Mémoire SASAKI Yuta

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Mémoire SASAKI Yuta
Université Paris 1
Ecole nationale d’administration
Master « Relations internationales et Actions à l’Etranger »
Parcours « Administration publique et Affaires Internationales »
Quelle contribution de la Cour européenne des droits de
l’homme à l’émergence du jus cogens dans le droit
international
Sous la direction de
Dr. Frédéric EDEL
Chercherur au Centre d’expertise et de recherche administrative de l’ENA
Rédacteur en chef adjoint de la Revue française d’administration publique
Chargé d’enseignement en droit public à l’Université de Strasbourg
soutenu par
Yuta SASAKI
CIP Promotion Jules Verne (2013-2014)
2014
TABLE DES MATIERES
TABLE DES MATIERES ................................................................................................ 1
SOMMAIRE ..................................................................................................................... 2
INTRODUCTION ............................................................................................................ 3
I. L’APPARITION PROBLEMATIQUE D’UNE REGLE NOUVELLE ....................... 6
A. L’avènement controversé du jus cogens .................................................................. 6
1. Le jus cogens, une notion qui déstabilise le système juridique international ....... 7
2. Le jus cogens, une notion floue ............................................................................ 8
B. L’évolution du jus cogens ........................................................................................ 9
1. Les juges, principaux promoteurs du jus cogens .................................................. 9
2. L’Affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat ........................................... 12
II. LA RECEPTION PRUDENTE DE CETTE NOUVELLE REGLE PAR LA COUR
EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME............................................................ 15
A. La réception de cette notion sur la base d’éléments objectifs ............................... 16
1. L’accumulation des jurisprudences en dehors du cadre de la Cour européenne
des droits de l’homme............................................................................................. 16
2. L’accumulation des jurisprudences de la Cour européenne des droits de
l’homme .................................................................................................................. 17
B. Une réception qui reste prudente ........................................................................... 19
1. Des critiques à l’égard de la prudence ................................................................ 19
2. L’origine de la prudence ..................................................................................... 23
CONCLUSION .............................................................................................................. 24
BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................................... 27
1
SOMMAIRE
Le Jus cogens est une notion impérative de droit international qui connaît une évolution
depuis son arrivée avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, même si son
caractère flou provoque des critiques de doctrines et d’Etats. Dans cette situation, seuls
les juges, tant internationaux que nationaux, définissent le cadre du jus cogens. L’affaire
Al-Adsani est l’un des exemples où une norme, en l’occurrence l’interdiction de la
torture, est qualifiée de jus cogens. Dans cette affaire, malgré des opinions adverses, les
juges de la majorité ont pris leur décision de manière opportune, tenant compte d’une
réalité internationale.
2
INTRODUCTION
Dans le système international, tous les pays sont égaux au moins juridiquement, même
si l’on peut constater une dépendance politique ou économique d’un pays à l’autre. Le
premier peut souvent profiter de cette relation pour exercer une influence sur le
deuxième. L’article 2 de la Charte des Nations Unies énonce par exemple clairement
que « [l]’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses
Membres ». Cette égalité entre les Etats est garantie, d’une part, par le principe que les
Etats ne sont pas soumis aux règles pour lesquelles ils n’expriment pas leurs
consentements. Cependant, l’avènement d’une notion impérative, à savoir du jus cogens,
doit introduire un changement dans l’ordre juridique international - qui s’appuie sur
l’égalité des Etats - dans le sens où les Etats doivent respecter des règles sans y avoir
consenti. Malgré son caractère ambigu, cette notion a par la suite connu une évolution,
principalement conduite par des juridictions tant internationales que nationales. En face
de cette évolution du jus cogens, il semble que la plupart des Etats se contentent de
montrer leur réticence. Puisque la négation du jus cogens est inconcevable au vu de
l’évolution des jurisprudences en la matière, il serait préférable que les Etats prennent
plus au sérieux le jus cogens. Le Japon est l’un des pays qui pourraient particulièrement
être critiqués au nom du jus cogens pour une raison qui sera traitée dans la conclusion.
En tant que diplomate japonais, j’ai de ce fait choisi le jus cogens comme sujet de
mémoire afin d’approfondir mes connaissances.
3
En règle générale, je suis favorable à l’idée même d’une hiérarchisation des normes
internationales, dont le jus cogens fait partie intégrante, à la condition que cela entraîne
une protection universelle des droits fondamentaux. C’est la raison pour laquelle je tiens,
dans ce mémoire, à défendre l’évolution du jus cogens en tant que résultat de
l’accumulation des jurisprudences. Ceci tout en répondant à une critique régulière qui
voudrait que, dans la situation où il n’existe quasiment pas de texte juridique qui
définisse le jus cogens, sa détermination dépend des valeurs de chaque juge, autrement
dit elle est subjective. Je voudrais démontrer que la décision des juges, qui sont les
principaux promoteurs du jus cogens, n’est pas nécessairement subjective ou que les
juges, principalement internationaux, attachent une importance au maintien de
l’objectivité de leurs décisions en la matière. Dans le même temps, sachant que la limite
de pages ne me permets pas de mener une recherche globale et compréhensible en ce
sens, mon objectif ici est de choisir une jurisprudence relative au jus cogens et
d’analyser son parcours logique en tenant compte du contexte juridique. L’objectif sera
de démontrer à quel point elle n’est ni subjective ni aléatoire mais objective et
opportune et combien les juges sont prudents en la matière.
Dans ce mémoire, mon choix porte sur une affaire de la Cour européenne des droits de
l’homme: l’affaire Al-Adsani. Je me suis intéressé à cette affaire car elle a tout d’abord
touché l’un des fondements importants des relations interétatiques : l’immunité de l’Etat
devant les juridictions étrangères. Elle est d’ailleurs celle dans laquelle les juges ont le
plus nettement marqué leur division. En effet, la décision n’a été rendue que grâce à une
4
seule voix de majorité. L’origine de cette division réside justement dans la prudence de
la décision de la majorité, critiquée également par des doctrines et que je souhaiterais
défendre dans ce mémoire. Cette affaire a également attiré mon attention après avoir
effectué un stage au sein de l’Institut international des droits de l’homme de Strasbourg,
dirigé par M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de
l’homme et rallié à l’opinion dissidente commune dans cette affaire. J’ai alors eu la
chance de pouvoir bénéficier de ses précieux conseils en la matière.
Afin de défendre la décision de l’affaire Al-Adsani de la Cour européenne des droits de
l’homme (II), il me faut tout d’abord retracer d’une manière globale l’apparition et
l’évolution de cette notion (I).
5
I.
L’APPARITION
PROBLEMATIQUE
D’UNE
REGLE
NOUVELLE
Depuis son apparition provocatrice, le jus cogens est l’objet de discussions, dans
lesquelles ses caractères déstabilisateur et flou sont vivement critiqués (A). Malgré cela,
cette notion connaît une évolution conduite par des jurisprudences (B).
A. L’avènement controversé du jus cogens
L’idée même de l’existence de normes auxquelles les États ne peuvent déroger n’est pas
une invention. Avant la Seconde Guerre mondiale déjà, dans l’affaire des Écoles
minoritaires, la Cour permanente de justice internationale appliquait le jus cogens avant
l’heure1. De même, dans les affaires du Régime douanier austro-allemand et Oscar
Chinn, les juges Anzilotti et Schücking ont soutenu le refus de l’application d’une
convention contraire aux bonnes mœurs par la Cour, même sans parvenir à fournir des
preuves décisives à l’appui de leur affirmation. De plus, un tribunal militaire
international d’après-guerre a déclaré l’invalidité d’un accord manifestement contraire
aux bonnes mœurs2. En ce qui concerne la Cour international de justice, elle a reconnu,
dans son avis du 28 mai sur les réserves à la Convention pour la prévention et la
répression du crime du génocide, l’existence de règles fondamentales qui n’acceptent
pas la dérogation des Etats3. Pour ce qui est des doctrines, Georges Scelle avait affirmé
« l’existence d’une hiérarchie entre les normes impératives d’une part, et celles
1
KOLB Robert, « Jus cogens, intangibilité, intransgressibilité, dérogation "positive" et "negative" »,
R.G.D.I.P., t.109, 2005, p. 307.
2
DAILLIER Patrick, « Droit international public », L.G.D.J., 8éd, 2009, p.221-222.
3
SUDRE Frédéric, « Droit européen et international des droits de l’homme », PUF, 11éd, 2012, p79.
6
modifiables par une convention postérieure » 4 d’autre part. Malgré l’existence du
concept, c’est la Convention de Vienne sur le droit des traités qui annonce la naissance
du jus cogens dont les caractères déstabilisateur (1) et flou (2) provoquent des réactions
de la part des Etats et des partisans de la doctrine.
1. Le jus cogens, une notion qui déstabilise le système juridique international
Le concept de jus cogens comme norme impérative est premièrement consacré par la
Convention de Vienne sur le droit des traités. Selon l’article 53 de la Convention: « Est
nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme
impérative du droit international général ». En outre, l’article 64 stipule que « si une
nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui
est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin ». Cette notion possède une
grande importance conceptuelle dans le sens où elle peut ébranler le fondement du
système juridique international, qui s’appuie sur le consentement des Etats. « C’est le
fondement même du droit international qui est directement en cause »5. Malgré cela, ce
point métaphysique n’est pas au centre des discussions relatives au jus cogens. C’est
son flou qui tend au contraire à alimenter les débats, dans la mesure où la plupart des
discussions débutent par l’estimation de l’existence d’une telle norme.
4
5
DAILLIER Patrick (dir.), « Droit international public », L.G.D.J., 8éd, 2009, p.222.
DAILLIER Patrick, op. cit., p.223.
7
2. Le jus cogens, une notion floue
Concernant son caractère flou, l’aspect incertain de son mode de formation est
particulièrement problématique. L’article 53 de la Convention de Vienne se contente
d’indiquer qu’une norme de jus cogens est une norme « acceptée et reconnue » comme
telle « par la communauté internationale des États dans son ensemble ». « S’il est vrai
qu’elle n’est guère précise, elle ne l’est pas moins que, par exemple, celle de la coutume
qui, si elle ne va pas sans poser d’importantes difficultés pratiques, est cependant
considérée comme intellectuellement satisfaisante »6. L’ambigüité de la notion « par la
communauté internationale des États dans son ensemble » pose également problème.
Même si l’on peut imaginer l’exigence de solidarité de la société internationale qui
dépasse l’objection persistante d’un État particulier ou de quelques États, « [t]rois
significations différentes peuvent cependant être envisagées, suivant que l’on met
l’accent sur le terme de « communauté internationale », sur la référence aux « États » ou
encore sur l’expression « dans son ensemble »7. D’ailleurs, la jurisprudence de la Cour
internationale de justice n’a jusqu’à présent pas précisé les conditions requises pour
l’apparition d’une nouvelle norme de jus cogens.
En raison de ses potentialités déstabilisatrices et son caractère flou, un nombre
important d’États, dont la France, n’a toujours pas ratifié la Convention de Vienne et
certains chercheurs ne cachent pas leur répugnance a l’égard de cette notion8.
6
7
8
DAILLIER Patrick, op. cit., p.225.
COMBACAU Jean (dir.), «Droit international public », Montchrestien, 10éd, 2012, p.160.
V. par ex. J. GLENNON Michael, « De l’absurdité du droit impératif (jus cogens) », R.G.D.I.P., t.110,
8
B. L’évolution du jus cogens
Dans cette situation, le jus cogens connait une évolution principalement conduite par les
juges (1). Parmi eux, l’affaire Immunités juridictionnelles de l’Etat de la Cour
internationale de justice est révélatrice du risque de la part des juges internes de
déterminer le jus cogens de manière aléatoire (2).
1. Les juges, principaux promoteurs du jus cogens
Comme le constatent ces deux articles de la Convention de Vienne, le jus cogens n’est
mentionné au départ que dans le contexte de nullité́ des traités comportant des
engagements contraires à ses normes. Ceci est jusqu’à présent demeuré sans application.
Pendant un demi-siècle, on constate toutefois une évolution du jus cogens dans des
jurisprudences de cours internationales et nationales avec le soutien « d’une large partie
de la doctrine, le plus souvent pour des raisons militantes, au nom d’un progrès
souhaitable du droit international »9 en dehors du cadre de la Convention.
Dans un premier temps, ce sont plutôt des jurisprudences arbitrales qui apportent
quelques précisions au sujet de la définition et des effets du jus cogens. Par exemple,
dans l’affaire de la Détermination de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le
Sénégal, le Tribunal arbitral constitué a admis le caractère impératif du droit à
l’autodétermination des peuples. Pour sa part, la Commission d’arbitrage de la
2006, pp. 529-536. À la fin du texte, il affirme que « [l]a tâche des diplomates et des juristes
internationaux est de traiter avec le monde tel qu’il est, non pas tel qu’ils aimeraient qu’il soit. Mettre de
côté la doctrine du jus cogens serait faire un pas dans la bonne direction ».
9
COMBACAU Jean, op. cit., p.51.
9
Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie a classé, dans ses avis n゜1 du 29
novembre 1991 et n゜2 du 11 janvier 1992, le respect des droits fondamentaux de la
personne humaine et des droits des peuples et des minorités parmi les normes
impératives du droit international général. Il convient à ce propos de noter l’affirmation
par la Cour interaméricaine des droits de l’homme du « principe fondamental de
l’égalité et de la non-discrimination à intégrer le domaine du jus cogens »10. Sur le plan
européen, le Tribunal de première instance des communautés européennes a écarté, dans
la décision du 21 septembre 2005, un règlement qui met en application une résolution
du Conseil de sécurité fondée sur le chapitre VII. Ce règlement est contraire à la norme
de jus cogens, bien qu’elle ait infirmé cette décision dans l’arrêt du 3 septembre 2008 en
se référant aux droits fondamentaux en lieu et place du jus cogens.
Contrairement à d’autres organes juridiques internationaux, plutôt positifs, la Cour
internationale de justice a longtemps montré sa réticence à consacrer explicitement la
notion de jus cogens en recourant à l’expression « principes intransgressibles du droit
international coutumier »11. En 2006, la Cour a fini par prononcer explicitement la
notion de jus cogens, en hissant à ce rang l’interdiction du génocide dans sa décision sur
l’affaire Activités armées sur le territoire du Congo, tout en écartant sa compétence
malgré la thèse du Congo. Cette dernière stipulait que sa violation ne resterait pas
impunie, une norme impérative, par sa propre nature, impliquant la compétence de la
10
V. Avis n゜18 de 2003 sur Condition juridique et droits des travailleurs migrants en situation
irrégulière.
11
V. Avis de 1996 sur l’arme nucléaire ou avis de 2004 sur le Mur.
10
Cour, même sans le consentement de l’Etat défendeur. Le CIJ a du reste fréquemment
recouru à une notion voisine d’obligation erga omnes. Dans son arrêt relatif à l’affaire
Barcelona Traction, la CIJ a constaté l’existence de traités produisant des effets, non
seulement à l’égard de quelques États tiers, mais tout autant à celui de tous les États.
Cette évolution profonde ne se réalise toutefois que dans la doctrine et la jurisprudence.
« [F]orce est de constater que ni la reconnaissance du jus cogens dans son principe d’un
côté, et pas davantage la reconnaissance de normes particulières comme normes
impératives d’un autre côté, ne correspondent à des pratiques des Etats acceptées par
eux comme faisant droit »12. Incontestable est la reconnaissance de l’existence d’un jus
cogens par les Etats qui ont accepté la Convention de Vienne. Cependant, son
fondement est sans doute restreint dans le cadre conventionnel: il est un motif de nullité
et, par définition, son extension est limitée aux parties signataires de la Convention. Un
rejet du projet de codification du droit de la responsabilité de l’État visant en vain à
retenir deux catégories différentes de violations du droit international - le « délit » et le
« crime » international - prouve les réticences des Etats envers la hiérarchisation des
normes internationales.
12
COMBACAU Jean, op. cit., p.51.
11
2. L’Affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat
Parmi les jurisprudences relatives au jus cogens, il convient de mentionner l’affaire des
Immunités juridictionnelles de l’Etat opposant l’Allemagne à l’Italie. En effet, celle-ci
démontre bien la conséquence du flou qui entoure le jus cogens.
Un ressortissant italien, Ferrini, qui a souffert de détention et a été déporté dans un
camp de travaux forcés par les troupes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale,
a saisi des juridictions italiennes. Faisant face à une convocation, l’État allemand a
invoqué la règle de l’immunité de l’État. Après la confirmation par la Cour d’appel de
Florence d’un rejet du recours par le tribunal de première instance d’Arezzo, le
requérant s’est pourvu en cassation. En 2004, la Cour de cassation a cassé la décision
précédente en refusant l’allégation de l’Allemagne d’immunité de l’Etat. En 2008, elle a
réaffirmé cette conclusion.
Dans ce cas, c’est sa déduction pour introduire ladite conclusion qui est remarquable.
En effet pour écarter l’immunité de l’Etat, la Cour de cassation a recouru non à
l’existence d’une norme coutumière en faveur du refus de l’immunité, mais à
l’inexistence d’une norme favorable pour l’immunité. Après avoir affirmé que les deux
normes étaient incertaines, la Cour a spécifié que « la norme en faveur du refus de
l’immunité pouvait être présumée comme étant en voie de formation »13.
13
FOCARELLI Carlo « Immunité des Etats et Jus Cogens: la dynamique du droit international et la
fonction du jus cogens dans le processus de changement de la règle sur l'immunité juridictionnelle des
Etats étrangèrs », R.G.D.I.P., t.112, 2008, p.769.
12
Cette décision de la Cour de cassation, tant ambiguë, a bien évidemment conduit
l’Allemagne à exercer un recours contre l’Italie devant la Cour internationale de Justice
du fait que l’Italie a violé le droit international relatif à l’immunité de juridiction de
l’Etat. Dans cette affaire, l’Italie avait aussi plaidé le droit d’accès à la justice des
victimes de crimes de guerre, qui devait être considéré comme une norme du jus cogens.
Ce droit d’accès à la justice l’emporte donc sur l’immunité de l’Etat, qui n’est qu’une
norme coutumière. La Cour a écarté l’applicabilité du jus cogens, sans avoir ainsi à
approfondir la question de la nullité ou de l’inapplicabilité de la coutume contraire.
Le motif principal des juges italiens consiste à créer un nouveau régime pour les normes
du jus cogens, qui ne sont ni des normes coutumières ni des principes généraux. Bien
que leurs motifs de contribuer au développement du droit international en vue de mieux
protéger les droits de l’homme soient appréciables. Ce qui semble au contraire
inquiétant, c’est qu’« [i]l pourrait en effet être risqué de permettre à chaque juge interne
de déterminer son jus cogens selon ses valeurs »14. Tout d’abord, il n’est pas certain de
pouvoir « qualifier de violations du jus cogens des crimes perpétrés à une époque où la
notion même de jus cogens ou de normes impératives n’existaient pas dans le droit
international »15. Cette décision est exactement le résultat du caractère flou du jus
cogens. Cette fois-ci, heureusement ou malheureusement, la Cour internationale de
14
EL BOUDOUHI Saïda, « La motivation de la jurisprudence récente de la Corte Suprema di
Cassazione italiennne sur les immunités juridictionnelles de l’Etat », R.G.D.I.P., t.114, 2010, p776.
15
EL BOUDOUHI Saïda, op. cit., p766.
13
justice a écarté le raisonnement de l’Italie en acceptant l’allégation de l’immunité par
l’Allemagne. On peut tout de même aisément envisager que des décisions similaires
seront de plus en plus tranchées par les juges internes.
Tout en admettant qu’il existe des affaires dans lesquelles des juges internes font preuve
d’audace concernant le jus cogens sans fondement concret, il faut noter l’existence d’un
cas ou la décision des juges est bel et bien fondée sur des précédents: l’affaire Al-Adsani.
Les deux affaires traitent du même thème, à savoir l’immunité de l’État qui a gravement
violé les droits de l’homme, même s’il faut prêter une attention à la différence qui existe
entre l’affaire Al-Adsani et l’Immunité juridictionnelle de l’État: dans l’affaire AlAdsani, il est question de l’interdiction de la torture, au contraire de l’affaire de
l’Immunité juridictionnelle de l’Etat, où l’Italie allègue que le droit d’accès à la justice
des victimes de crimes de guerre doit être désigné en tant que jus cogens.
14
II. LA RECEPTION PRUDENTE DE CETTE NOUVELLE REGLE
PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
M. Sulaiman Al-Adsani, qui a la double nationalité britannique et koweïtienne, a servi
comme pilote dans l’armée de l’air koweïtienne au cours de la guerre du Golfe et
participé à un mouvement de résistance. À cette période, il en vient à avoir en sa
possession des cassettes vidéo à caractère sexuel impliquant un cheikh apparenté à
l’émir du Koweït. Ces cassettes sont largement mises en circulation, ce dont le cheikh
tient le requérant pour responsable. Le cheikh lui fait subir, à plusieurs reprises et en
divers lieux, d’affreuses tortures. M. Al-Adsani assigne alors au Royaume-Uni le cheikh
et l’État du Koweït en dommages-intérêts et un jugement par défaut est rendu contre le
cheikh. Cependant, à la demande du gouvernement koweïtien, la High Court ordonne la
radiation de la procédure au motif que l’Etat koweïtien bénéficie de l’immunité de
poursuite. La Cour d’appel déboute le requérant et la Chambre des lords refuse
l’autorisation de la saisir. M. Al-Adsani saisi finalement la Cour européenne des droits
de l’homme. Suite à la demande de M. Al-Adsani, la Cour prend la décision d’écarter
l’allégation de celui-ci, à savoir que la violation de la norme impérative empêche les
États de recourir au principe de l’immunité, tout en admettant que « l’interdiction de la
torture est devenue une règle impérative du droit international »16.
16
CEDH, affaire Al-Adsani c/ Royaume-Uni, arrêt du 21 nov. 2001, §61.
15
La conclusion de la Cour de désigner l’interdiction de la torture comme une norme de
jus cogens est acceptée. En effet, cette désignation d’interdiction de la torture comme
norme impérative de la Cour n’est pas du tout inopinée compte tenu de l’évolution des
jurisprudences concernées (A). A l’inverse, la prudence de la majorité provoque des
critiques de la part des doctrines. Malgré cela, la décision de la Cour de ne pas accepter
la levée de l’immunité d’un pays qui a commis la violation de la norme de jus cogens
est défendable (B).
A. La réception de cette notion sur la base d’éléments objectifs
Une accumulation de jurisprudences en matière d’interdiction de la torture, tant au
niveau de la Cour européenne des droits de l’homme (2) que d’autres juridictions (1),
explique le contexte et démontre l’opportunité de la décision de la Cour européenne des
droits de l’homme de désigner l’interdiction de la torture comme jus cogens.
1. L’accumulation des jurisprudences en dehors du cadre de la Cour
européenne des droits de l’homme
Avant la décision de la Cour, certaines juridictions aussi bien internationales que
nationales avaient déjà abouti à la conclusion que l’interdiction de la torture était une
norme de jus cogens. Les chambres de première instance du Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie ont par exemple explicitement consacré, dans leur arrêt
Furundzija du 10 décembre 1998, l’interdiction de la torture comme jus cogens. Suite à
16
cette décision, la Chambre des Lords britannique a repris la même position dans son
arrêt Pinochet du 24 mars 1999.
En vue de consolider son résonnement, la Cour a évidemment cité lesdites affaires, en
recourant également à des textes juridiques comme la Déclaration universelle des droits
de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que la
Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants. La décision de la Cour, dans ces situations, n’était ni inopinée
ni subjective.
2. L’accumulation des jurisprudences de la Cour européenne des droits de
l’homme
Comme le constate la décision de la majorité - même si, jusqu’à l’affaire Al-Adsani, elle
a hésité à affirmer que l’interdiction de la torture était jus cogens - l’interdiction de la
torture consacre depuis longtemps « l’une des valeurs fondamentales des sociétés
démocratiques » dans le système de la Convention. « C’est un droit absolu qui ne
souffre aucune dérogation en aucune circonstance »17.
A l’origine, « pour tomber sous le coup de l’interdiction », la Cour insistait toutefois sur
la nécessité d’atteindre un minimum de gravité18. En effet, dans l’affaire opposant
17
18
affaire Al-Adsani, §59.
SUDRE Frédéric, « Droit européen et international des droits de l’homme », PUF, 11éd, 2012, p326.
17
l’Irlande au Royaume-Uni, qui a donné lieu au premier arrêt de constat de violation de
l’article 3 de la Convention, la Cour a considéré les techniques policières
d’interrogatoire utilisées uniquement comme la pratique de traitements inhumains et
dégradants. Et cela bien que les mesures prises à l’époque par le gouvernement
britannique, qui se trouvait au cœur du combat contre l’armée républicaine irlandaise,
consistaient « à interroger les détenus après les avoir privés de sommeil et de nourriture,
exposés à un fort sifflement continu et obligés à rester debout pendant de longues
heures, contre un mur, la tête encapuchonnée d’un sac »19. Au bout d’un certain temps,
la Cour a néanmoins abandonné cette « conception initiale fondée sur l’appréciation
d’un minimum de gravité de mauvais traitements, au profit d’une conception plus
radicale »20. Dans l’affaire Tomasi c. la France, la Cour a énoncé le principe qu’« à
l’égard d’une personne privée de sa liberté, tout usage de la force physique qui n’est pas
rendu strictement nécessaire par le propre comportement de ladite personne porte
atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par
l’article 3 »21. Enfin, l’on peut citer l’arrêt Selmouni, dans lequel la France a été
condamnée à l’unanimité pour actes de torture. Il marque une étape importante dans
l’interdiction de la torture.
La jurisprudence liée à ce fameux arrêt Selmouni contre la France charge les Etats
d’obligations beaucoup plus dures. Après cette affaire, l’obligation d’interdiction de la
19
20
21
LAMBERT Pierre, « Dignité humaine et interrogatoires musclés de la police », RTDH, 2000, p139
LAMBERT Pierre, op. cit., p141.
SUDRE Frédéric, op. cit., p326.
18
torture signifie la prohibition absolue. « C’est tout usage de la force physique sur une
personne en situation d’infériorité, car privée de liberté, qui est prohibé et tombe sous le
coup de l’article 3 »22. En ce sens, la Cour a confirmé le renversement de la charge de la
preuve et énoncé une véritable présomption de causalité, sauf preuve contraire apportée
par l’État. Elle a également admis la recevabilité de la requête dont l’auteur n’a pas
épuisé des recours inexistants, ou manifestement inefficaces en tenant compte du fait
qu’il s’était heurté à la passibilité qui l’empêche d’épuiser des recours internes - l’article
35 de la Convention oblige au reqérant d’épuiser les voies de recours internes pour être
recevable à une requête devant la Cour -, des autorités et notamment du juge
d’instruction. S’appuyant sur ces précédents, qui élèvent l’interdiction de la torture au
statut de l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, la Cour a pris, à
son tour, sa décision dans l’affaire Al-Adsani.
B. Une réception qui reste prudente
Bien que la Cour qualifie, en s’appuyant sur ces précédents jurisprudentiels,
l’interdiction de la torture comme une règle de jus cogens, elle refuse toutefois d’écarter
l’immunité de l’Etat qui l’a violée, en introduisant une distinction entre pénal et civil (1).
Cette prudence décisionnelle de la majorité peut provenir d’une conscience réaliste (2).
1. Des critiques à l’égard de la prudence
Malgré le fait d’avoir qualifié l’interdiction de la torture comme jus cogens, la Cour a
22
SUDRE Frédéric, op. cit., p326.
19
tiré la conclusion « qu’en droit international, un Etat ne jouit plus de l’immunité d’une
action civile devant les cours et tribunaux d’un autre Etat devant lesquels sont formulées
des allégations de torture », en distinguant le pénal - comme dans le cas des décisions
Furunzija et Pinochet - de la procédure civile, à laquelle « aucun des instruments
internationaux primordiaux (…) n’a trait »23.
Ce raisonnement de la majorité, qui nie la violation de l’article 6 de la Convention
malgré l’acceptation du caractère impératif du jus cogens, en introduisant la distinction
faite par la majorité, engendre de très fortes critiques de la part de l’opinion dissidente
commune. En premier lieu, « les cours et tribunaux anglais n’ont jamais usé de la
distinction faite par la majorité ». La majorité a même l’impression que « si la Cour
d’appel avait été convaincue que la règle de prohibition de la torture était une norme de
jus cogens, elle aurait admis, à contrecœur, que l’obstacle procédural de l’immunité des
Etats était écarté dans la présente affaire ». En deuxième lieu, la distinction entre
procédure civile et procédure pénale pour déterminer l’effet de l’interdiction de la
torture ne correspond pas à la finalité même des règles de jus cogens. Car « [c]e n’est
pas la nature de la procédure, mais la valeur de norme impérative de la règle et son
interaction avec une règle de rang inférieur qui déterminent les effets d’une règle de jus
cogens sur une autre règle du droit international »24.
23
24
affaire Al-Adsani, §61.
Op. dissid. des juges Rozakis et Caflisch à laquelle les juges Wildhaber, Costa, Cabral Barreto et Vajic
déclarent se rallier, §3
20
Parallèlement à l’opinion dissidente, certaines doctrines montrent également leur
déception. Par exemple, dans son analyse des affaires de la Cour européenne des droits
de l’homme en matière de droit d’accès aux tribunaux et d’exception d’immunité,
Isabelle Pingel ne dissimule pas son sentiment. Selon elle, le raisonnement adopté par la
Cour doit être doublement critiqué. En premier lieu, la Cour a justifié la légitimité de
l’immunité par un fondement fragile. Contrairement à sa thèse, « le droit international
ne pose que très peu de règles en matière d’immunité, se contentant le plus souvent
d’autoriser sans prescrire »25. Dans un deuxième temps, comme le soutient l’opinion
dissidente, « si l’on admet, comme le fait la Cour, que l’interdiction de la torture a rang
de jus cogens et que les règles sur l’immunité ne l’ont pas, nul ne conteste que l’on
puisse y déroger »26. « En choisissant de faire prévaloir cette institution contestée sur le
droit d’accès aux tribunaux, la Cour se place donc à contre-courant de l’évolution
générale et manque une nouvelle occasion de faire progresser le droit sur ce point »27.
Cependant il convient de relever des opinions qui défendent la décision de la majorité.
Comme contre-exemple au premier point, l’on peut évoquer la procédure d’adoption de
la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens. Au
moment de l’adoption, l’Assemblée générale n’a pas jugé opportun d’affaiblir la
protection que garantit l’immunité juridictionnelle en prévoyant une disposition
spécifique pour des actions civiles alléguant des violations graves des droits de
25
PINGEL Isabelle, « Droit d'accès aux tribunaux et exception d'immunité: la Cour de Strasbourg
persiste », R.G.D.I.P., t.106, 2002, p. 897.
26
PINGEL Isabelle, op. cit., p. 905.
27
PINGEL Isabelle, op. cit., p. 898.
21
l’homme. « Il est très difficile désormais de prétendre que, contrairement aux
stipulations de la nouvelle Convention, il existe une norme coutumière qui ôterait aux
Etats étrangers la protection juridictionnelle au cas où le requérant allègue une violation
grave des droits de l’homme par l’Etat mis en cause »28.
À propos de la deuxième critique, il est primordial de faire la distinction « entre les
règles primaires, celles qui ont une certaine force juridique hiérarchiquement supérieure
aux règles ordinaires, et les conséquences qui peuvent en découler et qui se trouvent
régies par des règles secondaires » 29 . Les règles primaires, dites de jus cogens,
interdisent uniquement aux États de déroger à des normes telles que l’interdiction du
recours à la force, de la torture et du génocide, ainsi elles ne parlent jamais d’effets de
dérogation. « L’interdiction de la torture ne dit rien sur la question de savoir si les
victimes doivent disposer d’un droit de recours pour l’obtention d’une compensation
financière contre l’Etat prétendument responsable »30.
Mon intérêt ne réside pas dans un jugement si la décision de la Cour est pertinente. Il
réside dans les motifs invoqués par les juges de la majorité, qui ont pris leur décision
avec beaucoup de prudence.
28
TOMUSCHAT Christian, « L'immunité des Etats en cas de violations graves des droits de l'homme »,
R.G.D.I.P., t.109, 2005, p56.
29
TOMUSCHAT Christian, op. cit., p57.
30
TOMUSCHAT Christian, op. cit., p58.
22
2. L’origine de la prudence
D’où provient la prudence de la décision prise par la majorité ? Premièrement,
l’ambigüité autour de la relation entre l’immunité et la violation de la norme impérative
en serait l’une des origines. Certes, la nécessité de la distinction entre pénal et civil n’est
pas assez convaincante, mais comme démontré ci-dessus, les critiques à l’égard de la
décision de la majorité sont également moins persuasives. Dans une situation obscure,
éviter l’audace peut être défendable.
Les origines de la prudence peuvent également comprendre une conscience réaliste.
Cette conscience se dégage dans une opinion concordante des Juges Zupančič et
Pellonpää. Le premier a indiqué que sa position était limitée par des considérations
réalistes « tenant non aux principes de l’immunité souveraine, mais à des considérations
pratiques »31, tandis que le deuxième est beaucoup plus explicite: « La coopération
internationale, y compris celle visant à éradiquer l’abomination qu’est la torture,
présuppose que l’on préserve certains éléments du cadre essentiel à la conduite de
relations internationales. Les principes en matière d’immunité des Etats participent de
ce cadre de régulation et, selon moi, on favorise davantage une coopération
internationale bien comprise en laissant ce cadre tel quel plutôt qu’en y changeant
quelque chose »32. Leur prise de conscience de la réalité des relations internationales
ainsi que leur point de vue pragmatique doivent être appréciés.
31
32
Op. concordante. de juge Zupančič.
Op. concordante. de juge Pellonpää, à laquelle le juge BRATZA déclare se rallier.
23
CONCLUSION
Comme je l’ai établi ci-dessus, la Cour européenne des droits de l’homme prend ses
décisions concernant le jus cogens en s’appuyant sur des précédents, qui plus est avec
beaucoup de prudence. Il en résulte que la contribution de la Cour européenne des droits
de l’homme reste limitée, au moins jusqu’à aujourd’hui. Cependant, il n’est pas utile de
regretter cette vérité. Comme le système juridique international n’existe pas de manière
séparée de la réalité internationale, dans laquelle les Etats sont toujours les principaux
acteurs, il est indispensable que les juges tiennent compte de cette réalité. Au contraire,
l’audace excessive des juges pourrait entraîner de vigoureuses réactions de la part de
certains Etats. Ironie du sort, cela endommagerait l’évolution du droit international.
Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que les juges internationaux contribueront à une
évolution du jus cogens de manière raisonnable, malgré les critiques relatives à leur
manque de courage et d’audace. Dans ces situations, comme mentionné dans mon
introduction, il est important que les Etats agissent de manière plus active afin de bien
définir et encadrer cette notion.
A l’heure de conclure ce mémoire, en tant que diplomate japonais, il convient
de réfléchir à de possibles effets sur la politique extérieure du Japon, de l’accumulation
des jurisprudences concernant le jus cogens et l’immunité des Etats devant la juridiction
de pays étrangers. Ces dernières années, les relations entre le Japon et la Chine ainsi que
celles avec la Corée du Sud ont connu une détérioration ayant trait à la revendication de
la Chine par rapport aux îles Senkaku, au litige sur la question de la souveraineté de
24
Takeshima - un petit groupe d'îlots faisant partie intégrante du territoire japonais, situé
en mer du Japon et contrôlé de facto par la République de Corée - ainsi qu’à la
responsabilité du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Parmi les points de
discorde entre les deux pays, on peut trouver des disputes relatives au dernier point,
d’une grande importance dans le contexte de l’immunité de l’État. Pourquoi ? Pour la
bonne raison que, au vu de la tendance actuelle, où certaines juridictions nationales
nient l’immunité de l’État devant la violation grave des droits de l’homme qui est
considérée, on ne peut pas nier la possibilité que des juridictions - chinoises ou sudcoréennes - refusent l’allégation de l’immunité du Japon dans de possibles saisines
contre celui-ci. Théoriquement, en signant une série de traités avec les pays concernés,
le Japon a réglé le problème de la réparation soit sous la forme de versement direct, soit
sous celle d’une coopération économique. Le traité du 22 juin 1965 signé entre le Japon
et la République de Corée prévoit par exemple une assistance japonaise au
développement coréen de l’ordre de 300 millions de dollars, auxquels s’ajoutent
500 millions de prêts bancaires en guise de réparation. Avec la République populaire de
Chine, le Japon a noué un accord similaire en 1972. Malgré cela, les juridictions
chinoises et coréennes ont successivement pris les décisions d’ordonner la réparation de
la part du gouvernement et des entreprises japonaises des dommages causés par le
travail forcé. Jusqu’à présent, les raisonnements auxquels elles recourent n’ont aucun
rapport avec le jus cogens. On ne peut toutefois nier la possibilité qu’elles fassent appel
à la notion impérative, comme dans l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat,
traitée dans la première partie. C’est la raison pour laquelle il est essentiel que le Japon
25
réfléchisse plus sérieusement à l’évolution de cette notion mais également à de
probables conséquences sur la réalité internationale entraînées par cette évolution.
26
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Convention européenne des droits de l’homme
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