TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON MEMOIRE EN

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON MEMOIRE EN
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON
MEMOIRE EN DUPLIQUE
A Mesdames et Messieurs les Présidents,
A Mesdames et messieurs les Conseillers formant le Tribunal administratif de Lyon
Présentée pour :
1) La Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles
(FNSEA) ET AUTRES
11, Rue de la Baume 75008 PARIS
Syndicat professionnel régi par les articles L.2131-1 et s. du nouveau
code du Travail (loi du 21 mars 1884)
Représentée par son Président Xavier BEULIN dûment habilité,
domicilié en cette qualité audit siège.
Représentés par :
La SELARL « DRAI ASSOCIES » prise en les personnes de :
Me Rémi-Pierre DRAI,
Me Jean-Baptiste BLANC,
Me Sarah MARGAROLI,
Avocats au Barreau de Paris
64, Rue de Miromesnil - 75008 Paris
Tél : 01.45.61.66.66 – Fax : 01.45.61.66.67
e-mail : [email protected] toque L 175
Décision attaquée :
L’arrêté n° 12.290 par lequel le Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet
du Rhône, Préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée a
délimité les zones vulnérables aux nitrates d’origine agricole dans ledit
bassin.
Contre :
L’Etat représenté par M. le Préfet de la région Rhône-Alpes,
106 Rue Pierre CORNEILLE
69419 LYON CEDEX 03
Tél. : 08 21 80 30 69
En présence de :
Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée Corse
Etablissement public à caractère administratif de l’Etat,
2-4 Allée de Lodz
69363 LYON CEDEX 07
Tél : 04.72.71.26.00 - fax : 04.72.71.26.01
Représenté par son directeur général
Sur la requête 1301324-2
2/8
La clôture de l’instruction intervient le 29 octobre 2015 à 16h30.
Le concluant entend présenter les observations complémentaires en réponse aux
dernières écritures et pièces produites par la préfecture, qui lui ont été
communiquées le 23 octobre 2015.
1°) Sur l’illégalité de la circulaire du 22 décembre 2011
Pour la parfaite information du Tribunal, il convient de citer au soutien de ce
propos, quatre circulaires prises antérieurement à la circulaire du 22 décembre
2011 relatives au réexamen de la liste des zones vulnérables, en date du 24 juillet
2000 (DGS/DE n°2000-422), 8 avril 2002, 5 juillet 2004 et 30 mars 2006.
Ces circulaires remplissent leur strict rôle d’interprétation des dispositions de la
directive Nitrates et du décret de transposition applicables, en en donnant une
« grille de lecture » et en proposant des modalités techniques de surveillance
permettant d’avoir les données les plus représentatives.
Elles n’imposent aucune méthode exclusive de classement, si ce n’est la définition
des modalités techniques de la surveillance ou de la mise à jour de la liste des
points de surveillance.
Plus particulièrement, la circulaire du 24 juillet 2000 dans son annexe IV précise
les modalités techniques de la surveillance (annexe II) en des termes ne revêtant
pas un caractère impératif de nature à imposer une méthode exclusive de
classement.
Ce que ne précise opportunément pas la préfecture, c’est que les arrêtés
préfectoraux de délimitation des zones vulnérables antérieurs n’ont fait l’objet
d’aucun recours contentieux avant la présente procédure, en particulier en raison
du fait que l’extension géographique des zones vulnérables, à l’issue de la dernière
campagne de surveillance de 2010-2012 a été sans précédent, dans le cadre du
contexte de contentieux communautaire.
a) Sur la nécessaire mise en œuvre de la directive nitrates, eu égard à la
condamnation en manquement de la France le 13 juin 2013 : la préfecture
invoque que la « clarification de la circulaire, de la méthode scientifique
applicable pour la détermination des eaux polluées ou susceptibles de l’être» a
été prescrite par l’arrêté du 5 mars 2015.
Or, les requérants attirent l’attention du tribunal sur le fait que cet arrêté a été
contesté et a fait l’objet d’un recours actuellement pendant devant le Conseil d’Etat.
En tout état de cause, cet arrêté n’est pas applicable au présent litige, et ne saurait
préjuger de la légalité de la circulaire attaquée par voie d’exception d’illégalité, eu
égard à son caractère impératif ; l’arrêté identique en cause sur le bassin Loire
Bretagne constituant une « mesure d’application » de ladite circulaire selon les juges
d’appel.
La motivation de la CAA de Nantes est très claire sur ce point : considérants 4 et 5
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A cet égard, la décision en manquement évoquée (CJUE, 13 juin 2013, C-193/12),
ne statue pas sur l’efficience de la méthode de calcul devant être retenue.
Cette décision ne sanctionne pas la France concernant la méthode qui aurait été
employée mais lui reproche de ne pas avoir procédé, « à l’occasion de la révision des
zones vulnérables effectuée en 2007, à une désignation complète de ces zones, en
raison de la présence de masses d’eau de surface et souterraines affectées, ou
risquant d’être affectées, par des concentrations en nitrates supérieures à 50 mg/1
et/ou de masses d’eau de surface affectées, ou risquant d’être affectées, par des
phénomènes actuels ou potentiels d’eutrophisation, contrairement aux exigences de
l’article 3, paragraphes 1 et 4, de la directive 91/676 ainsi que de l’annexe I de
celle-ci. »
La condamnation de la France ne saurait être abusivement invoquée afin de tenter
de justifier de pratiques illégales commises par les autorités étatiques dans le choix
des modalités de définition des mesures internes destinées à permettre la
réalisation des objectifs d’un texte de droit communautaire dérivé.
b) Par ailleurs, le principe de coopération loyale invoqué par la préfecture ne
saurait pallier à l’absence de respect par les autorités nationales des règles
de compétence régissant les institutions en présence au sein de chaque Etat
membre.
Ainsi, l’invocation de ce principe n’apporte rien au débat dans la mesure où
l’obligation pour chaque Etat membre de prendre toute mesure permettant
d’assurer la réalisation des objectifs prévus par les directives communautaires, ne
le soustrait pas au respect de la hiérarchie des normes définie en son sein.
A cet égard, la préfecture mentionne la jurisprudence traditionnelle « Jamart »
relative au pouvoir d’organisation du chef de service : (CE, 7 février 1936, JAMART,
Rec. 172)1
Une jurisprudence également évoquée par madame le rapporteur public lors de
l’audience devant le Tribunal administratif de Paris en octobre 2014, ayant donné
lieu au jugement du 17/10/2014 (annexe 16 adverse)
L’analyse suivie par le tribunal est contestable.
Cons. que si, même dans le cas où les ministres ne tiennent d'aucune disposition législative un pouvoir
réglementaire, il leur appartient, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au
bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité, et s'ils peuvent
notamment, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, interdire l'accès des locaux qui y sont
affectés aux personnes dont la présence serait susceptible de troubler le fonctionnement régulier dudit
service, ils ne sauraient cependant, sauf dans des conditions exceptionnelles, prononcer, par une
décision nominative, une interdiction de cette nature contre les personnes qui sont appelées à pénétrer
dans les locaux affectés au service pour l'exercice de leur profession ;
1
Cons. qu'il résulte de l'instruction que les lettres adressées par le sieur Jamart au ministre des
pensions, quel qu'ait été leur caractère regrettable, ne contenaient pas de menace précise de nature à
troubler le fonctionnement du centre de réforme de Paris où le requérant, docteur en médecine, était
appelé à pénétrer pour assister, en vertu de l'art. 9, § 5 de la loi du 31 mars 1919, les anciens militaires
bénéficiaires de ladite loi ; que, par suite, en lui interdisant, d'ailleurs sans limitation de durée, l'accès de
tous les centres de réforme, le ministre des pensions a excédé ses pouvoirs ;(…) » (Annulation).
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En effet, le pouvoir ainsi reconnu aux ministres et autres chefs de service rencontre
des limites : il ne peut « s'exercer que dans la mesure où les nécessités du service
l'exigent, et envers les seules personnes qui se trouvent en relation avec le service,
soit qu'elles y collaborent, soit qu'elles l'utilisent » (concl. M. Bernard sur CE, 6 oct.
1961, UNAPEL, RDP 1961.1279).
Ainsi, lorsque l'organisation ou le fonctionnement du service n'est plus en cause et
qu'aucune disposition n'habilite le ministre à prendre un règlement, il ne peut en
édicter. (Sous l’arrêt CE, 7 février 1936, JAMART, Rec. 172, GAJA/15/2005/0050)2
En premier lieu, il convient donc de s’interroger sur la notion d’organisation
et de fonctionnement du service », qui induit une compétence réglementaire
ministérielle pouvant être exercée, sous conditions, en l’absence de disposition
législative d’habilitation.
Madame le rapporteur public est partie du postulat selon lequel la détermination de
la méthode exclusive de classement des communes en zone vulnérables
(substitution de la méthode du « Percentile 90 » à la méthode de la plus forte
moyenne) constituerait une « mesure d’organisation du service » au sens de la
jurisprudence précitée.
Or, il nous semble clair que définir et imposer une méthode scientifique de
classement à l’exclusion de toute autre, dont le principe n’est évoqué par aucun
autre texte supérieur, ne constitue pas une mesure d’organisation du service qui
découlerait d’une simple interprétation des articles R211-75 et suivants du code de
l’environnement afin de guider les services, mais bien une prescription
supplémentaire qui ajoute au texte de transposition de la directive et cela
d’autant plus qu’elle s’impose aux administrés au titre de la réglementation
environnementale qui relève de la police administrative.
C’est ce qu’a exactement conclu la CAA de Nantes.
En second lieu, le Tribunal relèvera que l’invocation de cette jurisprudence
« Jamart » n’est pas possible sur le fond du droit matériel.
En effet, il est juridiquement erroné de conclure qu’une « circulaire prise par le
pouvoir ministériel dans un domaine concernant lequel aucun texte n’impose à une
autre personne que le Ministre de fixer cette méthode de classement », ne revêtirait
pas un caractère illégal.
En effet, il est de jurisprudence constante que la compétence ne revêt aucun
caractère implicite et doit être explicitement précisée par des textes juridiquement
supérieurs.
Il n’est pas contestable que le pouvoir d’organisation du chef de service a pour objet
de permettre une interprétation uniforme, sur l’ensemble du territoire, des textes
législatifs et réglementaires applicables à une matière.
C'est ce qui a conduit le Conseil d'Etat à dénier au ministre des finances le pouvoir de fixer les
critères d'octroi des agréments fiscaux (Sect. 23 mai 1969, Société « Distillerie Brabant et Cie », Rec. 264,
concl. Questiaux ; AJ 1969.640, concl. Questiaux, note Tournié ; RDP 1969.1127, concl. Questiaux ; D.
1970.770, note Fromont).
2
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Néanmoins, le vide juridique ne saurait autoriser le pouvoir ministériel à intervenir
dans un domaine de compétence qui ne lui est pas explicitement attribué, ou à tout
le moins dans la détermination de règles exclusives et impératives qui ne sont
même pas évoquées dans leur principe par les textes légaux.
Or, la décision du Tribunal administratif de Paris sous-tend à cet égard, sur le
fondement de cette jurisprudence, que le champ du pouvoir réglementaire
ministériel doit être entendu d’une manière relativement large, afin de permettre un
fonctionnement efficient de l’administration.3
Or, les cas cités à l’appui de son raisonnement par madame le rapporteur public
(principalement concernant le pouvoir hiérarchique du ministre en tant que chef de
service à l’égard des personnels) ne sont pas réellement transposables au cas
d’espèce, dans la mesure où certes, ici, il était nécessaire de définir une méthode de
classement destinée à être appliquée par les services préfectoraux afin de
déterminer les seuils de pollution des zones contrôlés, dans le cadre de ceux définis
par les articles R211-75 et suivants du code de l’environnement, mais le principe
même de la détermination d’une méthode n’est aucunement évoquée par le décret
de transposition de la Directive (Décret 2007-397 2007-03-22 JORF 23 mars 2007)
Cette conception restrictive de cette compétence réglementaire « spontanée » est
partagée par Monsieur Le Chatelier, Commissaire du Gouvernement, dans ses
conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat « Association Liberté, information Santé »
du 3 mars 2004 (CE Ass, 3 mars 2004, n°222918) :
« Plus généralement d'ailleurs, il nous semble que votre jurisprudence reste
extrêmement prudente quant à la reconnaissance d’un pouvoir réglementaire
autonome au profit d’un ministre chaque fois qu'est en cause une liberté
publique (CE, Sect., 28 juillet 1989, Halbwax, Lebon p. 174), même si vous ne
l'excluez pas par principe, mais seulement alors pour compléter des règles
prévues par la loi et le règlement (cf. à propos de la détermination par le garde
des sceaux des conditions dans lesquelles les fouilles de détenus peuvent être
effectuées, CE, 8 décembre 2000, Frérot, Lebon p. 589 ; concl. R. Schwartz,
Petites affiches 8 février 2001, p. 16). Mais, une nouvelle fois ici, il ne s'agit pas
de compléter des éventuels oublis du législateur, mais d'imposer des
obligations tout à fait nouvelles.
(…)
Aussi, pour notre part, nous ne souscrivons pas à la thèse du ministre de
la défense selon laquelle celui-ci détiendrait une compétence spécifique pour
imposer des sujétions à la liberté individuelle des militaires placés sous son
autorité hiérarchique, l'importance de ce dernier principe dans l'organisation et
l'action des armées ne nous semblant pas justifier à lui seul qu'il soit porté
atteinte à la répartition des règles de compétences telle qu'elle résulte de la
Une interprétation extensive que madame le rapporteur public tire de l’interprétation de la
jurisprudence JAMART et qu’elle a fondé également sur des jurisprudences plus récentes du
Conseil d’Etat du 12 avril 2013 « FO Energie » ou encore, dans d’autres domaines, d’un arrêt
de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 7 juin 2005 (AJDA 2005, page 1554).
3
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Constitution. A cet égard, nous pensons qu'une habilitation législative,
même très générale et succinte, aurait sans doute suffi pour permettre
au ministre d'imposer aux militaires par voie d'instruction des
vaccinations obligatoires qui ne figurent pas dans le code de la santé
publique, votre jurisprudence ayant admis que l'exercice du pouvoir
réglementaire pouvait aller assez loin dans la mise en œuvre des
principes posés par la loi en ce domaine. En revanche, en l'absence
d'une telle habilitation, le ministre n'était selon nous pas compétent
pour prendre ces mesures permanentes.
Dès lors, nous vous proposerons d'annuler le refus d'abroger la circulaire dans
la mesure où elle impose des vaccinations que la loi ne rend pas obligatoires.
(…) »4
Certes, ce n’est pas ici une « liberté publique » qui est en cause, mais cette analyse
confirme bien que l’exercice spontané du pouvoir réglementaire par le ministre en
dehors de tout texte d’habilitation, à tout le moins qui aurait fait l’objet d’une
simple référence par un texte supérieur, ne saurait être la règle.5
C’est ce qu’ont conclu à juste titre les Juges de première instance de Strasbourg
lorsqu’ils précisent, dans un premier temps, que ni la directive Nitrates, ni les
articles du Code de l’environnement qui transposent ladite directive, ne fixent la
méthode à employer pour déterminer le taux de nitrate des eaux, aux fins
d’identifier si celles-ci sont atteintes ou menacées par la pollution ; et d’autre part
d’en conclure qu’aucun texte interne ne confère au pouvoir ministériel de fixer une
telle règle nouvelle.
Une analyse confirmée par les juges d’appel concernant le bassin Loire Bretagne.
2) Sur la modulation des effets de l’annulation de la décision à
intervenir
La préfecture effectue une interprétation erronée de l’état de la jurisprudence en la
matière relatif aux effets de l’annulation de la décision de classement des zones
vulnérables à la pollution par les nitrates d’origine agricole.
Les requérants n’ont effectué aucune confusion avec le droit de l’urbanisme au cas
présent.
Il est établi que en cas d’annulation, la situation juridique aurait été régie par les
actes antérieurs, conformément à la jurisprudence Rodière (CE, 26 décembre 1925,
n°88369, publié au recueil)
En gras de la main du rédacteur
Ne peuvent être prises non plus les mesures d'organisation ou de fonctionnement pour l'adoption
desquelles un texte de loi ou de décret impose une formalité particulière (CE Sect. 8 janv. 1982, SARL
Chocolat de régime Dardenne, Rec. 1 ; D. 1982.261, concl. Genevois ; RA 1982.624, note Pacteau).
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Autrement dit, dans le cas d’une annulation, seules les communes nouvelles
classées dans les « zones vulnérables » verraient leur situation juridique évoluer.
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Par l’ensemble des motifs ci-avant exposés, ceux à soulever, à parfaire, à
suppléer, au besoin d’office, il est sollicité de la juridiction saisie de bien vouloir :
1°)
2°)
3°)
4°)
Annuler l’arrêté par lequel le Préfet de la région Rhône-Alpes,
Préfet du Rhône, Préfet coordonnateur du bassin RhôneMéditerranée a délimité les zones vulnérables aux nitrates
d’origine agricole ;
Enjoindre à l’Etat de prendre toutes mesures requises pour
assurer l’exécution du jugement à intervenir dans les conditions
ci-avant énoncées ;
Condamner l’Etat à verser aux requérants une somme de
10.000 euros sur le fondement de l’article L.761-1 du code de
justice administrative ;
Condamner l’Etat à verser aux requérants une somme de
35 euros sur le fondement de l’article R.761-1 du code de justice
administrative
Fait à Paris
Le
29 octobre 2015
Sous toutes réserves,
Pour l’exposant(e) :
SELARL DRAI ASSOCIES
Maître Rémi Pierre DRAI
8/8