Sartre - Philopsis

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Sartre - Philopsis
Sartre
Com m entaire de L’Etre et le néant 1
Philippe Cabestan
Philopsis : Revue numérique
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Introduction
Sur l’œuvre de Sartre elle-même, qui précède l’Être et le
néant
1933 : une année en Allemagne. Il se plonge dans la lecture de
Husserl, des Recherches Logiques, ainsi que des Ideen.
Il découvre la phénoménologie donc, chose très importante car c’est
dans le prolongement de Husserl qu’il situe son œuvre.
1936 : L’imagination. L’intérêt est ce qu’il annonce à la fin : un travail
de psychologie phénoménologique sur l’imagination, publié en 1940 :
l’Imaginaire.
En 1937, un essai très important : La Transcendance de l’ego : un
texte court et dense, redoutable. Le champ de la conscience est impersonnel :
l’ego n’est pas un habitant de la conscience. Pas anonyme, mais
impersonnel. L’ego n’est pas un habitant de la conscience, donc on ne peut
pas dire « ego cogito ». Originairement, la conscience est sans ego, et l’ego
est un objet transcendant.
Pourquoi transcendant ? Parce qu’on ne peut pas dire « extérieur »,
cela spatialiserait. Donc on utilise l’opposition transcendant/immanent.
On a une conscience non-égoïque, donc.
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Notes de cours prises par Marie-Lou Lery-Lachaume.
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1939 : « Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl :
l’intentionnalité ». Difficile, car Sartre enchaîne les métaphores. C’est un
texte très (trop ?) littéraire.
Michel Henry dira : thèse de l’auto-affection (pas l’intentionnalité).
L’Essence de la manifestation est écrite contre Sartre.
Enfin, il y a les Carnets de la drôle de guerre. C’est savoureux : des
exercices de plume.
Les éléments fondamentaux de l’Etre et le néant (EN) sont élaborés là,
dans ce carnet qui est un atelier. La thèse de la néantisation est déjà là.
1938 : La Nausée, roman de la contingence - l’épreuve de l’absence
de nécessité. « Si Dieu existe, lui-même est contingent », EN. Pour Sartre,
toute existence est contingente. Un univers sans hommes, ça peut très bien
se penser. Thèse importante, car elle a des prolongements juridico-éthiques.
La Nausée sera reprise à de rares moments, mais très importants dans l’EN.
Cf. la racine du marronnier : ça grouille, c’est superflu, c’est de trop.
Le titre
Ce titre renvoie explicitement à Heidegger, Etre et temps, 1927.
C’est un texte que Sartre ne lit pas en 1933. Il l’a parcouru, mais n’a
rien compris. Et puis, dans le camp, il se débrouille pour avoir un Etre et
temps en allemand. Il l’assimile, et une saisie se produit : il s’en imprègne.
Mais Sartre écrit l’Être et le néant, car pour Sartre, le néant est
ontologiquement antérieur au temps.
Il faut penser le temps à partir du néant, à partir de la néantisation.
Plus originaire que le temps : le néant. C’est la néantisation de l’en-soi qui
est au principe du pour-soi et de sa temporalisation.
On voit là le rapport tensionnel avec Heidegger : Sartre pense le temps
de manière différente ; le temps est subordonné à la conscience et sa
néantisation, ce n’est pas le sens même de l’être comme chez Heidegger.
Le sous-titre : « essai d’ontologie phénoménologique »
- « d’ontologie »
Parce que Sartre a fait sienne la question heideggérienne par
excellence : la question de l’Être. Pour Sartre et Heidegger, Être n’a pas le
même sens selon l’étant. Un étant, c’est tout ce qui est : une table, une
fourmi, un homme. Mais poser la question de l’Être, c’est comprendre que
ces étants n’ont pas le même mode d’être. Un acquis irremplaçable. Être au
sens verbal [attention, ne pas le substantiver], exister, n’a pas le même sens
entre deux types d’étants. Un type d’étant existe : le pour-soi = conscience =
réalité humaine. Son mode d’être est spécifique : il existe. Heidegger
l’appelle le Dasein : l’existant. On retrouve chez Sartre l’idée que le pour-soi
est un étant qui a un mode d’être spécifique qui est l’existence. S’y oppose
l’en-soi, qui n’existe pas mais subsiste. Alors attention : l’opposition de
l’Être et du néant n’est pas la même que celle de l’en-soi et du pour-soi. Car
le pour-soi n’est pas totalement néant.
P. 33 : on voit bien la manière dont Sartre noue sa problématique :
« une foule de questions demeure… »
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Problématique heideggérienne : quel est le sens de l’être en général. Et
on va distinguer deux régions dans l’être.
« en droit incommunicable » : en fait, ils communiquent.
Rq : Derrida, lecteur de Sartre, dans Marges, s’interroge sur le
caractère ontologique de cette œuvre. On aurait une anthropologie
philosophique déguisée. Sous couvert d’ontologie, on aurait peut-être un
essai d’anthropologie. Surtout avec la Troisième et la Quatrième parties. Une
onto-anthropologie.
- « …phénoménologique »
Comprenons bien le point : Sartre fait sienne l’affirmation de
Heidegger, qu’on trouve au § 7 de Être et Temps, qui assimile ontologie et
phénoménologie, qui rompt avec Husserl.
Reprise de la formule de Husserl : retour aux choses mêmes = la
bannière. Les choses en question sont les Sachen ; ce qui est en question. Pas
les objets empiriques, mais les phénomènes. Et l’idée est que la
phénoménologie permet d’accéder aux phénomènes. On décrit un cocktail
aux abricots, et on fait de la phénoménologie. À mille lieues de la
spéculation, c’est la description qui importe. Parce que c’est en décrivant
qu’on fait apparaître, que le phénomène se donne, qu’on fait apparaître.
Or dans l’Etre et le néant, ce sont les descriptions qui importent. On essaye
de décrire le phénomène ; c’est ça la phénoménologie. Et le phénomène,
c’est ce qui d’abord et le plus souvent ne se montre justement pas. C’est ce
qui est en retrait, ce qui est caché, comme dit Heidegger. Et aussi la
phénoménologie est ontologie, car faire retour aux choses mêmes, c’est faire
retour à l’être de l’étant, l’être du phénomène. Et c’est cela qu’il faut
acquérir, conquérir. Attention pourtant ; ne confondons pas l’être avec la
chose en soi chez Kant, qui est inaccessible à la connaissance, qui est la
finitude humaine. Ici, on est en rupture avec le criticisme kantien : chez
Heidegger, l’être du phénomène se donne, à condition qu’on se donne les
moyens d’y accéder.
Et c’est là qu’intervient la phénoménologie : l’ontologie n’est
possible que comme phénoménologie. Ce qui va nous permettre d’accéder
à l’être du phénomène, ce qui est en retrait.
Précisons la démarche de Sartre là où il se distingue de Heidegger, où
il est husserlien. Contrairement à Heidegger, Sartre fidèle à Husserl
subordonne la phénoménologie à la réflexion.
Pour Heidegger, cela relève d’une pensée moderne qui trouve son
fondement dans Descartes et le cogito. Il préfère donc rejeter la démarche
réflexive. Au contraire, pour Sartre, la phénoménologie suppose la réflexion.
Et la réflexion, c’est le retour de la conscience sur elle-même. Et là, on
quitte Heidegger.
Sartre, c’est une philosophie de la réflexion, une phénoménologie de
la conscience comme retour sur elle-même, et qui se donne pour tâche de
décrire les vécus de conscience = Erleibnis. Cf. Erleben, éprouver, vivre.
Il s’agit de décrire les vécus de conscience (le désir, la perception…)
en dégageant par-delà leur structure intentionnelle, leur mode d’être.
Structure intentionnelle de la conscience = toute conscience est
conscience de quelque chose. Percevoir est toujours un verbe transitif. On
ne peut pas percevoir, point. Ni imaginer, point. Ni désirer, point, pour
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Sartre. Et par-delà la structure intentionnelle de ces vécus, il faut saisir le
mode d’être de la conscience.
Négativement, ce n’est pas celui de la chose en soi. L’objet matériel
brut. Dans toute sa bêtise, dans toute sa matérialité. Une table, une pierre,
une montagne, sont dépourvus d’intentionnalité.
La phénoménologie est toujours phénoménologie de l’inapparent :
elle a pour tâche de dégager non pas ce qui se voit, mais ce qui est voilé.
Sartre le fait via la réflexion.
Distinguons à présent :
- Réflexion impure : introspection. Je m’examine. Ma conscience
fait retour sur elle-même. Je suis un peu fatigué. Est-ce que j’ai envie d’un
peu de chocolat ou d’un verre de vin ? etc… C’est l’introspection.
Mais celle-ci a un grave défaut : elle a une tendance à réifier son
objet. Elle pose ce qu’elle saisit comme un objet, comme une substance. Elle
est à l’origine d’un objet étrange : le psychisme, dont se délectent certains
psys. Sartre fait la genèse de l’ego-psychisme. Le psychisme, c’est cet objet
qui est constitué par la réflexion.
Chaque objet est constitué, à partir d’Abschattungen, d’esquisses, de
profils. Cf. Husserl. Pensons au cube, dont on pose toutes les faces même
sans les voir. Le psychisme est constitué par la réflexion. En lui-même, le
psychisme n’est pas. La réflexion impure substantifie.
- La réflexion pure résulte d’une catharsis, qui lui permet de dévoiler
la subjectivité, la conscience dans sa structure intentionnelle, dans son
mode d’être spécifique. « Toute notre œuvre relève de la réflexion pure » dit
Sartre. C’est le principe de l’EN, cette démarche.
Elle résulte d’une purification, dont le nom est la réduction
phénoménologique. Il s’agit de rompre avec l’attitude naturelle, au profit
d’une attitude non-naturelle (transcendantale ? Sartre hésite sur le terme). Et
cette attitude, c’est le refus de la réification qui la caractérise. La saisie de la
subjectivité comme non-substantielle.
Pour Sartre, il va falloir penser la conscience comme un « absolu nonsubstantiel ». Et cela suppose une conversion du regard. Et qu’est ce qui va
la motiver, cette conversion ? L’angoisse. La découverte dans l’angoisse que
je ne suis pas une chose.
Rq : Sartre ne s’embarrasse pas de considérations méthodologiques.
L’introduction
L’introduction part de l’idée de phénomène, le phénomène comme ce
qui apparaît dans certaines conditions. Il s’agit de dégager deux grands types
de phénomènes :
- La conscience, et distinguons conscience de qqch, et conscience (de
soi).
« Toute conscience positionnelle d’objet [thétique] est en même temps
conscience non-positionnelle d’elle-même ». Cela veut dire quelque chose de
capital : au moment même où je perçois un objet, j’ai conscience de
percevoir un objet. C’est la double orientation de la conscience. Une
structure intentionnelle, qui se double de la conscience (de soi). Je lis un
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roman policier, et je suis capté par l’imaginaire. Mais si on me demande ce
que je fais, je dis : « je lis ». Conscience (de soi), car sans les parenthèses, le
soi est objet de la réflexion, et s’accompagne d’une présence à soi, qui est la
conscience (de soi). Toujours cette double dimension de la conscience.
- La conscience est conscience d’un être transcendant que dévoile
(cf. Heidegger) la conscience.
P. 29 : « la conscience est un être pour lequel il est dans son être
question de son être, en tant que cet être implique un être autre que lui ».
Une conscience seule n’existe pas, c’est une abstraction, parce que la
conscience est toujours portée par ce qu’elle vise.
Au terme de l’introduction, on a bien deux régions d’être : la
conscience, et l’en-soi.
Sartre combine une démarche analytique et synthétique, régressive et
progressive.
La première partie a un statut tout à fait à part : dans cette première
partie, on régresse, on remonte jusqu’au constituant premier de la
conscience, de la réalité humaine. Celui-ci n’est autre que le néant. On pose
le problème du néant, et il s’agit de remonter à ce constituant premier de
l’être de la conscience qui est le néant ; le constituant ultime.
Puis on procède synthétiquement, en partant du noyau le plus abstrait
de la réalité humaine, la présence à soi, et via le dévoilement des différentes
structures qui composent la réalité humaine, on va établir le sens d’être de
la réalité humaine dans son rapport à l’en-soi.
On part de la présence à soi et via le dévoilement par description
(l’argumentation étant présente chez Sartre, mais secondaire) des différentes
structures de la réalité humaine, on établit le sens d’être de la présence à soi.
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Première partie : Le problème du néant
Chapitre I : l’origine de la négation.
L’ambition de Sartre dans ce chapitre est de montrer que la négation,
les jugements négatifs (d’abord dans un sens logique, ne… pas…) ont un
fondement ontologique, qui ne peut pas être l’être lui-même. L’être luimême, en tant qu’il est un plein d’être ne peut fonder un jugement négatif.
P. 46 : « en un mot […] »
S’il y a des jugements négatifs, il faut admettre qu’il y a du néant.
Mode d’être habité, transi par le néant : le néant « hante l’être ». On
ne peut en effet pas dire que le néant est, ou qu’il existe. Donc un artifice
littéraire qui permet de qualifier le mode d’être par lequel le néant se donne.
Hanter, habiter, cela donne au néant quelque chose d’un peu
fantomatique. Sartre ne dit pas comme Bergson que le néant n’est rien, que
simplement je saute d’une idée à l’autre.
Cf. p. 43 : « j’ai rdv avec Pierre, et il n’est pas là ».
La condition pour pouvoir dire que Pierre n’est pas là, c’est le nonêtre lui-même, c’est l’absence de Pierre. Affirmer que Pierre n’est pas là,
c’est dévoiler au sein de l’être le néant. En constatant cette absence, au
milieu de l’être (les tables, les gens), je dévoile un « petit lac de non-être ».
Et on peut à présent comprendre la néantisation. Ce n’est pas
l’anéantissement. Emprunté à Heidegger, mais forgé par Sartre : c’est l’acte
par lequel l’homme dévoile et/ou introduit du néant au cœur de l’être.
Une conduite telle que l’interrogation, le doute, l’attente, le regret… À
chaque fois, ces actes de conscience impliquent une néantisation. Quand je
m’interroge : est-ce que Pierre est là ? j’envisage la possibilité de son
absence. On a un acte néantisant.
Et l’attente : si j’attends quelqu’un, c’est qu’il n’est pas là. J’attends
autrui, je me rapporte à autrui sur le mode de l’absence d’autrui. De même
quand j’imagine que Pierre est là, je le pose comme absent. Je l’imagine là,
sur cette chaise, = je néantise le réel en posant Pierre comme présence
irréelle. J’introduis un petit lac de néant. Alors, c’est un néant déterminé,
limité.
« L’homme est l’être par qui le néant vient au monde », p. 59.
C’est l’homme qui dévoile au sein de l’être du néant. Une pierre ne
le fera jamais. De ce point de vue, si l’homme disparaît, il n’y a plus de
néant.
Ce premier chapitre s’achève sur une interrogation qui concerne
l’origine du néant, p. 63.
Et c’est tout le passage sur l’angoisse.
Sartre aborde l’angoisse, parce que pour lui, si l’homme est l’être par
qui le néant vient au monde, c’est parce que l’homme est lui-même habité
par le néant. C’est un être qui est hanté par son non-être. Et ce qui me le
révèle, c’est une expérience : l’angoisse.
L’angoisse, c’est cette disposition affective (pas le sentiment !) qui
précisément quand je ne la fuis pas va me révéler que je suis habité,
hanté par le néant.
Comprenons bien la démarche de Sartre. La question de l’angoisse est
abordée à partir de Kierkegaard et à partir de Heidegger.
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Attention, au terme de l’angoisse, c’est la liberté qui est en question.
P. 64, sur Kierkegaard décrivant l’angoisse avant la faute.
Si j’éprouve de l’angoisse, c’est face à ma liberté.
Heidegger est influencé par Kierkegaard, mais considère l’angoisse
comme la saisie du néant.
Pour Sartre, c’est complémentaire : l’angoisse est angoisse face au
néant, et cette angoisse face au néant est en même temps angoisse face à la
liberté.
S’assimilent le néant et la liberté, car le fondement de ma liberté
est le néant qui habite mon être.
L’angoisse se distingue de la peur. J’ai peur d’un objet ontique,
empirique. Exemple : un chien.
L’angoisse est angoisse devant moi : elle concerne mon être propre.
Le vertige est angoisse dans la mesure où je redoute non le vide, mais de
m’y jeter. On a peur du vide, mais l’angoisse est là parce que j’envisage la
possibilité que je pourrais enjamber la balustrade et me jeter dans le vide.
Elle concerne la possibilité que je pourrais sauter ! C’est très simple, et c’est
possible. L’angoisse est simple ; c’est l’angoisse de la liberté. Je découvre
que RIEN ne m’empêche d’enjamber la balustrade. Je peux décider à tout
moment de le faire.
Je saisis via la réflexion pure la possibilité pure de me jeter dans le
vide, et que rien ne m’empêche de m’y jeter. La liberté est la possibilité de
se soustraire à l’instinct de conservation.
Alors que chez Heidegger, la thématique de l’angoisse est liée à la
mort, Sartre l’associe à la liberté. Qu’est ce qui m’atteste de manière
irrécusable ma liberté ? C’est l’angoisse. On n’est pas dans une démarche
rationaliste. Il ne s’agit pas de prouver ou de réfuter la liberté. Mais en
phénoménologie, on décrit, on dévoile ce phénomène fondamental : que rien
ne m’empêche de me jeter dans le vide.
Il y a ce phénomène proprement ontologique, qui est dévoilé par la
description : le rien au cœur de mon être.
Cf. l’exemple de l’alcoolique, qui lorgne sur la bouteille de whisky
(alors que le matin, l’alcoolique s’est promis de ne pas boire le soir). On est
à rebours de toute sociologie déterministe. Le passé ne me détermine pas. Le
passé ne peut être cause de ma conduite, car je ne suis plus mon passé. Le
déterminisme psychologique repose sur une réification du passé.
Le devant-quoi de l’angoisse, c’est le rien. C’est le néant. Et ce
néant, c’est le fondement de ma liberté.
Chapitre II : la mauvaise foi.
Alors, pourquoi tout un chapitre consacré à la mauvaise foi ?
L’ambition, c’est grâce à la description d’un phénomène
particulier, d’une conduite, de dégager le mode d’être de la réalitéhumaine. Et ce qu’on va voir apparaître, c’est que la réalité humaine est
l’origine du néant dans le monde, car elle est habitée par le néant et a un
mode d’être spécifique que dévoile la mauvaise foi.
Après l’angoisse, on fait un deuxième pas avec l’analyse de la
mauvaise foi. Elle nous met sur la voie de la définition du mode d’être de la
conscience : elle n’est pas ce qu’elle est et elle est ce qu’elle n’est pas.
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Le principe d’identité n’a qu’une valeur régionale, il vaut pour l’ensoi, mais pas pour la conscience.
Alors, qu’est-ce que la mauvaise foi ? On distingue entre mauvaise
foi et mensonge. C’est d’abord un mensonge à soi, c’est se mentir à soimême. Et si le sens commun reconnaît qu’on peut se mentir à soi-même,
l’ennui, c’est que c’est un paradoxe. Je peux mentir à l’autre, mais à moimême, comment ?
Il y aurait un dédoublement.
On invoque parfois pour y répondre l’hypothèse de l’inconscient
psychique. P. 84-87, c’est l’art de la réfutation que Sartre déploie.
Il réfute l’idée freudienne d’un inconscient psychique qui relève
d’une réification de la psychè.
La solution du paradoxe est trouvée dans l’analyse de la description
très précise des conduites de mauvaise foi.
Exemple 1 : la description de la coquette.
Elle a une conversation avec un homme qui la regarde avec
attendrissement et plus. Et cet homme lui prend la main. La coquette est
toute spiritualité, elle fait comme si elle n’avait pas de main. L’autre croyait
faire un pas décisif, mais il se plante entièrement. Elle est « ailleurs ».
Il faut bien saisir le jeu de mauvaise foi entre facticité et
transcendance. Entre la facticité corporelle et la pure transcendance.
La facticité corporelle, c’est d’abord le fait d’avoir un corps, des
jambes, des mains.
La transcendance, elle, est inséparable de la notion de projet. C’est
la capacité d’être au-delà, et d’échapper à sa propre facticité.
Comment la coquette fait-elle semblant d’échapper à sa propre
facticité ? En se conduisant comme si elle était un pur esprit. Comme si son
soupirant prononçait des paroles très intéressantes. Elle nie sa facticité
corporelle.
→ La mauvaise foi repose sur la possibilité de « n’être pas son
corps », mais c’est une possibilité qui est une fausse possibilité. Elle a la
possibilité de faire comme si, de sorte que la main repose, chose inerte,
dans la main du soupirant.
Exemple 2, p. 94 : le garçon de café.
« il joue à être garçon de café ».
Là, on la touche du doigt, la mauvaise foi.
Le garçon de café fait comme si il était garçon de café au sens où la
table est table, la chaise est chaise. Il fuit donc le mode d’être qui est le sien.
Et là il faut opposer la coquette et le garçon de café : la coquette
prétend n’être pas son corps au sens où la table n’est pas la chaise. C’est
une négation d’extériorité.
Et symétriquement, le garçon prétend être garçon de café au sens où la
table est table. Ce qui est en jeu, c’est le mode d’être de la réalité humaine,
auquel est substitué le mode d’être de l’en-soi.
Le garçon de café, c’est un rôle social. Il a ses préoccupations, peutêtre mal au pied. Mais il fait comme s’il était ce rôle, et point.
→ Or la condition de la mauvaise foi réside dans le mode d’être de
l’homme qui n’est pas ce qu’il est et qui est ce qu’il n’est pas.
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La coquette n’est pas son corps, sur le mode de l’être qui n’est pas ce
qu’il est et qui est ce qu’il n’est pas. Je suis mon corps sur ce mode d’être
tout à fait spécifique de la réalité humaine. De même le garçon de café.
On voit, c’est la conclusion de cette première partie, que le verbe être
a bien un double sens, selon qu’il s’agit de l’être en soi ou de l’être poursoi.
Dans un cas, l’être a une réalité définie : une pierre, une table. Dans
l’autre, il est hanté par le néant, au cœur de l’être, parce que l’être pour-soi
est cette réalité qui n’est pas ce qu’elle est et est ce qu’elle n’est pas.
Il ne faut pas se demander ce qu’on est. Dire « je suis homosexuel »
ou « je suis hétérosexuel », c’est être de mauvaise foi. On se donne une
réalité d’en-soi.
L’être du pour-soi est au contraire un être qui n’a pas d’identité. Il
faut bien comprendre que cet être homosexuel, fier de l’être, est d’absolue
mauvaise foi.
Pour Sartre, il n’y a pas d’identité. On a une identité de rôle, mais ce
sont des déterminations qui masquent précisément le mode d’être qui est le
nôtre, et qui est l’absence d’identité, fondé sur le néant qui fonde notre être.
Alors, on pourrait objecter le caractère. Mais pour Sartre, le caractère,
c’est une fiction. C’est une façon de se dissimuler sa liberté, et sa nonidentité. De sorte qu’il faut attendre le dernier instant de la vie d’un
homme pour dire qui il a été.
De même, on ne peut pas dire qu’un homme est généreux, qu’il est
colérique. Il a des conduites, qu’il choisit à chaque instant.
Je ne suis qu’au passé. Si j’ai une identité, c’est celle de mon être
passé. J’ai été généreux. Mais je ne peux pas dire : « je suis ».
Rq : Attention, la connaissance par Sartre de Hegel est très
superficielle !!! En-soi, pour-soi. Il reprend ça à Hegel. Mais il ne se fatigue
pas avec les œuvres entières.
→ La première partie nous a permis de dégager une première
approche de la réalité humaine, ontologique, grâce à la description de
l’angoisse et de la mauvaise foi.
Maintenant, on va de l’abstrait au concret : on se penche sur les
structures immédiates du pour-soi.
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Deuxième partie : L’être-pour-soi
Le point de départ est encore le cogito, pré-réflexif.
P. 109.
On se situe bien dans le prolongement du cogito cartésien, et
husserlien. Dans les Méditations cartésiennes, Husserl privilégiait aussi le
cogito comme source de l’évidence.
Pré-réflexif, au sens où ce qui est premier et originaire, ce n’est pas
l’attitude réflexive, mais ce à partir de quoi la réflexion est possible. La
conscience en tant qu’elle est au monde (au sens heideggérien) en tant
qu’elle vise un objet du monde, en tant qu’elle lit un livre, en tant que je suis
pris dans quelque chose. Quand je cours après le tramway, je ne suis pas
dans une attitude réflexive.
Première structure immédiate du pour-soi : la conscience (de soi) =
une pure abstraction. La présence à soi.
La croyance est nécessairement conscience (de croyance). Sinon,
cette conscience serait opaque à elle-même. Elle ne pourrait pas exister.
La douleur et le plaisir : peut-on souffrir sans avoir conscience
d’éprouver de la douleur ? Eprouver de la douleur, c’est nécessairement
avoir conscience de la douleur. La douleur est conscience de douleur.
Dans cette présence à soi, il y a nécessairement une distance. Je ne
suis pas pure souffrance, mais conscience de souffrir.
Question : qu’est ce qui sépare la conscience de sa souffrance ? Rien.
= le néant.
Déjà, dans cette structure qui est une pure abstraction, nous repérons
le néant.
Le pour-soi, la conscience surgit donc d’un acte ontologique.
C’est un acte fondamental, en un sens incompréhensible. Avec l’idée
que pour qu’il y ait une conscience, il faut cet acte.
P. 115 : « cet acte perpétuel par quoi l’ « en-soi » se dégrade en
présence à soi, nous l’appellerons acte ontologique ».
Le surgissement à l’être d’une conscience suppose donc cet acte
ontologique. C’est l’être qui est en question. Et surgit une première
néantisation. Mais particulière, car c’est une néantisation qui est la condition
de toutes les autres néantisations. Un acte ontologique, absolument premier,
au terme duquel la conscience se dégrade en présence à soi.
Sartre parle de dégradation comme d’une chute. Comment de l’ensoi peut surgir du néant ? C’est aussi incompréhensible qu’une création. Là,
on a une sorte de création inversée : comment à partir d’un être en-soi, qui
est ce qu’il est, peut surgir une conscience ?
Quant à l’expliquer, ça relève de la métaphysique, dit Sartre. La
phénoménologie dévoile, révèle, mais ne peut pas rendre compte de ce
moment premier.
= plan ontologique, transcendantal.
Il y aurait une question qu’on pourrait poser : quelle est le rapport
avec la réalité empirique ? Comment articuler cela avec l’ontologie ? C’est
bien pourquoi on n’est sans doute pas dans une anthropologie philosophique,
qui se poserait cette question.
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Les considérations sur la souffrance, le désir d’être, etc… trouvent
leur départ là.
L’en-soi coïncide avec lui-même, est ce qu’il est. Le pour-soi non. Il
a conscience d’aimer, de souffrir, de jouir… Et là, il y a un problème,
ontologique et existentiel.
La facticité.
On l’a vu avec le corps et l’expérience de la mauvaise foi. Mais
généralisable à l’existence.
L’existence, c’est un fait. Alors, pourquoi dire facticité ? Cela vient
de Heidegger, qui dans son vocabulaire sépare la région d’être du Dasein : le
fait d’exister, ce n’est pas le fait d’être une porte.
Sartre dit facticité en tant que cette facticité est un fait spécifique :
le fait de l’existence. // Contingence.
L’affectivité participe au dévoilement du phénomène. Cf. la
nausée.
Le phénomène est ce qui le plus souvent m’échappe, est en retrait,
mais que les dispositions affectives me révèlent : la contingence de mon
existence comme phénomène m’est donnée par une disposition affective, de
même que le phénomène de ma liberté.
Au cœur de la raison se trouve non la ratiocination, mais l’affectivité.
C’est la nausée qui va me révéler la contingence de mon être.
Cf. p. 120.
« Pour nous, [ …]
Absolu = originaire.
« l'apparition du pour-soi ou événement absolu renvoie bien à l’effort
d’un en-soi pour se fonder » = ici apparaît le désir d’être du pour soi.
Sartre, c’est une philosophie du désir, de la transcendance.
Cet être est hanté par le désir d’échapper à la contingence de son
être. Hanté par le désir de se fonder.
Ce sont des petites ficelles existentielles qui permettent d’éclairer la
pensée de Sartre.
Sartre introduit, de manière non phénoménologique, que si l’ensoi se dégrade en pour-soi, c’est pour échapper à sa contingence.
Il nous fait un roman métaphysique.
« le désir de l’en-soi » = Sartre attribue un désir à l’en-soi.
« une tentative de l’être pour lever la contingence de son être » = il
faut penser le surgissement pour lever la contingence de l’être.
Au cœur de l’en-soi, = introduction d’un néant. Cet effort pour se
fonder passe par cette néantisation à l’origine du pour-soi.
« décompression » = idée d’ouverture.
Attention, le pour-soi n’est pas un attribut de l’en-soi.
On comprend que cet acte ontologique premier, cette dégradation est
un échec. Et tout l’être et le néant est sous le signe de l’échec. On échoue.
Nos relations aux autres sont merdiques, parce qu’on veut d’eux ce qu’ils ne
peuvent pas nous donner.
Pas de résolution dialectique, on n’est pas chez Hegel là. Cela va
conduire à « l’enfer c’est les autres ».
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Cette présence à soi facticielle, ou conscience, est dans son être
manque. C’est-à-dire, défaut d’être.
On ne pose pas la conscience pour y ajouter le désir. La conscience se
dégrade. La question est de savoir quel est l’objet susceptible de remplir ce
manque.
Ce désir est voué à l’échec. D’où p. 662 : « l’homme est une passion
inutile ». Parce qu’il court après un objet qui n’est pas un objet, et qu’il
n’atteindra jamais. Qui est inaccessible.
Parce que l’objet du désir d’être est contradictoire : c’est la
synthèse de l’en-soi et du pour-soi. C’est le désir comme désir de l’en-soipour-soi.
Cet objet est inaccessible car contradictoire. Une chose ne peut pas
être une conscience et une conscience ne peut pas être une chose. Soit on
existe, soit on subsiste.
Or ce que poursuit le pour-soi, c’est cette synthèse, qui a un double
aspect :
- La conscience aspire, à sa manière, à la coïncidence = à s’annuler
comme conscience.
Description sur la soif. Du point de vue ontologique, je ne bois pas
pour satisfaire un besoin (ça c’est biologique). Un être qui boit, afin de
parvenir à cette soif qui serait soif pure, soif satisfaite mais sans distance à
soi.
Exemple de la souffrance : je ne suis jamais aussi malheureux qu’on
ne le croit. Dans la souffrance, il y a un manque, de telle sorte que je ne
souffre jamais autant que je voudrais souffrir. Je perds un proche parent. Je
suis triste, mais toujours conscience d’être triste. Il y a donc une comédie de
la souffrance. Je suis triste, mais pas assez triste. Et si j’en rajoute, j’échoue.
Je poursuis la coïncidence avec soi de l’être en soi. Je ne suis jamais aussi
triste qu’une statue peut l’être. Pareil : je ne suis jamais aussi amoureux que
je voudrais l’être. Il y a toujours une distance.
Rq : Sartre n’arrive pas à aimer. Et il trouve qu’il ne souffre pas assez.
Ma souffrance n’a pas l’opacité, la consistance du bloc. Ma souffrance
ne fait pas bloc.
Cf. dans les Mots, le passage de Monsieur Simennot. Il fascine Sartre
car il donne l’impression d’être un bloc. Il sait s’il préfère la montagne ou la
plage, etc… C’est un bloc. Il semble avoir une identité figée une fois pour
toutes. Une identité minérale.
- Le deuxième aspect, c’est que le pour-soi veut néanmoins demeurer
conscience de soi. Il veut être chose en soi et demeurer conscience de soi.
Pourquoi ? Parce que pour Sartre, ce désir se rapporte au désir d’être
son propre fondement. Et donc de lever la contingence de son être.
Sans doute un petit bricolage chez Sartre.
C’est l’explication du narcissisme : tenter de se contempler soimême en tant qu’objet. Et quand cela échoue, on demande à l’autre.
C’est la problématique du regard, et du regard sur soi qui est
intéressant. Un être qui tente d’opérer cette scission, mais qui échoue,
voilà qui est Narcisse.
P. 126 :
« Ce que la conscience saisit […] lui-même figé en en-soi […] ».
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On cherche à préciser ce qu’est la valeur. LA valeur, c’est-à-dire cet
objet du désir d’être.
Il y a là un manque fondamental.
« la translucidité » + « coïncidence » = contradictoire, pas possible.
→ LA valeur que tout pour-soi poursuit, cette valeur est insaisissable,
inatteignable. Toutes les descriptions du rapport à autrui seront placés sous
ce signe.
La temporalité
= La structure ek-statique de la conscience.
Le terme vient de Heidegger. C’est l’idée que la conscience dans sa
structure est hors de soi. Sortie hors de soi. La conscience n’est pas pure
présence à soi, mais hors de soi parce qu’elle est temps, parce qu’elle est
temporalisée.
On va comprendre cela à partir du concept clé de néantisation.
Condition : degré plus poussé de néantisation :
- La néantisation,
- La réflexion (2ème degré)
- Avec le temps, néantisation plus profonde encore.
La conscience n’est pas dans le temps comme un caillou dans le
fleuve.
Il faut comprendre que la conscience est le temps, elle est
temporalité, et sa temporalisation est une forme de néantisation. Pourquoi ?
Parce que la conscience : 1) n’est plus ce qu’elle était ; 2) à quoi il faut
ajouter qu’elle est ce qu’elle n’est plus.
Et il faut tenir les deux.
Cela signifie que si j’ai donné rdv à Pierre hier, et que je ne suis pas
venu au rdv, je ne peux pas lui dire : ben non, c’est plus moi.
On se sent responsable de l’être passé. On assure la continuité
ontologique de son être. Mais comment, sans ego substantiel ?
C’est le fait que ce qui nous sépare du passé, ce n’est pas un pur néant,
puisque ce passé, nous le sommes. Mais je ne suis pas purement et
simplement mon passé, sans quoi je mettrais entre parenthèses le temps.
Je suis mon passé sur le mode de l’être qui n’est pas ce qu’il est et qui
est ce qu’il n’est pas.
Attention, l’ordre de cette formule est important. Il faut commencer
par la négation : le ne pas, la néantisation.
Ici, l’intérêt, c’est que le rapport à mon passé n’est pas seulement
un souvenir. Car le souvenir est une re-présentation.
Or la temporalisation de la conscience, ce n’est pas seulement dire,
« tout s’écoule ». Mais cela consiste à saisir ce rapport qui défie la
logique : ce rapport d’être qui est le rapport d’être pour la conscience. On
retrouve ce mode d’être dans le passé.
Si la conscience peut se souvenir, c’est qu’elle a un passé. La
condition du souvenir, c’est le rapport du pour-soi à son passé en tant que
rapport ontologique.
Idem pour le futur. La conscience n’est pas encore son futur, mais
elle est ce futur qu’elle n’est pas.
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C’est une reprise de Heidegger : la conscience est en avant d’ellemême : « dans l’avenir », et c’est pourquoi elle est pro-jet [jet en avant de
soi].
Et elle est toujours aussi en arrière d’elle-même.
Et la présence à soi, c’est une présence toujours en même temps en
avant d’elle-même et en arrière d’elle-même.
Rq : ce qui est défaillant dans la psychose mélancolique, c’est la
capacité à n’être pas son être passé.
Mais Sartre c’était un peu le contraire, il avait tendance à être un
homme sans passé.
La condition de la liberté chez Sartre, c’est est le néant, qui me
sépare de mon propre passé. L’idée de poids du passé n’est pas du tout
sartrienne.
Il y a une légèreté du passé, qui tient à sa conception de la structure
ek-statique de la conscience humaine.
Donc pas de déterminisme psychologique, et le traumatisme d’un
point de vue ontologique, c’est passé.
(Mais alors, comment penser le traumatisme ?)
L’idée d’ek-stase, c’est que je suis hors de moi, mais à distance.
L’artifice sartrien, c’est de contourner le principe d’identité, pour
dire n’être pas ce qu’on est, mais être ce qu’on n’est pas.
Comment se construit une philosophie de l’engagement dès lors ?
Sans être engagé ?
Une promesse, je suis obligé de la tenir, mais au sens de la création
continuée de Descartes. De toute façon, je suis engagé. Je choisis de
m’engager ou non au sein de cet engagement, mais ce choix, je peux le
révoquer à tout moment.
Cf. « le coup de la confiance » = « bon, je te fais confiance, hein ! »
Pour Sartre, il s’agit là de ligoter la liberté d’autrui. Mais cette liberté est en
réalité absolue. Cet engagement, je le renouvelle en permanence.
Pas d’idée kierkegaardienne de se mettre soi-même en gage. La liberté
n’est pas une propriété de la volonté. Rien ne me retient, je peux toujours
tout changer.
Pour Sartre, même le génie, c’est une décision. J’ai décidé de
comprendre, de travailler, etc…
Pas de nature humaine pour Sartre, cf. l’Existentialisme est un
humanisme. T’es conne et moche, et bien c’est de ta faute.
Sartre reviendra un peu là-dessus dans la Critique de la raison
dialectique et l’Idiot de la famille.
La transcendance.
La transcendance, c’est d’abord le hors de soi. Il faut partir de la
structure ek-statique du pour-soi. Il y a transcendance parce que le pour-soi
est projet. Il vise un objectif, dans le futur.
Et la transcendance, c’est ce mouvement par lequel la conscience
vise un objet et le dépasse vers ce qu’il n’est pas.
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L’idée de dépassement est très importante. Je regarde la lune et je
constate que la lune n’est pas la pleine lune. Je dépasse le quartier de lune
vers une lune qui ne serait pas une lune.
Le dépassement trouve en effet son principe dans le manque. La
conscience est dans son être même manque. Et un manque ne peut pas être
comblé. Qui doit s’accepter comme tel.
Et accepter le manque, c’est l’authenticité.
→ Cette opposition authenticité / inauthenticité est dans tout
l’Être et le néant.
La poursuite de l’objet inaccessible, c’est l’inauthenticité.
L’authenticité est ce mode d’existence qui renonce à la valeur, qui renonce
à cette poursuite qui fait de l’existence une passion inutile.
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Troisième partie : Le pour-autrui
Chapitre I : L’existence d’autrui
Cf. les Médiation cartésiennes de Husserl.
Thématique de l’intersubjectivité, phénoménologique
Problématique qui est de savoir comment j’entre en rapport
[expression que Sartre rejettera] avec l’autre.
En tant qu’autrui n’est pas qu’un objet, mais un ego.
Cf. aussi Descartes, 2ème méditation. Peut-être que ce ne sont que des
chapeaux et des manteaux. Question du rapport à l’autre en tant qu’autre
subjectivité.
1492, découverte du nouveau monde. On se demande : est-ce que ce
sont des hommes ? La fausse question, ce serait de se demander quel critère
permettrait de dire que ce sont des hommes. Cf. la controverse de
Valladolid ; ont-il une âme ? Lévi-Strauss montre que de l’autre côté, ils se
posaient la même question et trempaient les cadavres pour voir s’ils
pourrissaient.
Sartre repose la question, en partant de la solitude, mieux, du
solipsisme.
À nouveau, on part du cogito. Donc on part de la conscience
intentionnelle en tant qu’elle découvre en elle-même une structure étrange :
elle est mienne sans être pour-moi.
« sans sortir de […] »
Au sein même de l’être : cette structure, qui est mon être-pourautrui.
La réflexion découvre ou dévoile au cœur même du cogito une
structure constitutive de mon être, qui est mon « être pour autrui ».
Je la découvre dans l’immanence cette structure. Elle est mienne. Mais
pas pour-moi, puisque pour-autrui.
Passage sur la honte : encore le dévoilement par l’affectivité. P. 259.
Et la honte est l’expérience fondamentale à partir de laquelle toute
cette troisième partie est écrite. Il privilégie la honte.
La honte ne peut pas se penser sans le regard d’autrui. Je ne peux pas
avoir honte tout seul. C’est donc l’attestation d’un être qui est mon être, mais
mon être pour-autrui.
Je peux ME considérer, mais ME considérer en tant que ce ME est
pour-autrui.
Attention, il n’est pas question de la problématique psychologique
superficielle de la représentation. C’est dans mon être même que le regard
d’autrui me constitue.
La honte est un exemple de ce que Husserl appelle Erleibnis : un vécu
de conscience, comme n’importe quel vécu de conscience. Elle est
accessible à la réflexion. Je peux me dire « Houla, c’est la honte ».
« ce quelque chose est moi ». Mais ce moi est problématique. C’est un
vécu, qui a une structure intentionnelle, et ce noème (= l’objet de la visée,
par opposition à la noèse, la visée), c’est moi.
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J’ai honte de ce que je suis.
« La honte n’est pas originellement un phénomène de réflexion ».
Alors certes, si on est croyant, on vit en permanence sous le regard de
Dieu. Je vis sous le regard de Dieu, quand je suis chrétien. « L’œil était dans
la tombe, et regardait Caïn », dit Victor Hugo.
C’est un phénomène qui peut se comprendre pour Sartre, mais qui est
dérivé. Ce n’est pas originel.
Pourquoi pas « originellement » ? Parce que la honte suppose le
regard d’autrui. C’est ça qui est originel.
Exemple : le geste maladroit ou vulgaire.
Dramatisation et mise en scène : quelqu’un était là, et m’a vu.
Patatrac.
J’ai honte.
Il est certain que la honte, là, n’est pas réflexive. La honte a pour
condition le surgissement du regard d’autrui.
Argument intéressant, c’est que lorsque je suis surpris par autrui j’ai
honte. Or je ne peux être surpris par autrui et dans une attitude réflexive. La
honte m’envahit, je rougis. Il s’agit de bien montrer que la honte renvoie
nécessairement à autrui. NECESSAIREMENT = c’est la seule manière
de briser le solipsisme.
Or « autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même ».
Pas en général. Mais dans certaines circonstances, effectivement, dans
le rapport que j’entretiens avec mon être-pour-autrui, alors autrui est le
médiateur indispensable.
Il y a d’emblée une nécessité de l’existence d’autrui.
→ Donc d’un part la honte n’est pas originellement un
phénomène de réflexion. Et deuxième chose : autrui est le médiateur
indispensable entre moi et moi-même.
Le rapport à soi que dévoile la honte suppose nécessairement le regard
d’autrui. La présence d’autrui qui me regarde. Cette médiation n’est
nullement indispensable dans l’introspection.
Autrui me révèle un aspect de mon être, mais plus encore : il
constitue cet aspect de mon être. Car la condition même de cet être, c’est
autrui.
Il me révèle la grossièreté de mon être, mais constitue dans cet être la
dimension de mon être qui est l’être-pour-autrui.
L’être-pour-autrui est constitutif de mon être. Il ne s’agit pas de se
représenter autrui, mais il s’agit du regard d’autrui. Autrui me constitue dans
mon être.
C’est indépendant de moi. Ça échappe à ma volonté. De fait, je vis
sous le regard d’autrui. Et de fait, mon être possède une dimension que
j’ignore, et qu’autrui constitue.
Je peux essayer de savoir ce qu’autrui pense de moi. Mais c’est vain.
Autant renoncer. Autrui est anonyme. Il peut s’incarner dans le regard de
ma concierge, du président de l’université. Mais il est aussi anonyme. Cet
être pour autrui, je ne le maîtrise pas. Il faut l’accepter.
Attention, la problématique ici n’est pas celle du lien social. La
problématique de l’intersubjectivité, c’est la problématique du rapport à UN
autre, anonyme.
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On est dans le cadre d’une subjectivité incarnée qui s’interroge sur la
présence de l’autre, la réalité de son existence, et le regard de l’autre sur moi.
Ce qui est décisif, ce n’est pas que je voie l’autre, mais que l’autre me
voie.
→ Il y a donc une évidence plus forte que le solipsisme : c’est
l’évidence de l’existence de l’autre.
Deux questions à ce stade :
- La question de la réalité de l’existence d’autrui. Donc la
problématique du solipsisme.
- La question de notre rapport d’être, notre rapport ontologique avec
autrui.
Et pour Sartre, il ne s’agit pas d’envisager la diversité et la multiplicité
de nos relations avec autrui. Mais on l’envisage uniquement d’un point de
vue ontologique, ce qui exclut toute considération sociologique et
psychologique.
La question concerne l’être du pour-soi, et dans quel sens cet être est
déterminé par l’être pour autrui.
L’écueil du solipsisme.
Comment briser la solitude ontologique de ma conscience ? Tant
qu’autrui est une représentation, ou un objet, cette solitude demeure. On n’a
pas brisé le solipsisme.
Or en phénoménologue, il faut rendre compte de notre certitude
absolue.
Reprise de Schopenhauer : le solipsiste est un fou enfermé dans un
blaukaus imprenable.
Si on n’est pas fou, paranoïaque, il y a une certitude absolue de
l’existence d’autrui.
Et Sartre ici renvoie dos à dos la réponse réaliste, et idéaliste.
La réponse réaliste consiste à ignorer le problème, car « elle tient
l’existence d’autrui pour certaine », et ne se pose pas la question d’établir la
légitimité de cette certitude. Mais Sartre objecte ; si le corps d’autrui se
donne, tel n’est pas le cas de sa pensée. Sartre objecte donc au réaliste d’être
prisonnier du solipsisme. Ce corps qu’il se donne n’est pas nécessairement
humain ; reste à savoir s’il est habité par une conscience.
Pour Sartre, il y a une attestation d’autrui pré-linguistique : c’est le
regard. Attention ; le regard, c’est une subjectivité. Ce n’est pas l’œil
électrique. Pour Sartre, le langage vient préciser les significations.
P. 263.
Référence = intropathie. Cf. Husserl.
Et le réaliste est en fait condamné à l’idéalisme : l’être est un simple
perçu. On n’a pas un rapport direct à autrui.
Pour Sartre, on échoue de la sorte à décrire notre véritable contact à
autrui.
Allusion à Max Scheler, sur le concept de sympathie.
Nature et formes de la sympathie = contribution à l’étude des lois de
la vie affective. Ce qui est intéressant, c’est de voir que Sartre a en tête
toutes ces théories : de Husserl, puis de Scheler ; rapport de contact qui serait
premier.
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Rq : Sartre cite très peu les auteurs. On a un travail absolument pas
universitaire.
Intermède :
Lecture de l’épisode de Monsieur Simmenot dans les Mots.
L’en-soi, le minéral, sans distance à soi = granitique.
Monsieur Simmenot, c’est la mauvaise foi : « je suis Monsieur
Simmenot ».
Sartre au contraire était une transparence ineffaçable.
Monsieur Simmenot manque à une fête : il manque Monsieur
Simmenot. = une absence en chair et en os. « Je m’émerveillais qu’un
homme eût sa place faite » = deuxième aspect du désir de l’en-soi-pour-soi :
il est justifié, fondement de soi.
Retour sur quelques éléments de « l’écueil du solipsisme » (= solitude
ontologique).
Deux réponses possibles :
- La réponse réaliste, qui consiste à ne pas douter de l’existence du
corps d’autrui. Il est là, puisque je le vois. Mais avec cette réponse se pose la
question de la subjectivité d’autrui. Cf. Husserl. Et cette réponse échoue à
sortir de la solitude ontologique, parce qu’elle a en face d’elle un autre corps,
mais ce corps, ce n’est pas autrui. On est coupé d’autrui, c’est tout le
problème de la 5ème Méditation cartésienne : comment savoir ce qu’il y a
dans la tête de l’autre ? Je n’y ai accès qu’indirectement.
Exemple : je vois autrui qui tape sur la table et son visage blanc de
colère. Je me dis : « ah, il éprouve de la colère ». Mais je n’ai pas accès au
vécu de colère.
Cette thèse échoue à décrire notre rapport, beaucoup plus immédiat, à
autrui.
La thèse idéaliste, p. 263-269, incarnée par Kant. Sartre reprend la
distinction entre concept constitutif (les catégories) et concepts régulateurs
(les idées de la raison). Au fond Kant échoue à rendre compte de notre
rapport à autrui. Le phénomène autrui n’a rien à voir avec les
phénomènes naturels. C’est un objet qui n’est pas un objet. Et peut-être
pas soumis au principe de causalité. Autrui est un phénomène qui déroge à
la légalité ; c’est autrui. La solution idéaliste échoue donc également à briser
le solipsisme.
Et la leçon que Sartre tire de ce double échec (p. 269-270) est la
suivante :
→ Idéalisme et réalisme partagent une même présupposition
fondamentale. Ils sont renvoyés dos à dos, car ils posent l’un et l’autre :
autrui, c’est l’autre. C'est-à-dire le Moi qui n’est pas Moi.
Sartre distingue alors entre la négation d’extériorité et la négation
d’intériorité.
Entre le sujet et autrui, pour le réalisme et l’idéalisme, il y aurait un
néant de séparation, comme si autrui et moi étions deux monades. Deux
monades rigoureusement séparées, soit par un espace réel (position réaliste),
soit par un espace idéal (position idéaliste).
J’établis une séparation telle qu’il n’est plus possible d’établir une
relation entre autrui et moi : c’est l’extériorité d’indifférence, celle qui
existe entre la table et la chaise.
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La négation d’intériorité affecte dans son être l’être qui est nié. En
n’étant pas autrui, je suis affecté dans mon être par le fait de ne pas être
autrui. Et de même autrui est affecté dans son être par le fait qu’il n’est pas
moi.
C’est la clé qui va permettre à Sartre de développer sa conception du
rapport à autrui.
Il ne faut jamais considérer deux existants comme deux monades
séparées. Entre ces deux existants, on établit une négation d’intériorité, alors
qu’entre deux étants dont le mode d’être est l’en-soi, on établit une négation
d’extériorité.
Il suffit qu’autrui surgisse et tout change. Je suis affecté dans mon
être. Le rapport à autrui est un rapport très particulier : il va me
bouleverser ontologiquement.
Remarque : s’il apparaît comme objet à ma connaissance, c’est un
objet, ce n’est pas autrui. Cf. le chirurgien qui nous opère de l’appendicite. Il
a délimité le champ, avec des compresses, et il opère, il découpe.
Je suis celui qui constitue autrui, dans le champ de MON expérience.
Puis, réfutation positive, car Sartre s’inspire en même temps de Hegel
et de Heidegger.
Le regard, p. 292 et sv
La thèse :
Notre relation originaire ontologiquement parlant (et non psychogénétiquement parlant) se dévoile à travers des dispositions affectives telles
que la honte, la fierté ou la crainte lorsque la conscience fait l’épreuve
(plutôt que l’expérience), dans une dimension pathique, de son
objectivation, de son être-objet, de son devenir-objet, sous le regard
d’autrui-sujet.
La distinction entre le plan ontologique et le plan psychogénétique est
importante. On ne décrit pas la relation du nourrisson à la mère pour voir
comment on devient un être en relation avec autrui. Cela, ce n’est pas la
perspective de Sartre.
Sa perspective est ontologique : on s’interroge sur notre relation
originaire et première à partir de laquelle on va pouvoir décrire nos autres
relations à autrui. Je suis objet pour autrui-sujet.
La relation d’une conscience-objet à une autre conscience-sujet = c’est
de là qu’il va falloir partir pour comprendre les formes dérivées.
Introduction, p. 292-296
Rq : Merleau-Ponty critique Sartre sur ce point dans Phénoménologie
de la perception : quand je regarde autrui, mon regard n’est pas
nécessairement objectif.
Ce n’est pas dit que j’objective toujours autrui : le « cela n’est pas
douteux » est contestable.
Mais comprenons le texte à partir de cette évidence.
C’est une des modalités. Il est vrai que la plupart du temps, autrui
est objet. Mais si cette relation d’objectité est la relation fondamentale
d’autrui à moi-même, son existence demeure conjecturale. Rien ne m’assure
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que celui qui est en face de moi est un « alter-ego » (comme ne dirait pas
Sartre).
C’est une « saisie fondamentale d’autrui » à laquelle il va falloir
remonter ; une relation par laquelle on pourra saisir les dérivées.
Descartes jugeait que l’autre était un homme. Mais pour Sartre, cela
ne rend pas compte de notre rapport à autrui.
Ce que je recherche, c’est cette relation fondamentale à autrui au
sein de laquelle autrui se dévoile comme« présence en personne » (mieux
qu’alter-ego).
Attention. Dans la description de ma relation à autrui objet, autrui
n’est tout de même pas un objet comme les autres. Je déploie l’espace, en le
situant par rapport à autrui. L’objet-autrui a pour caractéristique de me
voler le monde.
Il faut se reporter à la p. 294-295 pour comprendre. La présence
d’autrui objet opère un décentrement du monde, que n’opèrent pas les
autres objets. Autrui est à 15m de moi, mais je sais réciproquement que je
suis à 15 m de lui. Qu’il organise également son monde.
Les métaphores sont étranges : l’ « hémorragie » interne du monde. Et
il compare autrui à un « trou de vidange ».
Autrui me vole le monde, mais reste quand même un objet, et ce vol
du monde est encore réifié, récupéré par moi.
Donc attention, il n’est pas encore question ici d’autrui comme regard.
C’est un autrui-objet, quoique très spécifique.
Rien n’est perdu, tout est récupéré.
Cette relation est seconde et présuppose une relation originaire à
autrui qui me révèle autrui comme personne.
A. p 297-306 : Explicitation du sens du regard d’autrui. Que signifie
être regardé par autrui ?
C’est la question du sens qui est prégnante.
On se met à la place des résistants. Et il s’agit d’échapper au regard
qui est incarné par la ferme blanche. Le sentiment dévoilant ici, c’est la
crainte de l’autre. Mieux, c’est la crainte d’être tué, pendant cette opération
de résistance.
C’est une situation pathétique par excellence.
Et le regard d’autrui, ce n’est pas deux yeux, c’est une ferme blanche.
La présence d’autrui n’est pas localisée précisément ; et j’évite tout
regard potentiel.
Il y a cette idée que le regard ne dépend pas des yeux. Les oreilles
regardent. Il suffit que j’entende des pas qui passent dans le couloir pour
qu’autrui soit présent, et pour que je me sente potentiellement regardé.
Autrui peut me regarder en m’écoutant, et cette présence pèse sur moi. La
ferme ici se substitue aux yeux. Je peux être regardé parce que je sais qu’il
est possible qu’on m’écoute.
La thèse fondamentale est énoncée p. 297 : ce n’est jamais quand des
yeux vous regardent qu’on peut les trouver beaux ou laids. Le regard
d’autrui masque ses yeux.
Autrement dit, de deux choses l’une :
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- Ou je regarde et j’objective autrui, et je puis juger de la laideur
d’autrui, de la laideur d’un strabisme divergeant par exemple. Je porte un
jugement esthétique objectif.
- Ou bien je suis regardé, je suis objectivé, et les yeux d’autrui
m’échappent.
Le timide est celui qui regarde ses pieds, qui ne regarde pas l’autre, et
regarde avec souffrance le fait d’être regardé. C’est aussi cela le trac : la
crainte du regard d’autrui.
Bref, pour Sartre, l’alternative est stricte.
Cf. Les mains sales : quelle était la couleur de la cravate de ton
supérieur ?
J’appréhende le regard sur fond de destruction des yeux qui me
regardent. C’est précisément à ce moment que le regard d’autrui surgit.
Dans la vie quotidienne, on passe son temps à clignoter. Je te
regarde, tu me regardes, etc… Ce qui renvoie à l’alternative stricte de
l’être regardé et du regard.
Question : pourquoi Sartre recourt-il à ces fictions ? Pourquoi la
phénoménologie privilégie-t-elle toujours la fiction ?
Privilège accordé au roman, aux œuvres de fiction… C’est que ces
œuvres nous apprennent quelque chose.
Cf. Husserl, Ideen. « La fiction constitue l’élément vital de la
phénoménologie comme de toutes les sciences eidétiques ». La fiction est la
source où s’alimente la connaissance des vérités éternelles.
C’est précieux. L’imagination n’est plus la folle du logis. Elle est
complètement réévaluée par rapport au rationalisme étroit.
En effet, c’est grâce à la fiction qu’il est possible d’accéder à
l’essence, à l’idée, et d’opérer des variations eidétiques. J’imagine un
mendiant qui chante, une femme qui se promène dans la rue, un coup de
main. Ou j’imagine que je colle mon œil à la serrure. Et je fais une variation
eidétique. J’imagine que quelqu’un intervient et me surprend.
Il y a ici l’idée que l’imagination, c’est ce qui va me permettre
d’opérer des variations eidétiques, qui vont m’aider à dégager l’essence,
l’eidos du regard. Bien saisir ce que signifie être regardé par autrui.
Cf. 2ème Méditation de Descartes ; le morceau de cire. C’est une
magnifique variation eidétique.
p. 298 : la serrure
1) Je suis dans une attitude pré-reflexive. J’ai conscience (de) moi.
Je suis capté par ce qui se passe derrière la porte. On pense au jaloux.
2) J’entends des pas dans le corridor : « ON » me regarde. Anonymat
du regard, je ne sais pas si c’est Pierre, Paul ou Jacques.
On a un petit coup de théâtre. Intervention dans la variation
eidétique.
Le sentiment n’est plus la crainte, mais la honte.
On avait déjà évoqué la honte, en développant que je n’ai jamais honte
seul. Il y a un bouleversement de mon être du fait d’autrui.
Ici, il faut être rigoureux. La conscience pré-reflexive est
impersonnelle, an-égoïque, ce qui a été établi dans la Transcendance de
l’ego.
Dans l’introspection, le Moi surgit.
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Là, je suis dans une conscience pré-réflexive, et le Moi surgit. J’ai
honte de moi, et suis toujours dans une position pré-réflexive. Il y a un
bouleversement dans mon être provoqué par le regard d’autrui.
→ J’ai honte de MOI (sans que ce moi soit le produit de la
réflexion impure) et suis toujours dans une attitude préréflexive.
= Mon être pour autrui surgit, ce moi dont je ne suis pas le
fondement. Ce moi trouve son principe hors de moi, dans le regard d’autrui.
C’est ce que Sartre appelle mon être pour autrui.
Ce n’est pas simplement l’idée que se fait autrui de moi. Mais dans
mon être (dimension ontologique), une nouvelle dimension se constitue.
« il s’agit bien de mon être, et non d’une image de mon être ».
L’irruption, l’intrusion du regard d’autrui surgit.
Le travail de la Transcendance de l’ego est fructueux. On va découvrir
au sein de la conscience irréfléchie un moi qui est constitué par le regard
d’autrui.
p. 302 : « Ma chute originelle, c’est l’existence de l’autre ; et la honte
est – comme la fierté – l’appréhension de moi-même comme nature, encore
que cette nature même m’échappe et soit inconnaissable comme telle »
« Appréhension » = pas la perception, pas l’imagination : c’est une
saisie. Il y a une neutralité quant à l’acte qui permet de saisir. Il s’agit
d’avoir conscience. Simplement, c’est la conscience de moi comme
méprisable.
La « rencontre » d’autrui. Autrui surgit, il ne se déduit pas de mon
être. Autrui, je ne le déduis pas de mon être, mais je le rencontre. Et ce
qu’on décrit, c’est cette rencontre.
Et cette rencontre n’est pas un « heureux événement ». Pourquoi ?
Parce qu’elle est synonyme de chute.
→ Une dégradation ontologique, une dégradation de mon être est
impliquée par cette rencontre. Mon être perd sa libre transcendance, pour
devenir transcendance transcendée.
Ce qui caractérise mon objectivation, c’est que ma liberté est
comme figée ; ma transcendance est transcendée. Autrui objective ma
transcendance sous la forme d’une liberté figée.
Exemple : dans un sport comme la boxe, j’anticipe toujours. Je gèle
les possibilités d’autrui, je transcende sa transcendance. Ce n’est plus une
liberté absolue, mais une transcendance transcendée.
Cette chute est originaire, ou originelle (on trouve les deux). Parce
qu’elle est au fondement de nos relations pourries à autrui. Il y aurait là
une perspective : l’amour chrétien, l’agapè, etc… Mais avec Sartre, on est à
mille lieues de ces rêveries.
Idée que l’autre me confère une « nature ».
Sous le regard d’autrui, je suis une vieille pédale ; je suis un avare
mesquin, je suis un mec généreux.
Autrui détermine mon être en me réifiant.
→ Il fait apparaître une identité chosique, par son regard.
Mais si j’ai une nature, cette nature m’échappe et est « inconnaissable
comme telle ».
La nature que me confère autrui, je l’ignore. Parce que je ne sais
jamais ce qu’on pense de moi. Parce que « on », c’est qui ?
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Même si j’essaye de maîtriser ce que l’autre pense de moi (cf. les
démarches de séduction), mon être m’échappe. Parce que je suis AUX
MAINS d’autrui. C’est autrui qui m’objective, et il me taille un costard.
Il y a cette idée que je suis aux mains d’autrui. Et que je peux
m’épuiser à essayer de savoir, de deviner, etc… Et c’est autrui qui détermine
ma nature.
p. 328 : intéressant de voir le rapport à la Bible.
« dehors » = car autrui est au principe.
« sans défense » = je suis sous la coupe d’autrui.
« irrémédiablement » = vocabulaire pathétique de l’existentialisme.
« en sursis » : Cf. le titre du 2ème tome des Chemins de la liberté
(Sartre). Le sursis, après L’Âge de raison et avant La mort dans l’âme. C’est
l’idée que ce qui est fixé peut toujours être transformé. Ce n’est pas fixé
pour l’éternité.
En sursis = indétermination de notre être. Indétermination liée au
temps. On ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, tout peut changer.
Cf. la crise de mysticisme à 15 ans. Si à 22 ans je m’engage dans les
ordres, elle prend un sens autre que si je pars barouder à San Francisco dans
les backrooms.
En ce qui concerne la honte, ai-je honte parce que je suis coupable ??
Non, on manque la chose. La honte qui m’habite est indépendante du
caractère moral. C’est la honte d’être un objet. On est à un niveau infraéthique.
→ Cette honte me révèle une dégradation non pas morale (il n’y a pas
de faute), mais ontologique. Indépendamment de la morale.
C’est une chute, mais pas morale. Une chute ontologique. J’ai besoin
de la médiation d’autrui pour avoir une nature. Et cette médiation provoque
ma chute. Mais ce n’est pas une chute éthico-théologique.
La pudeur (concernant la nudité).
= une spécification symbolique de la chute originelle.
Ce geste qui consiste à masquer sa corporéité, pour tenter
d’échapper au regard objectivant d’autrui.
La pudeur est ici à comprendre comme une spécification de la honte.
C’est réclamer le droit de voir sans être vu. Le vêtement,
fondamentalement, est une volonté de se soustraire au regard d’autrui.
Sous la burka ; je le vois, et j’échappe au regard d’autrui.
Dissymétrie.
La chute : Adam et Eve connaissent qu’ils sont nus.
Chute mise en évidence par l’irruption de la pudeur. Avant la chute,
ils étaient dépourvus de pudeur, ils étaient des corporéités innocentes.
La pudeur n’est pas innée. Mais la pudeur n’est pas purement
sociologique, ou conventionnelle. Elle apparaît au fur et à mesure que
l’enfant devient sensible au regard objectivant d’autrui.
La pudeur est constitutive de l’être.
B. pp 307-314 : le sens du surgissement d’autrui dans et par son
regard
C. pp 315-321 : Objections, difficultés.
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D. pp 321-336 : quel est l’être de cet être-pour-autrui ? L’en-soi : j’ai
une nature.
E. 336-341 : La question métaphysique : pourquoi y a-t-il des autres ?
Cette question rappelle la question plus générale : pourquoi quelque
chose plutôt que rien ?. C’est la question que présuppose le principe de
raison : « nihil est sine ratione » = rien n’est sans raison. Heidegger a écrit
dessus.
Pour Sartre cette question, qu’il spécifie en « pourquoi des autres ? »,
est proprement métaphysique. Dans ce traité d’onto-phénoménologie, on
va sortir de la phénoménologie pour spéculer. On va passer dans le cadre
de la spéculation à partir de considérations métaphysiques.
p. 337 : « L’ontologie nous paraît pouvoir se définir comme
l’explicitation (cf. Heidegger, Auslegung, le déploiement d’un sens) des
structures d’être de l’existant (transcendance, pour-soi, pour-autrui) pris
comme totalité, et nous définirons plutôt la métaphysique comme la mise en
question de l’existence de l’existant. »
Autrement dit, comme une interrogation sur l’origine de l’existant,
l’origine de ce qui est, l’origine des autres.
La réponse à la question « pourquoi des autres ? » « trouve son point
de départ dans l’acte ontologique absolument premier », évoqué p. 115 =
l’acte perpétuel par lequel l’en-soi se dégrade en présence à soi.
Un acte absolument premier dans la métaphysique sartrienne.
On est à la limite de la phénoménologie. Du compréhensible.
Ici, surgit une conscience !
Comment de l’en-soi surgit une conscience ? On se heurte à une
limite (ou une frontière ?) de la phénoménologie.
Réponse tentée par Sartre à cette question :
1. D’abord, première ek-stase du pour-soi, la présence à soi.
J’ai conscience de moi, conscience non-thétique. D’un point de vue
métaphysique, cet acte par lequel l’en-soi se dégrade en pour-soi correspond
à l’en-soi figé.
Pourquoi le pour-soi en tant que présence à soi surgit ?
Répond à un effort voué à l’échec d’un en-soi pour se fonder. Le poursoi ne parvient pas à se fonder.
→ première fissure, néantisation : le pour-soi n’est pas l’en-soi.
2. Cette néantisation échoue, et donc on a une deuxième ek-stase :
l’ek-satse réflexive.
Le narcissisme correspond à une tentative de la conscience pour se
mettre à distance d’elle-même, accentuer la néantisation qui la sépare d’ellemême, la scissiparité, la division du réfléchi et du réfléchissant. La
conscience de soi maintenant poursuit sous une modalité réflexive l’idéal de
l’en-soi-pour-soi.
= Nouvel échec.
Dans l’idéal du narcissisme, il faudrait que je sois objet, et que cet
objet soit moi. C’est contradictoire ; c’est un échec.
pp. 188-190. C’est là que se trouve élaborée la réflexion.
L’effort est contradictoire car le réfléchissant dans la réflexion veut à
la fois n’être pas le réfléchi et être le réfléchi.
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→ On a une négation plus radicale que dans la présence à soi. Il y a
une distance plus profonde entre le réfléchissant et le réfléchi.
3. D’où la troisième extase, envisagée p. 338, « une extase plus
radicale » = l’être-pour-autrui. Ici, Sartre envisage le surgissement d’autrui
comme une autre tentative de l’en-soi pour se fonder. Mais pour se fonder à
travers une scissiparité ou une division radicale : l’en-soi se décompose
pour se fonder ; s’émiette en une pluralité de consciences.
On pense à Plotin, et l’idée d’hypostase. De la dérivation des
hypostases à partir des trois :
- L’Un, au-delà de l’être. Cf. République, livre VII.
On part de l’Un dans la métaphysique plotinienne, Dieu, le principe
suprême.
- L’intellect et l’intelligible est engendré par l’Un.
- Les âmes.
Il y a des autres pour Plotin parce que l’Un dans sa surabondance se
déploie, mais se déploie en se démultipliant.
→ Sartre se lance ici dans une spéculation métaphysique qui
envisage le surgissement de la pluralité des consciences à partir d’un
effort de l’en-soi pour se fonder, voué à l’échec.
= Trois stades d’ek-stases ici.
Chapitre II : le corps
Considération introductives.
Soyons attentifs à l’importance accordée par Sartre au corps. Cela
n’allait pas de soi à l’époque de Sartre. C’est un travail pionnier en
phénoménologie. On a l’un des premiers textes qui tente une description
phénoménologique du corps, de la corporéité. De l’incarnation (même si
des références théologiques viennent se télescoper).
Husserl ne parlait pas du corps dans ses œuvres publiées. Même si les
études husserliennes ont découvert des manuscrits depuis.
Husserl établit une opposition entre Leib (le corps vivant, vécu, la
chair) et Körper (le corps-chose, le corps chosique). Il y a déjà cette idée
chez Husserl que le corps ce n’est pas une seule et même chose. Il y a des
corps. Le corps-pour-autrui (Körper), qui n’a rien à voir avec le corpspour-soi (Leib).
Heidegger, lui, n’aborde pas le corps. Le Dasein n’a pas de sexe.
Sartre souligne dans l’Être et le néant qu’Heidegger ne parle pas du
corps. Heidegger reconnaît que la question du corps, il n’était pas capable de
la traiter dans Sein und Zeit.
Rq : Sartre a déjà abordé la question du corps, dans l’Esquisse d’une
théorie des émotions. Sartre s’y interroge sur la conduite émotive.
Cette conduite se caractérise par des gestes, par certains phénomènes
corporels. Et Sartre s’interroge alors sur le corps en tant que le corps répond
à l’intention de la conscience ; il est comme totalement assujetti à la
conscience. Pour Sartre, je choisis de ME mettre en colère. Les émotions
relèvent d’un choix, d’une liberté. Je choisis de pleurer, ou d’être joyeux.
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C’est une liberté infra-volontaire. Elle n’est pas suspendue à la volonté,
elle lui est antérieure.
L’émotion n’est pas une passion de l’âme pour Sartre. Contre
Descartes, James, et l’idée de passivité des passions : l’émotion est une
conduite magique. Et le corps lui-même est destiné à transformer
magiquement le monde.
Une conduite magique est une conduite qui ne passe pas par des
médiations. Elle transforme le monde sans y toucher. D’un coup de baguette
magique. Cf. dans Les 7 boules de Cristal, le Capitaine Haddock qui refait le
tour de magie, en croyant à la magie.
Le corps répond à l’intentionnalité de la conscience pour
transformer le monde dans l’émotion.
Le corps comme être pour-soi, p. 345 et sv.
Bien lire l’avant-propos, p. 342-344 : tout est dedans !
« Le problème du corps et de ses […] »
= le corps-pour-autrui, pas le corps pour soi, pas la première
dimension du corps. Ses propres lois = la gravité par exemple.
Le type d’intuition intime qui lui est propre, c’est la conscience de soi.
Je suis en colère, j’en ai conscience.
Toutes les difficultés traditionnelles rassemblées sous le titre de
l’union de l’âme et du corps, Sartre les désamorce.
Il n’y a pas de difficulté. Ces difficultés sont artificielles. Le corps
pour autrui, c’est le corps qu’étudie la physiologie, les neurosciences. Mais
quand on se demande : quel est le lien entre l’intentionnalité et tel processus
neuronal… ? On se heurte à un obstacle, évidemment, mais cet obstacle est
artificiel.
On se trompe de corps. Il faut associer à la conscience son propre
corps. Et là, il y a moins de problème.
La 6ème Méditation est une référence évidente ici. Ce n’est que là que
Descartes évoque la question du corps (l’union) :
« Il n’y a rien que cette nature [Dieu vérace] m’enseigne plus
expressément ni plus sensiblement sinon que j’ai un corps […]. La nature
m’enseigne aussi, par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc… [des
vécus de conscience, des pensées] que je ne suis pas seulement logé dans
mon corps, ainsi qu’un pilote dans son navire [Cf. Platon] mais outre cela
que je lui suis conjoint si étroitement, et tellement confondu, et mêlé, que
je compose COMME un seul tout avec lui ». Méditations VI, §23.
Le « comme » est essentiel, car il maintient la distance. Le dualisme
substantiel est raturé, mais pas intégralement. Le dualisme du pilote est
corrigé, avec l’idée de conjonction. Mais la confusion reste « comme ».
Sartre dénonce l’impasse cartésienne qui trouve sa réponse dans
la distinction entre le corps vécu, le corps chose, le corps tel qu’il
apparaît à autrui.
Et ce qui est important à souligner, c’est que ces deux corps
appartiennent à des plans ontologiques rigoureusement distincts, séparés.
On ne peut pas établir de correspondance. Il ne faut pas tenter
d’établir de correspondance. L’ère du cerveau, la bosse des maths, etc…
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Sartre explose de rire. On la retrouve avec les neurosciences, qui cherchent
le circuit neuronal de l’empathie.
Cf. le dialogue de Ricœur (phénoménologue) face à Changeux
(matérialisme absolu).
« Je conclus » = pas quelque chose qui est immédiatement vécu, mais
une conclusion.
Il ne faut pas tout mélanger ! « l’ordre de nos connaissances » = très
important.
Cf. Guéroult, qui sur Descartes a écrit un immense livre (avant d’aller
en sanatorium) : Descartes selon l’ordre des raisons.
Descartes : « l’âme est plus aisée à connaître que le corps », chose qui
n’a de sens que selon l’ordre des raisons, puisque je ne connais le corps
qu’en VI.
Sartre ici retrouve un ordre des phénomènes. Il faut bien repérer de
quel phénomène on parle.
Un « corps au milieu du monde », c’est une chose.
Cf. Heidegger : il y a deux manières d’être au monde : une chose dans
une chose, le whisky dans la bouteille. Mais le Dasein n’est pas dans le
monde ainsi. C’est un être AU monde. Le rapport du Dasein au monde est
un rapport d’ouverture. Le corps pour-soi est ce qui dévoile le monde.
J’ai une conscience très vague de ma colonne vertébrale. Mais elle me
soutient.
Bien avoir en tête la référence au § 44 des Méditation cartésiennes,
Leib/Körper.
Leib = support de sensation localisées,
Körper = corps-chose.
La difficulté réside pour le sujet en la difficulté de saisir son corps tel
qu’autrui peut le saisir.
Ainsi dans la glace, je ne vois pas le corps-pour-soi. Mais le corpspour-autrui.
Comment vais-je apparaître pour l’autre ? Je me rase ? Je me
maquille ?
p. 343 : le phénomène de double sensation. C’est la possibilité de se
toucher soi-même. Je suis touchant-touché quand ma main droite touche ma
main gauche.
Cette thématique est déjà abordée dans les Ideen II. Et Merleau-Ponty
la reprendra. Toute la thématique du chiasme tactile trouve l’une de ses
sources ici : étrange possibilité d’être à la fois touchant et touché. La
question de la réversibilité se retrouvera avec le visible : je suis voyant et
visible, mais puis-je l’être simultanément ?
La réponse de Sartre est simple : cette possibilité ne doit surtout pas
conduire à confondre les deux plans. Et on retrouve la thèse : quand je me
touche, je décris mon corps-pour-soi, et mon corps-pour-autrui quand je
suis touché.
Deux plans incommunicables, pas de relation.
pp. 345-368. Le corps comme être-pour-soi : la facticité.
La facticité est élaborée une première fois au début de la partie II, cf.
p. 115. La facticité du pour-soi, c’est le fait brut d’exister.
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Pourquoi facticité et non pas fait ?
Parce que Sartre entend distinguer les concepts descriptifs de
l’existence des concepts descriptifs de la subsistance.
La facticité = le fait brut d’exister. S’oppose à la transcendance.
On a un pour-soi facticiel, qui a une double facticité.
La facticité est la dimension de mon être qui échappe totalement à
ma liberté.
Exemple : je n’ai pas choisi ma naissance, mon époque, mes parents,
etc… Pas non plus ce corps malingre = facticité.
La corporéité s’inscrit dans le prolongement de la facticité. La
corporéité est un domaine au sein de la facticité. Le corps-pour-soi est la
dimension facticielle de mon existence, de ma transcendance.
Le concept de situation est différent. Dans une certaine mesure, je
choisis ma situation. Je n’ai pas choisi de naître dans le caniveau (c’est ma
facticité), mais je peux choisir ce que je fais dans le caniveau.
→ La limite de la liberté, c’est la facticité.
Avançons dans la description du corps-pour-soi.
Lien de nécessité entre être-au-monde et corporéité, « avoir un
corps ». On ne peut pas être au monde et survoler le monde. La pensée de
survol est une pensée désincarnée. Être-au-monde, c’est toujours être là. À
partir de ce là se déploie le monde au travers de moi (signification spatiale).
Mais cela n’inclut pas : je suis là AU monde, plus que dans le monde.
Ce qui me permet d’être là au monde, c’est le corps.
De ce point de vue, un ange n’est pas AU monde, puisqu’il est
dépourvu de corporéité.
Dans l’idée de fantôme, il y a l’idée d’une corporéité évanescente. Un
fantôme traverse les murs.
Un existant est tel parce qu’il a un corps, parce qu’il est au monde.
p. 347 : la « nécessité ontologique » de la corporéité d’un être-aumonde. Métaphore du survol = de la désincarnation (l’ange).
Sartre : « être, pour la réalité humaine, c’est être-là ».
Alors évidemment, Da-sein s’est longtemps traduit par être-là. Mais
ne confondons pas. Le Da, le là chez Heidegger est le là du dévoilement de
l’être, il a un sens ontologique. Alors que le là de l’être-là sartrien est spatial.
L’allusion à Heidegger est là, mais pas seulement le là du déploiement
phénoménal de l’être, pas seulement l’ouverture.
→ Le là sartrien est le là du point de vue sur le monde.
1. On en arrive à une première définition du corps, p. 348 : « on
pourrait définir le corps comme la forme contingente que prend la nécessité
de ma contingence ».
On retrouve la thématique de la contingence, de la nausée.
→ Il est contingent que j’existe. Mais si j’existe, j’existe
nécessairement quelque part en tant qu’être-au-monde. Mais ce quelque
part est lui-même contingent.
Au cœur de ma contingence, il y a une nécessité, qui est d’être-là.
Référence à un mythe de la République ; le mythe d’Er.
Il est à l’opposé de Sartre : Platon décrit le choix de l’existence future
par les âmes. Les âmes basses choisissent la tyrannie. Les nobles la vie de
sage.
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Pas chez Sartre : je ne choisis pas de choisir ici ou là.
2. pp. 349-359 : 2ème définition du corps : le corps comme centre de
perspectives ; comme « siège des 5 sens ».
Et là, on s’arrête sur ce point, car Sartre innove radicalement, en
refusant de considérer que le corps-pour-soi serait pourvu d’organes des
sens.
Le corps-pour-soi n’est pas un corps pourvu d’organes des sens.
Un préliminaire : une critique de la théorie de la sensation.
Pour Sartre, la sensation est fiction. C’est une notion absurde. C’est
une rêverie de psychologue. Ça n’existe pas. Et Sartre a des arguments assez
forts. De deux choses l’une :
- Ou j’ai conscience de voir, cette classe, ce mur. Masi ça, c’est la
perception, pas la sensation.
- Ou bien j’étudie mon œil, un œil composé d’un cristallin, d’une
cornée, d’une rétine. Et il n’y a toujours pas de sensation.
Dans la conscience de voir, il n’y a rien qui ressemble à cet atome.
Il n’y a pas de sensation. Soit j’ai conscience de voir, soit je prends
le point de vue d’autrui. Pas de sensation dans les deux cas.
Pour bien comprendre ce qu’est le corps pour soi, il faut d’abord
mettre de côté toute théorie de la sensation.
Sartre ici s’oppose à la hulè, à la matière husserlienne, avec l’idée que
la perception est un acte, une possibilité constituée par l’animation d’une
matière par une intention perceptive.
Sartre dit que c’est du roman. La phénoménologie ne permet pas cela.
Il faut donc renoncer à la définition du Leib comme « support de
sensations », comme dit Husserl. La théorie de la sensation permet à Sartre
de prendre ses distances avec le Leib husserlien en continuité avec la
problématique.
Mais alors, qu’est-ce qu’un sens ? La vue, le toucher ?
La vue n’est pas un organe, mais le « système des objets vus selon une
certaine orientation ».
- Système, car ordre spatial entre les objets,
- Orientation, car être-au-monde c’est être-là, donc être un point de
vue.
On a une définition du corps-pour-soi qui est centre de perspective,
et en tant que tel, vision. Système des objets vus.
De même, l’ouïe n’est pas l’ensemble des sensations auditives, mais le
système des objets sonores à partir d’un point d’écoute défini.
Avoir un corps, c’est disposer d’un certain nombre de possibilités,
qui du point de vue du corps pour soi doivent être décrites en tenant à l’écart
tout ce qui tiendrait du corps-pour-autrui.
« un sens n’est pas donné avant les objets sensibles ». Si je posais un
organe, je retomberais dans le corps-pour-autrui.
Les sens sont les « choses en personne », donc les sens, c’est le
visible.
Ici, il faut tout ramener à un certain centre de perspectives.
Une conception des sens radicalement nouvelle.
Le corps n’est surtout pas le siège des 5 sens.
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3. Troisième définition du corps : le corps comme centre d’action et
centre absolu d’instrumentalité, p. 359-365.
Ici, nouvelle référence à Heidegger. Dans Sein und Zeit, analyse du
« machin », ein Zeug. L’utile. Pas l’outil.
Système de renvois des outils entre eux. Le corps va être décrit
comme centre absolu d’instrumentalité.
2ème référence : la référence aristotélicienne. Le corps, c’est ce qui
permet au pour-soi d’agir sur le monde. On n’est plus dans une attitude
contemplative avec le corps pour Aristote, mais il est ce qui permet au sujet
d’agir sur le monde.
Le corps n’est pas un outil, ce n’est pas un instrument pour Sartre. Et
décrire le corps comme un utile agissant sur le monde c’est à nouveau
confondre.
Cette critique culmine avec la conception aristotélicienne de la main.
Cf. Aristote, Partie des animaux : « un outil qui tient lieu des autres
outils », chap. IV. Pour Sartre, cette définition est inadmissible. La main est
radicalement distincte du porte-plume qu’elle tient.
Pourquoi ? Parce que je SUIS ma main. Et d’autre part, la main, c’est
seulement l’utilisation du porte-plume.
« Le terme premier est partout présent, mais il est seulement indiqué.
Je ne saisis pas ma main dans l’acte d’écrire, mais seulement le porteplume ». Cf. p. 363.
La main est l’utilisation, la possibilité d’utiliser un porte-plume.
Sartre se met à distance ici de la conception Aristote.
Conclusion : p. 365-369 : « le corps est perpétuellement le
dépassé ».
Le corps comme centre de perspective, ou d’action, ne se donne
jamais comme tel. Le pour-soi agissant est toujours auprès des étants, auprès
des choses du monde. Il est auprès de ce qu’il perçoit, transforme, manipule.
Et donc le pour-soi est toujours au-delà de son corps. Et Sartre définit le
corps-pour-soi comme un insaisissable.
→ Le corps pour soi est l’oublié, l’escamoté, le dépassé.
Je cours, je suis auprès des objets que je perçois. Le corps est
perpétuellement dépassé.
En quel sens alors suis-je mon corps ? Cela signifie d’abord que je
n’ai pas un corps. Avoir un corps, ce serait réintroduire ce que je ne suis
pas.
En quel sens je suis mon corps ?
Sartre nous dit que je suis mon corps dans la mesure où je suis. Je ne
le suis pas dans la mesure où je ne suis pas ce que je suis.
Cela veut dire :
a/ Que je suis un être-au-monde, et pour cela, je suis ce qui me permet
d’être-au-monde = mon corps. Sinon je ne serais pas.
b/ Mais je suis mon corps sur le mode d’être spécifique du poursoi. Donc sur le mode de l’être qui n’est pas ce qu’il est et qui est ce qu’il
n’est pas. C’est pourquoi Sartre dit : je ne le suis pas dans la mesure où je ne
suis pas ce que je suis.
Il y a un acte néantisant tel que dire « je suis mon corps », c’est
manquer la relation de soi à mon corps.
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→ Je suis mon corps au sens où être, c’est toujours être à distance,
être séparé.
C’est ce que permet à Sartre le concept de néantisation : échapper au
dualisme des substances.
Il n’y a pas le pour-soi incarné. Mais un pour-soi nécessairement au
monde, là, centre de perspective et d’action. Ce là, c’est ce que je suis sur le
mode du ne l’être pas.
P. 369 : « … »
La conscience ne perçoit pas son corps. Si je dis cela, j’introduis
entre moi et mon corps une relation objective. Mais elle existe son corps, ce
point de vue sur lequel il n’est pas possible de prendre un point de vue. Et
qui permet à la conscience de percevoir et d’agir.
La conscience existe son corps, habite son corps.
Dernier aspect, p. 369-378 : corps et affectivité originaire.
C’est un point important, car tout ce qu’on a dit du corps est pour
l’instant désincarné, sans l’affectivité.
Le corps-pour-soi est le corps que je ressens. Il se confond avec
l’affectivité originaire. On se réveille le matin. On se sent bien, en forme.
Après une grippe par exemple.
Ce qu’on appelle le cénesthésique, la « texture » (métaphore
bergsonienne) de la conscience. Un pour-soi est toujours dans un rapport au
monde, mais toujours accompli à partir d’une certaine impression de
malaise, de bien-être… L’humeur, etc… Cela relève bien de la facticité.
Ce qui conduit Sartre à bien distinguer, pour l’affectivité, l’affectivité
originaire, et l’affectivité constituée.
Haïr dit Sartre, c’est saisir à même le visage d’autrui son caractère
haïssable. Cette haïssabilité est sur la tête de cette personne. Il a une tête de
con.
L’affectivité constituée est cette affectivité intentionnelle, dirigée sur
son objet. Mais cette affectivité suppose une affectivité originelle.
Ce qui permet de la dévoiler, c’est par exemple : les abstraits
émotionnels. Les conduites émotionnelles qui font semblant. La mimique de
la satisfaction quand on reçoit un cadeau minable.
C’est un abstrait émotionnel. Ce qui manque dans cette mimique, c’est
la satisfaction vécue, réelle. C’est l’affectivité originelle qui manque. Il y a
là l’idée d’une affectivité pure, pré-intentionnelle.
Le corps-pour-soi est cette affectivité originaire, dans toutes ses
dimensions. Cela recouvre l’humeur, le malaise, etc… mais aussi
l’affectivité constituée, tendresse, haine, amitié, etc…
Et on en arrive à la nausée. Mais l’angoisse et la nausée relèvent de
cette affectivité originelle.
Il y a une nausée originelle : j’ai un goût pour moi-même, et ce goût
est nauséeux. Je me lave les dents, car j’ai un mauvais gout, pas par hygiène.
→ C’est un dégoût à l’égard de notre propre être qui nous habite.
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Le corps-pour-autrui
1. Le corps tel qu’il est objectivé par autrui, ou - corps d’autrui tel
qu’objectivé par mon regard, ou - mon corps en tant que j’ai possibilité de le
saisir comme pur objet.
2. Le corps est alors un étant (quelque chose) au milieu du monde
(contrairement au corps pour soi, qui est la condition de mon être au monde ;
le « là » de mon être au monde).
3. Le corps pour autrui est aussi un point de vue sur lequel on peut
prendre un point de vue car il est au milieu du monde.
4. En outre, ce corps est un instrument que je peux utiliser ; le corps
pour autrui est un corps constitué d’organes des sens, organes qu’étudie la
physiologie.
5. Enfin, le corps pour autrui est signifiant. Il est saisi en situation, en
rapport avec certains objets et en fonction d’un projet. Le corps d’autrui est
toujours signifiant par ses gestes, par sa conduite. Et il y a une
compréhension pré-linguistique en tant que je le saisis toujours en situation,
en train d’attendre, de faire ceci ou cela.
→ Pas d’énigme d’autrui en ce sens, puisque je le saisis en tant que
son apparaître est pourvu de sens.
La chair : « la contingence pure de la présence ».
1. La chair c’est le corps, mais saisi d’une certaine manière, dans sa
radicale contingence. Je suis présent au monde car je suis incarné.
Attention, ce n’est pas la chair merleau-pontienne.
2. La chair de l’autre est en rapport étroit avec le dégoût, la nausée.
Cette chair et cette contingence sont ordinairement masquées par le
vêtement.
Tout cela permet à Sartre de critiquer l’intersubjectivité telle que
Husserl la comprend (je saisis autrui, et je tente de savoir ce qu’il y a dans
sa tête, cf. l’idée d’énigme d’autrui que Sartre rejette).
Pour Sartre, rien ne m’échappe. Autrui n’est pas une conscience ou
une âme cachée derrière son corps, mais autrui se donne à moi d’emblée.
→ L’autre n’est pas son corps + une âme/un psychisme, mais il est
son corps. Ce refus, dans ce cas, rapproche Sartre du behaviourisme. On
saisit autrui dans son comportement, cf. p. 386.
Chapitre III : les relations concrètes à autrui.
Un chapitre fondamental. Des analyses psycho-phénoménologiques
remarquables.
Ici, avoir absolument en tête Huis clos.
Garcin, Inès, Estelle. Garcin le lâche, Inès une employée des postes, et
Estelle la mondaine infanticide. Les trois se retrouvent en Enfer, c’est-à-dire
dans un salon bourgeois de style second empire.
« Le bourreau, c’est chacun de nous pour les autres ».
Mise en scène des différentes possibilités de relation concrète à autrui.
En introduisant un élément : le regard d’un tiers (pas dans le chapitre).
Pb : comment s’aimer sous le regard d’un tiers ?
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L’idée générale : les relations à autrui sont ontologiquement (et
non psychologiquement) vouées à l'échec.
pp. 401-404.
Dans ce préambule, Sartre pose deux principes :
1. Le pour-soi ou la conscience se temporalise comme « fuite
vers ». Ce qui veut dire que le pour-soi existe en se temporalisant. Comme
transcendance, comme désir de l’en-soi « qu’il serait s’il pouvait être son
propre fondement ».
La « fuite vers » est la toile de fond de toutes les analyses des
relations à autrui. Toujours, il s’agit d’échapper à la contingence. Cf. p.
402.
2. Sartre rappelle l’alternative stricte entre regarder et être
regardé. On se souvient : le regard d’autrui masque ses yeux (comme globes
oculaires).
→ C’est cette fuite vers qui commande et va commander l’attitude du
pour-soi dans un monde où il y a l’autre.
À partir de là apparaissent deux attitudes fondamentales par rapport à
l’autre. La multiplicité des conduites peut s’organiser en deux grandes
attitudes :
1. Autrui me regarde, et afin d’échapper à son regard objectivant, je
puis me retourner sur autrui. Pour lui conférer à mon tour l’objectivité.
→ projet d’objectivation.
Puisque l’objectivité d’autrui est destructrice de mon objectivité pour
autrui, alors quand j’objective autrui, je suis délivré de cette aliénation que
constitue le regard d’autrui. Je récupère ainsi ma liberté aliénée dans le
regard d’autrui. Cf. p. 404.
2. Autrui me regarde, mais au lieu de le regarder, je tente de
m’emparer de sa liberté sans lui ôter son caractère de liberté.
→ projet d’assimilation.
J’accepte mon objectivation, je ne me révolte pas. Mais je tente de
m’emparer de la liberté d’autrui sans pour autant lui ôter son caractère de
liberté.
On a un projet d’objectivation dans un cas ; un projet
d’assimilation dans l’autre. Deux projets et deux attitudes, directement
dictées par l’être du pour-soi. Elles sont donc caractérisées ontologiquement.
Attention à ne pas hiérarchiser. L’une n’est pas supérieure à l’autre.
Les deux échouent : le projet ultime qui les habite est irréalisable. En outre,
il ne s’agit pas d’évaluer d’un point de vue éthique ; le point de vue ici est
ontologique.
Conséquence : chacune de ces attitudes est en l’autre et engendre
la mort de l’autre. C’est-à-dire que chaque attitude étant en germe dans
l’échec de l’autre, chacune se substitue à l’autre. Il y a pour Sartre une sorte
de clôture, parce qu’on ne peut jamais sortir du cercle. On passe d’une
attitude à l’autre, mais on ne peut pas sortir du cercle.
[À moins de renoncer au désir de justifier son existence ! = accepter
d’être un être superflu. Mais ça, ce n’est pas facile. Parce qu’on passe son
temps à demander à autrui de nous reconnaître. Le pour-soi, par conversion,
peut aboutir à d’autres relations à autrui.]
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pp. 404-419, plan :
p.406-417 : l’amour = la modalité privilégiée.
p. 412 et suivantes : le langage.
Enfin : le masochisme.
Qu’est-ce que l’amour ?
On pense à la métaphysique de l’amour platonicienne. Sartre s’y
oppose, en tant que Platon confond désir et amour, du fait de l’Eros.
Ici, amour, c’est la passion amoureuse. C’est Tristan et Iseult.
Cela prend le contre-pied de la conception platonicienne, mais
aussi freudienne (libido et Eros chez Freud aussi).
→ Enfin ici, on ne confond pas l’amour et le désir (charnel, sexuel).
Attention à ne pas confondre : désir d’être (transcendance), et désir
charnel.
L’amour :
- relève du projet d’assimilation.
- est un projet, donc une conduite, pas un état. On ne peut pas dire :
« je suis amoureux », car ce serait saisir comme un état un projet qui me
concerne et qui concerne autrui.
- In fine, c’est le pour-soi lui-même et sa contingence qui est visé.
L’amour est le projet de récupération par le pour-soi de son être.
Afin de fonder mon être, via l’assimilation de l’autre en tant que libre
subjectivité, regard. Cf. p. 404-405.
« Je suis projet de récupération de mon être afin de le fonder via … ».
= définition ontologique de l’amour.
Rq : l’amour est ici réinscrit dans la dimension métaphysique des trois
extases, en perspective.
Plus précisément, Sartre inscrit l’amour comme une réaction à
l’échec de la troisième extase : la tentative du pour-soi pour se fonder via la
pluralité des consciences.
C’est une tentative par un effort d’assimilation, d’identification,
d’intériorisation. Ici, les termes sont synonymes. = Assimilation de la
liberté d’autrui en tant qu’elle serait fondement de mon être pour autrui.
Or cela est voué à l’échec, car si par impossible je parvenais à
m’approprier, m’assimiler la liberté d’autrui, alors autrui perdrait son
altérité et je ne pourrais pas justifier mon existence.
Rq. Toute la difficulté pour Sartre est de parvenir à articuler :
- une description ontologique de la relation amoureuse
- une psycho-phénoménologie de la relation amoureuse.
Ce, afin d’attester la validité de l’ontologie de la relation amoureuse.
Ces remarques permettent de conforter l’ontologie.
Quelles sont les données psycho-phénoménologiques de la relation
amoureuse ?
D’abord, l’amour est une « entreprise ». I.e. un ensemble organique
de projets vers mes possibilités propres.
C’est pour cela que dire « je suis amoureux » est catastrophique.
Ensemble organique de projets vers mes possibilités propres. Et cette
entreprise est hantée par un idéal irréalisable. Qui est d’abord celui d’être
aimé. P. 406 : « pourquoi l’amant veut-il être aimé ? ». L’amour exige la
réciprocité, et même autre chose.
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Et cette exigence n’est pas un désir de possession physique.
Sartre cite Proust – allusion à La Prisonnière.
Il la possède, mais matériellement simplement. Par sa conscience,
Albertine échappe à Marcel.
Aimer cherche à captiver la conscience de l’autre. L’amour ne
concerne pas le corps. Je veux que l’autre m’aime, je n’attends pas qu’il me
désire.
Il s’agit de s’approprier la liberté de l’autre en tant que liberté. Pas par
domination, ni asservissement.
Ex, p. 407, de Tristan et Iseut.
Le problème, c’est que c’est la liberté de l’autre que je veux
m’approprier. Et en même temps, je ne veux pas d’une pure liberté. Je veux,
comme amant, que l’aimé m’aime librement, mais en même temps d’une
liberté qui est passion, qui est prise par la passion amoureuse.
L’amant exige « un engluement, un empâtement de la liberté ».
Toujours un rapport du pour-soi et de l’en-soi. L’ « empâtement »,
c’est ce moment du passage du pour-soi à l’en-soi. Liberté qui se prend,
qui n’est pas pure liberté, qui devient passion.
Ou alors : l’amant veut être tout au monde pour l’aimé. Il veut être
l’objet ultime et limite de la transcendance de l’aimé.
Cette exigence extrême se formule ainsi : il faut que l’autre me
considère comme indépassable, fin absolue, condition de toute valorisation.
Cf. p. 409.
Et on en arrive à cette conclusion, p. 411. Quand je suis aimé, alors,
ma facticité n’est plus un fait mais un droit. Mon existence est, parce qu’elle
est appelée. Si je suis aimé, je suis attendu, je suis fin absolue.
« C’est là le fond de la joie d’amour quand elle existe : nous sentir
justifiés d’exister ».
Sartre ici fait place à ces moments de joie dans la relation amoureuse
– qui ne dureront pas peut-être.
La « joie d’amour », son fond, c’est cette possibilité illusoire
d’échapper à la contingence.
Il faut tenir les deux :
- Il y a un échec fondamental, ça ne va pas durer.
- Mais fugitivement, je me dis : au moins, j’existe, je compte pour
quelqu’un pour qui je suis fin absolue. Et cet autre, c’est lui, parce que les
autres autres ne m’intéressent plus.
→ L’autre se réduit dans l’amour à une seule personne.
Mais cela suscite deux problèmes :
1. p. 411 : l’entreprise amoureuse est de nature conflictuelle.
Un point délicat. Quelle est la source du conflit ? C’est que l’aimé est
regardant, il est libre subjectivité. Et il ne saurait limiter sa transcendance
en posant l’amant comme fin absolue. L’aimé a ses préoccupations, son
propre désir d’être.
La racine du conflit, c’est que l’amant ne peut être fin absolue pour
l’aimé, parce que d’abord l’aimé est subjectivité, transcendance, qui projette
ses fins. Et l’aimé a aussi le souci de sa propre contingence. Cf. p. 412 :
l’aimé « ne saurait vouloir aimer […] ».
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Intervient alors la question de la séduction, qui modifie l’entreprise
amoureuse. Le but est pour l’amant de se faire objet fascinant. Il s’agit
d’attirer le regard, mais véritablement, capter le regard d’autrui.
C’est ici qu’intervient également le langage, qui va être analysé
comme l’une des modalités de la séduction.
→ L’amour est ici langage fascinant.
Tout cela, parce que pas de réciprocité pour Sartre, pas d’harmonie.
2. p. 414 : aimer, c’est vouloir être aimé.
Et lorsque l’autre est séduit, accepte d’aimer, et bien alors l’autre
projette à son tour d’être aimé. Il est à son tour habité par ce désir
constitutif de l’amour. Il exige à présent d’être aimé, il veut à son tour être
objet. Et être objet fascinant pour moi qui suis condamné à devenir sujet,
moi qui avais comme projet d’être objet ! Autrui veut être l’objet dans lequel
s’englue la libre subjectivité de l’amant.
On en arrive à cela que la relation amoureuse est une duperie, vouée à
l’échec, dans laquelle « chacun veut être l’objet pour qui la liberté de l’autre
s’aliène dans une intuition originelle », p. 416. = Intuition d’être justifié.
Or nul ne peut être à la fois sujet/objet ; regard/regardé ;
amant/aimé.
Pb donc : quand l’autre se prend au jeu, il veut à son tour être aimé.
→ Conclusion : bienheureux Roméo et Juliette qui ne peuvent pas
s’aimer. Parce qu’ils ignorent que la relation est vouée à l’échec. Montaigu
et Capulet semblent interdire la réussite de l’amour de Roméo et Juliette.
Mais ce n’est, cet obstacle transcendant des familles qui se haïssent, que le
masque illusoire d’un échec immanent.
→ Triple destructivité de l’amour :
1. Duperie et renvoi à l’infini.
2. Autrui ne peut fonder mon existence.
3. Amour = absolu perpétuellement relativisé par les autres. Car les
autres m’appellent et me détournent à chaque moment.
On remarque que la relation amoureuse engendre la mise à l’écart,
l’isolement, l’éclipse.
Je veux être absolu, mais les autres ne font que relativiser ma relation
avec l’autre.
La relation amoureuse, c’est cet espoir fou d’être sauvé.
On comprend bien pourquoi un sage ne peut pas être amoureux.
Le monde se réduit à un être ; et cet être est celui qui me sauve.
Puis, le masochisme est envisagé comme une attitude visant de
nouveau l’assimilation, par douleur, humiliation, l’intériorisation de la
liberté d’autrui.
Puis, plan :
Préambule : p. 419.
420-22 : l’indifférence,
422-39 : le désir sexuel ;
439-446 : le sadisme.
Enfin, une remarque, p. 446-450.
Enfin, la description de la haine
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Remarque générale sur la deuxième attitude (puisque la première
échoue) : il ne s’agit plus de poursuivre l’impossible assimilation de la libre
subjectivité d’autrui. Je renonce à me faire objet, et je choisis d’affronter le
regard de l’autre en l’objectivant. Cette deuxième attitude est néanmoins
elle-aussi minée par l’échec : « l’être qui me reste dans les mains est un
autrui objet ». Cet être a perdu la clef de mon être-objet, il ne peut pas me
sauver. Il ne peut pas être au fondement de mon être ; il ne peut pas lever la
contingence de mon être.
Les conduites qui relèvent de cette attitude consistent à « rechercher la
liberté d’autrui – tenter de m’en emparer – à travers l’objet qu’il est pour
moi ».
Ce qui est au cœur, c’est le corps d’autrui.
Première possibilité : l’indifférence envers autrui. Cécité vis-à-vis
d’autrui.
C’est le choix de cette attitude qui consiste à considérer les autres
comme de simples objets. Une conduite de mauvaise foi, qui nie qu’autrui
puisse être sujet. De ce point de vue, le poinçonneur de tickets n’est que
fonction de poinçonneur.
L’indifférence consiste à nier la subjectivité d’autrui, et me rapporter à
autrui comme à un être qui se réduit à sa fonction.
Une telle attitude n’est pas satisfaisante. Elle permet de se protéger du
regard d’autrui, mais (p. 422) ne permet pas de « totaliser enfin la totalité
détotalisée que je suis, pour fermer le cercle ouvert que je suis, pour faire
enfin que je sois fondement de moi-même ».
Idée au cœur : le pour-soi est une totalité détotalisée. Cela ne signifie
rien de nouveau, mais formule autrement une situation que nous
connaissons : le surgissement du pour-soi est surgissement d’un manque au
sein de l’être. La dé-totalisation est l’idée du surgissement d’un être qui est
manque, et qui ne parvient pas à se re-totaliser, à pallier ce manque.
Combler le manque que je suis, c’est m’adresser à autrui pour qu’il
vienne combler le manque qui m’habite. Totaliser enfin la totalité détotalisée que je suis.
Ce qui caractérise ce pour-soi, c’est son aspiration à la totalité.
Maintenant, nous pouvons aborder la question du désir sexuel.
On a noté que l’analyse de la relation amoureuse a été conduite sans
prendre en compte la différence sexuelle. Pour Sartre, il va de soi que la
relation amoureuse est une possibilité ontologique indépendante de la
différence des sexes.
1943 : E&N mis à l’index, de même que le Deuxième sexe !
L’analyse du désir sexuel aussi !!
La relation sexuelle est pour Sartre une relation charnelle, c’est-à-dire
indépendante des organes génitaux.
Point spécial, car on envisage la sexualité souvent à travers la
génitalité, voire à travers l’hétéro-génitalité. Important ici de saisir que la
relation sexuelle pour Sartre n’est pas génitale. Et évidemment, elle n’a pas
pour finalité la reproduction.
Ici, on a un découplage qui est total de la sexualité et de la
conservation de l’espèce.
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Ici, il faut comprendre que la sexualité génitale n’est qu’une modalité
possible de la relation charnelle, relation entre des chairs.
Sartre n’ignore pas pour autant la dimension du besoin.
Le désir n’est pas indépendant d’une certaine impérativité qu’est
l’envie pure et simple, l’envie telle que vécue par le corps-pour-soi.
Moment de l’affectivité originaire = j’ai envie.
Définition du désir sexuel : « ma tentative originelle pour me saisir de
la subjectivité libre de l’autre à travers son objectivité pour moi » ( p. 422).
Commentaire ; c’est une tentative, pas un état. Il y a une
intentionnalité du désir. C’est une conduite animée d’un projet, auquel Sartre
donne une dimension proprement ontologique. Qui a une dimension
existentielle. Exister pour autrui, c’est être sexué.
Très intéressant : on peut même envisager l’idée d’une sexualité
infantile, puisque la sexualité est découplée des organes génitaux. Possibilité
originelle inscrite dans l’être-pour-autrui.
C’est une entreprise qui vise la lire subjectivité à travers son
objectivité pour moi, c'est-à-dire à travers son corps. Le désir se porte sur
autrui en tant qu’incarné, en tant que corps. On est ici à mille lieues de la
relation amoureuse.
Objection que se fait Sartre : on peut s’étonner qu’un essai d’ontophénoménologie traite de la sexualité.
Heidegger, et son analytique existentiale met entre parenthèse le sexe
du Dasein (p. 423).
L’idée de Sartre, c’est que la sexualité a sa place dans cet essai, car
elle n’est pas une détermination contingente du pour-soi.
La facticité, c’est que l’on dispose d’organes génitaux. On aurait pu
concevoir des êtres humains se reproduisant autrement. Si l’on subordonne
la sexualité aux organes génitaux, là, la sexualité n’a rien à faire dans l’E&N.
Mais distincte, elle a sa place.
« L’homme dit-on, est un être sexuel parce qu’il possède un sexe. Et si
c’était l’inverse ? »
Attention à la fausse interprétation, de type aristotélicien ou
téléologique (les yeux pour voir). Non, Sartre ne dit pas cela.
Il dit que le pénis est une médiation possible de la relation charnelle
parce que l’homme est dans son être désir charnel. Le désir sexuel est
indépendant de l’organe génital.
Ce que Sartre met en évidence, c’est la racine ontologique du désir
sexuel.
Le pénis ne serait pas un instrument de la sexualité si l’homme n’était
pas dans son être désir sexuel. C’est l’homme en tant que désir sexuel dans
son être qui donne au pénis sa signification d’instrument de la sexualité.
Attention, Sartre énonce une théorie non de la pulsion, mais du désir.
Question de la différence anthropologique.
Définir l’homme comme un animal raisonnable, c’est la manquer,
pour Sartre après Heidegger (cf. La lettre sur l’humanisme : l’homme n’est
pas du tout un animal. Et il faut donc penser cet événement de surgissement
de l’humanité).
Il faut maintenir le fossé entre la sexualité animale, et la sexualité
humaine.
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Question maintenant : qu’est ce que le désir ? (p. 425)
1ère fausse réponse : dire que le désir est désir de volupté, ou désir de
faire cesser la douleur. Si on dit que le désir est désir d’orgasme, on ne
comprend rien au désir. Sartre en refusant le désir comme volupté s’oppose
en même temps à Freud. On ne cherche pas la diminution de la tension, avec
Sartre. Le désir pour lui n’a pas pour finalité l’orgasme. Au fond, on jouit
lorsque l’on renonce, pour finir.
L’argument est simple : si le but du désir était simplement le plaisir, il
n’y aurait pas besoin de passer par l’autre. Pourquoi s’imposer le passage par
l’autre ? Les plaisirs solitaires ne sont que des ersatz. Et si l’on a une
conception hédoniste du désir, on ne comprend rien au désir.
2ème fausse réponse : le désir comme désir de possession physique ;
faire l’amour. Le désir serait désir du coït. Le coït est plutôt une manière se
débarrasser de son désir. Le désir n’est pas subordonné aux organes
génitaux. Le coït n’est qu’une détermination accidentelle du désir. Il faut
penser le désir indépendamment du coït, de l’orgasme, de l’éjaculation.
3ème manière de ne pas comprendre le désir : partir de conduites
libertines, du « roué », dictées par une attitude réflexive et qui manquent le
désir dans sa dimension originaire et spontanée. Le réflexif est toujours
secondaire, dérivé chez Sartre. Ce qui nous intéresse, c’est de saisir le désir
dans sa naïveté première.
Seul un roué se représente son désir, le traite en objet (tiens, qu’est ce
qui m’exciterait le plus ? etc… Un plan à trois, peut-être ?). Faire durer le
plaisir, c’est une conduite dérivée.
L’acte sexuel délivre du désir. Faire l’amour, jouir, et comme ça c’est
fini. C’est une conduite dérivée, pas la conduite originaire du désir.
Définitions positives maintenant :
Le désir est une certaine manière d’exister son propre corps (non
transitif, cf. l’affectivité originaire).
La première étape consiste à se laisser troubler, et cette notion de
trouble est fondamentale.
Pour Sartre, il faut bien distinguer la faim, la soif et le désir.
Il y a une extériorité de la conscience par rapport à la faim et à la soif.
« Faire l’amour comme on boit un verre d’eau quand on a soif » =
complètement faux ; on comprend mal le rapport au corps, et la manière dont
le sujet désirant existe son corps. Le désir, c’est se laisser troubler par son
corps ; se laisser empâter, engluer.
« Dans le désir sexuel, la conscience est comme empâtée. Il semble
qu’on se laisse envahir par la facticité – le corps – qu’on cesse de la fuir et
qu’on glisse vers un consentement passif au désir ».
Pas de désir sans cette première étape fondamentale du consentement
à son propre désir, du consentement à sa propre corporéité.
La conscience doit s’abandonner à son propre corps. Se faire corps.
Donc ne pas confondre faim, soif, et cet état du corps pour soi qui
implique un abandon, un consentement.
2ème étape : le désir vise la libre subjectivité d’autrui.
Dans le désir, je me fais « chair » en présence d’autrui pour
m’approprier la chair d’autrui, p. 429.
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Il ne s’agit pas dans le désir charnel, ou dans cette inter-corporéité,
dans cette intercharnéité, de saisir autrui comme on saisit un instrument. Ce
n’est pas le rapport exigé par le désir.
Mais c’est un rapport de chair à chair : il faut s’incarner, et d’abord en
s’abandonnant à sa propre contingence.
La finalité étant l’invitation à l’autre de se faire chair.
Se faire-chair n’a de sens que par rapport au devenir-chair de l’autre, à
l’incarnation de l’autre.
L’échec du désir, c’est quand l’autre ne s’abandonne pas.
On a ici une sorte de dialectique de la chair. L’autre se fait chair et me
conforte dans mon devenir-chair. Le désir est ici un rapport tout à fait
spécifique entre les corps, qui est explicité par la « caresse ».
Le geste fondamental du désir, ce n’est pas le coït, la pénétration, mais
la caresse.
De ce point de vue, il y a un privilège de la main.
P. 430.
Le corps d’autrui = corps en situation. Or le désir doit supprimer le
rapport du corps aux objets, et rompre le rapport du corps avec le monde. Il
ne faut pas qu’il y ait trop de lumière. On ne fait pas quelque chose. Ce n’est
pas de la gymnastique !
La chair, c’est ce corps, mais le corps qui surgit dans toute sa
contingence, en rompant ses liens avec les autres objets qui l’entourent.
Comme la racine de marronnier qui surgit - quand elle n’est plus une
racine - dans toute sa contingence, il faut avec la chair faire advenir la
contingence du corps.
Rien n’est moins en chair qu’une danseuse.
Comment déshabiller le corps de ce qui masque le caractère charnel ?
Les caresses. Mais qu’est ce qu’on attend de la caresse ? c’est ce geste
fondamental d’appropriation de l’autre.
Le désir n’est pas le contact des épidermes.
La caresse ne se réduit pas à un contact : elle façonne la chair d’autrui
sous mes doigts. Il s’agit de parvenir à ce que l’autre s’incarne en son corps.
On peut aussi caresser du regard. La finalité est la même, il s’agit de
provoquer l’incarnation d’autrui.
P. 431. Le désir est possession seulement au sens magique du terme.
Un être possédé est habité par un esprit. Et il s’agit dans le désir de
provoquer ma propre possession et celle d’autrui. Non pas dépasser le corps,
comme dans la transcendance, mais être possédé. Cela aboutit à la double
incarnation réciproque.
La chair, c’est le corps tel que le désir l’existe dans la relation
charnelle. Et ce corps qui est chair entretient de nouvelles relations avec le
monde puisqu’il n’est pas central d’actions mais réalité passive au milieu du
monde ; pure contingence.
Caresse = la main effleure mais sans même vouloir effleurer. Le corps
n’est pas instrument.
P. 433 : « le sens profond du désir ».
C’est alors que je me fais désir. Le « me » est important ; car c’est une
conduite choisie. Le désir est une conduite d’envoutement (// relation
amoureuse où on fascine), mais ici, une conduite d’envoutement qui touche
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au corps. Engluer la liberté de l’autre dans sa facticité, en l’invitant à
renoncer à ses projets pour se fondre dans son propre corps.
Comme on dit d’une crème (anglaise) qu’elle est prise. Pour une
métaphore plus virile : le ciment ; il y a un moment où ça prend.
L’idée, c’est que dans le rapport charnel, le pour-soi d’autrui habite
son corps, et donc en caressant sa peau, c’est le pour-soi que je saisis à la
limite (en fait pas vraiment).
Il y a cette très belle idée : à la limite, je touche la libre subjectivité
d’autrui grâce à cette incantation de la caresse qui la fait advenir dans son
corps.
C’est là le « vrai sens du mot possession ».
= idéal « impossible ». On se heurte à un irréalisable, car soit l’autre
est transcendance, soit il se confond avec son corps et alors ce n’est plus une
transcendance.
Le désir comme l’amour est une conduite qui aboutit à un échec.
P. 439-446, le sadisme.
Attention à la collusion avec la sexualité. Il faut vraiment partir de la
relation de torture, du bourreau avec sa victime. Certes, cela se télescope.
Mais là, il faut comprendre le sadisme dans sa spécificité.
P. 439 : le sadisme est engendré par l’échec du désir. Une des
possibilités qui s’offre au sujet, c’est de tenter une autre conduite qu’on
appelle le sadisme.
À vrai dire pour Sartre, ces différentes conduites ne s’organisent pas
selon un ordre de succession.
Ici, on décrit des relations originaires et concrètes à autrui, et ces
relations peuvent s’enchaîner dans n’importe quel ordre, puisque c’est
l’échec qui les solde. Toutes ces conduites échouent, donc on peut aussi bien
aller du sadisme au désir.
C’est une donnée contingente que de concevoir que le désir est
enchaîné à la relation amoureuse. Mais d’un point de vue ontologique, il n’y
a pas de raison.
D’une certaine manière, le sadisme prolonge le désir, dans la mesure
où il apparaît « lorsque le désir s’est vidé de son trouble ».
C’est lorsque le désir est dépourvu de cet état spécifique qui le soustend dans la relation charnelle qu’on est conduit au sadisme.
Le sadique n’est pas troublé.
Mieux : il refuse de se troubler, il ne se laisse pas troubler par le désir.
Néanmoins, il poursuit une fin identique au désir : s’emparer d’autrui
en tant que transcendance incarnée.
La finalité du sadisme, c’est s’emparer de la subjectivité d’autrui, mais
par la violence, par la douleur.
Non, le sadique ne fait pas souffrir par plaisir. Il y a une
incompréhension lorsqu’on comprend le sadisme à partir du plaisir.
Le bourreau recherche la souffrance, certes. Mais ce qui caractérise le
bourreau, c’est que sa finalité est la subjectivité d’autrui, en tant qu’il va
pouvoir s’en emparer par la violence.
Dans le sadisme, il y a une dissymétrie fondamentale, puisque ce que
recherche le sadique, c’est la souffrance d’autrui en tant qu’elle pourrait
livrer au sadique la libre subjectivité d’autrui.
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Mutatis mutandis, de même la caresse, de même la violence et la
douleur.
À partir de là, on a toute une analyse de l’obscène et du gracieux.
L’obscène est le contraire du gracieux, cf. p. 440.
Le geste gracieux est négation de la pesanteur, négation de la
contingence.
Dans la danse, il y a la recherche de la grâce. La danse comme
transfiguration du corps dont toute la facticité est effacée, mise entre
parenthèses.
Attention, Sartre ici pense à la danse classique, au ballet.
« nécessité esthétique » = ce qui va effacer la contingence. Il y a un
ordre, une mesure.
La danse, la grâce de la danse est une manière de surmonter la
contingence du corps.
L’obscène au contraire est surgissement du corps d’autrui dans sa pure
contingence.
La conduite sadique a cette finalité : le surgissement de la chair
d’autrui dans son obscénité.
Attention : tout disgracieux n’est pas obscène. L’obscène apparaît
lorsque le corps adopte des postures qui révèlent l’inertie de sa chair.
L’obèse = des volutes de chair qui s’accumulent les unes sur les
autres. C’est la mise en scène de l’obscénité de la chair. Le désir transforme
l’obscène en désirable.
Ce n’est pas la nudité qui est obscène. Un corps, avec sa colonne
vertébrale, il a sa raison d’être. Mais ce sont les dandinements de la croupe
qui sont obscènes.
Le sadisme aboutit à un échec, cf. p. 444 : le sadique découvre son
erreur lorsque sa victime le regarde. C’est lui qui est objectivé. Tant qu’elle
ferme les yeux et souffre, la victime est sous le coup de la souffrance du
bourreau. Mais dès qu’elle le regarde, elle l’objective.
P. 446-450 : une remarque.
Dans ces 4 pages, Sartre insiste sur deux points :
1. Le caractère originaire de l’attitude sexuelle envers autrui.
Et ce qui est intéressant, c’est que pour Sartre, d’autres conduites se
réfèrent à cette attitude sexuelle et la déclinent. Cf. p. 447.
Puis, p. 449 : insistance sur l’échec de toute relation à autrui.
Il prend l’exemple paradigmatique de la consolation.
Tout change, dès que l’autre est considéré comme un objet.
Il y a un échec face à la liberté de l’autre. Car dans le cas de la
consolation, je vole au secours de la liberté de l’autre en apparence, je tente
de le libérer de son affliction. Mais dans le même temps, je considère que je
puis agir sur l’autre, donc je le considère comme objet. ET je nie sa liberté.
C’est le problème du séducteur : s’il triomphe, il perd. Il a réduit l’être
à une chose sur laquelle on peut agir. C’est une victoire à la Pyrrhus. Il a
mani-pulé l’autre. Il l’a traité comme une chose, de telle sorte que
l’acquiescement de la personne séduite est machinal.
Toujours ce scénario de l’impossibilité de respecter la liberté d’autrui.
La fin de cette analyse, c’est la haine.
Sa description est assez brève, et assez simple.
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La haine est définie en tant que projet, et comme poursuite de la mort
de l’autre. Haïr l’autre, c’est poursuivre sa destruction, la destruction de son
regard. On peut haïr l’humanité, mais souvent, on se focalise sur un autre. La
haine cherche à réaliser un monde où l’autre n’existe pas ; un monde dans
lequel je ne serais plus objet.
P. 453 : l’être-avec et le nous.
Relation entre un sujet et plusieurs autres sujets. Dans ce cadre, Sartre
rencontre d’autres théorie et à nouveau Heidegger, qu’il critique pour avoir
manqué cette relation originaire à autrui que résume l’alternative du regard
et de l’être-regardé.
C’est l’opposition entre le nous objet et le nous-sujet.
Cette première possibilité, c’est cette possibilité d’un nous qui est une
multiplicité de transcendances qui se trouvent transcendées.
Dans la vie courante, ce nous est très présent.
Rappel : dans l’analytique existentiale, Heidegger réfléchit sur la
déchéance du Dasein, caractérisée par la dictature du « on ». L’inauthenticité
pour Heidegger, c’est l’obéissance aux exigences du « on ». Et c’est ce qui
domine le Dasein dans la vie quotidienne, l’authenticité consistant à ébranler
cette dictature du « on » = prise de conscience de ma finitude, et d’une autre
existence possible.
Pour Sartre, ce « on » est précisément le nous objet. Lorsque je suis
dans le métro, les panneaux, etc… tout cela fait signe vers « on ».
Le « on » en rupture avec la conception heideggerienne.
Dans le deuxième moment, on a le nous sujet. Le nous en tant que
chacun est libre transcendance.
P. 464-470.
Nous restons jusque dans le nous sujet séparés les uns des autres. Il
n’y a pas vraiment de « nous » sujet.
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Quatrième partie : avoir, faire et être
Pour finalité : l’être. Ces déterminations s’enchaînent.
1ère remarque, la conception sartrienne de la liberté est en rupture avec
la tradition.
Il lui donne une dimension beaucoup plus large.
La thèse sartrienne concernant les passions de l’âme, c’est l’idée que
le pour-soi n’est pas un être sur lequel quelque chose pourrait agir. Car il
n’est pas une chose. Donc l’idée cartésienne d’une action sur l’âme est
dépourvue de sens. C’est une conception réductrice de la liberté humaine.
Mais la corporéité sartrienne n’est pas une corporéité qui agit sur la
conscience ; la transcendance existe son corps. Pas d’action du corps sur
l’âme, sinon, on est encore dans une conception chosiste de l’existence. Or la
conception sartrienne récuse cette dimension.
Conscience comme libre transcendance, libre capacité de
dépassement. Dépassement des autres vers telle ou telle finalité.
La transcendance comme dépassement, et ce dépassement est toujours
libre. Il ne peut pas être déterminé par quoi que ce soit.
P. 484 : le déterminisme n’a pas de sens concernant l’existence. Car le
principe de causalité concerne les choses. Il n’a de sens que concernant l’ensoi.
Ainsi chez Sartre, parler de « déterminisme social » ou
« psychologique », c’est réifier la conscience, en faire un bloc de vécus de
psychès. Mais on passe à côté de la liberté, car toujours, l’existant choisit
son attitude.
Exister, c’est choisir, et se choisir. Le monde tel qu’il m’apparaît à la
lumière du choix qui est le mien, c’est cela, la situation. La situation, c’est le
monde tel qu’il surgit à la lumière du choix qui est le notre.
La montagne, c’est un spectacle à contempler pour un esthète, c’est un
obstacle à surmonter pour un sportif. La montagne n’a pas le même sens en
fonction de chacun. Se conduire en esthète, c’est choisir une attitude. Dans
l’émotion, je choisis d’être ou de ne pas être ému. Et je choisis l’émotion qui
est la mienne.
Cela peut paraître contradictoire, car la passion semble nous captiver.
Mais c’est une capture qui est seconde.
Je choisis d’être pragmatique ou émotif – ie choisir une attitude
magique.
La liberté est cette capacité de choisir qui je veux être et de choisir ce
que je suis.
On ne peut pas agir sur une conscience. C’est cela, l’idée importante.
Ce chapitre sur la liberté a suscité bien des critiques ; notamment sur
la surestimation de la liberté humaine. L’homme est libre pour Sartre au sens
où Dieu est libre.
Réflexion de Sartre sur la délibération, p. 495.
Idée que « la délibération volontaire est toujours truquée ».
L’idée de Sartre est assez simple : la délibération est une manière de
se masquer la liberté qui a toujours déjà agi. Comme si je pesais les
différents motifs et mobiles, pour ensuite décider la solution que je vais
adopter.
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La thèse de Sartre, c’est qu’on ne peut pas soupeser comme
objectivement. C’est le choix originaire de la liberté qui d’emblée confère de
l’importance à tel ou tel aspect de l’existence. Au fond, le choix fondamental
est déjà fait. Et délibérer, c’est se faire croire qu’on n’a pas déjà choisi. Alors
que le choix est la condition même de la délibération, les motifs n’ayant de
poids qu’au regard de choix fondamentaux.
La liberté est inséparable du surgissement du pour-soi au monde. La
liberté se trouve dans le choix originaire que je fais de moi-même.
// Kant (choix du caractère intelligible).
Le choix originaire, c’est le choix de ma modalité d’être au monde.
Et les différents choix qui sont les miens sont autant de déclinaisons
de ce choix originaire.
Ainsi de Baudelaire, cf. l’essai de psychanalyse existentielle de Sartre.
Sartre réfléchit sur le choix originaire qui singularise Baudelaire, ou Genet,
Ou Flaubert.
L’idée, c’est que la liberté est toujours liberté singulière qui se
singularise par le choix singulier d’être-au-monde.
Le choix du dandysme de Baudelaire se retrouve dans les conduites
alimentaires de Baudelaire : « je parie que Baudelaire préférait les plats en
sauce plutôt que les viandes grillées ».
La liberté sartrienne est cette liberté qui consiste à choisir ses goûts.
Le caractère pour Sartre, comme le tempérament, ce ne sont pas des
déterminations innées. Le caractère, c’est ma conduite telle qu’elle est
pétrifiée sous le regard d’autrui. Le caractère a un sens du point de vue du
pour-autrui. Mais il y aurait une fiction qui relèverait de la mauvaise foi : se
conférer un caractère de telle sorte que je ne serais pas responsable de mes
conduites.
Céder à un mouvement de colère, c’est faire comme si la colère était
là ! Non, pour Sartre, je me mets en colère. = autant d’artifices qui masquent
ma liberté.
En corrélation : conception extrême de la responsabilité. Je suis
responsable de tout !
Attention, je peux choisir de changer de choix originaire ; je me
choisis en permanence, et ne cesse de renouveler mon choix au fur et à
mesure que je me temporalise.
Possibilité permanente de la conversion. Cf. p. 521, l’exemple de
Raskolnikov, lorsqu’il décide de se dénoncer (il a assassiné une vieille
dame). Cf. Crime et châtiment.
Aussi : Philoctète de Gide.
Nous commençons par l’inauthenticité, mais la liberté est toujours
possibilité de choisir l’authenticité.
Version dé-théologisé du péché originel. De même que celui-ci
implique une concupiscence qui est une inclination au mal dans la doctrine
chrétienne, de même ici la liberté, comme par le fait qu’elle est dominée par
son désir d’être.
Dans le cadre de l’E&N, le traumatisme en tant que suscitant des
effets ne saurait intervenir.
Le sens pour Sartre est conféré par la liberté. Un traumatisme est
toujours une signification, qui ne peut être conférée que par un être humain.
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Mais la donation de sens, cf. Merleau-Ponty, ne relève pas seulement
de la subjectivité. Je ne confère pas le tout du sens.
Avoir, faire et être, les trois termes s’articulent.
L’ambition générale = esquisser à grands traits une théorie de l’action
en général. Il serait intéressant de confronter cela à la théorie de la praxis
d’Aristote, ou aux théories contemporaines pragmatistes.
Sartre a cette conviction : au commencement était l’acte.
L’ontologie sartrienne est une ontologie de l’acte. Le pour-soi surgit
d’un acte ontologique incompréhensible.
Il faut bien resituer cette ontologie.
Le pour-soi n’est pas substance. Être, pour le pour-soi c’est agir, faire,
et ce faire, sa condition première est la liberté.
C’est le Chapitre 1.
Pour Sartre, il n’y a pas d’action sans liberté. Une action qui n’est pas
libre n’est pas une action. Pour Sartre, une action ne saurait être par
conséquent l’effet d’une cause. Elle ne saurait relever du déterminisme, tout
du moins pour ce qui concerne les êtres humains.
« Aucun état de fait n’est susceptible de motiver par lui-même un acte
quelconque ».
Souvent, quand on comprend l’action sur le mode du déterminisme,
on dit : il y a une cause. Et puis il y a l’effet, l’action.
Sartre détruit cette conception. Pour bien comprendre cela, p. 179.
Les ouvriers de Lyon, les canuts. 1831 (et pas 1830). Le canut ne se
représente pas ses souffrances comme intolérables. Il n’a pas la réflexion
nécessaire pour concevoir un monde où elles n’existeraient pas. Aussi, il
n’agit pas. Il est, voilà tout. La thèse de Sartre, c’est que la misère en tant
que telle ne peut être la cause d’une révolte, mieux, d’une action. Et la
misère ne peut devenir le motif d’un faire qu’à partir du moment où elle est
saisie comme misérable, comme à supprimer. Cela suppose un projet. Et tout
dépend du projet. Saisir la situation comme à supprimer suppose le projet de
la supprimer. L’intolérabilité de la misère suppose une double néantisation :
Cette saisie de la situation suppose (1) de poser un état de choses
idéal. Exemple : une société où les ouvriers ne souffriraient plus. Cet état de
choses, on le pose comme n’étant pas. Un pur néant - (2) de poser l’état de
choses actuel comme néant par rapport à l’état de choses idéal. Et donc la
saisie du motif, la constitution du motif, la saisie constituante du motif
suppose un projet inséparable d’une double néantisation.
En me projetant vers ce qui n’est pas, je néantise par rapport à la
situation idéale et saisit la situation comme intolérable.
Ainsi, la motivation ne saurait être la cause de la révolte. Cet acte a
pour condition le libre projet du sujet. Il n’y a pas d’action déterminée,
puisque la situation doit être saisie à la lumière d’un projet.
« Les salaires baissent, donc, révolte » = mauvais historiens. Rien
d’inscrit dans la situation.
Il y a un deuxième élément : la condition de cette néantisation, c’est
un recul néantisant. Il faut que la conscience opère par rapport à sa situation
un recul ; qu’elle saisisse l’objet de sa réflexion comme n’étant pas la
situation.
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La double néantisation a donc pour condition une troisième
néantisation : l’acte par lequel la conscience se pose comme n’étant pas cet
état de fait.
Se représenter suppose une attitude réflexive, qui est la condition de
l’action. Agir suppose une rupture néantisante vis-à-vis du monde. C’est la
condition pour contempler le monde. Sans cela, conscience non-thétique de
la situation, et la conscience ne s’arrachant pas à son propre passé, elle ne
peut s’arracher au monde, ni donc néantiser la situation.
Il faut bien voir qu’au cœur de cet agir, il y a cet acte néantisant.
C’est-à-dire : dévoiler du non-être dans le monde : Pierre n’est pas là.
Pas de rapport de causalité entre situation et action. Aucune situation
ne saurait déclencher une action. Pas de métaphore mécanique, surtout pas.
On est face à un pour-soi libre. Et ce pour-soi a une condition : la
néantisation, et la liberté.
La liberté « n’est pas une qualité surajouté ou une propriété de ma
nature ; elle est très exactement l’étoffe de mon être ». Des accents
bergsoniens, avec « étoffe ».
Il faut partir du cogito pour dévoiler la liberté. La conscience de la
liberté est la condition de ma liberté. Sans doute certains s’emploient à nier
leur liberté, la penser comme causée. Mais ça, c’est la mauvaise foi. Qui est
une attestation de ma liberté, en fait. La mauvaise foi atteste la liberté, sans
quoi il n’y aurait pas la volonté de se justifier.
La liberté est aussi la structure même de l’existence. Exister et être
libre, c’est une seule et même chose. La néantisation est la caractéristique
ontologique de mon existence. Exister c’est agir, et donc néantiser. Je ne suis
pas mon passé, je ne suis pas le monde.
Cet arrachement à soi permet à l’homme d’être libre. Si l’homme était
son passé, il ne serait pas libre. La condition de la liberté est l’arrachement.
Et la liberté n’est pas une qualité surajoutée. Ça, c’est la mauvaise
conception de la liberté.
La liberté est au cœur de l’existence, car elle est la structure
ontologique du pour-soi. La liberté est la détermination fondamentale du
pour-soi.
Conséquence ? Est-ce qu’un homme peut perdre sa liberté ? Cas de
psychose par exemple… La liberté pour Sartre est inaliénable. On ne peut
pas agir sans avoir le choix. Nécessairement, on a toujours le choix. Au plus
profond des pathologies reste toujours la liberté, avec la possibilité que cette
liberté soit captive d’elle-même (évoqué dans l’Imaginaire) : elle pourrait ne
pas choisir ce qu’elle a choisi. L’émotion par exemple : la colère.
P. 484 : « Je suis condamné à être libre ». Il y a une limite à la liberté :
je n’ai pas le choix. Ma liberté n’a d’autres limites qu’elle-même.
Pourquoi condamné ? Mais parce que la liberté n’est pas un cadeau.
Je n’ai pas le choix, ça s’impose, la liberté est constitutive de ma
facticité.
Mais ce n’est pas un cadeau du ciel, pas du tout le cadeau qui rend
l’homme à l’image de son créateur.
= les deux sens de condamné.
La liberté n’est pas du tout ce qui m’élève en dignité.
On a aussi une critique des notions de mobile et motif de l’action.
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Il y a un effort pour tenter de distinguer rigoureusement entre motif et
mobile de l’action.
Qu’est ce que le motif d’une action ? Son objectivité. Le motif d’une
action a une dimension objective car il renvoie à un état de choses. Mais il a
une dimension subjective, car cat état de choses ne prend sens qu’à la
lumière d’un projet déterminé.
Le mobile d’une action est l’ensemble des désirs, des émotions, des
passions = la dimension subjective de l’action, qui pour Sartre se confond en
fait avec le projet de l’action elle-même. Et Sartre critique alors toute cette
psychologie.
Exemple de la conversion de Clovis au catholicisme. Bataille de
Tolbiac. Clovis se voit perdu. Il se met à genoux au milieu de la bataille. Et
dit : « je me convertirai si je gagne la bataille ». 496.
Se concilier les faveurs de l’épiscopat tout puissant en Gaule, c’est là
en fait le vrai motif. Dimension objective : l’épiscopat est tout-puissant.
L’historien insiste sur les motifs. Mais le psychologue insiste sur le mobile ;
comment je le sens ? Porté par l’ambition ? Mais l’ambition nous dit Sartre,
ce n’est jamais que la coloration affective du projet. Distinguer le mobile de
la fin est une opération abstraite du psychologue. Mais c’est de la mauvaise
psychologie. Car pour Sartre il n’y a qu’un projet, et Sartre y tient. Le projet
de Clovis, c’est l’ambition même de conquérir la Gaulle. Alors que le
mauvais psychologue chosifie comme mobile l’ambition.
« Le motif, le mobile, et la fin sont les trois termes indissolubles du
jaillissement d’une conscience vivante et libre qui se projet vers ses
possibilités et se fait définir par ses possibilités ».
Compréhension très intéressante de l’action, et remaniement complet
des concepts de mobile et motif.
Troisième point : les rapports entre liberté et volonté.
Pour Sartre, la liberté n’est pas une propriété de la volonté. Et Sartre
s’oppose donc à l’opinion traditionnelle.
Pour les moralistes (aux petits pieds), la volonté morale est conçue
comme une lutte entre une volonté chose et des passions substances.
Exemple : Phèdre de Racine. Phèdre est déchirée. Elle aime
Hyppolite. ET elle ne doit pas l’aimer.
Elle mène un combat, mais qui est pour Sartre une triste comédie. Je
lutte de toute ma volonté contre ma passion. Tempête sous un crâne ; c’est la
théâtralité morale.
On a ça chez Saint Augustin, cette théâtralité déchirée ; je vois le bien,
et je fais le mal. Impuissance de la force de la volonté face à cette autre force
que seraient les passions.
La volonté n’est pas une manifestation privilégiée de la liberté pour
Sartre. Lorsque je veux, que j’ai choisi, là serait la liberté dans sa plénitude ?
Pour Sartre, la volonté n’est pas du tout cela.
Pour Sartre, ce qui est premier, c’est la liberté d’un pour-soi préréflexif. Alors que la volonté pour Sartre est une structure de la conscience
réflexive, un produit de la réflexion. Une certaine manière de se rapporter à
ses fins en se plaçant sur un plan réflexif.
Je me promène le long d’une rivière et mon fils tombe à l’eau. Je me
jette pour le sauver. Ai-je réfléchi ? Non ; c’est la liberté sartrienne ! Et elle
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est là la liberté : dans la spontanéité de l’action. L’action libre, c’est l’action
spontanée.
Mon fils apparaît immédiatement comme devant être sauvé. Ce qui est
inséparable du processus de néantisation.
En revanche, il y a aussi l’attitude réflexive, où surgit et l’ego, et la
volonté. Est-ce que je veux sauver mon fils ou pas ?
L’involontaire n’est pas un acte. Une maladresse, laisser tomber le
plateau, ce n’est pas un acte.
L’acte est soit voulu (avec structure réflexive), soit est accompli
spontanément.
Le moraliste est celui qui passe son temps dans une attitude réflexive.
Mais pour Sartre, il y a déjà quelque chose de dégradé dans cette liberté.
La vraie liberté est choix, mais choix spontané. J’ai soif ; je bois.
Quatrième point : Liberté, volonté et mauvaise foi.
Exemple intéressant : p. 516.
Adler, disciple de Freud. C’était quelqu’un d’important, et il y a toute
une psychanalyse adlérienne.
C’est lui qui a élaboré la notion de « complexe d’infériorité ». Et
Sartre se saisit de cette notion pour réfléchir à la liberté. C’est un choix, ça
ne s’impose pas à moi. C’est le choix de se poser comme inférieur parmi les
autres. Celui qui a un complexe d’infériorité se sent inférieur aux autres. Et
c’est un choix, un rapport quasi fondamental à autrui. Pas exemple, le
bégaiement peut être considéré comme l’expression de ce choix. Il y a cette
idée qui va contre le sens commun, que bégayer, c’est un choix. C’est la
manifestation de mon choix de l’infériorité.
Mais je puis, dit Sartre, décider de corriger mon bégaiement.
Je puis prendre la décision de lutter contre mon bégaiement. Et il y a
ici une structure complexe :
1. Le choix premier du complexe d’infériorité,
2. Et surajoutée, la décision de combattre ce bégaiement.
Et la volonté ignore le choix premier, et mène un combat qui est voué
à l’échec. Car tant que mon projet originaire est d’être inférieur, ce
bégaiement persistera, lui ou une autre conduite.
Il y a une intentionnalité du bégaiement. C’est une conduite, le
bégaiement. Coutume sociale dans l’aristocratie anglaise : bégayer au début
d’une prise de parole. Sinon, je manifeste une assurance malséante.
La démarche volontaire peut surmonter le bégaiement, par ladite
« réforme volontaire de soi ». Le symptôme se déplacera, c’est le propre du
symptôme que de pouvoir toujours se déplacer. Je vais surmonter le
bégaiement, mais le symptôme va se déplacer : un autre élément me
permettra de me sentir comme inférieur.
L’idée de réforme de soi, de réforme volontaire de soi est pour Sartre
de mauvaise foi. Les conduites volontaires sont pour Sartre éminemment de
mauvaise foi. Parce qu’elles font semblant d’ignorer le projet premier. On a
une très belle illustration de la suspicion sartrienne vis-à-vis de la volonté.
Les actions volontaires ne sont pas les plus belles. La générosité volontaire,
bof.
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La volonté peut également se mettre au service de la libre spontanéité.
Pas seulement la combattre. Elle reste quand même de mauvaise foi.
En effet, le complexe d’intériorité, le choix d’être inférieur aux autres
est lui-même une conduite de mauvaise foi car le pour-soi poursuit son
projet et fait comme si il n’en avait pas conscience.
En effet, ce projet d’être inférieur a pour condition première
d’ambitionner plus qu’on ne le peut. D’être un grand artiste. On n’est un
artiste raté que si l’on a l’ambition d’être un grand artiste. Si vous n’avez pas
d’ambition, vous êtes un artiste modeste. On est deuxième violon dans
l’orchestre de Dijon.
Il y a une condition qui est la première démarche, ambitieuse. Celui
qui se pose comme inférieur est habité par une démarche qui vise plus, qui
vise la supériorité. Donc méfiance vis-à-vis des conduites de ceux qui
s’affirment inférieurs.
Le projet originaire, c’est : être inférieur. Et la volonté, c’est être un
grand artiste. Je me masque mon projet véritable, qui est d’être inférieur.
On pénètre dans les arcanes de la conscience, phénoménologiquement.
Je vais travailler le violon de 5h du mat’ à 20h.
Souvent, la volonté est le masque d’un autre projet.
La volonté n’est pas nécessairement opposée à la spontanéité. Elle
peut même être assujettie à un projet qui relève de la spontanéité. Mais dans
les deux cas ; mauvaise fois, car la volonté « ignore » le projet fondamental.
Attention, la reprise du complexe d’infériorité ne suppose pas pour
Sartre celle de l’opposition conscient/inconscient.
Adler : domination inconsciente, peut-être liée à un sentiment de
culpabilité, etc…
Pas du tout ce roman psychanalytique pour Sartre. Qui se passe de
l’hypothèse de l’inconscient.
« L’existence précède l’essence » - c’est bien connu. Mais ici explicité
à la fin du chapitre 1, dans une discussion avec Leibniz. P. 512-513.
Reprise du péché d’Adam, à la fois son analyse par Leibniz de
l’inscription dans l’essence d’Adam.
« Pour Leibniz comme pour nous… »
Pour Sartre, si Adam n’eût as pris la pomme, il n’eût pas été Adam.
Pour Sartre, une personne, c’est une totalité.
Si l’on prend le sourire d’une personne, tout est là. Des cheveux lavés,
pas coiffés, coiffés mais pas lavés… Tout est là.
Contingence d’Adam = sa liberté.
Pour Sartre ultimement, le choix n’est jamais rationnel. Il ne peut pas
être rationnel. Et ce n’est pas une question de nature non plus.
Certes, le geste d’Adam engage toute la personne d’Adam.
Mais pour Leibniz, c’est en fonction de son essence que Adam
accomplit le geste.
Pour Sartre, Leibniz ne peut pas comprendre la liberté humaine.
Pour Sartre, l’Adam de Leibniz n’est évidemment pas libre, car l’acte
d’Adam est contenu nécessairement dans l’essence individuelle d’Adam.
Mais Adam n’a pas choisi son essence, puisque c’est Dieu qui l’a choisi.
Adam, en bref, ne porte pas la responsabilité de son être. Pour nous au
contraire, Adam ne se définit pas par son essence. Car l’essence est, pour la
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réalité humaine, postérieure à l’existence. C’est donc bien l’existence qui
détermine l’essence. Adam n’est Adam que parce qu’il a choisi la pomme.
C’est le faire, l’agir qui est premier, et l’essence qui est seconde.
C’est parce qu’Adam a péché qu’il est pécheur. Au commencement
est l’acte, le choix de pécher.
§ 2 Liberté et facticité : la situation
Liberté = nécessité pour le pour-soi de choisir. Et mieux encore : de
choisir son être. C’est-à-dire la modalité de son rapport à l’être qu’il veut
être.
Sartre note à ce propos qu’il faut distinguer la facticité de la liberté et
la contingence de la liberté.
Qu’est ce que la facticité de la liberté ? Le fait que la liberté n’est pas
libre de ne pas être libre.
Qu’est ce que la contingence de la liberté ? Le fait que la liberté n’est
pas libre de ne pas exister.
= double dimension de la liberté.
En outre, le choix est absurde. Toujours, in fine. Pourquoi ? Parce que
ce choix ne peut être fondé en raison. Pour la simple raison qu’il est la
source de toute raison. Ce choix est ce par quoi tous les fondements et toutes
les raisons viennent à l’être.
Ex : je mange du pain. Pourquoi ? Parce que j’ai faim. J’ai faim parce
que je veux vivre. Mais pourquoi veux-tu vivre ? In fine, il n’y a de motif
que par rapport à un projet premier.
Une pseudo-sagesse tente de faire croire que l’ambitieux est
raisonnable et le modeste est déraisonnable. Mais non. Tous les motifs
reviennent à un projet originel, chacun étant absurde et injustifiable.
Enfin, ce choix est fondement.
Parce que ce choix de mon être, ou le choix de la modalité de mon
rapport à l’être est au principe de tous mes projets.
Retour p. 524.
§ 8. « Le projet libre est fondamental ». = au fondement de tous les
autres.
Le complexe d’infériorité lui-même renvoie à un projet plus
fondamental encore ! Idem l’homosexualité de Jean Genet.
On a une régression, jusqu’à ce premier projet, qui est celui de mon
être. Et il n’est plus possible de régresser jusque là.
Il concerne mon être-dans-le-monde en totalité.
La liberté, c’est certes choisir de manger du pain ou de ne pas en
manger. Mais cela exprime un projet fondamental, celui de mon rapport à
l’être.
Sartre discute la conception kantienne du choix (du choix du caractère
intelligible). Le choix est temporalisation du pour-soi. Il n’est pas dans le
temps, mais permanent, je l’accomplis en permanence et réaffirme un type
de rapport à l’être dans une projection perpétuelle.
On est à mille lieues du choix du caractère intelligible.
Un choix temporel (pas dans le temps, sinon comme une pierre dans le
fleuve). Mais un projet d’être.
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La liberté pour Sartre est toujours en situation. Dire que la liberté est
toujours en situation signifie qu’elle est nécessairement confrontée à un
donné, qu’elle a à être et qu’elle éclaire de son projet. Ce donné relève de la
facticité de la liberté, puisque, ce donné, elle ne l’a pas choisi. Et ce donné se
présente sous 5 registres : ma place, p. 535, mon passé 541, mes entours,
mon prochain et ma mort.
Il est question de cela : la facticité de la liberté, c’est la condition
humaine. Et ici, ce donné, c’est précisément tout ce que la liberté n’a pas
choisi, mais ce à quoi elle est confrontée.
La situation désigne donc le monde (ma place, mon passé, etc…) tel
qu’il se dévoile complétement à la lumière d’un libre projet. Facticité de la
liberté qui se dévoile.
Aspect subjectif pour une liberté. Mais la facticité est dépourvue
d’ambigüité, c’est ce que la liberté a à être.
« a à être » enveloppe l’idée de nécessité. J’ai à être = pas le choix. En
revanche, « à être » a un sens précis : nécessité d’être ce donné pour la
liberté. Mais elle a le choix de la manière dont elle va être ce donné. Le Zu
sein du Dasein.
Et donc on comprend qu’il y a autant de situations qu’il y a de libres
projets, puisque la situation est fonction du projet qui éclaire.
P. 532, au bas de la page, très belle définition.
P. 533, exemple célébrissime.
Le rocher se découpe sur fond de monde par l’effet du choix initial de
ma liberté. Dimension facticielle.
Le promeneur a un rapport d’esthète au paysage. Il est joli, ce rocher,
ou laid.
Rapport entre liberté, projet et situation.
Question qui préside à l’examen de la place, des entours, etc…
En quel sens la facticité de la liberté limite-t-elle la liberté ? La liberté
est-elle limitée par autre chose qu’elle-même ? En quel sens ma place, mes
entours, etc… constituent-ils des limites à ma liberté ?
La situation ne saurait limiter ma liberté. Mais il faut l’établir.
Juste à propos de « ma place ». Ma place, c’est très exactement le lieu
où je surgis. ET je n’ai pas choisi la place où je nais. Et ma place se définit
par l’ordre spatial et par la nature singulière des cecis qui se révèlent à moi
sur fond de monde.
Parce que je surgis toujours dans un lieu qui est la condition de mon
être-au-monde (pas être-dans-le-monde).
Seul le projet du pour-soi donne une signification à sa situation, et
donc à sa place. Exil, refuge, habitation provisoire… Ce sont des
significations qui dépendent du projet. De cette manière, ma place s’intègre à
ma situation, précisément via cette signification éminemment subjective que
je lui confère : je suis à Lyon, et je suis loin de Paris.
P. 539 : on prête ce mot à un émigrant qui allait quitter la France pour
l’Argentine : c’est loin l’Argentine lui dit-on. « Loin de quoi ? ». C’est par
rapport à un projet national implicite que je juge la distance.
P. 541 : le passé.
Deux thèses.
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Pour Sartre, le passé est sans force, sans efficace pour constituer le
présent. Sans force pour pré-esquisser l’avenir. Ce que j’ai été ne peut
déterminer ce que je suis et ce que je serai.
Le passé est sans force car la temporalisation du pour-soi implique la
néantisation de son être passé. Si nous étions notre passé, nous serions des
pierres.
Et en réalité, ce passé, le pour-soi l’est sur le mode de la négation
interne. Négation telle que ce qui est nié est affecté par ce qui le nie.
Relation entre les éléments.
Je suis mon passé, sur le mode de l’être qui n’est pas ce qu’il est, et
qui est ce qu’il n’est pas.
Et la conséquence, c’est que n’ai pas de passé. Mais je ne suis pas
mon passé. Tout ce que je suis pour Sartre, en tant que je le suis, j’ai à l’être
sur le mode de l’avoir-été. Si je suis quelque chose, alors ce que je suis est
sur le mode de l’avoir été. Je suis généreux = j’ai été généreux. Mais je suis
à présent lancé dans d’autres projets.
On retrouve la formule de Hegel, que Sartre s’approprie : être, c’est
avoir été. P. 541.
Le pour-soi ne peut rien changer à son passé. Et de ce point de vue, le
passé relève de la facticité du pour-soi. C’est mon passé, je ne peux rien y
changer. En revanche, la signification du passé est toujours en sursis. Cela
dépend de ce qui va arriver.
Dès lors, la seule force du passé lui vient du futur. Le passé est sans
force, et s’il a une apparence de force, elle lui vient de la signification que lui
confèrent mes projets. À 14 ans, je fais ma puberté et une crise mystique.
Son sens est en sursis. Ce sera peut-être un simple accident, ou bien un signe
avant coureur. Mais c’est le futur, si on opère une abstraction, qui donne son
apparence de force au passé.
« Mon prochain », 3ème dimension de la condition humaine.
Sartre s’intéresse à ce que signifie être juif, p. 554.
Apparaît dans ce passage l’idée que l’existence de l’autre apporte une
limite à ma liberté, car il me confère une nature, un ensemble de
déterminations, un être-pour-autrui que je n’ai pas choisi.
Vous vous appelez Simon Rosenberg. Vous ne l’avez pas choisi. Le
pour-soi, il ne se sent pas Juif. Ou alors il fait semblant. Je suis juif pour les
autres, mais mon être-pour-autrui est un irréalisable. Pour moi, je ne suis pas
plus prof ou garçon de café que beau ou laid. Je ne suis pas juif, je ne suis
pas beau, ou laid. Je suis au monde, et ces déterminations de mon être ont
non seulement un sens pour autrui, mais peuvent faire l’objet d’une intuition,
d’un remplissement intuitif. L’autre me voit comme juif, avec mon nez de
juif, et ma posture de juif. À l’époque de Sartre en tout cas.
Son ami Raymond Aron = le Juif inauthentique par excellence. Ne se
sent pas Juif. Je nie que je sois juif.
Le pour-soi est hanté par une infinité d’irréalisables qui sont l’infinité
de ses déterminations pour autrui.
L’homme beau : la signification, je la connais. Mais je ne peux jamais
saisir intuitivement cette beauté. Elle m’échappe, et je dois vivre avec.
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Alinéa sur la liberté, alinéa III, p. 598.
Ces considérations sur la responsabilité ne relèvent pas de l’ontologie,
mais esquissent une morale. Sartre le dit p. 598. Ces considérations
préparent ce que Sartre annonce à la fin : « nous y consacreront un prochain
ouvrage », sur ce que pourrait être une morale de l’authenticité.
Une première publication de brouillons : Cahiers pour une morale.
Abandonné, désavoué.
Cette conception sartrienne de la responsabilité est à la mesure ou à la
démesure de la conception de la liberté sartrienne. Les deux sont
inséparables, cela va de soi.
P. 598 : la responsabilité est « la conscience d’être l’auteur
incontestable d’un événement ou d’un objet ». L’homme est condamné à être
libre, mais en outre, « la responsabilité du pour-soi est accablante ». La
responsabilité du pour-soi est bien plus importante qu’il ne veut se l’avouer.
Il ne cesse de fuir sa liberté, et sa responsabilité. Une responsabilité qui est
un fardeau. La perspective n’est pas du tout théologique là (pas d’histoire de
dignité de l’être humain).
La question de Sartre est alors la suivante : « de quoi suis-je
responsable » ? « Du monde, et de lui-même en tant que manière d’être ».
Alors, ça fait beaucoup. Ce n’est pas ma faute si des petits chinois
meurent parce qu’ils n’ont pas mangé de riz !
Le sujet est responsable de lui-même non pas en tant qu’il est mais au
sens de sa manière d’être au monde, qui renvoie à son libre choix. Je suis
responsable de ce que je suis dans la mesure où ce que je suis est le résultat
de mon projet et de ma liberté. La générosité n’est pas un trait de caractère
que j’hérite de mes parents, ou fruit d’une bonne éducation.
Le sujet sartrien ne se prendrait-il pas pour Dieu ?
Le sujet est CE PAR QUOI il y a un monde. Sans conscience, pas de
monde. La conscience est ce par quoi il y a un monde et le monde se dévoile
au sujet en fonction de son projet originel. Il y a un monde parce que j’en ai
conscience, et que ce monde se dévoile en fonction du projet qui est le mien.
La responsabilité est absolue, mais elle n’est pas acception du monde.
Cela ne signifie pas que j’acquiesce à ce monde tel que mon projet le
dévoile.
« À la guerre, il n’y a pas de victimes innocentes », p. 599. Citation
empruntée à une immense fresque romanesque. Jules Romains, les hommes
de bonne volonté.
Cela signifie que cette guerre je la mérite, parce que j’ai choisi de la
faire. Parce que je suis au front, et que j’y reste, donc que je réitère mon
choix tout au long de la guerre. Cette idée que j’ai fait la guerre malgré moi,
Sartre ne veut pas en entendre parler.
Cf. l’apologue de Kant sur le faux témoignage. L’apologue du gibet.
Je reconnais en moi la possibilité de ne pas faire de faux témoignage.
Critique de la raison pratique.
La distinction juridique auteur/complice n’a pas de sens au plan
ontologico-phénoménologique où on se place. « Il a dépendu de moi […] et
j’ai décidé [que cette guerre] existe ».
Attention, le propos de Sartre ne concerne que les soldats. L’enfant
qui meurt sous les bombes n’est pas concerné par l’argument de Sartre. Sa
mort à cet enfant relève de la facticité. Mais les victimes soldats ont choisi
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de s’engager, de ne pas se suicider, de ne pas s’exiler, de ne pas se faire
passer pour fous.
Le texte est un peu ambigu.
Sartre parle des hommes qui n’avaient pas juridiquement le choix,
mais ontologico-phénoménologiquement le choix.
La perspective de Sartre est de mettre l’homme face à ses
responsabilités. Mais il ne s’agit pas pour Sartre d’introduire l’idée de
culpabilité.
Certes l’homme est responsable. Mais il n’est pas coupable. « Je dois
être sans remords ni regrets, comme je suis sans excuses ! », p. 600.
Je suis responsable. J’ai choisi de ne pas le secourir. Mais pas besoin
d’introduire une loi morale.
Permet de rectifier le fait que Sartre accablerait l’homme de
culpabilité. L’autonomie kantienne ne prétend pas à l’universalité. J’ai choisi
de ne pas m’engager dans la Résistance car j’avais L’Etre et le Néant à
écrire.
Chapitre II : Faire et avoir
1/ La psychanalyse existentielle
Sartre est un assez bon lecteur de Freud.
Il a écrit un scénario Freud.
Position de Sartre vis-à-vis de la psychanalyse : Sartre est contre la
psychanalyse, tout contre.
Son ambivalence tient à plusieurs choses :
1. Le rejet de l’hypothèse de l’inconscient psychique. Réifiant. Et
Sartre lui oppose sa conception de la mauvaise fois.
2. Pas de libido, pas de pulsions sexuelles pour Sartre. Il y a bien une
sexualité, mais qui ne se comprend pas comme destin des pulsions.
3. Sartre entend fonder une nouvelle psychanalyse, qui n’a pas grandchose à voir avec un Binswanger. Mais cette psychanalyse aurait pour objet
l’existence individuelle et sa compréhension.
C’est dans cette perspective, qu’il écrira plus tard une étude.
(voir Betty Canon, Sartre et la psychanalyse)
Critique de la psychologie empirique et de ses explications.
De quelle psychologie parle Sartre ?
Paul Bourget. Ce n’est pas un psychologue, c’est un romancier. Il
essaye de comprendre psychologiquement les grands auteurs.
Sartre dénonce deux erreurs de la psychologie empirique. Ces deux
erreurs reposent sur un point de départ : qu’un homme se définit à partir de
ses désirs. Et ça, il pense le retrouver chez les psychologues de son époque.
Le désir chez Sartre est le désir d’être, de l’en-soi pour-soi.
La première erreur est de réifier les désirs, sous la forme d’entité
psychique, de désirs-substances qui seraient dans l’homme sans être
l’homme lui-même. Comme si j’avais en moi des désirs qui me sont
étrangers, en moi.
Mais tout désir est conscience de désirer pour Sartre. Le désir
n’échappe pas à cette loi fondamentale.
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Le désir n’est pas quelque chose en moi. Ah ! j’ai très envie de fraises
à la crème. Attention, le désir est une modalité particulière de la conscience.
Désirer, c’est toujours une conscience désirante.
La deuxième erreur, c’est cette croyance que le travail du psychologue
s’achève dans la mise au jour de quelques désirs fondamentaux, de quelques
désirs empiriques premiers. De telle sorte qu’une personnalité serait la
combinaison d’un certain nombre de désirs.
Or les désirs empiriques ne sont pas premiers. Le désir premier est le
désir d’être.
Et deuxième erreur : les psychologues miment la chimie. Ils prennent
pour modèle la chimie, de telle sorte qu’une personnalité serait une
combinaison. Les corps simples sont les désirs premiers, empiriques. De
telle sorte qu’on trouverait une sensibilité exacerbée chez l’un, ou une
absence d’ambition chez l’autre. On décompose l’individu en différents
désirs empiriques. Et après ce genre d’analyse, on mélange, et on essaye de
dire pourquoi Flaubert est devenu Flaubert. Sartre récuse toute psychologie
analytique qui décompose l’homme en différents désirs distincts les uns des
autres, à laquelle il oppose une conception synthétique et totalisante de
l’homme dont il découvre comme une esquisse dans des auteurs comme
Pascal, Stendhal ou Proust. P. 608. On rencontre ces références, parce que
pour Sartre, ces écrivains ont bien compris que ces désirs renvoient à un
désir plus fondamental. Je ne cours pas le cerf pour courir le cerf. Mais parce
que dois me divertir. Le désir, avec Pascal (et Sartre) est rapporté à autre
chose que lui-même et renvoie à quelque chose de plus fondamental. À
travers le goût pour le jeu de paume ou la chasse, je cherche le
divertissement.
L’enjeu lorsqu’on cherche à comprendre un désir, c’est de ressaisir ce
désir à partir du rapport fondamental du pour-soi au monde et à soi même.
Afin de saisir la concrétion de son être dans le monde, le secret individuel.
// substance spinoziste et ses attributs : l’homme s’exprime tout entier
dans chacun de ses désirs.
Psychanalyse existentielle, et psychanalyse freudienne. P. 614-620.
Le projet fondamental de la psychanalyse existentielle suppose la mise
au point d’une méthode spéciale. Et cette méthode, son point de départ ne
peut être que la comparaison des diverses tendances d’un sujet, afin de
dégager le projet fondamental commun à ses différentes conduites ou
tendances. De telle sorte que pour la psychanalyse existentielle, les différents
désirs sont l’expression symbolique du projet fondamental qui est projet
d’être. Et ce projet d’être, c’est le projet d’être Dieu. D’être en-soi, pour-soi.
Dieu est causa sui, et réalise cette impossible synthèse de l’en-soi et du poursoi que poursuit la conscience.
Pour bien saisir la méthode de la psychanalyse existentielle, il faut
convoquer trois éléments. L’onto-phénoménologie, qui dévoile le pour-soi
en tant que manque. La psychologie empirique. Et enfin, la psychanalyse
existentielle, qui va tenter de ressaisir ces différents désirs à partir du désir
d’être.
On peut ainsi préciser ce qu’est la psychanalyse existentielle.
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Le but de la psychanalyse est de déchiffrer (herméneutique, mais
plus : découvrir le chiffre) les comportements empiriques de l’homme.
Pourquoi Flaubert a choisi d’écrire. Pourquoi il a choisi d’écrire un chef
d’œuvre qui s’appelait Madame Bovary.
Son point d’appui, c’est la compréhension pré-ontologique que
l’homme a de lui-même.
L’idée, c’est que le Dasein a une compréhension de son être qui est en
question dans son être. On a l’idée d’une précompréhension ontologique de
son être. Tout homme éprouve ce manque qui est constitutif de son être.
Tout homme éprouve sa liberté, et a donc une précompréhension de son être.
Un geste de pudeur, une mimique de dégoût. Je comprends sans
comprendre quelqu’un que je vois dans la rue avoir du dégoût. Je comprends
la nausée, et la superfluité de l’existence.
Allusion au Ménon de Platon, la théorie de la réminiscence. Notion de
précompréhension ontologique : je le sais sans le savoir.
Dans ce texte, Sartre soutient que l’esquisse première de cette
méthode est fournie par la psychanalyse freudienne.
Et pour cette raison, il s’engage dans une confrontation avec Freud.
D’abord, les points communs [attention : violence de l’interprétation] :
1. Psychanalyse existentielle et freudienne considèrent l’homme
comme une historialisation perpétuelle. L’homme est cet être dont
l’existence se déploie dans le temps, se temporalise sous la forme d’une
histoire. D’une succession d’événements entrelacés les uns dans l’autre. Le
sens de ces événements est fonction du sens de chacun de ces événements.
L’homme est un être qui a une histoire, qui est fondamentalement historial.
Dans cette histoire, les différents éléments prennent sens les uns par rapport
aux autres. Ce qui semble intéressant à Sartre dans la psychanalyse, c’est le
refus des données premières. Pas d’inné, et l’affectivité est une table rase,
tout va dépendre de l’histoire. La psychanalyse refuse l’idée d’une nature.
Mon homosexualité est le résultat d’une histoire, d’une psychogénèse. Et
Sartre à cette occasion souligne l’importance des éléments de l’enfance. Et
en même temps, il les relativise : ce qui importe, ce n’est pas l’événement
lui-même, mais la cristallisation psychique autour de cet événement. Ce
travail du sens en sursis qui ne cesse de retravailler l’événement. Thématique
de l’après-coup chez Freud. Un événement, et une cristallisation psychique
autour de cet événement.
2. Sartre discerne une convergence entre la recherche par la
psychanalyse existentielle d’une attitude fondamentale et la notion
freudienne de complexe. C’est l’idée d’une structuration fondamentale de la
vie psychique à partir de laquelle il sera possible de saisir le cours de mon
existence. Convergence entre la notion de complexe, et la notion de choix
originel.
3. Enfin, pour Sartre comme pour Freud, l’attitude fondamentale n’est
pas immédiatement donnée à la conscience réflexive. Moi-même, je n’ai pas
immédiatement conscience de mon projet fondamental. Le choix originel
pour Sartre est un mystère en pleine lumière. Ce qui signe ma singularité,
c’est que rien n’est caché. Ce choix reste un mystère parce que tant que ces
choix restent indéchiffrés, je ne comprends pas…
Différences :
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Psychanalyse freudienne et existentielle divergent selon l’irréductible
auquel il faut remonter. La libido seule n’existe pas. Sinon, c’est qu’on l’a
substantifiée, réifiée. Pour Sartre, la sexualité doit elle-même être rapportée à
un autre irréductible. Exister c’est choisir, et c’est choisir un certain mode
d’être au monde. Et ce choix ne réside pas dans les ténèbres de l’inconscient.
Cette psychanalyse n’a pas encore trouvé son Freud.
Il resterait encore à la développer. C’est Sartre, alors, qui serait le vrai
Freud ?
« que peut-on savoir d’un homme » ? = la phrase qui ouvre l’Idiot de
la famille. La question de Sartre est gnoséologique, pas thérapeutique.
2/ Faire et avoir : la possession
La question est de savoir le lien qu’on peut établir entre le désir d’être
et les désirs empiriques concrets.
Le rapport est d’expression symbolique. Mais maintenant, il faut
montrer comment le désir concret relève du désir d’être.
Sartre fait une première classification. Il y a le désir d’avoir (un
champ, une maison). Le désir de faire (se promener, écrire un livre). Le désir
d’être (être beau, être savant).
Le désir d’avoir ainsi que le désir de faire = plus problématiques. Le
désir de faire se réduit au désir d’avoir. Car nous désirons faire pour avoir.
Je taille une canne dans une branche d’arbre pour avoir une canne.
Le désir de faire, au fond, revient à un désir d’avoir. Mais le désir
d’avoir est l’antichambre du désir d’être.
Le désir de s’approprier est un désir d’être.
La recherche scientifique est un effort d’appropriation.
Cf. le complexe d’Actéon. // curiosité scientifique. Actéon a surpris
Diane au bain.
Sous une forme symbolique, il y aurait un effort d’appropriation. Le
scientifique tente de surprendre Diane au bain.
Comment le désir d’avoir conduit au désir d’être. Le désir d’avoir
n’est pas irréductible. Le désir d’avoir vise le pour-soi sur, dans et à travers
le monde. C’est par l’appropriation du monde que le projet d’avoir vise à
réaliser la même valeur que le désir d’être. P. 644. La valeur d’en-soi poursoi, bien sûr.
Les conduites, les gestes d’appropriation permettent d’établir un
rapport entre sujet et objet tel que l’objet qui est à moi devient moi.
La pipe, le stylo, etc… c’est moi. Et en même temps l’objet est
indépendant de moi. La possession est un rapport magique. Mais ce rapport
magique réalise symboliquement l’idéal de l’en-soi pour-soi, à travers le
couple en-soi possédant et pour-soi possédé.
L’appropriation. Comment s’approprier un vélo ?
Tout désir est désir d’être.
P. 646. De la qualité comme révélatrice de l’être. L’idée qui domine,
c’est que les qualités des objets ont une signification ontologique. Le rouge,
le rugueux, etc… traduisent symboliquement une façon pour l’être de se
donner. ET nous réagissons par différents désirs.
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Cf. l’exemple du visqueux, signification ontologique éminente. Entre
le liquide et le solide, et ce dans quoi on s’englue. Métaphore du pour-soi ensoi. P. 652.
Sartre s’emploie à décrire la signification première, et tourne le dos
aux interprétations dominées par la sexualité. Boucher un trou, c’est une
pénétration, mais à comprendre ontologiquement. Cela doit se comprendre à
partir du rapport du pour-soi à l’en-soi. Ce que manque la psychanalyse dans
son herméneutique des conduites, c’est la signification ontologique de ce que
nous rencontrons.
La suavité de l’avocat : c’est doux, sensuel… C’est un rapport à l’être.
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