlève ou je développe des idées.
Les livres ont tenu très tôt
une grande place dans votre vie…
J’ai eu de la chance car nous n’avions pas de télévision
et pas beaucoup d’argent pour acheter des jouets. Il
fallait s’évader d’une façon ou d’une autre. Je ne me
suis jamais vraiment ennuyée. Mes parents tenaient
un café dans le 10e arrondissement, près de la gare de
l’Est. À 8 ans je jouais au flipper, au baby-foot, au 421
avec les clients, des ambulants de la gare de l’Est, des
À l’affiche
Brigitte, psy consciencieuse mais accumulatrice
compulsive, soigne un de ses collègues, Simon, atteint
d’agoraphobie… Mariée à un hacker recherché
par toutes les polices, elle a la bonne idée de cacher
son époux chez Simon avec l’aide de la jeune Rosalie,
SDF. Tout ce petit monde va mettre une belle
pagaille dans la vie du solitaire Simon… pour son
plus grand bonheur !
Un grand moment de solitude, avec aussi Kader Boukhanef, George
Aguilar, Justine Le pottier, Au Théâtre de la Michodière à paris, du
mardi au samedi à 20 h 30, le samedi à 16 h 30. réservations : 01 47 42 95 22
20 - Femme Majuscule - mai-juin 2015
jeunes provinciaux mutés à Paris qui triaient le courrier toute la nuit et qui venaient au café après. Mon
frère, qui avait 17 ans de plus que moi, lisait Jules
Verne, Jack London, et aussi beaucoup de science-­
fiction. Je lui piquais ses livres. J’ai commencé à écrire
des bandes dessinées, des histoires de souillons qui
finissaient en princesses et puis, à 20 ans, des nouvelles. Dans le café de mes parents, j’ai découvert les
couleurs des personnages populaires.
Vous semblez avoir et transmettre
une grande force, dans votre métier et
vos engagements. Où la puisez-vous ?
J’ai beaucoup d’empathie pour les gens, alors quand
j’écris ou je joue, je me mets facilement à la place de
quelqu’un. C’est dans ma nature. Je suis fidèle dans le
travail et dans mes convictions tout comme en amitié. Je sais pourquoi je fais les choses. J’ai été privilégiée par la chance et par le travail, alors il me semble
normal de partager ou de m’investir quand on me le
demande. Après les terribles attentats de ce début
d’année, il y a un certain malaise, un climat un peu
délétère. J’ai beaucoup d’amis qui sont partis, comme
Charb, un homme délicieux et drôle que je connaissais un peu. Pour les gens de ma génération, c’est une
partie de notre jeunesse qui a été tuée avec Wolinski
et Cabu, dont je lisais Le Grand Duduche dans Pilote.
Mais il faut être positif. On est vivants !
Au début, vous ne rêviez pas de faire
rire, ni de jouer, mais de peindre…
Après la mort de Papa, qui a été un moment difficile et
triste, mais pas un traumatisme, ma mère me disait de
réagir, d’aller de l’avant. Je peignais des petits tableaux,
des reproductions. J’avais commencé au cours Penninghen une prépa pour les Arts déco mais j’ai été recalée. Je me suis rendu compte que ce n’était pas mon
moyen d’expression. Maman était persuadée que je
ferai « quelque chose ». Cette confiance, ça aide dans la
vie. Un jour une copine, que je vois toujours, m’a emmenée au cours de Tania B
­ alachova. J’ai adoré l’ambiance. Je suis restée trois mois à observer avant de
donner ma première réplique. Et j’ai découvert que je
pouvais faire rire.
Malgré des avancées, les femmes ne sont
pas encore les égales des hommes.
Vous sentez-vous un porte-drapeau ?
Je peux jouer un personnage engagé mais je ne suis
pas un auteur à message. L’égalité des femmes et des
hommes passe par des lois et une volonté politique.
J’aime bien la phrase de Françoise Giroud : « La
femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un
poste important, on désignera une femme incompétente. »
Je suis auteur, metteur en scène, comédienne, maman et épouse, mais je ne fais pas tout en même
temps, rassurez-vous ! Pour moi, c’est Jeanne d’Arc
l’héroïne française absolue. Elle s’est battue en armure, avec les chevaliers les plus connus de l’époque,
et elle était beaucoup plus instruite que l’imagerie
populaire le laisse entendre.
Vous vous êtes dirigée
tout de suite vers la comédie ?
Je n’avais pas le profil de la belle fille. Je l’ai accepté et
je m’en suis accommodée, en partant du principe que
ce n’est pas parce qu’on n’a pas un physique de jeune
première qu’on ne peut pas avoir un premier rôle.
Alors j’ai écrit Les hommes préfèrent les grosses, en m’inspirant du duo Dean Martin-Jerry Lewis. Aujour­
d’hui le cinéma a évolué, ainsi que les canons de la
beauté. D’ailleurs les comédiennes de plus de 50 ans
ont toujours de beaux rôles. Regardez Nathalie Baye,
Isabelle Huppert… Nous avons de la chance d’avoir
cette exception française.
Finalement, vous vous êtes débrouillée
toute seule sans rien attendre des autres…
Je n’ai jamais attendu près de mon téléphone qu’on
vienne me chercher. Mais je ne sollicite pas non plus
les metteurs en scène. Le seul avec qui je désirais travailler, c’est Bertrand Blier, et j’ai tourné deux fois avec
lui. Je me démerde toute seule. J’écris des comédies
mais en tant qu’actrice, je suis ouverte à tous les rôles,
pas forcément comiques. Je suis ravie de tourner avec
Diane Kurys le film tiré du roman de Sylvie Testud,
C’est le métier qui rentre, où je joue une productrice.
Philippe Quaisse / Pasco and co
pu jouer jeune. Brigitte est une femme très optimiste
qui a de la ressource. Elle a une solution à tout et arrive
à faire accepter les choses en manipulant les autres,
mais pour la bonne cause. Le problème avec elle, c’est
qu’il y a toujours des complications ! [Rires.]
Vous êtes croyante, comme elle ?
« J’ai beaucoup d’empathie
pour les gens, alors quand
j’écris ou je joue, je me mets
facilement à la place de
quelqu’un »
J’ai été élevée dans la religion catholique mais je
doute. Parfois je crois, parfois je ne crois pas. Cela ne
m’empêche pas d’entrer dans une église allumer un
cierge. J’aime bien ces gestes rituels.
Quel est votre message
aux Femmes Majuscules ?
N’abandonnez pas ! On est plus libres, on n’a plus de
problèmes de contraception, on n’a plus mal au ventre
et on est encore en pleine forme ! C’est un âge où on
peut s’éclater, recommencer sa vie. Je me suis mariée à
50 ans. J’en ai 65 cette année. C’est juste un chiffre.
Comme m’a dit une amie quand j’ai eu 60 ans : ce
n’est jamais que 6 petites filles de 10 ans ! ✦