La politique commerciale américaine

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La politique commerciale américaine
Mars 2013
La politique commerciale américaine
Si l’on assiste, depuis la réélection du Président Obama, à un regain d’activité de
l’Administration américaine dans le domaine des négociations commerciales, les
orientations de la politique américaine, et le désengagement des négociations
multilatérales que ces orientations confirment, inquiètent.
D’abord il est clair que les Etats Unis - cela ne date pas d’hier - sont passés d’une stratégie
très offensive et tournée vers la libéralisation du commerce mondial, à une approche où la
défense de l’intérêt national américain est, dans un contexte d’affaiblissement de leur
compétitivité, devenu l’objectif primordial. On ne doit plus, en conséquence, s’attendre
qu’ils continuent d’être la locomotive de la libéralisation du commerce mondial qu’ils ont
longtemps été. Leurs intérêts offensifs, ils entendent les poursuivre dans le cadre de
négociations bilatérales ou plurilatérales, sur des sujets où ils ont encore un avantage
concurrentiel, et avec des partenaires disposés à des concessions réciproques. Réticents dès
l’origine à l’approche asymétrique entre pays développés et pays en voie de
développement qu’impliquait le mandat de Doha, ils considèrent maintenant cette
approche tout à fait inacceptable, et il est clair qu’ils ne reprendront pas les négociations
multilatérales sur cette base. S’ils acceptent - non sans réticences - le principe du
traitement spécial et différencié pour les pays les moins avancés, ils le rejettent totalement
pour les BRICs, dont ils considèrent qu’ils doivent faire des efforts équivalents à ceux des
pays développés ou, au moins, proportionnés à leurs capacités économiques. Il faut
comprendre que cette position n’est pas seulement tactique mais correspond à un
sentiment extrêmement fort aux Etats Unis et en particulier au Congrès, un sentiment qui a
sa source dans la psychologie collective des américains. Sauf changement, très improbable
dans les prochaines années, de la position des BRICs, et en particulier de la Chine, la
poursuite d’accords bilatéraux et plurilatéraux restera donc l’axe principal de la politique
commerciale des Etats Unis. Face au dilemme (en fait très similaire à celui auquel sont
confrontés les Européens dans leur effort d’intégration) entre essayer d’avancer avec
l’ensemble des autres membres, et se heurter à des difficultés inextricables, ou essayer de
s‘entendre avec seulement ceux qui sont disposés à jouer le jeu de la réciprocité, les Etats
Unis ont clairement choisi la voie des accords bilatéraux et des ‘’coalitions of the willing’’.
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S’y ajoute le désir d’obtenir de leurs partenaires des concessions commerciales sans avoir à
offrir de contreparties dans des domaines pour eux - comme d’ailleurs pour l’EU –
politiquement difficiles (accès aux marchés agricoles, politiques de soutien agricole,
ouverture de leur marché aux produits textiles, et autres produits industriels légers, mode 4
pour les services, etc..), mais qui sont les quid pro quo nécessaires pour obtenir des pays en
développement, et en particulier des BRICs, des concessions dans un cadre multilatéral.
Si cette approche a le soutien des milieux économiques et du Congrès, à quoi conduira-telle ?
Le lancement récent des négociations de libre-échange avec l’UE est en soi un événement
positif dont les deux grands partenaires, s’ils parviennent à un accord, peuvent espérer des
bénéfices substantiels, notamment en réduisant les coûts des entreprises par l’élimination
ou la réduction des différences réglementaires et par les effets de l’intégration des deux
économies. L’espoir des deux parties est aussi que l’accord devienne dans une série de
domaines un ‘’template’’ pour les futures règles internationales et - même si cela n’est pas
dit expressément – contribue à ramener les autres membres de l’OMC à la table des
négociations de Doha. Une négociation qui a donc un fort potentiel, mais dont le succès est
loin d’être acquis d’avance. Très enthousiaste au départ, l’Administration américaine, avant
d’accepter l’ouverture de négociations, a multiplié les réserves, posé des pré-conditions, et
s’est même inquiétée auprès des autorités européennes, par le truchement du VicePrésident Biden, de savoir si elles avaient bien la volonté politique de faire les concessions
nécessaires à la conclusion d’un accord aussi ambitieux. Il est vrai que dans cette
négociation les deux parties seront confrontées, notamment en matière de normes, de
réglementation et d’accès au marché agricole, à des problèmes que des années d’efforts
n’ont pas permis de résoudre. Réconcilier des systèmes réglementaires aussi développés et
complexes que ceux des Etats Unis et de l’UE sera un défi énorme. Déjà l’idée a été lancée
de négocier certains sujets difficiles séparément du reste et à un rythme différent. Une
négociation, donc, où avant même de s’asseoir à la table de négociation les deux parties
tentent de pré-négocier ou d’exclure certain sujets, ce qui augure de sérieuses difficultés.
En ce qui concerne le TPP, les problèmes rencontrés sont à la mesure des ambitions de
départ. Ayant manqué l’échéance de fin 2012, les participants se sont fixé comme nouvel
objectif la fin 2013, échéance qui sera elle aussi probablement manquée. Là encore,
l’échec n’est pas à exclure et, même si on parvient à un accord, son contenu sera sans
doute loin, très loin des ambitions de départ, ce qui peut en rendre difficile la ratification
par le Congrès.
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Restent les négociations engagées à Genève (ITA, Services) sur les chances de succès
desquelles les jugements divergent, et qui n’aboutiront, au moins en ce qui concerne les
services, qu’à une solution plurilatérale qui sera vivement contestée par les non
participants.
Donc un ensemble de négociations dont l’issue est pour le moins incertaine et qui, même si
elles se concluent sur des accords, n’aboutiront qu’à des résultats probablement très
inférieurs aux ambitions de départ et surtout sans commune mesure avec ceux qui auraient
résulté d’un accord multilatéral à Genève.
Y a-t-il derrière ces négociations une vraie stratégie ? Doivent-elles être vues comme le
signe d’un regain d’activité durable dans le domaine de la politique commerciale, domaine
qui pendant le premier terme du Président Obama semblait avoir presque complètement
disparu des priorités des Etats Unis ? Ou ce qui est recherché est-il surtout un effet
d’affichage par lequel l’Administration veut démontrer sa disponibilité à négocier lorsque
ses partenaires s’y prêtent? Les Etats Unis vont ils s’écarter durablement des négociations
multilatérales ou au contraire s’agit-il, comme le disent certains à Washington, d’un effort
pour recréer les conditions d’un retour à la table des négociations de Doha ? Où va
vraiment la politique commerciale des Etats Unis ? N’y a-t-il pas dans la poursuite
systématique d’accords bilatéraux ou régionaux le risque de contribuer à la balkanisation
du commerce mondial et d’aggraver encore la division entre pays développés et pays
émergents, et entre les membres du TPP et un bloc regroupé autour de la Chine ? Les Etats
Unis ne jouent-ils pas là un jeu à l’issue incertaine et dangereuse ?
Aucun accord multilatéral ne pouvant être conclu sans leur participation active, ces
orientations et les incertitudes qui les entourent ne sont pas de bon augure, en premier lieu
pour le Doha Round. D’autant que la position américaine s’inscrit dans un contexte général
très négatif:
− Il y a d’abord les difficultés de la coopération internationale consécutives au
changement des rapports de force entre pays membres de l’OMC - un phénomène qui
n’est pas limité à l’OMC. Alors que durant l’Uruguay Round les décisions se prenaient
pour l’essentiel entre quelques membres développés, elles exigent maintenant l’accord
non seulement d’un plus grand nombre de pays, mais aussi de pays appartenant à des
coalitions aux intérêts diamétralement opposés. Ces difficultés sont encore aggravées
par la politisation des négociations, les différentes coalitions tendant à s’opposer, en
plus de leurs divergences d’intérêts commerciaux, sur des questions de principe dans
lesquelles entrent des considérations dépassant le simple domaine du commerce.
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− Il y a aussi le moindre appétit des gouvernements, reflétant les positions du business,
pour de nouvelles libéralisations. Beaucoup d’entreprises multinationales se sont
organisées sur la base des régimes tarifaires et réglementaires existants et n’ont
souvent pas vraiment d’intérêt décisif à un changement de ces régimes. S’y ajoute que
l’agenda de Doha, à la différence des négociations bilatérales, ne correspond plus aux
préoccupations premières des multinationales. Celles-ci sont surtout soucieuses de
mettre en place et de maintenir leur système d’approvisionnement et de production
global, de la protection des investissements et de la propriété intellectuelle, des achats
publics, des règles de concurrence, de l’harmonisation des réglementations et normes,
des flux de données transfrontières, toutes choses que ne couvre pas Doha. Ensuite, il
faut garder à l’esprit que les deux plus grands marchés importateurs sont très largement
ouverts aux importations de produits industriels comme aux investissements. Les pays
exportateurs ont donc peu d’incitations à des efforts supplémentaires.
Les chances que les Etats Unis reviennent à bref délai à la table de négociation à Genève
sont dans ces conditions quasi inexistantes. Si ce cycle doit être un jour conclu, il ne le sera
ni sur la base de l’agenda de Doha, ni surtout sur la base de l’approche asymétrique de la
négociation qui a prévalu jusqu'ici. Il faudra en premier lieu que les deux camps, celui des
pays développés et celui des BRICs, trouvent un compromis entre les positions de principe
très tranchées qu’ils ont jusqu’à maintenant défendues concernant leurs contributions
respectives.
Gérard Depayre
[email protected]
Consultant, Trade Strategies
Geneva, Switzerland
Conseils aux gouvernements et entreprises concernant la politique commerciale
internationale, et plus particulièrement les activités de l'organisation mondiale du
commerce.
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