COMPETENCES ACTIONS EMPLOIS LES

Transcription

COMPETENCES ACTIONS EMPLOIS LES
COMPETENCES ACTIONS EMPLOIS
LES TRAVAILLEURS AGRICOLES MIGRANTS
(Afrique du nord)
DANS LE BASSIN Nîmes-Beaucaire-St Gilles
Port Ariane - 1 Rue des Chevaliers de Malte, Palais Castilhon, Bât. C - 34970 LATTES
Tél. 04 67 18 63 64 - fax 04 67 18 63 69 - SIRET 398 951 848 00025 APE 804 C
page 2/38
Rapport d'étude
SOMMAIRE
Reformulation du projet initial (page 3)
Si l'enquête s'est révélée fructueuse, elle n'a pas été sans difficultés... (page 4)
1. L'agriculture dans le bassin Nîmes-Beaucaire-St Gilles (page 5)
2. Les ouvriers nord-africains (page 7)
3. Les hommes « isolés » (page 8)
4.
5.
6.
7.
Difficultés de recruter pour un employeur et d'être recruté pour un ouvrier (page 10)
Main-d'oeuvre étrangère (page 12)
Discrimination négative et discrimination positive (page 13)
Conditions de travail, exploitation et fraudes (page 15)
8. L' « image déplorable » de l'emploi agricole saisonnier (page 17)
9. Les jeunes (page 18)
10. Les femmes (page 19)
11. Annualisation du travail agricole (page 21)
12. Qualifications (page 22)
13. Analphabétisme (page 24)
14. Rapport au travail : dissocier capacité et volonté (page 26)
15. Le chômage (page 28)
16. Travail non déclaré, « objectif retraite » et RMI (page 29)
17. Les actions en place (page 30)
Annexes :
- Personnes ressources (page 32)
- Tableau synoptique (page 34)
page 3/38
Reformulation du projet initial
Le projet initial de cette étude posait trois grandes questions :
•
Pourquoi les emplois du secteur agricole demeurent-ils peu qualifiants, temporaires et
précaires ?
•
Les travailleurs agricoles migrants1 sont-ils victimes de discriminations ?
•
Pourquoi certains emplois agricoles restent-ils inaccessibles aux femmes ?
En filigrane, il s'agissait de chercher à comprendre ce qui alimente cette inégalité des
chances, en parallèle d'une inégalité des genres, effective dans le secteur agricole du bassin
Nîmes-Beaucaire-St Gilles (Gard).
L'enquête a permis de déployer ces questions de départ qui, précisées, donnent lieu aux
suivantes :
•
Pourquoi les ouvriers agricoles migrants d'Afrique du nord ne sont, le plus souvent, pas
qualifiés, et pourquoi ne bénéficient-ils pas – ou ne saisissent-ils pas – davantage
d'opportunités de le devenir ?
•
Pourquoi ce secteur professionnel n'offre-t-il que de l'emploi saisonnier ? Est-ce le seul
facteur qui conduit ces travailleurs à la précarité ?
•
Peut-on parler en termes d'exploitation ou de discrimination ?
•
Est-ce que certains emplois restent inaccessibles aux femmes : lesquels et pourquoi ?
La réalité est de plus en plus complexe, ce qui nécessiterait presque de l'appréhender au cas
par cas. Nous n'attestons dans ce rapport qu'un zoom précis et objectif sur ce petit carré de
la réalité sociale. En effet, cette étude est circonscrite sur le plan de la population donnée (les
migrant(e)s
marocains),
du
secteur
professionnel
(agriculture)
et
de
la
situation
géographique (bassin Nîmes-Beaucaire-St Gilles). L'enquête a été menée suivant une
méthode qualitative auprès de quarante personnes ressources2.
1 par travailleurs migrants, nous entendons les personnes qui résident en France, contrairement aux travailleurs
saisonniers migrants itinérants, qui viennent en France quelques mois de l'année avec une autorisation de
résidence et de travail sur le territoire.
2 Des professionnels de l'insertion, des ouvrier(e)s agricoles migrants et des employeurs agricoles (voir détail des
personnes ressources au chapitre correspondant)
page 4/38
Si l'enquête s'est révélée fructueuse...
..., elle n'a pas été sans difficultés pour rencontrer les différentes personnes ressources
concernées par l'objet de l'étude. Les professionnels de l'insertion, malgré l'intérêt qu'ils
portent aux bénéfices d'une telle recherche-action, sont débordés et de moins en moins
disponibles. Quand ils ne reçoivent pas les bénéficiaires (demandeurs d'emploi, RMI, ASS,
ASSEDIC) de plus en plus nombreux, ils passent un temps considérable à lire « les textes »
et autres réformes de plus en plus éphémères. L'un d'eux dénonce « l'abattage », avec des
porte-feuilles qui atteignent un trop grand nombre de suivis mensuels.
Les travailleurs agricoles migrants ont été difficiles à rencontrer. Hors saison, ils n'étaient pas
dans les stations de conditionnement ou dans les vergers, mais dans les structures sociales
pour anticiper leur recrutement printanier ou trouver des solutions à leurs problèmes
financiers. Or le souci légitime de confidentialité a posé le problème de l'entrée en contact.
L'urgence de l'enquête, prévue sur un délai assez court, n'a pas contribué à trouver des
compromis. Parmi les exploitants et chefs de culture enfin, certains ont profité de la saison
creuse pour prendre quelques congés.
Les sciences sociales n'ont, semble-t-il, publié aucun ouvrage ou article sur la question des
travailleurs agricoles nord-africains en général, ni dans le Gard en particulier. Seuls quelques
articles de presse, le plus souvent sur l'exploitation subie par les ouvriers itinérants en
situation régulière ou illégale, sont disponibles, comme quelques quotidiens régionaux qui ont
consacré un encart à des initiatives locales, telle l'insertion professionnelle des femmes par
une formation de taille arboricole ou viticole.
page 5/38
1. L'agriculture dans le bassin Nîmes-Beaucaire-St Gilles
Le bassin Nîmes-Beaucaire-St Gilles est principalement, en matière d'agriculture, un
producteur de fruits dits « à noyaux » : abricots, cerises, pêches et nectarines. Or ce secteur
d'activité arboricole est en crise depuis plusieurs années.
Des exploitants sont contraints de vendre leurs terres, qui ne sont pas toujours reprises faute
de rentabilité. « Pour sauver les meubles », certains arrachent leurs vergers, avant un
redressement judiciaire dont beaucoup font malgré tout l'objet. Malgré les aides de l'Etat
(exonérations et réductions de charges3 pour arracher, planter ou recruter), le secteur ne
parvient pas à remonter la pente. Les seuls épargnés par la crise sont les producteursnégociants. Ces derniers commercialisent la production d'autres exploitants qui ne disposent
pas d'un commercial expert en marketing nécessaire aujourd'hui pour bien vendre, ni de
logistique pour exporter sur les marchés européens. Les chiffres de la production en perte de
vitesse sont ainsi compensés par celui du négoce. Certains agriculteurs optent pour une
mutation vers une production d'olives qui, en plus d'avoir le vent en poupe, nécessite très
peu de main-d'oeuvre compte tenu du ramassage mécanique.
Les facteurs de cette crise sont pluriels. D'abord la concurrence internationale. Les cerises
espagnoles ramassées à un coût bien inférieur et arrivées plus tôt dans la saison que leurs
consoeurs gardoises ont fait chuter le prix de vente sur le marché. Ces dernières sont restées
sur l'arbre faute de pouvoir les vendre plus cher que ce que coûte la main-d'oeuvre pour les
ramasser. En Espagne encore, le kilo de pêches coûte 1 euro, tandis que le prix de revient
s'élève à 1,20 € en France. Nos exploitants souffrent d'une inégalité en matière de coût
salarial, bien inférieur ailleurs en Europe (Espagne, Portugal, Grèce).
La grande distribution « fait mal »4 elle aussi, en achetant au plus bas prix à des producteurs
souvent exsangues. Si le prix de vente facturé par l'exploitant baisse, celui que proposent les
grandes surfaces reste stable. Ainsi la consommation n'est pas stimulée. Par ailleurs, la
consommation fruitière perd toute considération devant l'abondance du rayon des desserts.
La campagne publicitaire de santé publique qui invitait à consommer au moins cinq fruits par
jour n'a pas eu l'effet escompté, et notamment auprès des plus jeunes. Enfin un mois d'août
(2006) plus frais diminue la consommation de fruits frais, en même temps que leur prix de
vente.
3 Mesure d'allègement des cotisations sociales et simplification des démarches administratives d'embauche avec le
TESA, Titre Simplifié pour l'Emploi Agricole.
4 Les guillemets rapportent le propos d'un interlocuteur (interrogé lors de l'enquête).
page 6/38
Le secteur arboricole n'a pas véritablement connu de révolution mécanique, comparé à celui
de la viticulture, hormis l'utilisation des calibreuses5 et, plus récemment, la taille mécanique6
des arbres. L'arboriculture nécessite encore et nécessitera toujours un grand nombre de
travailleurs. La main-d'oeuvre entraîne des charges salariales « énormes », 50 à 60% du coût
de revient. L'Etat exonère partiellement les charges du travail saisonnier d'un côté, mais le
SMIC augmente de l'autre.
Faute d'avoir la garantie de vendre sa production (prix de revient, concurrence, aléas
climatiques), l'employeur ne peut à son tour garantir les emplois, notamment ceux des
permanents (CDI). Il peut aussi difficilement recruter. En cinq ans, le recrutement des
permanents a été quasi nul : ceux qui partent à la retraite, s'ils sont remplacés, le sont par
des saisonniers qualifiés. D'autres sont « licenciés économiques » et à leur place, les
employeurs embauchent des saisonniers, dont les contrats ne présentent pas de charges
fixes, mais au contraire des exonérations partielles. Quant aux saisonniers, leur nombre a été
considérablement réduit (d'un tiers voire de la moitié) ces trois dernières années.
Si les employeurs ont des difficultés pour garder leurs employés, ils peinent aussi pour en
recruter en cas de besoin. Les permanents aujourd'hui approchent de l'âge de la retraite.
Leur savoir-faire comme la taille, qui « augure la récolte », n'est pas suffisamment renouvelé
faute de sessions de formation suffisantes. En outre, l'image « déplorable » du secteur
agricole n'encourage pas les candidats, et notamment les jeunes, qualifiés ou en mesure de
le devenir. S'ensuit une grande difficulté pour les professionnels de l'insertion à valoriser ce
secteur.
Malgré cette crise, la main-d'oeuvre a été et sera toujours nécessaire. Jusque dans les
années 60, les Italiens et les Espagnols constituaient l'essentiel du personnel, relayés ensuite
par des ouvriers d'Afrique du nord.
5 Le calibrage des fruits, de moins en moins manuel, est effectué à l'aide d'une sorte de règle métallique
comprenant 6 entrées, du plus petit au plus gros calibre de fruit. Les calibreuses mécaniques sélectionnent les
fruits en fonction de leur poids.
6 La mécanisation de la taille des arbres est récente, et comprend une barre de coupe verticale et une autre
horizontale, un résultat dont on a peu de recul par rapport notamment à la « réaction » des arbres à long terme.
page 7/38
2. Les ouvriers nord-africains7
« Ici, c'est les Marocains. » La majorité sont Marocains8 (Arabes ou Berbères). On compte
aussi dans l'agriculture un petit nombre de Tunisiens « solidaires entre eux » et d'Algériens,
que l'on retrouve davantage dans l'industrie ou le bâtiment.
Issus de régions rurales pauvres9, non scolarisés ni qualifiés, souvent cultivateurs précoces
sur les terres familiales ou celles d'un patron « pied-noir10 », les Marocains ont trouvé, dans
les années 60 et 70, un moyen pour subvenir aux besoins de leur famille : un emploi non
qualifié en France. Economique, cette émigration est aussi à cette époque exclusivement
masculine. La société patriarcale traditionnelle nord-africaine assignait alors au chef de
famille, et à lui seulement, le rôle de subvenir aux besoins des siens. Les faibles revenus et
moyens d'autosubsistance des familles pouvaient conduire à étendre ce rôle aux fils.
Une première phase d'expansion du flux migratoire a lieu en 1963, lors d'un accord de maind'oeuvre entre le gouvernement français et le Maroc. Les ressortissants marocains prennent
alors le relais des travailleurs espagnols ou italiens et des ouvriers agricoles locaux.
Certains ont suivi leur « patron pied-noir » du Maroc en France après l'indépendance. La
relation qui s'ensuivait était souvent empreinte de paternalisme. Beaucoup se sont sentis
accueillis « comme dans une famille ». Le patron les accompagnait, par exemple, jusqu'à
Marseille pour prendre le bateau par lequel ils retournaient au pays quelques semaines en
hiver. En France, au mas, les Marocains retrouvaient les « collègues » portugais ou
espagnols, tels « des frères » qui s'invitaient les uns les autres à boire le café11. Les anciens
ont une immense reconnaissance envers leur employeur, et sont nostalgiques d'une époque
où ils étaient reconnus et avaient une certaine sécurité de l'emploi.
D'autres ont signé, dans les années 70, « un contrat de trois mois » avec un employeur venu
sur place pour recruter. L'exode rural en France commençait alors à bouleverser l'économie
locale. « La solution » était de venir recruter au Maroc des ouvriers jeunes, solides,
travailleurs, résistants aux conditions climatiques chaudes en été et froides en hiver, et
7 régularisés ; la situation des travailleurs migrants clandestins est une autre réalité.
8 En 1968, l'INSEE dénombrait 3000 Marocains dans la région Languedoc-Roussillon. En 1999 l'institut en compte
42 000, soit 20,3% de la population totale (la plus grande partie vit dans le Gard). Les Marocains sont le
deuxième groupe par ordre d'importance après les Espagnols. La moyenne d'âge est de 38 ans, soit 15% de
moins de 20 ans et 10% de plus de 65 ans. Source : Atlas des populations immigrées-Languedoc-Roussillon,
INSEE, octobre 2004
9 Le plus souvent, de la région du Rif, au nord-est du Maroc.
10 Pied-noirs d'Algérie ou colons du Maroc, la distinction n'est, semble-t-il, pas toujours faite.
11 Seuls les Marocains tiennent ce discours.
page 8/38
surtout malléables et dociles (faible taux de scolarisation et colonialisme12 oeuvrant).
Les autres sont venus rejoindre un parent ou un « frère » du même village, informés par le
bouche à oreille d'une possibilité d'embauche.
Pour tous, cette migration était provisoire : ils travailleraient dur, amasseraient un pécule
suffisant et rentreraient. Le provisoire est devenu définitif, et s'est traduit par un
enracinement. Avec les années, la plupart ont procédé au regroupement familial. Les
conditions13 requises sont toujours un revenu suffisant et un logement adéquat pour accueillir
femme et enfants.
Ces hommes, âgés de 20 ou 30 ans dans les années 60 et 70, sont aujourd'hui « une
communauté vieillotte » dont la santé est sur le déclin. Beaucoup sont prématurément usés
par des conditions de travail rudes, et parmi eux, certains ont été victimes d'une
manipulation malheureuse de produits chimiques, une maladie professionnelle non reconnue
par la COTOREP14.
Ce sont les « Zoufri-s15 » qui, en arrivant, ont appris à cuisiner, à frotter un parterre et à
laver leur linge. Aujourd'hui, la plupart vivent en famille ou bien seuls.
3. Les hommes « isolés »
Désignés ainsi par les institutions, les « célibataires géographiques » ne résident quasiment
plus aujourd'hui dans les mas, où les logements sont prévus pour la saison estivale (pas de
chauffage, des sanitaires collectifs à l'extérieur). Deux tiers d'entre eux vivent aujourd'hui
dans les zones d'emploi (Beaucaire, Vauvert, St Gilles), dans des appartements le plus
souvent vétustes voire insalubres, sans sanitaires ni chauffage et eau chaude, qu'eux seuls
acceptent compte tenu des faibles frais locatifs que couvrent les allocations logement.
12 Notons que, dans les textes, le Maroc fut un protectorat français de 1912 à 1956, contrairement au colonialisme
en Algérie. Dans la réalité, la différence entre les deux régimes fut bien moins marquée.
13 Procédure administrée par l'ANAEM, l'Agence Nationale de l'Accueil des Etrangers et des Migrations.
14 Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel
15 Le nom qu'on donne aux hommes venus seuls (trad. litt. : célibataire, qui est seul). Transcription phonétique.
page 9/38
Tandis que les hommes en famille sont mieux lotis, notamment sur le plan psychoaffectif, et
plus réactifs en cas de problème, les hommes isolés et bénéficiaires du RMI16 sont « ceux qui
touchent le fond en termes de précarité ». En moyenne, les deux tiers17 du revenu minimum
sont envoyés à la famille, qui est souvent élargie. Pour ne pas faillir – ce qu'ils redoutent par
dessus tout – à leur statut et leur rôle de chef de famille, ils sacrifient leurs conditions de vie
en France pour subvenir à leur famille au pays. Partant du principe que « si c'est mieux, c'est
plus cher », ils survivent entre banques alimentaires et bourses aux vêtements, au détriment
de leur confort de vie, privés de tout et trop pudiques pour en parler. Précarité du quotidien,
mauvaise alimentation, solitude, aucun confort de vie, mal-être, heures de travail physique
incalculables ont accéléré la vieillesse de ces hommes, usés prématurément par la vie et le
travail.
Le cas de ces hommes, qui ont pourtant contribué à la prospérité économique des
exploitations fruitières du département, ne mobilise ni mouvements associatifs ni élus.
Certains travaillent encore, alors qu'ils sont en âge d'être à la retraite et malgré des
problèmes de santé. Des employeurs reconnaissent leur savoir-faire et savent que ces
hommes n'ont rien d'autre. Lorsqu'ils ont perdu leur emploi, le même depuis 20 ou 30 ans
pour certains, ces hommes vieillissants et analphabètes ne pouvaient envisager une
reconversion professionnelle. Leur seul revenu a été le RMI, puis le Fonds Social Vieillesse18,
qui les ont fixés (obligation de résidence sur le territoire français). Si le passage du RMI au
« minimum vieillesse » améliore dans une certaine mesure leur revenu, il les a aussi
définitivement enchaînés à la France. Sans vouloir renoncer à ces droits chèrement acquis et,
pour ceux qui souffrent de pathologies souvent lourdes, nécessitant des soins, les hommes
isolés réalisent, affligés, qu'ils vont mourir ici. Or un réel problème va se poser dans les
années à venir : même en perte d'autonomie, ces hommes refusent la perspective de résider
en maison de retraite qui ponctionnerait la totalité de leurs revenus, ce qui priverait leur
famille de toutes ressources. Ces hommes sont saisis de honte et d'angoisses profondes à
l'idée, inconcevable, de ne plus pouvoir envoyer d'argent au pays.
En France, ces hommes cumulent les handicaps : logement, santé, accès aux droits,
isolement linguistique, psychologique et affectif, solidarité étiolée. Au Maroc, ils se sentent
étrangers. Ils ont désormais des rapports distendus avec leur épouse et leurs enfants. Ils
s'ennuient et se sentent en décalage avec la société marocaine : les repères et les habitudes
16 La proportion de bénéficiaires du RMI âgés de 55 à 65 ans, en juillet 2001, est de 95% pour les hommes et
de 5% pour les femmes. La MSA dénombre 26% de couples avec enfants, 5% de couples sans enfant, 7% de
personnes seules avec enfants et 62% de personnes seules sans enfant.
17 Je remercie Mireille Macieira d'avoir mis à disposition son mémoire de DU de gérontologie sanitaire et sociale, On
avait oublié jusqu'à présent que les immigrés eux-aussi vieillissent..., octobre 2002
18 Depuis 1998, la condition de nationalité est levée pour l'octroi du FSV.
page 10/38
sont en France.
Si quelques-uns ont épousé sur le tard une femme plus jeune en France et ont eu d'autres
enfants, la plupart des hommes n'ont pas fait de regroupement familial (conditions de
ressources et de logement pas toujours réunies, complexité des démarches). D'autres ont
récemment fait venir un ou deux fils mineurs, dans l'espoir d'être régularisés à leur majorité.
S'ils peuvent être scolarisés et couverts par la Sécurité Sociale, ils ne sont pas comptabilisés
dans le calcul de l'allocation logement ni des allocations familiales. Le père subviendra à leurs
besoins avec ses maigres ressources. S'agit-il de donner leur chance à ces enfants, ou de
pallier leur propre isolement ? En attendant, les professionnels de l'insertion signalent un
certain nombre de conflits entre un père qui n'a pas eu l'occasion de s'exercer à son rôle de
père, et un fils quelquefois désenchanté de la vie en France.
Les ouvriers agricoles permanents vieillissent, partent à la retraite, et ne sont pas toujours
renouvelés.
4. Difficultés de recruter pour un employeur et d'être recruté pour un ouvrier
Au premier abord, le versant recrutement du secteur agricole semble comprendre quelques
incohérences. Entre les mois de juin et de septembre de chaque année, le Gard devient un
immense pourvoyeur d'emplois, jusqu'à 15 00019 postes d'ouvriers agricoles saisonniers.
Alors qu'un grand nombre d'ouvriers locaux ne trouvent pas de travail, les employeurs disent
ne pas trouver suffisamment de main-d'oeuvre locale et être contraints de recruter à
l'étranger.
Parmi les candidats, hormis la main-d'oeuvre étrangère, se trouvent des ouvrier(e)s agricoles
locaux au chômage ou au RMI le plus souvent vieillissants, des jeunes désireux de gagner un
peu d'argent de poche ou des étudiants qui « font leur budget » annuel le temps d'une
saison.
19 A titre indicatif, voici un rapport* taille de l'exploitation / nombre d'employés (permanents et temporaires) en
vigueur :
- 25 hectares pour 3 permanents et jusqu'à 50 saisonniers
- 120 hectares pour 10 permanents et jusqu'à 200 saisonniers
- 450 hectares pour 80 permanents et jusqu'à 600 saisonniers
(*établi lors de l'enquête)
page 11/38
Plus l'exploitation est importante, plus grand est le turn-over20 : des candidats viennent et
repartent dans la journée ou ne reviennent pas le lendemain, à défaut de motivation ou de
résistance aux conditions de travail, ou encore « pour ne pas être radiés de l'ANPE ».
Les moyens de recruter sont pluriels : forums emploi 21 « qui fonctionnent bien », avant la
période de recrutement, annonces en mairie et dans les journaux gratuits, bouche à oreille,
contact direct par les employeurs à partir de listes d' « habitués » ou encore l'ANPE.
Arrêtons-nous un instant sur l'Agence Nationale Pour l'Emploi. Si en interne, les équipes
« agriculture » œuvrent pour établir au mieux un lien employeurs/employés, dans les
agences, les demandeurs d'emploi analphabètes ou peu francophones se retrouvent seuls et
démunis, face à des panneaux d'affichage qu'ils ne peuvent lire et des ordinateurs qu'ils ne
savent pas utiliser. Selon eux, par l'intermédiaire de l'ANPE, « toujours on attend, mais y a
rien », et leur solution « pour trouver un patron » est de faire le tour des propriétés et de se
présenter aux employeurs. Il est nécessaire pour cela de parler suffisamment bien le français
et de pouvoir se déplacer. Or, les conseillers ANPE cherchent à les convaincre de ne pas
procéder ainsi, parce que « ça ne suffit pas ». Résultat, peu nombreux sont ceux – parmi les
interlocuteurs demandeurs d'emploi de l'enquête – qui ont recours aux services de l'ANPE.
Les professionnels de l'insertion comme les demandeurs d'emploi dans ce secteur
soupçonnent les employeurs de privilégier l'embauche de main-d'oeuvre étrangère (OMI et
saisonniers itinérants).
20 « Le turn-over, rotation en anglais, est utilisé pour désigner la rotation du personnel. Changement fréquent de
personnel dans une équipe. Quand il est excessif, cela souligne généralement : soit que le travail est
particulièrement éprouvant, soit que la management est de mauvaise qualité, soit que l'atmosphère des rapports
humains dans l'équipe est destructeur. Ce peut être tout à la fois. » Source : wikipédia.org
21 Les demandeurs d'emploi, informés par un courrier de l'ANPE, se rendent au forum, indiquent leurs coordonnées
aux employeurs, qui repartent avec une liste de personnes à contacter au moment du recrutement. Tous les
employeurs et les demandeurs d'emploi ne sont pas présents.
page 12/38
5. Main-d'oeuvre étrangère
Les travailleurs saisonniers itinérants obtiennent une autorisation de résider et de travailler
sur le territoire français jusqu'à 6 mois. Ils viennent pour la saison, sont le plus souvent logés
sur place et repartent à la fin de la saison avec un pécule.
Quant aux contrats OMI22, une convention bilatérale a été passée entre la France et le Maroc,
la Tunisie et, plus récemment, la Pologne qui, bien que membre de l'Union européenne depuis
2004, est assujettie à certaines restrictions en matière d'entrée professionnelle.
Les conditions d'attribution d'un contrat OMI (de 6 à 8 mois par an) sont, d'une part, que
l'ANPE certifie qu'aucune candidature qualifiée et disponible sur le territoire n'a répondu à
l'offre passée (sauf pour la Pologne23). D'autre part, il faut que la DDAF24 et la DDASS25 aient
émis un avis favorable par rapport aux conditions d'hébergement, au mas ou dans un
bungalow que l'employeur doit fournir. Au niveau des cotisations, il ne coûte pas davantage ni
moins à l'employeur de recruter un contrat OMI. Ce dernier n'est pas soumis à la CSG, une
différence égalisée par un taux de cotisation maladie plus élevé.
S' « il y a eu des abus », aujourd'hui il y a davantage des contrôles. « C'est pas parfait mais
ça fonctionne ». Cette main-d'oeuvre sur place, et prête à travailler beaucoup plus pour
gagner le maximum d'argent, ne pose pas de problèmes de mobilité ou d'absentéisme aux
employeurs. La FASTI, la Fédération des Associations de Solidarité avec les Travailleurs
Immigrés, dénonce ce « CDD au rabais » qui ne permet pas à ces travailleurs qui cotisent
comme les autres salariés d'ouvrir le moindre droit : ni prime de précarité, ni priorité à la
réembauche, ni prestation chômage, ni couverture sociale annuelle, ni cotisation retraite, ni
regroupement familial, ni carte de séjour26. Triste constat : « Par rapport au rien de là-bas, ils
prennent ici ».
Ces dernières années, la Préfecture accorde plus, et plus facilement de contrats OMI venant
de Pologne que du Maroc, au nom d'une « préférence européenne » et d'un durcissement par
rapport à l'introduction de personnes étrangères hors Union européenne. La concurrence est
inégale, « les Maghrébins sont plantés une fois de plus ».
Si les Polonais ont le vent en poupe étant « pour l'instant » moins regardants sur les
22 contrats dits « OMI », du nom de l'Office des Migrations Internationales
23 obligation levée pour les dix nouveaux entrants dans l'Union européenne, dont la Pologne
24 Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forêt
25 Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales
26 En 1980, un grand nombre de « contrats OMI » ont été régularisés.
page 13/38
conditions de travail et de salaires, et acceptant ce que les Marocains n'acceptent plus, ils
n'ont pas tardé à revendiquer légitimement leurs droits. Récemment, un groupe d'OMI
polonais s'est mis en grève : ils refusaient de commencer la saison tant qu'ils ne seraient pas
hébergés dans de meilleures conditions. Ces hommes sont le plus souvent lettrés et
solidaires.
6. Discrimination négative et discrimination positive
S'il est plus facile dans ce contexte de parler clairement en termes d'exploitation, dont il sera
question dans le chapitre suivant, il l'est moins de parler de discrimination. Les deux notions
sont certes liées. Mais les cas que l'on pourrait qualifier de « discrimination » sont, le plus
souvent, complexes et nuancées. Cette étude relève des cas de discrimination négative, mais
aussi des formes de discrimination positive.
– Dans la société en général.
Il y a 30 ans, lorsque les premiers travailleurs nord-africains sont arrivés, « le racisme
n'existait pas ». S'ils étaient différenciés en tant que tels, ils n'étaient pas stigmatisés comme
aujourd'hui, sauf en Corse, où la relation des locaux aux Maghrébins a toujours été
empreinte d'un racisme primaire. En Corse, dans les années 80, les ouvriers agricoles
marocains étaient certes payés mais pas déclarés, et faisaient l'objet d'agressions graves :
certains ont été attaqués et volés de leur salaire le jour de la paye, et quelques-uns se
seraient fait « écraser » sur le bord de la route.
Jusqu'au début des années 90, les migrants d'Afrique du nord allaient vers la France, animés
d'une volonté d'y trouver leur place. Mais la société les a cantonnés dans un habitat en
périphérie et les a exclus du marché de l'emploi et des centres urbains. Ainsi ghettoisés, ils
se sont peu à peu repliés sur eux-mêmes, notamment les femmes qui, pourtant, aspiraient le
plus à cette France pleine de perspectives et de libertés.
– Dans le secteur agricole en particulier.
On retrouve peut-être moins de discrimination dans l'agriculture que dans d'autres secteurs
comme l'industrie, l'artisanat ou le commerce. Les raisons sont le besoin de main-d'oeuvre
non qualifiée et le désintérêt des nationaux pour le travail de la terre.
page 14/38
L'enquête révèle de la discrimination négative envers certains. Les candidats à l'embauche les
moins convoités sont les garçons d'origine nord-africaine, les « délinquants » des « quartiers
de Nîmes27 ». Si quelques employeurs ont eu une mauvaise expérience, beaucoup rejettent a
priori l'idée d'une telle perspective d'embauche. Peu importe si une majorité de ces jeunes
hommes sont droits et consciencieux, ils feront les frais de la stigmatisation.
Le ramadan n'a semble-t-il pas posé de problème28 jusque-là. Mais dans quelques années,
lorsqu'il coïncidera avec les mois de pleine saison, on peut penser que « ceux qui feront le
ramadan ne seront pas embauchés » faute de productivité suffisante et par crainte
d'accidents du travail (malaise, chute d'échelle). La solution des aménagements d'horaires
est déjà mise en place, par rapport à la chaleur : les ouvriers commencent plus tôt pour finir
plus tôt leur journée de travail. Pour certains employeurs et d'après les craintes des
professionnels de l'insertion, le recrutement se fera auprès des ouvriers non musulmans, et
notamment parmi les Polonais.
En revanche, les femmes voilées et la proscription de l'alcool arrangent certains employeurs :
de leur point de vue, les normes d'hygiène sont respectées et les problèmes liés à la
consommation d'alcool et aux cannettes de bière « qui traînent » sont écartés.
Si les garçons d'origine nord-africaine ont peu de chance d'être recrutés, leurs soeurs, elles,
ont « bonne presse ». On leur attribue volontiers les qualités d'être « plus sérieuses » et
« plus travailleuses ». Leurs mères bénéficient elles aussi de cette réputation. Les
employeurs leur reconnaissent leur minutie et leur travail bien fait, comme ils conviennent du
savoir-faire et de la résistance au travail de leurs pères.
Au palmarès des meilleurs travailleurs, les ouvriers agricoles migrants itinérants29 sont les
mieux placés. Ils sont « les plus motivés » le temps de la saison, pendant laquelle ils gagnent
l'argent du budget annuel. Certains sont accompagnés de leurs épouses qui travaillent le plus
souvent en station de conditionnement. Logés sur place et motivés, ils sont corvéables, ne
posent pas de problèmes de locomotion ni d'absentéisme « pour des choses futiles, [ce qui
est] moins vrai pour les autres ». Les professionnels de l'insertion déplorent le manque de
considération de certains employeurs. Mais les vieux sont « blindés, on leur a tellement mal
parlé ». « Ça reste Mohamed qu'on tutoie », qu'il s'appelle ou non Mohamed.
27 Plus du tiers des migrants marocains et algériens vivent en HLM. Source : Atlas des populations immigréesLanguedoc-Roussillon, INSEE, octobre 2004
28 La fête de l'Aïd-el-kebir, la fête dite « du mouton », ne pose pas de problème non plus : les salariés prennent leur
journée, et la remplacent ou la décomptent de leur RTT.
29 des résidants d'Afrique du nord qui obtiennent un permis de travail de trois ou six mois sur le territoire français
page 15/38
La première génération, contrairement à la suivante, s'est résignée à une place dévaluée.
Est-ce, pour ces anciens, les vestiges du colonialisme, le manque d'instruction ou une vie
précaire qui a fait d'eux les « tant pis » de la République ? Sous-payés, mal logés, prenant
« ce qu'on a bien voulu leur donner », pas toujours bien accueillis aux guichets, ils s'estiment
redevables à l'égard d'une société qui leur a donné du travail et des institutions et de leurs
représentants qui leur ont permis d'accéder à certains droits.
7. Conditions de travail, exploitation et fraudes
Les conditions du travail agricole sont « moins mauvaises qu'avant », compte tenu d'un
outillage (hydraulique, pneumatique) plus facile à manier et d'arbres plus bas pour limiter
l'usage de l'échelle, ce qui représente un gain de temps mais entraîne aussi moins
d'accidents. En revanche, les exigences de rendement sont maintenues. Voici un extrait d'un
contrat de travail :
« Nous considérons comme faute grave30, empêchant la continuation du
contrat de travail, le fait de ne pas respecter le rendement de fruits
conditionnés au plateau minimum : 1200 fruits à l'heure pour les pêches et de
1400 pour l'abricot et prune. Il est entendu que tous les documents ou
renseignements de tout ordre qui seront mis à votre disposition, durant votre
contrat et après votre départ de la société, ne devront faire l'objet d'aucune
divulgation à l'extérieur. »
Certaines exploitations fournissent à leurs employés en station et dans les vergers un ruban
de code-barres à coller sur chaque plateau31 et caisse de ramassage. Ainsi le travail quotidien
peut être suivi et des primes de rendement peuvent compléter la rémunération. Une période
d'essai variable de trois jours à une semaine juge la cadence minimale qui, si elle n'est pas
atteinte, entraînera un licenciement. Les plus âgés, comme par « auto-discrimination »,
craignent de ne plus être capables de tenir la cadence et « d'être jetés ».
Les contrats sont souvent courts et renouvelables ou fractionnés selon les besoins de
l'employeur. Une ouvrière agricole marocaine a signé un contrat à temps plein pour emballer
les fruits. Elle a commencé à travailler tous les jours puis, à la demande du patron (suivant
ses commandes), elle ne travaillait plus qu'une demi-journée. Elle lui a expliqué qu'elle
30 souligné par l'auteur du rapport
31 Compter 25 plateaux de l'heure, sachant qu'un plateau contient entre 22 et 28 fruits, soit 3 à 4 kilos.
page 16/38
souhaitait travailler à temps plein comme son contrat l'indiquait et lui a demandé d'annuler
son contrat s'il ne pouvait pas lui permettre de travailler davantage. L'employeur l'a menacée
: soit elle démissionne et rembourse l'argent qu'elle a gagné, soit elle accepte ces conditions
de travail.
Un interlocuteur rapporte que certains employeurs recrutent une équipe du matin et une
autre du soir pour que le travail soit plus soutenu, donc plus rentable. Un autre explique que
les temps de travail sont morcelés : un mois de travail, le suivant sans, le troisième du travail
à nouveau, suivant le mûrissement des fruits et les exigences des commandes. Or pendant le
mois creux, l'employé n'a pas de revenu ni d'aides sociales. Et le jour de la paye, si « tu es
pas content, tu pars ».
« Comment vit-on au Maroc pour accepter toute cette misère en France ? » s'interroge un
professionnel de l'insertion. Alors que l'ancienneté n'apparaît pas sur le bulletin de salaire ou
que certains employeurs malhonnêtes font signer une lettre de démission à un ouvrier
analphabète pour ne pas avoir à lui payer d'indemnités de licenciement32, cette génération
contrairement à la suivante n'incrimine personne. S'ils sont conscients d'être exploités, ils
sont surtout reconnaissants d'avoir un emploi.
« Ça a toujours été et ça le sera toujours », toutes sortes d'escrocs exploiteront la misère
humaine.
Les
filières
illégales
(espagnoles,
nord-africaines
ou
encore
laotiennes)
d'introduction de main-d'oeuvre ont été, semble-t-il, éradiquées, mais « jusqu'à quand ? »
s'interrogent des inspecteurs du travail. De même que les prestataires de service, légaux en
apparence, ont prospéré en extorquant la différence entre le salaire « sous-payé » aux
ouvriers (3 ou 4 € de l'heure) et le tarif, « défiant toute concurrence », de la main-d'oeuvre
facturé à l'employeur. Ce dernier, conscient de la manigance s'épargnait ainsi, en plus de la
gestion du recrutement, de la partie administrative et du turn-over, les 4 euros de l'heure
supplémentaires des agences intérim en règle. A la tête de ces « sociétés de travail
temporaire bidons », d'une durée de vie de moins d'un an, les « intermédiaires », le plus
souvent lettrés, en situation régulière, démarchaient auprès des employeurs et recrutaient
parmi leurs compatriotes le plus souvent au RMI. Ils pouvaient même aller jusqu'à retenir sur
leur salaire les frais de transport et d'hébergement, prêté par l'employeur. Certains
employeurs admettent s'être « brûlé les ailes », notamment pendant les années de pénurie
de main-d'oeuvre. La presse a dénoncé leur part de responsabilité dans l'exploitation faite
aux ouvriers, et l'inspection du travail a instruit une enquête.
32 L'analphabétisme peut être un argument pour plaider dans ce type d'affaires de fraude devant les tribunaux des
Prud'hommes.
page 17/38
Si les plus gros escrocs ont déguerpi ou échafaudent un nouveau plan, la « mafia des
compatriotes »
demeure.
Des
chefs
d'équipe
peu
scrupuleux
recrutent
parmi
leurs
compatriotes contre un bakchich. Personne ne sait ni ne dit rien.
8. L'image « déplorable » de l'emploi agricole saisonnier
« Les Français ils sont pas fous pour travailler dans l'agriculture. C'est pas le salaire, le SMIC,
c'est le SMIC ! Mais pour travailler, c'est difficile... » Tout au long de l'enquête, un seul point
positif a été mentionné, celui du travail en plein air. Les autres arguments dénoncent une
image très négative du travail agricole saisonnier. La liste est longue,
•
pénibilité des conditions de travail en station : la chaleur, le bruit, la cadence sont
épuisants, et dans les vergers : chaleur, vent, humidité, moustiques, position à genoux
•
rémunération minimale (SMIC) et intérêt réduit du secteur depuis le passage aux 35h :
« C'est pas assez ! », les ouvrier(e)s déplorent de ne plus pouvoir « faire de gros
mois » compte tenu de la réduction des heures supplémentaires
•
contrat instable, de quelques semaines à quelques mois de travail dans l'année
•
statut peu voire pas évolutif : pas ou peu de plans de carrière
•
peu de postes en CDI à pourvoir
•
difficile reconnaissance en termes de salaire des qualifications acquises avec le temps
et la pratique
•
« On sait à quelle heure on commence, pas à quelle heure on finit », suivant le
mûrissement des fruits et des livraisons (autrefois, jusqu'à 13h de travail par jour)
•
salissant
•
travail le samedi, dimanche et jours fériés si nécessaire (suivant le mûrissement des
fruits)
•
coïncide avec la saison des vacances d'été (pour ceux qui ont des enfants)
L'emploi agricole est perçu comme un revenu d'appoint, un métier peu attractif et
dévalorisant comme distribuer les journaux gratuits. Hormis les étudiants qui travaillent un
mois ou deux l'été pour gagner de quoi payer leur permis de conduire ou compléter leurs
maigres bourses d'étude annuelles, les personnes qui ont un niveau d'études minimum
refusent le plus souvent de travailler comme employés agricoles saisonniers. D'autres comme
« les débrouillards », quittent l'agriculture dès que possible. Prenons l'exemple de cet homme
marocain de 35 ans, qui a travaillé quelques mois dans l'agriculture faute d'autres
perspectives. A la fin de la saison, il a fait la demande auprès de la MSA d'un bilan des
page 18/38
compétences qu'il a acquises dans le bâtiment au Maroc. Son objectif est de travailler de
manière permanente pour gagner la stabilité professionnelle nécessaire de manière à faire
venir sa femme et ses jeunes enfants.
9. Les jeunes
Les jeunes d'origine nord-africaine que l'on trouve dans les stations (les filles 33) et dans les
vergers (les garçons) sont là, le plus souvent, pour deux raisons. Les parents ont vivement
encouragé34 leurs enfants majeurs ou presque, à « faire la saison » soit pour compléter le
budget familial, soit pour gagner de quoi financer leur projet (permis, voiture, études).
Chacun est d'avis qu'ils acquièrent ainsi une première expérience de travail, mais en aucun
cas qu'ils préparent leur projet professionnel.
La génération actuelle des 20-30 ans projette de travailler toute l'année, critère auquel ne
répond pas le secteur agricole. Aussi se désintéressent-ils de ce type d'emploi. C'est une des
raisons, parmi beaucoup d'autres.
Les parents rejettent l'idée que leurs enfants deviennent ouvriers agricoles, sauf une infime
minorité qui prend la place de permanent du père arrivé à l'âge de la retraite. Et, dans
l'esprit des enfants, il n'est pas question de revivre ce que leur père, et avant lui leur grandpère, ont vécu. Des « pères fracassés à 50 ans ». Beaucoup ressentent, de manière
ambivalente, un mélange de reconnaissance envers celui qui a donné du travail à leur père,
et d'amertume née de l'exploitation subie par les pères. Ils sont les premiers à avoir une
image déplorable de l'emploi agricole (exploitation, travail sous-payé, dégradant, etc.). Eux
(et elles) aspirent à des emplois plus qualifiants et plus qualifiés, et s'orientent vers des
secteurs plus valorisants et plus valorisés.
Les aspirations professionnelles des parents pour leurs enfants se définissent en termes
d' « aisance » en matière de conditions de travail et de revenus. Si, dans les années 80 et
90, l'institution scolaire orientait les garçons d'origine nord-africaine vers le secteur de la
mécanique (très vite saturé), les parents « prônent » aujourd'hui les secteurs de la
33 Une organisation du travail ainsi sexuée. Les patrons préfèrent la minutie du personnel féminin dans les station
d'emballage ou la récolte des fraises, et la force du personnel masculin dans les vergers ou pour les travaux de
manutention (tracteur, transport de palettes, etc.).
34 Dans les quartiers périphériques de Nîmes (Valdegour, Pissevin...), des associations organisent le travail agricole
saisonnier pour les jeunes : revalorisation, puis aide à la recherche de contrat et co-voiturage. Si l'expérience
professionnelle est modique, elle a le mérite de structurer socialement et professionnellement et de rapporter de
l'argent.
page 19/38
« technologie,
administration,
fonction
publique ».
Malheureusement,
les
perspectives
d'emploi ne sont pas florissantes pour eux : l'ascenseur social est en panne, et les
discriminations à l'embauche vont bon train.
10. Les femmes
Le travail salarié des femmes migrantes est récent. Pendant longtemps, tous les maris
n'acceptaient pas que leurs épouses travaillent. Traditionnellement, la place des femmes dans
le monde arabo-musulman était à l'intérieur de la maison. La situation est différente pour les
femmes berbères, autant chargées de travail dans les champs, que dans la maison.
Si leurs maris le décident et si elles sont déchargées de leurs obligations maternelles, les
femmes peuvent travailler à l'extérieur, en tant qu'ouvrières agricoles. Le plus souvent, elles
travaillent uniquement pendant la saison, pour compléter le faible revenu du mari. Si celui-ci
ne travaille plus (malade, invalide) ou s'il est décédé, son épouse alors âgée de 40 ans et
plus prend de plus en plus souvent le relais. En revanche, celles qui ont récemment rejoint
leur mari, et notamment les épouses non-francophones, ne travaillent pas à l'extérieur de la
maison.
Si elles ne trouvent pas d'emploi dans l'agriculture pendant la saison ou le reste de l'année,
les femmes peuvent envisager de travailler comme aides-ménagère ou gardes d'enfants ou
de personnes âgées. « Elles vont là où il y a de l'emploi. » Ces professions ne nécessitent pas
de savoir lire et écrire. A condition égale, la mobilité professionnelle des femmes est
supérieure à celle des hommes. Par ailleurs, on l'a vu, les employeurs préfèrent recruter les
femmes pour la cueillette et le conditionnement du fait de leur minutie. « Plus adroites, plus
délicates », mais aussi « moins rigides que les hommes par rapport aux heures de travail »,
elles trouvent davantage à travailler dans le secteur agricole que les hommes.
Il apparaît chez les femmes une capacité plus grande que les hommes 35 à chercher et à
trouver un emploi et, d'une manière générale, à tenter de nouvelles expériences. Elles ont
« tout à gagner » et « pas grand chose à perdre dès le départ ». Aussi la perspective d'un
emploi équivaut à « un commencement », à une opportunité, à une ouverture qu'il ne faut
surtout pas manquer.
35 à cause, peut-être, d'une certaine « rigidité » et de leur refus d'admettre leurs faiblesses ou leurs échecs.
page 20/38
Si elles accèdent à une certaine liberté par le travail, les femmes migrantes restent
dépendantes sur le plan de la mobilité de leur mari, qui les accompagnent le plus souvent sur
leur lieu de travail si eux-mêmes ne travaillent pas, ou sur celui du « stage alpha36 ».
Plus encore que les hommes, les femmes de cette génération n'ont pas de permis de
conduire. Aussi cherchent-elles un emploi à proximité de leur domicile, mais ne pouvant aller
trop loin, elles réduisent leurs chances de trouver du travail pendant plusieurs mois. Elles
s'organisent aussi entre femmes, celle (souvent une plus jeune, scolarisée en France) qui a
un permis et une voiture emmène les autres.
Si les qualifications37 sont de plus en plus ouvertes aux femmes de tous âges et de toutes
origines, l'enquête révèle une série de freins bloquant cette perspective. Pourtant, développer
leur polyvalence leur permettrait de travailler plus longtemps dans l'année 38. D'une part, il
peut y avoir des réticences de la part du mari et de l'entourage, notamment si la candidate a
de jeunes enfants à élever. D'autre part, le secteur est en crise, et recrute au comptegouttes. Le nombre de places qualifiées est réduit : « Une seule chef de station pour vingtcinq emballeuses et cinq manutentionnaires ». Ensuite le manque de mobilité pour les
femmes de 40 ans et plus freine autant l'emploi que la perspective de se former. Toutes ne
cherchent pas à se qualifier. Les plus âgées préfèrent continuer à faire ce qu'elles savent faire
et recherchent les emplois à proximité de leur domicile. Or une qualification leur ferait faire
d'autres tâches (comme la taille ou l'agrément) et aller sur des exploitations plus éloignées.
Enfin, il apparaît un certain nombre de blocages administratifs en matière de formations
qualifiantes.
Un certain nombre de professionnels de l'insertion de différentes structures 39 ont travaillé
avec enthousiasme sur un projet de qualification 40 de taille arboricole réservée à un public
féminin. Majoritairement masculine jusque-là, la taille est aujourd'hui pratiquée avec un
outillage (sécateurs pneumatiques ou hydrauliques) plus facile à manier. Cette qualification
certifiant un diplôme d'ouvrière qualifiée permettrait à ces femmes de travailler plus
longtemps dans l'année, la taille s'effectuant l'hiver, autrement dit au moins six mois en
discontinu. De plus, il y a cette année deux opportunités : un verger destiné à être arraché
pour expérimentation et un employeur prêt à recruter. Mais les candidates n'ont pas toutes le
36 Dans le milieu de la formation alpha, on constate que certaines femmes sont « pistées » par leurs maris qui
s'assurent, les premiers jours, de la véridicité du stage et de ses « bonnes » conditions.
37 Une étude sur les parcours professionnels et les besoins de qualification des femmes en milieu rural est en cours
dans le cadre du programme national « Femmes, formation et emploi en milieu rural », une recherche-action
démarrée en octobre 2001 pour, notamment, évaluer les besoins de formation/qualification. Lien internet :
http://www.agriculture.gouv.fr/parite/etude_parc_profess.htm
38 Pas seulement : le propos d'une femme fraîchement qualifiée témoigne de son « sentiment d'être quelqu'un [...]
celle que j'ai voulu être depuis des années, [et d'avoir] vaincu [sa] timidité et tout ce qui coinçait à l'intérieur ».
39 AFEMA, ANPE, ASAVPA, ASMOUNE, CFPPA, FAFSEA
40 machinisme, sécurité, prévention
page 21/38
même statut, certaines sont bénéficiaires du RMI, d'autres sont allocataires ASSEDIC. Si les
ASSEDIC ont refusé le financement, le Conseil général accepte de payer la formation de
celles qui sont au RMI, à condition que les stagiaires soient suffisamment nombreuses, soit
au moins huit (question de coût de revient). A ce jour, elles ne sont que cinq. Le projet est
suspendu.
On entend dire, à propos de ce type de blocages, que « ça ne va pas vers le positif ». Une
autre situation accrédite ce blâme : une formation, qui requérait quatre mois de travail dans
le secteur agricole et deux autres dans tous secteurs confondus, n'a pas eu lieu. Les ouvriers
candidats pour la formation n'avaient pas suffisamment travaillé pour être éligibles. Or les
professionnels de l'insertion à l'origine de ce projet ont réussi, non sans peine, à trouver un
contrat de deux mois supplémentaires pour comptabiliser six mois de travail au total. Le
FASILD a pu financer deux stages alphabétisation initiaux aux quatre autres modules41 qui
ont été, en revanche, suspendus.
11. Annualisation du travail agricole
Les rares ouvriers permanents, comparés au nombre de saisonniers, travaillent toute l'année
: taille l'hiver, éclaircissage42 à partir de mars, puis ramassage et manutention jusqu'à
l'automne. Quant aux saisonniers, la majorité travaille, dans le meilleur des cas, de fin mai à
mi-septembre (ramassage et conditionnement), c'est pourquoi celles et ceux qui trouvent un
emploi à l'année quittent le secteur agricole, et un nombre insuffisant d'heures de travail ne
permet pas de capitaliser pour ouvrir des droits ASSEDIC. Seule une minorité de travailleurs
saisonniers itinérants (contrats OMI ou soumis à une autorisation de travail sur le territoire)
peut y trouver un intérêt.
Les employeurs réfléchissent à des solutions pour prolonger la saison de travail, ou plutôt
pour réduire « le creux » de l'hiver. Ils pourraient ainsi fidéliser les ouvriers qui, en devenant
des « habitués », seront formés et moins difficiles à recruter. Pour commencer la saison plus
tôt (fin mars, début avril), de plus en plus de producteurs investissent dans la fraise
Garriguette, dont le marché est porteur et dont la culture requiert peu d'investissements
(ramassage, exclusivement féminin, et conditionnement au même endroit). Quant aux kiwis,
ils prolongent de quelques semaines la saison vers les mois d'automne.
41 - arboriculture fruitière, - machinisme, - sécurité et prévention, - conduite d'une oliveraie
42 L'éclaircissage consiste à faire tomber certains fruits en début de maturité, pour obtenir de l'arbre des fruits d'un
calibre minimal, selon un savant calcul du nombre de fruits requis par branche. Des fruits trop petits ne sont pas
rentables en termes de temps de cueillette et de vente.
page 22/38
Quelques rares producteurs ont pensé à la solution d'un groupement d'employeurs. L'un
d'eux embauche des ouvriers au printemps et en été pour sa production de fraises et de
fruits à noyaux, et l'autre recrute à son tour ces mêmes ouvriers à l'automne et au début de
l'hiver pour la vigne, les pommes et les kiwis. Mais « ces ouvriers peuvent-ils humainement
travailler toute l'année », dehors, à tailler, ramasser, conditionner, été comme hiver ? Les
professionnels de l'insertion dans le secteur de l'agriculture s'interrogent en déplorant l'état
physique dans lequel se trouvent les ouvriers en fin de saison de quelques mois de travail
intensif : ces gens sont « usés », « crevés » et ne demandent qu'à se reposer quelques mois
avant la prochaine saison. L'idéal serait qu'elle commence en janvier, avec la taille.
La solution, pour les ouvriers, pour trouver un emploi et l'exercer davantage dans l'année
reste la polyvalence, autrement dit les qualifications nécessaires pour tailler des arbres ou
une vigne, conduire un tracteur, contrôler les agréments et gérer les commandes, ou encore
devenir chef d'équipe.
12. Qualifications
Si le secteur est plus qualifiant qu'autrefois, les ouvriers agricoles étaient plus expérimentés
qu'aujourd'hui. Cette technicité, reconnue par tous les employeurs, était acquise avec la
pratique et le temps. La polyvalence des anciens était acquise de manière empirique, avec le
patron. Celui-ci, occupé à la gestion administrative de l'entreprise ou à l'achat de matériel ou
de plants, n'a plus le temps aujourd'hui de former ses ouvriers. Les patrons délèguent cette
tâche aux chefs d'équipe qui, parmi les saisonniers sans qualification qui cueillent et qui
emballent, repèrent celles et ceux qui ont un potentiel, la « niak » pour leur proposer une
formation « interne », ou bien institutionnelle via un organisme de formation. Prenons
l'exemple (rapporté) de Samira. Jeune femme de 26 ans d'origine marocaine, Samira a
commencé comme emballeuse43. La chef de station a repéré chez elle un réel potentiel et une
certaine motivation. Samira a ensuite été chargée de l'agréage 44, puis elle est devenue
responsable des achats et de la gestion du négoce. Elle est aujourd'hui assistante
commerciale d'une des plus grosses exploitations fruitières du bassin. Elle pourrait, nous diton, en fonction des opportunités, terminer sa carrière en tant que commerciale.
43 Un emploi saisonnier non qualifié de trois mois au plus, entre juin et août.
44 Contrôle des agréments
page 23/38
Or les qualifications institutionnelles sont devenues souvent difficiles à mettre en place, et de
moins en moins financées (les financeurs veulent des garanties) ou « inaccessibles aux
petites exploitations ». Par ailleurs, tous les ouvriers agricoles ne peuvent pas accéder à une
formation qualifiante. La plupart sont proposées dans le cadre d'un dispositif : RMI et
formations financées par le Conseil Général ou CIF45 CDD, dans ce cas le postulant devra
avoir travaillé un certain nombre de mois pour en bénéficier. Faute d'entrer dans l'un des
dispositifs, un ouvrier agricole ne pourra s'inscrire.
Le « parcours de qualification des saisonniers », une formation qualifiante proposée par le
FAFSEA46 et interrompue il y a deux ans, visait à former des chefs d'équipe qui encadraient et
formaient à leur tour les équipes. Cette formation de quelques jours en début de saison se
diffusait sous la forme d'un transfert de savoir-faire sur la durée de la saison.
Notons que les qualifications ne sont pas toujours stimulantes. En amont, les formations non
rémunérées sont « boudées », beaucoup ne les considèrent pas en termes d'investissement.
En aval, le manque de reconnaissance de la part des employeurs est en termes de revenus
un « frein » à la motivation des ouvriers agricoles pour se former. Or aujourd'hui, pour
trouver un emploi de plusieurs mois dans le secteur agricole, il est indispensable d'être
polyvalent, et pour l'être, il faut être qualifié. Par exemple, le renouvellement des
permanents, si l'entreprise se maintient économiquement, se fait par un saisonnier qualifié.
Paradoxalement au premier abord, les employeurs déplorent une pénurie de tractoristes,
poste qui implique de maîtriser les traitements phytosanitaires. Des postes à pourvoir sont
restés vacants. Les anciens ne sont pas remplacés faute de candidats qualifiés et de sessions
de formation suffisantes.
Il est un autre « frein » pour entrer en formation, lorsqu'elle est à disposition et que les
candidats remplissent les conditions d'inscription : le manque de connaissances de base,
autrement dit l'analphabétisme.
45 Congé Individuel de Formation
46 Fonds national d'Assurance Formation des Salariés des Exploitations et entreprises Agricoles
page 24/38
13. Analphabétisme
La majorité des migrants de la première génération n'ont pas eu l'occasion d'apprendre à lire
et à écrire ou même à parler le français. Dans le secteur agricole, ils n'en ont pas eu
obligatoirement besoin. Dans les années 70, ni la société d'une manière générale, ni les
employeurs, ni les ouvriers nord-africains ne pensaient que ces derniers allaient s'installer
définitivement en France. Pour tous, un investissement comme apprendre le français,
pendant la saison de travail ou les mois creux où ils rentraient au pays, n'était pas
indispensable.
Alors que les ouvriers nord-africains qui travaillaient dans les secteurs de l'industrie et du
bâtiment ont dû apprendre le français pour communiquer (davantage de mixité culturelle) et
utiliser les machines-outils (maîtrise du français indispensable), les ouvriers agricoles nordafricains étaient le plus souvent isolés sur le plan linguistique. Hébergés et employés sur la
propriété, dans un secteur professionnel qui ne nécessitait pas de savoir lire, avec des
compatriotes arabophones ou solidaires (interprétariat spontané) et quelquefois un patron
arabophone (pieds-noirs ou possédant un minimum de vocabulaire), ces hommes parlaient
exclusivement l'arabe. Ils continuent aujourd'hui, dans un environnement résidentiel le plus
souvent arabophone, avec une télévision câblée et programmée sur une « chaîne arabe » et
la communication avec les siens dans la langue maternelle. Beaucoup déplorent aujourd'hui
le fait de ne pas avoir appris le français, d'être dépendants des autres dans la recherche
d'emploi ou l'accès aux droits et « captifs » par rapport à une perspective de mobilité
professionnelle. « Aujourd'hui je suis perdu avec tous ces papiers, en 69, il y avait pas tous
ces papiers » dit l'un d'eux.
L'analphabétisme ne permet pas de faire une formation qualifiante, à moins de commencer
par un stage alphabétisation qui, le plus souvent, nécessite plusieurs années de travail et
beaucoup de courage. Il s'avère néanmoins que les stages intensifs et dont le contenu
pédagogique est adapté au projet professionnel sont opérationnels.
Plus problématique que l'analphabétisme à proprement parler, un faible niveau d'expression
en français fait obstacle à la recherche autonome d'emploi : sur les panneaux d'affichage, par
internet à l'ANPE, pour se présenter directement auprès d'employeurs potentiels. Cette
carence limite par ailleurs la communication avec les professionnels de l'insertion pour qui il
est « frustrant » de ne pas pouvoir dialoguer sinon par l'intermédiaire d'un interprète. Par
exemple, il est difficile d'établir la liste des compétences professionnelles acquises lors
page 25/38
d'activités antérieures pour les conseillers ANPE. Quel outil, quel fruit, quelle façon de
travailler, autant de détails qu'il est justement important de déterminer avec précision. Si les
anciens ont des compétences techniques indiscutables, beaucoup ne parviennent pas à les
exprimer et, pour les conseillers ANPE, à les évaluer. L'un d'eux rapporte une anecdote
récurrente : l'entretien avec un ouvrier agricole non francophone s'est déroulé avec un
interprète virtuel, la fille de ce dernier au téléphone. Le conseiller posait la question à la
personne en ligne, qui traduisait au demandeur d'emploi présent qui, à son tour, répondait en
arabe et repassait le combiné au conseiller à qui on traduisait le propos. Une situation « pas
gérable ».
A propos des « stages alpha », il semble que les femmes soient plus demandeurs que les
hommes, et que les formations mixtes et non rémunérées soient mises à l'index. Les femmes
souhaitent apprendre à lire et à écrire « pour pouvoir lire les prix et les ingrédients dans les
supermarchés » par exemple. Aussi avec elles, « ça a toujours bien marché ».
Quant à la mixité, certaines personnes, des hommes et quelquefois des femmes, ne
souhaitent pas apprendre dans un groupe comprenant des individus de sexe opposé. S'agit-il
de pudeur, de manque de confiance en soi, de malaise ? Quelle est la part de la composante
culturelle, sachant que traditionnellement, l'ordre social au Maghreb cloisonnait l'espace et
les activités des hommes et des femmes ? Dans le contexte actuel, les relations hommesfemmes se sont semble-t-il espacées, et le cloisonnement47 renforcé ces dernières années.
Si, parmi les réticents48, chacun accepte de partager une salle de cours alpha, c'est qu'il n'a
pas d'autre choix (formation rémunérée par exemple). L'enquête révèle que les structures
associatives qui dispensent des cours d'alphabétisation « s'organisent » : le matin pour les
hommes, l'après-midi pour les femmes. Différentes écoles se sont formées parmi les
professionnels de l'insertion, qui tiennent compte ou non de cette spécificité culturelle.
L'organisation du travail agricole s'est « naturellement » sexuée : les femmes s'attellent aux
tâches qui requièrent de la minutie (ramassage délicat, emballage), et les hommes, de la
force (manutention des palettes, tracteur). Les chefs d'équipe de vergers sont le plus souvent
masculins, et les chefs de station féminines. Cela coïncide ainsi avec la traditionnelle frontière
invisible qui, selon Pierre Bourdieu, fonde l'ordre social en Afrique du nord.
47 Un professionnel de l'insertion a observé que, si dans une salle d'attente, il n'y a que des hommes, les femmes
en arrivant patienteront dans le couloir, et vice-versa.
48 Parmi les femmes, il s'agit semble-t-il de celles qui sont arrivées plus récemment, qui n'ont jamais travaillé et
dont l'environnement familial est peut-être moins « libéral » que celles qui ont pu travailler.
page 26/38
14. Rapport au travail : dissocier capacité et volonté
On distingue trois principaux cas de figure de grandes difficultés ou d'incapacité à trouver un
emploi : analphabétisme, manque de mobilité et maladie ou invalidité.
L'analphabétisme, nous l'avons vu, restreint aux postes non qualifiés qui ne permettent pas
de travailler suffisamment dans l'année, et bloque l'accès aux formations qualifiantes
multipliant les chances de décrocher un emploi de plusieurs mois. Quant à la maladie,
l'enquête révèle que la plupart des maladies professionnelles (séquelles au niveau des
poumons d'un empoisonnement aux produits chimiques, douleurs irréversibles du dos) n'ont
le plus souvent pas fait l'objet d'une reconnaissance de travailleur handicapé par la COTOREP
ni ouvert de droits à l'AAH49. Passée la cinquantaine, un certaine nombre d'hommes ne se
sentent plus capables de travailler et, atteints du « syndrome de réparation », déplorent
d'avoir un corps – leur outil de travail – aujourd'hui « foutu ». Un grand nombre cumule des
problèmes de santé, de qualification, faute d'être lettrés, et de mobilité.
Sans permis de conduire, ou avec un permis marocain non valide sur le territoire français 50,
ni voiture, beaucoup sont « coincés » pour se rendre sur les exploitations situées en-dehors
des villes. Ce « frein à l'embauche » handicape environ 3000 personnes dans le bassin. Or,
« sans véhicule, pas de travail » déplore l'une des personnes interrogées qui avait trouvé un
emploi saisonnier, mais qui n'a pu se présenter ni postuler faute de permis et de véhicule.
« Le premier [moyen pour trouver du travail], c'est le permis. »
Différentes solutions ont été mises en place de la part des employeurs, des professionnels de
l'insertion et des usagers. Autrefois « le patron faisait le ramassage », aujourd'hui on relève
seulement quelques rares cas d'employeurs-transporteurs, faute de temps ou d'équipement.
Pour pallier le problème du déplacement ou de l'absentéisme, les employeurs privilégient les
contrats hébergés : OMI et saisonniers itinérants. Quelques familles sont encore logées dans
les mas, il s'agit surtout de Portugais.
Une initiative institutionnelle, prise par l'AFEMA51 et le Conseil général du Gard, est en place
depuis quelques années et cherche à s'étendre. Cinq exploitations-pilote proposent du covoiturage. La somme de 30 euros est versée chaque mois au conducteur qui emmène deux
autres ouvriers, d'un point de rendez-vous unique au lieu de travail. Si, dans l'ensemble, le
49 Allocation Adulte Handicapé
50 Le permis marocain peut être valide sur le territoire si le titulaire en fait la démarche la première année, une
procédure que les usagers ignorent le plus souvent.
51 Association pour la Formation et l'Emploi en Agriculture
page 27/38
projet « fonctionne bien », il rencontre quelques obstacles. L'inconvénient, pour l'employeur,
est l'absence du conducteur qui reporte à trois le nombre d'absents ce jour-là. Par ailleurs,
certains conducteurs n'ont pas souhaité prolonger l'expérience, las d'avoir à nettoyer « tous
les soirs » la boue des vergers dans leur voiture. D'autres auraient instauré un bakchich
supplémentaire, et perdu leurs passagers indignés en route.
Le co-voiturage informel entre les ouvriers qui travaillent sur la même exploitation existe
depuis longtemps. S'il est des conducteurs raisonnables, réclamant légitimement une partie
des frais de carburant, d'autres profitent de la dépendance de celles et ceux qui ne sont pas
mobiles pour « grignoter leurs sous ».
La solution des usagers au problème de la mobilité reste celle de passer leur permis de
conduire. Le plus souvent, celles et ceux qui n'en sont pas titulaires, n'ont pu le devenir faute
d'être lettrés. Première étape, l'alphabétisation. La « mémoire visuelle incroyable » des
personnes analphabètes ne suffit pas pour passer le code qui, de plus en plus complexe,
requiert de savoir lire et surtout, de comprendre suffisamment le français.
Si certaines personnes ne peuvent pas travailler, d'autres ne le veulent pas. Nous poserons la
question de savoir pourquoi. Ici aussi, il apparaît différents cas de figure. Rappelons d'abord
qu'une majorité des demandeurs d'emploi le sont sincèrement : les uns pour vivre plus
dignement qu'en percevant le RMI, d'autres pour cotiser afin d'obtenir suffisamment de
points pour percevoir une retraite. En revanche, certaines personnes se présentent pour un
emploi, quelquefois en précisant explicitement à l'employeur qu'ils ne souhaitent pas être
recrutés, soit sur injonction de l'ANPE avant radiation, soit « en novembre quand la saison est
terminée ». Il arrive aussi, nous dit-on, qu'un ouvrier abandonne son poste pour partir en
vacances.
« Avant, été comme hiver, dix à quinze personnes venaient se présenter pour du travail,
aujourd'hui, plus personne », rapporte un employeur. A l'heure actuelle, il est une partie de la
population active, le plus souvent bénéficiaires du RMI, qui ne veut ni ne peut travailler, du
fait d'être « trop éloignés de l'emploi » et trop profondément plongés dans la précarité.
page 28/38
15. Le chômage52
« Dans les années 70, les années 80, la France elle était jolie », sans ou avec si peu de
chômage. « Avant, on marchait au bord de la route, les patrons s'arrêtaient, ils nous
demandaient si on voulait du travail, aujourd'hui il faut les connaissances. » Il n'y avait « pas
beaucoup de chômage avec Giscard, à partir de 1990, avec Mitterrand » en revanche, le taux
a considérablement augmenté. Les anciens ont une certaine nostalgie de cette époque. Les
professionnels de l'insertion aussi regrettent cette croissance passée, « les listings fondraient
s'il y avait du travail comme avant ».
Le problème du chômage n'est pas le seul à se poser, l'ouverture des droits est aussi de plus
en plus courte. La durée d'indemnisation ainsi raccourcie pousse les allocataires dans la
précarité avec l'ASS53 d'abord mais pas toujours, ou directement le RMI. Depuis janvier 2006,
dès la deuxième saison, le « chômage saisonnier » n'ouvre plus que 50% des droits
ASSEDIC, et plus aucun après la troisième saison (consécutive ou pas). Cette réforme
d'allocations chômage saisonnier dégressives est mal connue des employeurs et des
employés, exceptés ceux qui se retrouvent, sans préavis, bénéficiaires du RMI après
plusieurs mois de travail.
Parmi les anciens, beaucoup se sont retrouvés, avant l'âge de la retraite, au chômage, après
20 ou 30 ans de travail chez le même patron, décédé ou qui a fini par vendre son
exploitation. Ils ont alors perdu leur travail, autant dire qu'ils ont tout perdu compte tenu de
leur investissement. Autrefois « quand ça ne marchait plus avec un patron, on en trouvait un
autre », aujourd'hui « ils n'y croient plus » et abandonnent la recherche d'un emploi. Ils ont,
d'une part, « peur de recommencer ». D'autre part, leur reconversion est impossible : ils sont
envahis du sentiment qu'ils ne savent rien faire d'autres et cumulent, pour la plupart, les
handicaps de la langue, de l'analphabétisme et de la mobilité. Accumulation d'échecs, « fin
des possibles », condamnés aux aides sociales, beaucoup sombrent dans une dépression.
52 Le taux de chômage des migrants marocains et algériens est de 44% (57% des femmes marocaines). Source :
Atlas des populations immigrées-Languedoc-Roussillon, INSEE, octobre 2004
53 Allocation Spécifique de Solidarité
page 29/38
16. Travail non déclaré, « objectif retraite » et RMI
Parmi les ouvriers sans emploi, certains acceptent de travailler au noir pour éviter de survivre
avec le simple RMI ou de sombrer dans la dépression. Des mains de labeur ou des rendezvous systématiquement reportés trahissent quelquefois une activité professionnelle non
déclarée. D'autres refusent catégoriquement cette perspective : le travail au noir est
« haram54 » et surtout, il ne permet pas de cotiser pour la précieuse retraite. Les Marocains
qui ont aujourd'hui 50 ou 60 ans ne pensaient pas un instant être en France, ou encore
vivants, à la retraite. Aussi, beaucoup ont travaillé au noir, « de la main à la main ». Cet
arrangement convenait à l'employeur qui, ainsi, payait moins de charges, et à l'employé qui,
ainsi, gagnait davantage en travaillant de manière non déclarée. Quant à « la retraite, ils s'en
foutaient ». Des patrons, « des gros employeurs qui ont du pouvoir parce qu'ils font
l'économie du bassin », n'ont parfois déclaré que la moitié des heures. Arrivés à la retraite,
ces ouvriers qui ont souvent énormément travaillé, n'ont pas droit à une retraite à taux plein.
Aujourd'hui ces hommes sont sensibles à la question de la retraite. Ils regrettent de ne pas
avoir suffisamment cotisé de trimestres. Or, plus ils se rapprochent de la retraite qui sera
maigre, suite à des années d'alternance de périodes d'emploi plus ou moins déclaré et de non
emploi, plus ils cherchent à travailler pour cotiser au moins un peu. Par ailleurs, cette
génération compte sur une autre forme de retraite, plus traditionnelle, autrement dit
l'assurance que les enfants mis au monde aideront financièrement leurs vieux parents
lorsqu'ils ne pourront plus pourvoir à leurs besoins. Mais « la génération des enfants a
changé », une génération qui peine déjà à subvenir à ses propres besoins.
Exsangues, certains ouvriers « prennent ce qu'ils trouvent ». Ils n'ont d'autre choix que
d'accepter quelques heures déclarées, notamment pendant l'été avec la multiplication des
contrôles de la Direction du Travail, contre beaucoup plus d'heures au noir. Ces maigres
revenus complètent le Revenu Minimum d'Insertion qui, notamment pour les hommes
« isolés », nourrit souvent davantage de personnes qu'il est calculé pour le faire.
Nombreux sont celles et ceux qui perçoivent le RMI tout en travaillant de manière déclarée
chaque année. Les contrats sont souvent courts ou fractionnés nous l'avons vu. Or un
nombre d'heures de travail insuffisant pendant la saison ne permet pas d'ouvrir des droits
ASSEDIC ou s'ils sont trop modestes, ils sont alors complétés par le RMI. Dans l'autre cas de
54 ce qui est illicite pour un musulman
page 30/38
figure, le faible écart entre un RMI et les aides sociales (CMU 55, allocations familiales56 et
logement) et un SMIC sans aides sociales57 produit un « effet de seuil », qui précarise autant
ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Il est des cas où il est « plus intéressant »
de rester bénéficiaire du RMI. Reste à parvenir à gérer les dommages qu'il peut engendrer au
niveau de l'image de soi, du pouvoir d'achat et de la stigmatisation. Le RMI conduit le plus
souvent à des situations de précarité, d'isolement ou de dépression.
17. Les actions en place
L'association CESAM Migrations Santé propose des groupes de paroles 58, « Au fil des mots »,
animés par un psychologue, Mohamed Belhadj. Par le dialogue (individuellement ou en
groupe), il s'agit de diminuer le mal-être des hommes, de dédramatiser leur situation et de
soulager leurs souffrances quelquefois somatiques. L'objet du jour est déterminé en début de
séance (bi-mensuelle), par les participants eux-mêmes. Il est question de corps « usés »,
d'accès aux droits, ou encore de relations père-enfants. On déplore le nombre de places
limité et réservé aux bénéficiaires du RMI, et la convention de courte durée.
Les initiatives à encourager sont celles du co-voiturage, conçue par l'AFEMA et financée par le
Conseil général, et de l'accompagnement à l'emploi (CV, candidatures et conseil formation)
proposé par Alami Lorhmari, dans les murs de l'ASAVPA59.
En matière d'emploi, une agence intérim à caractère social comme Présence 3060, à Beaucaire
et à St Gilles, et agissant dans tout le département, est la seule semble-t-il à mettre tout en
oeuvre pour proposer des contrats en règle de travail temporaire aux ouvriers. Les récentes
équipes « agriculture » des agences ANPE Nîmes-Costières et Beaucaire s'engagent à
proposer un même référent, ainsi qu'un suivi mensuel pour chaque demandeur d'emploi, et
un même interlocuteur avec les employeurs, pour plus de cohérence et de « réactivité ».
L'ANPE soumet aussi « des plate-formes vocationnelles », autrement dit des ateliers
permettant de repérer les savoir-faire et les potentiels (à partir de supports, de situations, de
dessins), afin de recruter par habileté plus efficacement.
55 Couverture Maladie Universelle
56 Les allocations familiales ne sont plus perçues avec les enfants devenus adultes.
57 Prenons l'exemple des complémentaires santé coûteuses, auxquelles ne s'affilient pas toujours les ménages à
faible revenu.
58 L'association Confluences à Tarascon propose le même type d'actions.
59 Association de Salariés de l'Agriculture pour la Vulgarisation du Progrès Agricole
60 En grande difficulté économique à la fin de l'enquête
page 31/38
En matière de qualification et en partant du constat que le manque de connaissances de base
est le premier frein vers la formation, le FAFSEA61 a mis en place un dispositif pour renforcer
celles-ci, avec pour support un logiciel multimédia nommé SACES 62. Cet outil est un logiciel
d'acquisition ou de renforcement des connaissances de base qui, au travers de situations
concrètes, donne lieu à des questionnements, une compréhension de la situation et une
acquisition des moyens de répondre (expression, choix des réponses). Cet outil se présente
sous la forme de situations tirées du travail agricole, des repères « sécurisants » de contenus
et de contenants. Si les exploitants émettaient des « résistances » au lancement du
programme SACES il y a trois ans, pour cause de « formation sans interface de production »,
aujourd'hui la plupart comprend et admet son utilité, et nombreux sont ceux qui sollicitent
cet outil. Dans le Gard, cinquante personnes ont bénéficié de la formation SACES en 2005, et
trente-cinq en 2006. Le statut requis des candidats est accessible : il s'agit d'un CIF CDD
suite à quatre mois de travail dans l'agriculture et douze mois de travail dans les quatre
dernières années, tous statuts et secteurs d'activité.
Une action de valorisation existante et pertinente est celle faite auprès de jeunes collégiens
du département, sur la variété des métiers de l'agriculture, et notamment sur les différentes
qualifications. L'ASAVPA espère ainsi « rehausser » l'image du secteur professionnel dans
l'esprit de ces jeunes auprès de qui « le discours [qui consiste à valoriser ce secteur, plus
qualifiant qu'ils ne le croient] ne passe pas ».
Signalons deux initiatives, l'une irréalisable et l'autre supprimée.
Des professionnels de l'insertion, sensibles aux problèmes actuels et à venir des hommes
« isolés » vieillissants et malades, songent au projet d'un foyer qui serait adapté en matière
d'alimentation, de soins et d'accompagnement de fin de vie. Cette « utopie » comme ils
disent ne devrait pas en être une.
L'Etat n'a malheureusement pas renouvelé les contrats emploi-jeunes interprètes bilingues
français-arabe qui permettaient de faciliter la communication entre les patients arabophones
et le personnel soignant de certains services gérontologie dans les hôpitaux.
61 Fonds national d'Assurance Formation des Salariés des Exploitations et entreprises Agricoles
62 Savoir apprendre, calculer, communiquer en situation, lien internet :
http://www.fafsea.com/outils_tele/outilsformu_multi_saces.htm
page 32/38
PERSONNES RESSOURCES, que je remercie pour leur contribution
- Dr Abrial, PMI, Beaucaire
- Ali, 36 ans, St Gilles
- M. Aymard, exploitant, Luméjan, St Gilles
- Mohamed Belhadj, psychologue, CESAM Migrations Santé, Montpellier
- M. Borg, Présence 30, Beaucaire / St Gilles
- Maryse Boudouric, Direction Départementale du Travail (Gard), service main-d'oeuvre
étrangère, Nîmes
- Olivier Brunet, comptable, Necta-pêche, Beaucaire
- Valérie Chabalier, formatrice alpha, APP (Ateliers Pédagogiques Personnalisés), Beaucaire
- Aline Chaze, secrétaire polyvalente, Le jeu de Mail, St Gilles
- Driss J., 65 ans, Nîmes
- Driss D., 54 ans, Beaucaire
- Laurent Ducurtil, exploitant, Domaine des Biches, Beaucaire
- Pascale Duval et Claude Galhac, inspecteurs du travail agricole, Direction Départementale
de l'Agriculture et de la Forêt, Nîmes
- Ahmed Eliasidi, ASAVPA 30 (Association de Salariés de l'Agriculture pour la Vulgarisation
du Progrès Agricole), Nîmes
- Elise Estella, ALI (Association Locale pour l'Insertion), Nîmes
- Farid, 26 ans, St Gilles
- Fatima S., 51 ans, St Gilles
- Fatima L., 46 ans, Nîmes
- Fatima E., 34 ans, St Gilles
- Anny Figuier, Maison de l'Emploi, St Gilles
- Mme de Girardy, directrice, Mission Locale d'Insertion, Beaucaire
- Frédérique Gervot, ANPE, Beaucaire
- Hadda, 41 ans, St Gilles
- Sonia Haddou, secrétaire, Luméjan, St Gilles
page 33/38
- Jemaa, 57 ans, St Gilles
- Cathy Kretz, chargée de mission « Qualification des saisonniers », FAFSEA (Fonds national
d'Assurance Formation des Salariés des Exploitations et entreprises Agricoles), Montpellier
- Mme Lavoisier, ARGOS (centre de bilan de compétences), Beaucaire
- Alami Lorhmari, ASAVPA (Association de Salariés de l'Agriculture pour la Vulgarisation du
Progrès Agricole), Nîmes
- Mireille Macieira, assistance sociale, MSA (Mutualité Sociale Agricole), Nîmes
- Chantal Milesi, assistante sociale, MSA (Mutualité Sociale Agricole), Beaucaire
- Mimouna, 48 ans, Nîmes
- Mohamed A., 55 ans, Beaucaire
- Mohamed M., 53 ans, Beaucaire
- Monsour, 65 ans, St Gilles
- Colette Perais, ANPE Costières, Nîmes
- Roger Pernet, DRH Estagel, St Gilles
- Sylvie Portebled, service du personnel, Vergers Riou, St Gilles
- M. Ripolles, chef de cultures, Château de Nages, Caissargues
- Isabelle Tailhades, chargée de mission, AFEMA 30 (Association pour la Formation et
l'Emploi en Agriculture), Nîmes
- Mme Tisseur, accueil, Mission Locale d'Insertion, Beaucaire
page 34/38
TABLEAU SYNOPIQUE
ALI
DRISS J.
DRISS D.
né(e) à /
nationalité
nord Maroc (Berbère) /
marocaine
Meknès / marocaine
région rurale de Fès /
marocaine
âge
(en 2006)
36 ans
65 ans
54 ans
année
migration
1992 (seul)
1972 (seul)
1973
objectif
émigration
économique
économique
économique
objectif
immigration
« rester en France avec les
enfants à l'école »
retraite, toute sa famille à
Nîmes et environs
économique, « je suis venu
là que pour travailler »
emploi
au pays
ouvrier agricole « pour un
patron »
ouvrier agricole polyvalent
depuis l'âge de 14 ans,
exploitation coloniale
travaillait sur les terres de
ses parents
emploi
en France
il ne travaille pas chaque
ouvrier permanent pendant
année, non formé à la taille 32 ans chez le même
qui limite le temps de
employeur, puis retraite
travail
saisonnier d'abord dans le
Lot-et-Garonne, puis dans
le Gard en 1989 chez le
même employeur (oliviers
et vigne), mais 4 mois
seulement ne lui
permettant pas de toucher
d'allocations chômage
motorisé
permis français + vieille
voiture qui ne lui permet
pas de longs trajets
permis marocain et
permis français
permis + voiture
résidence
en France
St Gilles
logement chez l'employeur depuis 1989, Beaucaire
puis logement à proximité (HLM)
du lieu de travail avec son
épouse et les premiers nés,
puis Nîmes (Valdegour)
situation
familiale
marié depuis 1997, père de regroupement familial en
3 enfants
1978, 8 enfants
regroupement familial en
1976, 4 enfants
conjoint
femme au foyer (née au
Maroc, arrivée en France à
l'âge de 16 ans)
épouse rejoignante, au
foyer
épouse ouvrière agricole
puis souffrante du dos (pas
droit à l'AAH), aujourd'hui
sans emploi
revenus
RMI
retraite
RMI
scolarisé
non
non, non francophone
jusqu'en 6ème, parle et lit
le français qu'il a appris
avec son patron
stage alphabétisation
en cours (200h)
non
non
formation
professionnelle
il souhaiterait se former à
la taille et au métier de
tractoriste
polyvalence acquise avec
les années et par
l'intermédiaire des patrons
il y a une dizaine d'années,
il s'est vu refuser une
formation de conducteur
poids-lourds à cause de
son âge (Nîmes)
page 35/38
FARID
FATIMA S.
FATIMA L.
né(e) à /
nationalité
Kenitra / marocaine
Meknès (Berbère) /
marocaine
Meknès / marocaine
âge (en 2006)
26 ans
51 ans
46 ans
année
migration
2003
1977
1983
objectif
émigration
économique
regroupement familial
regroupement familial
objectif
immigration
économique
rester pour ses enfants
emploi au pays
travaillait sur les terres de travaillait « un peu » sur
son père
les terres de son père
(légumes)
couture traditionnelle puis
mariage en 1983
emploi
en France
il travaille chaque année
de février à septembre
cueillette et emballage les
saisons où elle n'a pas
d'enfant en bas âge
inscrite depuis peu à
l'ANPE, F. cherche un
emploi d'aide-ménagère
ou garde de personne
âgée, mais « sans permis,
sans diplôme, sans
expérience et 40
passés... », un emploi de
quelques heures par jour
pour être à la maison
quand ses enfants rentrent
de l'école
motorisé
permis + voiture
elle non, son mari permis
+ voiture, se rend à son
travail en co-voiturage
« avec une copine »
code obtenu, permis en
cours
résidence
en France
St Gilles (Sabatot)
pendant 3 ans, « au
mas », chez l'employeur
puis 1980, St Gilles
(Sabatot)
de 1983 jusqu'en 1990, la
famille résidait sur le lieu
de travail, un club
hippique, depuis 1990,
Nîmes (Valdegour)
situation
familiale
1 enfant
mariée (1975), elle a rejoint
son mari en France, 4 enfants
veuve depuis 2004, 4 enfants
conjoint
il s'est marié avec une jeune
femme née au Maroc arrivée
en France en bas âge, de St
Gilles / au foyer
son mari alterne emploi
ouvrier polyvalent permanent
saisonnier (qu'il trouve chaque (club hippique), en 1990 « la
année) et chômage
patronne vend le club », il
trouve un emploi d'ouvrier
agricole saisonnier
revenus
allocation chômage hors
saison (CDD)
chômage + complément RMI
allocation de veuvage et
soutien familial pour chaque
enfant
scolarisé
« de 7 à 17 ans »
non
jusqu'en 6ème
3 demi-journées par semaine
depuis 2 ans
non
en cours (200h)
stage
alphabétisation
formation
professionnelle
formé par son patron à la
apprendre la taille des
taille arboricole / actuellement arbres ? « Je sais pas, c'est
il cherche une formation pour pas facile ! »
trouver un emploi dans le BTP
(maçonnerie), pour travailler
toute l'année
non
page 36/38
FATIMA E.
HADDA
JEMAA
né(e) à /
nationalité
prox. Casablanca /
marocaine
prox. Tanger / marocaine* village frontière MarocAlgérie / marocaine
âge (en 2006)
34 ans
41 ans
57 ans
année
migration
2001
1998
1981
objectif
émigration
regroupement familial
regroupement familial
venue avec son frère
objectif
immigration
pour sa fille, ses études et pour sa fille née en France
du travail
qu'elle ne va pas laisser ici
/ * procédure en cours
pour obtenir la nationalité
française
emploi au pays
emploi
en France
emploi agricole en saison
et des ménages si elle en
trouve le reste de l'année
travaille quelques mois
pendant la saison
(cueillette), depuis 4 ans
pour le même patron
« algérien »
elle a travaillé jusqu'en
2005, n'a pas pu faire la
dernière saison faute de
moyen de locomotion,
système de co-voiturage
« complet »
motorisé
échec au premier essai du
code, F. envisage de le
repasser / quand son mari
ne peut pas l'emmener
(problèmes de santé), covoiturage avec une autre
employée ou bien son
patron vient la chercher
permis marocain, s'est
non, et c'est un problème
présentée 2 fois au code,
pour J. qui, à cause de
« malgré le DVD », échec / cela, ne trouve pas de
son patron vient la
travail
chercher
résidence
en France
St Gilles (Sabatot)
St Gilles (Sabatot)
St Gilles (Sabatot)
situation
familiale
mariée, 2 enfants
divorcée, 1 enfant
divorcée, sans enfant
conjoint
son mari en France, St
Gilles, depuis 1986 (âgé
de 13 ans)
revenus
RMI
RMI
RMI
scolarisé
oui
« quand j'étais petite »
non, « mon père disait
que l'école, c'était pas
pour les femmes »
stage
en cours (200h)
alphabétisation
premier stage alpha à
en cours (200h)
Nîmes, puis stage en cours
(200h)
formation
professionnelle
non
à propos de la taille, elle
ne connaît pas
page 37/38
MOHAMED A.
MOHAMED M.
MIMOUNA
MONSOUR
né(e) à /
nationalité
région de Fès /
marocaine
village / française
Oujda / marocaine
Kenitra / marocaine
âge
(en 2006)
55 ans
53 ans
48 ans
65 ans
année
migration
1975
1973
1976
1974
objectif
émigration
économique
économique
regroupement
économique
familial en tant
qu'enfant (18 ans),
père ouvrier agricole
un appartement au
Maroc pour les
vacances, la France
pour y vivre et
rester auprès des
enfants
sa vie est ici, avec
ses enfants
« français »
il veut rester ici,
souhaite travailler ici
et ses enfants ne
veulent pas vivre au
Maroc
a travaillé quelques
années (aideménagère) avant de
se marier
de 1974 à 1992,
emploi chez le
même employeur
« pied-noir »,
décédé en 92,
quelques mois de
travail irrégulier
depuis
objectif
immigration
emploi
en France
il a travaillé pendant
des années pour le
même patron, parti
à la retraite, M. est
sans emploi depuis /
il cherche dans les
secteurs
de l'agriculture et du
bâtiment
de 1973 à 2000, il a
travaillé pour le
même patron, qui a
vendu ses terres,
depuis sans emploi
motorisé
permis et voiture
permis, mais pas les non, son mari oui
moyens d'acheter
une voiture
permis marocain +
voiture, ce qui lui
vaut d'énormes
amendes / 4 échecs
au code
résidence
en France
Bouche-du-Rhône,
depuis 2000
Beaucaire (centre)
Beaucaire (centre,
propriétaire)
depuis 10 ans,
Nîmes (Valdegour)
de 1974 à 1992,
logé dans un mas,
chez l'employeur,
puis St Gilles
(centre) / demande
pour un logement
HLM à Sabatot
depuis 5 ans,
appartement actuel
insalubre : trop
humide, femme et
filles malades
chroniques
situation
familiale
marié, 5 enfants
marié, 6 enfants
mariée, 4 enfants
marié, 4 enfants (2
en France, 2 au
Maroc, 2 fils
salariés, 1 dans le
BTP au Maroc,
l'autre ouvrier
agricole en Espagne)
conjoint
épouse rejoignante
en 2001, avec 4
enfants, le dernier
est né en France /
épouse rejoignante
en 1997 (mariés en
1980), au foyer
en France depuis
1991 (Agadir,
Maroc), ouvrier
agricole à l'année
épouse rejoignante
en 2003, travaille la
saison quand elle
trouve, mais trop
page 38/38
MOHAMED A.
MOHAMED M.
au foyer, non
francophone
MIMOUNA
MONSOUR
(CDD), depuis 14
ans chez le même
patron
peu d'heures pour
indemnités ASSEDIC
revenus
RMI et allocations
familiales
chômage +
complément RMI
SMIC, « 35h, c'est
pas assez... »
chômage
scolarisé
non
non
non
non
stage
alphabétisation
non
pendant 1 an, une
demi-journée par
semaine
non
en cours (200h)
formation
professionnelle
formé par un patron polyvalence acquise
(polyvalent)
avec les années
non
polyvalence acquise
par l'intermédiaire
de son patron