5. Les langues de la procédure Les langues de la procédure sont

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5. Les langues de la procédure Les langues de la procédure sont
5.
Les langues de la procédure
Les langues de la procédure sont spécifiées par l’article 39 du Statut : « 1. Les langues officielles de la
Cour sont le français et l’anglais. Si les parties sont d’accord pour que toute la procédure ait lieu en
français, le jugement sera prononcé en cette langue. Si les parties sont d’accord pour que toute la
procédure ait lieu en anglais, le jugement sera prononcé en cette langue. 2. A défaut d’un accord fixant la
langue dont il sera fait usage, les parties pourront employer pour les plaidoiries celle des deux langues
qu’elles préféreront, et l’arrêt de la Cour sera rendu en français et en anglais. En ce cas, la Cour
désignera en même temps celui des deux textes qui fera foi. 3. La Cour, à la demande de toute partie,
autorisera l’emploi par cette partie d'une langue autre que le français ou l’anglais »1. Davantage que deux
langues officielles devant la Cour ne se seraient pas recommandées. La procédure aurait été
excessivement compliquée et les coûts insignes.
Français / anglais, langues officielles. Le français et l’anglais sont les langues officielles dans la
procédure de la CIJ. Elles sont placées sur un pied d’égalité. C’est dire que chaque partie peut faire des
actes de procédure et s’adresser à la Cour dans l’une de ces deux langues2. Une partie peut toujours
soumettre des pièces et des documents dans l’une de ces langues sans traduction. Certains Etats, comme
l’Allemagne, se soucient, au moins pour les plaidoiries, de présenter des arguments à la Cour dans les
deux langues officielles, assurant ainsi toujours une présence du français. La mention du français avant
celle de l’anglais dans l’article 39 du Statut vient du temps de la CPJI. Le français était à l’époque la
principale langue internationale. Il n’a été décidé d’admettre l’anglais comme langue officielle que dans
un second temps, lors de la discussion du Statut.
La Cour publie ses prononcés dans l’une de ces deux langues. Selon le § 1 précité, les parties peuvent
choisir une langue pour la procédure3. Le texte de l’arrêt faisant foi sera alors celui de cette langue. Il
sera publié sur la page à la gauche du Recueil, la traduction étant placée en regard, sur la page droite. Le
numéro des pages sur les deux côtés du recueil est le même, car les deux textes sont identiques, d’un
côté la version française, de l’autre la version anglaise. En principe, la Cour resterait libre de choisir
l’autre langue officielle comme faisant foi dans ses ordonnances relatives à l’affaire. Or, il n’y aura
généralement pas de motif justifiant un tel choix. Par conséquent, les ordonnances seront adoptées dans
la langue faisant foi telle que choisie par les parties4. Le texte de l’arrêt qui fait foi est seul déterminant
en cas de divergences entre la version anglaise et française. Dans le cas où les parties n’opèrent pas un
1
Voir, pour la CPJI, Hudson, Permanent..., op. cit., p. 593-594 ; pour la CIJ, M. Kohen, « Article 39 », dans : Zimmermann
/ Tomuschat / Oellers-Frahm, Statute..., op. cit., p. 837ss ; Rosenne, Law... (1997), vol. III, op. cit., p. 1283-1286, 13401342.
2
Article 51, § 1, du Règlement : « Si les parties sont d’accord pour que toute la procédure écrite ait lieu dans l’une des deux
langues officielles de la Cour, les pièces de procédure ne sont présentées que dans cette langue. A défaut d’un tel accord,
toute pièce de procédure ou partie de pièce de procédure est présentée dans l’une ou l’autre des langues officielles ». Sur
l’article 51 du Règlement dans son ensemble, voir Guyomar, Commentaire..., op. cit., p. 317ss.
3
Ainsi, dans l’affaire du Lotus (1927), l’accord spécial des parties prévoyait que le jugement faisant foi serait celui en
langue française : CPJI, sér. C, no 13/II, p. 26, article 4 du Compromis spécial : « Toute la procédure aura lieu en français
et le jugement sera prononcé en cette langue ». A strictement parler, le seul jugement officiel en l’affaire du Lotus est
donc celui en version française, alors que le jugement en anglais est une traduction. Contrairement à la CIJ, il n’y avait pas à
l’époque de la CPJI deux textes officiels dont l’un faisait foi. Il existait un seul texte officiel, le seul à pouvoir faire foi.
4
Affaire du Différend frontalier (Burkina Faso c. Mali), CIJ, Recueil, 1986, p. 3ss, et p. 557, § 1.
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LES LANGUES DE LA PROCEDURE
tel choix sur la langue faisant foi, la Cour peut se prévaloir de sa liberté, reconnue dans le § 2, et décider
elle-même. Il en est ainsi dans la grande majorité de cas. La CPJI choisissait plus souvent le français que
l’anglais comme langue officielle5. De nos jours, cette primauté du français a disparu. La Cour reste libre
de se déterminer au cas par cas. Le seul critère apparent est qu’elle tente de maintenir une certaine
balance entre les langues officielles en n’écartant pas excessivement le français.
Autres langues, non-officielles. Le § 3 de l’article 39 permet à une partie ou aux parties conjointement
d’employer dans la procédure devant la CIJ une autre langue que le français ou l’anglais. La Cour doit
avaliser cette demande (« La Cour, à la demande de toute partie, autorisera l’emploi... »). Le terme
‘autorisera’ a ici une fonction impérative : la Cour doit autoriser cette requête. Le texte anglais le
confirme : « the Court shall authorize ». Cette formule a été adoptée pour satisfaire certains Etats,
notamment d’Amérique latine, qui, sans obtenir satisfaction, avaient voulu insérer comme troisième
langue officielle de la Cour l’espagnol. Dans le cas où une langue autre que le français ou l’anglais est
utilisée, la partie en cause doit cependant fournir des traductions certifiées conformes dans l’une des
langues officielles. L’article 51, § 2, du Règlement dispose, pour la procédure écrite : « Si une langue
autre que le français ou l’anglais est employée conformément à l’article 39, paragraphe 3, du Statut, une
traduction en français ou en anglais, certifiée exacte par la partie qui la fournit, est jointe à l’original des
pièces de procédure ». Des documents et preuves peuvent être soumis dans d’autres langues que le
français ou l’anglais. Il sera nécessaire que les Etats en cause fassent tenir à la Cour une traduction
certifiée conforme dans au moins l’une des deux langues officielles. La Cour aura alors la charge de la
traduction vers l’autre langue officielle, tâche lourde et onéreuse. L’article 51, § 3, du Règlement prévoit
en effet que : « Si un document annexé à une pièce de procédure n’est pas rédigé dans l’une des deux
langues officielles de la Cour, une traduction dans l’une de ces deux langues, certifiée exacte par la
partie qui la fournit, doit l’accompagner. La traduction peut être limitée à une partie ou à des extraits
d’une annexe mais, en ce cas, elle et accompagnée d’une note explicative indiquant les passages
traduits. La Cour peut toutefois demander la traduction d’autres passages ou une traduction intégrale ». Il
est arrivé que les parties n’aient pas spontanément obtempéré à cette règle en ne soumettant pas les
traductions requises ; elles ont dû remédier à ce défaut sur invitation du Greffier6. L’article 70, § 2, du
Règlement ajoute, pour la procédure orale : « Lorsque, conformément à l’article 39, paragraphe 3, du
Statut, une langue autre que le français ou l’anglais est employée, il incombe à la partie intéressée de
prendre toutes dispositions pour en assurer l’interprétation dans l’une ou l’autre des langues officielles ;
toutefois le Greffier prend les dispositions voulues pour contrôler l’interprétation, assurée par une partie,
des dépositions faites en son nom. Dans le cas de témoins ou d’experts qui se présentent sur l’initiative
de la Cour, l’interprétation est assurée par les soins du Greffe ».
Dans la pratique de la Cour, l’utilisation d’autres langues que le français ou l’anglais a été concédée plus
d’une fois7. Dans l’affaire des Colons allemands en Pologne (1923), l’utilisation de l’allemand a été
autorisée, les interprètes de la Cour étant en mesure de le traduire eux-mêmes. Dans les affaires
Borchgrave (1937) et Barcelona Traction (1969-1970), l’Espagne se prévalut de la possibilité de
présenter des arguments oraux en espagnol. Ils furent immédiatement traduits par l’agent de l’Espagne
5
Hudson, Permanent..., op. cit., p. 594.
Affaire de Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, certains documents étant soumis en seule langue allemande :
CPJI, sér. E, no 3, p. 201 (version française), p. 200-201 (version anglaise).
7
V. M. Kohen, « Article 39 », dans : Zimmermann / Tomuschat / Oellers-Frahm, Statute..., op. cit., p. 846-847.
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ASPECTS PROCEDURAUX DU CONTENTIEUX
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en 1937 et la traduction officielle française a été soumise par avance en 1970. Si une partie souhaite
présenter des témoins ou experts s’exprimant dans une autre langue que le français ou l’anglais, elle doit
s’occuper des arrangements nécessaires pour assurer une traduction, sous le contrôle de la Cour8. Au vu
du fait que les conseils des parties maîtrisent les langues de la Cour, il n’est pas trop fréquent que
l’admission d’autres langues soit demandée. La Cour elle-même ne peut en aucun cas utiliser des
langues autres que le français ou l’anglais. La Tour de Babel reste ainsi l’apanage et le privilège des
parties. La Haute Juridiction, quant à elle, peut se réfugier dans le havre plus rassurant de ses deux
langues officielles.
L’article 39 ne s’applique qu’à la procédure devant la CIJ. Il ne s’applique pas au Statut lui-même.
Celui-ci, comme la Charte des Nations Unies, existe en cinq langues officielles (chinois, français, russe,
anglais et espagnol9). Le Règlement de la Cour n’existe en version officielle que dans les deux langues
de la CIJ, le français et l’anglais, les deux faisant également foi. La restriction aux deux langues prévues
dans l’article 39 n’est pas davantage applicable aux actes relatifs à la Cour étrangers à une instance et à
la procédure. Il en va ainsi des déclarations facultatives de l’article 36, § 2, du Statut. Celles-ci peuvent
être déposées auprès du Secrétaire général des Nations Unies dans la langue nationale de chaque pays, le
Secrétaire général procédant à organiser la traduction dans les deux langues officielles de la Cour ou au
moins dans l’une d’entre elles (le Greffe de la Cour s’occupant alors de la traduction dans l’autre langue
officielle). Des compromis spéciaux, accords interétatiques en bonne et due forme, peuvent être conclus
en n’importe quelle langue. La pratique veut toutefois que les parties, en notifiant à la Cour leur
compromis spécial, en fournissent une copie dans une des langues officielles de la Cour. La saisine de la
Cour est toutefois opérée ipso facto à travers la notification du compromis spécial. Si celui-ci est rédigé
en une langue que la Cour comprend, la procédure peut prendre sa suite10. Autrement, la Cour exigera
une traduction.
Pour résumer, il est possible de dire que : Primo, il existe deux langues officielles à la Cour, le français et
l’anglais. Cela signifie que les parties à l’instance peuvent toujours s’adresser dans une de ces deux
langues à la Haute Juridiction. Secundo, il existe deux régimes exceptionnels. (1) Les parties peuvent
choisir une de ces deux langues comme langue de procédure. Tous les actes seront alors le cas échéant
faits dans cette langue et en tout cas l’arrêt faisant foi sera formulé selon le choix linguistique des parties.
Les parties peuvent aussi se borner à choisir la langue de l’arrêt faisant foi. (2) Alternativement, les
parties (chacune d’entre elles) peuvent choisir une autre langue que le français ou l’anglais pour la
procédure devant la Cour. Elles doivent alors fournir des traductions certifiées conformes et des
interprètes, sous contrôle de la Cour, pour que les actes faits dans une langue non officielle soient
traduits vers une langue officielle.
8
Voir par exemple l’affaire de la Frontière terrestre, insulaire et maritime (El Salvador / Honduras), CIJ, Recueil, 1992, p. 361, §
20.
9
Article 111 de la Charte. La Cour interprète le Statut en prenant en considération avant tout la version française et anglaise (sans
jamais jusqu’ici aller au-delà). Voir par exemple l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci,
CIJ, Recueil, 1984, p. 405-406, § 29ss ; ou l’affaire LaGrand, CIJ, Recueil, 2001, p. 501-502, § 98ss. Voir aussi l’Op. diss.
collective Hersch Lauterpacht, Wellington Koo et Percy Spender, affaire relative à l’Incident aérien du 27 juillet 1955, CIJ,
Recueil, 1959, p. 156ss.
10
Dans l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador / Honduras), la Cour a été saisie par un
compromis rédigé en espagnol, la traduction en anglais n’ayant été transmise que très tard au cours de la procédure. Cela n’a pas
empêché la Cour de procéder. Voir CIJ, Recueil, 1992, 356, § 1-2. Il n’en irait sans doute pas de même si le compromis était
rédigé dans une langue internationalement moins connue.