C`est la récré… - Envol Isère Autisme
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C`est la récré… - Envol Isère Autisme
C’est la récré… C’est la récré… Les élèves de la classe de CE1A se ruent dans l’escalier et bientôt, la cour de l’école résonne d’un invraisemblable charivari. Ça saute, ça rigole, ça chahute… les footeux se font des passes et courent en zigzag entre les fans de Pokémon, qui échangent leurs précieuses cartes avec force gestes et bousculades. Le garçon tente de se faire tout petit. Il met ses mains sur ses oreilles, abruti par le tohubohu qui règne dans la cour. Une bande de gamins s’approche de lui. Il rentre un peu les épaules, semble rétrécir à vue d’œil, serre les dents. Il sait ce qui l’attend. – Alors, espèce de ouf’, t’as toujours l’air aussi débile ! – Quel mongol, ce mec ! Ils scandent son prénom en chœur. « Corentin, Cortintin, Corlapin, Corlapin crétin, crétin, cré-tin, cré-tin ! » Ils rigolent en tournant autour de lui, le bousculent un peu. Mais une instit’ s’approche, alors les tourmenteurs s’égaillent dans la cour comme une volée d’étourneaux, en prenant leur air le plus innocent. Corentin est fatigué. Ce vacarme autour de lui, ces échanges entre les enfants auxquels, malgré tous ses efforts, il ne comprend rien, tout cela l’épuise. Pour se faire des copains, il a bien essayé de jouer au foot. Mais ça allait trop vite pour lui. Il est très pataud pour son âge, il tombait souvent et les autres se moquaient de lui ou pire, lui faisaient des croche-pattes en douce. Et puis il ne pigeait rien aux règles du jeu, de toutes façons, alors personne ne le voulait dans son équipe, on se le repassait, comme une patate chaude. Il a voulu essayer les Pokémon, aussi. Sa mère lui a acheté des cartes, mais les autres les lui ont piquées en quelques minutes. Ça ne lui a fait ni chaud ni froid, d’ailleurs, il n’a pas compris ce qui les passionne tant dans ce jeu étrange et sans intérêt (« des fariboles ! » at-il pensé). Il aimerait bien passer ses récrés à l’abri, dans la classe, mais on lui dit qu’il doit prendre l’air et se défouler, comme tous les enfants de son âge ! Alors il s’occupe comme il peut, il déambule de long en large, sautille, parle tout seul, se raconte des histoires, s’invente des chansons. Les autres le prennent pour un demeuré, un débilos, un gros nul, un timbré, un zinzin – et ne se privent pas de le lui dire, sur tous les tons. En classe, le maître ne sait pas trop quoi penser de cet hurluberlu qui, une fois sur deux, ne comprend rien à ce qu’on lui demande et répond à côté, et la fois d’après a tout juste, nickel chrome ! À croire qu’il le fait exprès. Et puis, il a des centres d’intérêt bizarres, ce gosse. Par exemple, il connaît par cœur l’histoire du « Titanic », peut donner les dimensions exactes du paquebot, le nombre de passagers et de victimes, le nom du plus jeune survivant, le dernier menu servi aux voyageurs, l’heure précise où le bateau a 1 heurté ce satané iceberg, les ultimes morceaux de musique joués par l’orchestre… Et même l’âge du capitaine ! Quand il répond à une question, c’est d’une voix particulière, d’un ton monocorde. Par contre, il utilise un langage châtié, voire désuet, employant à bon escient des mots comme « extrémité », « reconstitution », « décortiquer », « camouflet », « tradition » ou « esquive ». Pour couronner le tout, il parle fréquemment au passé simple, ce qui provoque à tire-larigot des rires dans la classe. Un Grévisse sur pattes, ce loustic ! Parfois, quand il le sent à bout, le maître l’autorise à aller s’installer dans le coin bibliothèque, au fond de la classe. Là, il voit ce drôle de petit bonhomme se saisir avec volupté d’une encyclopédie comme il le ferait d’un trésor rare et s’enivrer – s’enlivrer ! – jusqu’à plus soif de lecture, jusqu’à la sonnerie annonçant la fin de l’école, la délivrance… Corentin est porteur du syndrome d’Asperger, une forme particulière d’autisme. Il est très intelligent mais parfaitement dépourvu de « compétences sociales ». Il ne comprend rien au fonctionnement du monde qui l’entoure. La cour de récréation est pour lui le lieu de tous les dangers, de toutes les souffrances, de tous les chausse-trapes. Pour dire la vérité, il n’est pas vraiment d’ici, il est tombé d’une autre planète. D’ailleurs, il est beau comme un prince. Rêve d’apprivoiser un loup. Et sa meilleure amie est une tulipe. C’est mon fils. Mon petit prince Asperger. Qui hait la récré… Fabienne Vaslet Lauréate concours d’écriture Association Anagramme, Grenoble. (www.anagramme.com) Semaine de la Langue française et de la Francophonie, 15-23 mars 2014. Contrainte : utiliser les mots figurant en italiques dans le texte Post-scriptum Corentin a été diagnostiqué Asperger à l’âge de 13 ans par le CRA Rhône-Alpes (CADIPA). Dès lors, grâce à un certificat médical, il a eu la possibilité, pour son plus grand bonheur, de se ressourcer dans une petite salle de son collège au lieu d’aller dans la cour avec les autres. Il a aujourd’hui 15 ans (2014). Il est en seconde. 2