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4 > JUSTICE Le Quotidien de la Réunion - vendredi 26/08/11 SANTE LE COLLECTIF MEDIATOR DEMANDE 53 EXPERTISES JUDICIAIRES Servier cadenasse sa défense Le laboratoire Servier a dépêché hier un brillant avocat parisien pour s’opposer à la plupart des demandes d’expertises formulées par 53 premiers plaignants s’estimant victimes du Mediator. Cette défense acharnée dès la première étape des procédures souligne la volonté du fabricant du Mediator à limiter au maximum les poursuites. Le Collectif Mediator Réunion, constitué en début d’année, ne s’attendait certes pas à avancer sur une voie royale pour obtenir réparation. Son avocat, Me Alain Antoine, a eu confirmation hier devant le juge des référés du tribunal civil de Saint-Denis, que l’adversaire, en l’occurrence le laboratoire Servier, défendra âprement ses intérêts. En effet, 53 plaignants, parmi la centaine de ceux qui ont déposé plainte en mars dernier devant le pôle sanitaire du tribunal de grande instance de Paris, formulaient une demande d’expertise judiciaire. Ce premier acte de procédure doit leur permettre d’établir s’il existe un lien de causalité entre leur consommation de Mediator et les pathologies dont ils souffrent aujourd’hui. L’expert désigné pourra également à cette occasion évaluer leur préjudice. Or, dès cette première étape, le laboratoire Servier a sorti l’artillerie lourde en dépêchant sur place un brillant avocat parisien du prestigieux cabinet international Simmons & Simmons. Me Étienne Kowalski a fait le déplacement, tirant derrière lui une imposante valise à roulettes dans laquelle s’entassaient les dossiers étoffés de chacun des plaignants. Ce qui n’a pas manqué d’étonner l’avocat du collectif qui se demandait comment son confrère avait pu se procurer autant de renseignements médicaux et confidentiels (lire encadré). Toujours est-il que Me Kowals- ki avait pour mission de s’opposer, cas après cas, aux différentes demandes d’expertise. Après plus de deux heures d’audience, il demandera au juge civil d’écarter 30 des 53 demandes déposées sur son bureau. Motifs invoqués : certaines demandes n’étaient pas assorties d’une preuve formelle de prise de Mediator. Le laboratoire Servier ne considère par exemple pas comme une preuve le courrier envoyé par l’Afsaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) aux patients fichés comme ayant consommé ce « médicament » entre 2007 et 2009. Pour Servier, il faut être capable de présenter l’ordonnance rédigée par le médecin et ornée du cachet de la pharmacie. La force commerciale de Servier Le Mediator a été prescrit en abondance à La Réunion où de 200 à 300 personnes envisagent de poursuivre le laboratoire Servier en justice. hier. D’autres demandes d’expertises suivront. En plus de celles déposées par les membres du collectif, une trentaine d’autres dossiers, portés par l’avocate Léopoldine Settama sont prêts, 80 autres sont en cours de constitution. De 200 à 300 Réunionnais concernés Selon les informations recueillies auprès des deux avocats pour l’instant engagés dans ces procédures, de 200 à 300 Réunionnais, s’estimant victimes du Mediator, les ont contactés et sont donc susceptibles d’attaquer le laboratoire Servier. Leur nombre élevé s’explique en partie par le fait que La Réunion bat hélas des records de diabète et d’obésité. L’attitude de Servier leur mon- GROS PLAN Autre motif de rejet : la pathologie constatée devrait être, selon Servier, l’une des deux pathologies décrites par l’Afsaps comme étant provoquée par une prise de Mediator, à savoir une valvulopathie ou une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Étienne Kowalski s’est donc opposé à toute demande sur laquelle ces termes n’apparaissaient pas clairement. Exit donc tous les certificats ne mentionnant qu’une « pathologie cardiaque » ou qu’une hypertension sans précision de son caractère pulmonaire. Me Antoine a objecté pour sa part que ce sera à l’expert désigné et non au laboratoire Servier d’établir si oui ou non le Mediator a causé les maladies de ses clients. Il a estimé que le champ de l’expertise ne doit pas se limiter aux pathologies décrites par l’Afsaps car elle est elle-même attaquée dans ce dossier pour avoir été longtemps complaisante avec le Mediator. Il a une nouvelle fois dénoncé les collusions entre le monde médical et le laboratoire Servier « dont le logo a longtemps figuré sur le papier à en-tête de l’Académie de médecine ». « La force commerciale de Servier était décuplée à La Réunion par des délégués médicaux bien affûtés qui ont convaincu les médecins locaux de prescrire ce poison », a-t-il lancé. Le juge qui rendra sa décision le 29 septembre prochain, n’est évidemment pas obligé de suivre les « oppositions » de Servier. Il devrait de toute façon désigner des experts judiciaires au moins sur les 23 demandes que le fabricant du Mediator n’a pas contestées. Parallèlement à la plainte au pénal déposé à Paris, les procédures civiles à La Réunion ont donc bien débuté Servier sort l’artillerie lourde. Me Étienne Kowalski, du prestigieux cabinet Simmons & Simmons, est arrivé avec une valise remplie des dossiers médicaux des plaignants. (Photos Emmanuel Grondin) Me Alain Antoine relève « le paradoxe entre la communication du laboratoire Servier qui dit comprendre les victimes et sa volonté de faire échec aux demandes d’expertise dès le début de la procédure ». Les médecins dans le collimateur Si la procédure judiciaire en vue d’obtenir l’indemnisation des plaignants s’estimant victimes du Mediator a jusqu’à présent épargné les médecins prescripteurs, les rapports entre le collectif et le corps médical sont en train de se tendre sensiblement. L’avocat des laboratoires Servier a en effet mis son confrère en difficulté sur plusieurs dossiers pour lesquels il semblait disposer de davantage d’informations médicales que lui. Ce qui fait dire à Me Alain Antoine que son adversaire aurait eu accès à des dossiers médicaux que les principaux intéressés n’ont pas pu obtenir. « C’est gravissime et scandaleux et je compte saisir le conseil de l’ordre des médecins pour avoir des éclaircissements », menace l’avocat du collectif. « Nous n’avons obtenu quasiment aucun dossier médical alors que les médecins sont censés les trans- mettre aux patients dans un délai de 2 à 8 jours », remarquet-il. Selon lui, les médecins traitants sont réticents à communiquer les dossiers et tentent souvent de dissuader leurs patients de persévérer dans leur action en justice. Or, même si elles ont déposé plainte, nombre de personnes sont encore dans le doute quant à leur statut de victime du Mediator et peuvent volontiers admettre que leur maladie a été causée par de multiples autres facteurs. L’avis de leur docteur fait autorité et ces gens modestes n’osent pas le contredire, ni même lui faire une demande écrite par courrier avec accusé de réception. Interrogé à ce sujet, Yvan Tcheng, président du conseil départemental de l’ordre des médecins affirme ne pas avoir été saisi de plaintes pour rétention de dossiers médicaux dans le cadre du Mediator. « Un avocat ne peut pas demander le dossier d’un patient qui est couvert par le secret médical, précise-t-il. Mais la loi Kouchner de 2002 permet à chaque patient d’avoir accès aux éléments de son dossier médical. » Cette précision exclut théoriquement l’hypothèse selon laquelle les laboratoires Servier auraient eu accès aux dossiers médicaux des plaignants… La preuve du contraire relèverait du scandale. Par ailleurs, Me Alain Antoine prévient que dans le cadre de la procédure pénale, engagée au pôle de Santé publique à Paris, il mettra en cause les médecins qui ont prescrit le Mediator « hors AMM (Autorisation de mise sur le marché) ». Il vise notamment les praticiens qui ont prescrit le Mediator comme simple « coupe-faim », le détournant ainsi de son rôle antidiabétique. tre en tout cas qu’ils ont intérêt à bétonner leur dossier avant de demander une expertise. « Il y a un paradoxe entre la communication de Servier au niveau national qui dit comprendre les victimes et être prêt à les indemniser, et sa ligne de défense pour faire échec à nos demandes d’expertise dès le début afin d’échapper à ses responsabilités », relève Alain Antoine. L’avocat du collectif s’est également élevé contre la demande de Servier de confier les expertises à des experts extérieurs à La Réunion. Philippe Barre, l’avocat de la CGSS, et Benjamin Gopal-Panon, responsable juridique du RSI, ont appuyé toutes les demandes d’expertises car les organismes qu’ils représentent sont susceptibles d’avoir subi un préjudice important en ayant remboursé les traitements des pathologies que le Mediator aurait provoquées. Franck CELLIER REPÈRE. Le Mediator a été mis sur le marché au milieu des années 1970. Il était prescrit aux diabétiques en surpoids, mais a été abondamment détourné de sa mission première pour servir de coupe-faim. Dès la fin des années 1990, des études ont souligné les dangers de ce « médicament » mais ce n’est qu’en novembre 2009 qu’il est retiré du marché en France (il avait été retiré des marchés espagnols et italiens dès 2003). Selon les autorités sanitaires, le Mediator aurait fait, en France, de 1 000 à 2 000 morts, du fait de ses effets néfastes sur les valves cardiaques. Quand Servier rejette sa responsabilité sur un médecin Le groupe pharmaceutique français Servier a déclaré hier qu’il n’a « jamais appelé en justice un médecin dans une procédure concernant le Mediator », réagissant à des informations du journal Libération. Il n’empêche que le cas rapporté par le quotidien national, montre que les médecins ayant prescrit le « médicament » comme coupe-faim et non comme anti-diabétique apparaissent de plus en plus dans le viseur des plaintes. Libération se base sur un « mémoire en défense » établi par Servier en février dernier pour répondre à une saisine de la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) du Rhône par une patiente aujourd’hui âgée d’une soixantaine d’années, à qui son endocrinologue, le Dr F., avait prescrit du Mediator. Les experts désignés par la CRCI du Rhône ont conclu dans un premier rapport rendu en décembre 2010 que « la seule cause identifiée qui permette d’expliquer la pathologie valvulaire aortique (de la patiente, ndlr) est la prise du Médiator ». Suite aux expertises, Servier déclinait toute responsabilité dans ce mémoire dont l’AFP s’est également procuré une copie, estimant que « l’utilisation du Médiator hors AMM (Autorisation de mise sur le marché) » est exclusive de toute responsabilité de la société les Laboratoires Servier. « On ne saurait en effet retenir la responsabilité du fabricant pour l’utilisation détournée d’un produit qu’il a mis sur le marché », poursuit les laboratoires Servier dans ce mémoire. Pour le groupe pharmaceutique, « en prescrivant ce médicament en vue d’un résultat thérapeutique qui n’était pas prévu dans les indications réglementaires, le Dr F. a commis une faute en lien causal avec le dommage », et la responsabilité du praticien « dans la production de celui-ci sera retenue par la commission ». La patiente a décidé d’assigner en référé Servier devant le tribunal de grande instance de Nanterre, pour que soit reconnue la responsabilité du groupe dans sa valvulopathie aortique et réclame 120 000 euros à titre de provision d’indemnisation de son préjudice corporel et d’anxiété. Pour l’instant, l’endocrinologue qui a traité cette patiente n’apparaît dans aucune procédure judiciaire.