Les répertoires de l`action politique

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Les répertoires de l`action politique
ENSEIGNEMENT DE SPECIALITE
Sciences sociales et politiques
Il est demandé au candidat de répondre à la question posée par le sujet :
- en construisant une argumentation ;
- en exploitant le ou les documents du dossier ;
- en faisant appel à ses connaissances personnelles.
II sera tenu compte, dans la notation, de la clarté de l'expression et du soin apporté à la présentation.
Ce sujet comporte deux documents.
THÈME DU PROGRAMME
La participation politique
SUJET
Comment ont évolué les répertoires d’action politique dans les sociétés démocratiques ?
Document 1 –
Avant les années 1801-1820, la contestation s’articule aux calendriers de la vie courante et s’appuie la plupart du temps sur le
détournement de rites sociaux préexistants : fêtes religieuses et profanes, processions et carnavals et les habituelles
manifestations du pouvoir comme les entrées royales et les fêtes de souveraineté. Les formes prises par les performances
empruntent le plus souvent à un riche vocabulaire symbolique et rituel lié aux charivaris¹, effigies brûlées ou conspuées. Les cibles
visées sont moins les sièges de l’autorité publique que les lieux mêmes de l’injustice, marchés, moulins, maisons des spéculateurs
et accapareurs; […]. Les personnes mobilisées se présentent comme membres ou représentants de groupes corporatifs constitués
plutôt que comme porteuses d’intérêts spécifiques. Enfin, les formes prises par l’action s’inscrivent dans des registres propres aux
lieux et aux circonstances du moment. Ce répertoire paroissial, particulier et patronné évolue progressivement vers un modèle qui
dans les années 1830 devient national, autonome et modulaire.
Cette notion de modularité vient […] souligner que dans le monde moderne, certaines formes d’action, au premier rang
desquelles la grève et la manifestation, se diffusent progressivement dans toutes les sphères sociales, accompagnant la naissance
des mouvements sociaux nationaux, la nationalisation des formes d’expression politique et, partant, de gestion par l’État de la
contestation.
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1. Les charivaris sont des rituels, très similaires au carnaval, pendant lesquels un cortège fait du bruit avec toutes sortes d’objets
(ustensiles de cuisines notamment) et d’instruments rudimentaires.
(Source : Olivier Filleule, « Tombeau pour Charles Tilly. Répertoires, performances et stratégie d’action », dans E. Agrikoliansky et
alii, Penser les mouvements sociaux, éd. La Découverte, coll. « Recherches », 2010).
Document 2 –
« Voici un certain nombre de moyens que les gens utilisent parfois pour faire connaître leurs opinions ou leurs revendications.
Pouvez-vous me dire pour chacun d'eux si vous l'approuveriez ou pas, au moins dans certaines circonstances ? »
1988
1995
2002
2007
Provoquer des dégâts matériels
1
2
2
-
Peindre des slogans sur les murs
6
6
5
-
Refuser de payer les impôts
23
37
32
-
Occuper un bâtiment administratif
28
42
43
42
Participer à des manifestations de rues
49
62
77
72
Faire grève
66
74
79
80
En %
Champ : population métropolitaine inscrite sur les listes électorales.
(Source : Enquêtes CEVIPOF 1988/1995, Panel électoral français 2002, 2007).
1 – Analyse du sujet : Comment ont évolué les répertoires d’action politique dans les sociétés démocratiques ?
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Comment = De quelle façon, de quelle manière…
Evoluer = Quels ont été les changements au cours de l’histoire ?
Répertoire d’action politique = Ensemble des actions codifiées et ritualisées par lesquelles les individus défendent leurs
intérêts communs et influent le pouvoir politique.
Champ spatial et temporel = Les sociétés démocratiques depuis le XIXe siècle.
2 – Réponse à la question posée :
Introduction :
Amorce = Lorsque Greenpeace s’attaque à un baleinier à l’aide d’un Zodiac ou lorsque cette association survole et se pose, à
l’aide d’un ULM, sur une centrale nucléaire, elle utilise des moyens d’actions spectaculaires, visuels et médiatiques qui sont sensés
attirer l’attention et le soutien de l’opinion publique afin d’influencer le pouvoir politique. Les répertoires d’action politique regroupent
un ensemble d’actions codifiées et ritualisées par lesquelles les individus défendent leurs intérêts communs et influent le pouvoir
politique. Ils ont été étudiés par Charles Tilly dans son ouvrage « La France conteste, de 1600 à nos jours » (1986).
Problématique = Quelles sont les changements apparus dans ces répertoires depuis le XIXe siècle ? Comment expliquer
l’apparition de nouveaux répertoires ? Les nouveaux répertoires ont-ils mis fin aux anciens ?
Annonce du plan = Après avoir étudié le modèle « local patronné » propre aux sociétés traditionnelles, nous examinerons les
caractéristiques du « modèle national » propre à la société industrielle et celle du « modèle transnational » lié à notre société postindustrielle et mondialisée.
1 – Un répertoire enraciné dans le terroir des sociétés traditionnelles (1650-1850)
Entre le XVIIe et le milieu du XIXe siècle, c’est le modèle « local-patronné » qui s’impose. A cette époque on observe de
brusques flambées de violence soit à la suite d’une forte montée des prix des produits alimentaires, soit à cause d’une
augmentation des impôts locaux, soit parce que les machines étaient susceptibles de dévaloriser le travail (révoltes des luddites en
Angleterre ou des Canuts à Lyon). Les actions utilisent les rituels propres aux fêtes traditionnelles (Carnaval, charivari…) pendant
lesquelles l’ordre social est mis sens dessus dessous (effigies brûlées ou conspuées) (Doc 1).
Ces actions collectives n’ont pas un caractère national. Le répertoire d’action se déroule dans des lieux qui représentent l’objet
du mécontentement (marché au blé, maison de l’intendant des finances ou de l’usurier…) (Doc 1). La régulation du conflit passe
par l’intermédiaire de notables locaux qui vont négocier avec les autorités locales des mesures susceptibles d’éteindre l’incendie.
D’où le terme de modèle paroissial-patronné. Ce type de modèle semble avoir disparu avec le développement de la société
industrielle et démocratique. Pourtant, les émeutes de 2005 dans les banlieues ont utilisé ce répertoire d’action collective ancien
avec un affrontement violent avec la police, l’incendie de voitures et d’équipements publics, l’intervention de religieux et de maires
pour calmer les esprits (Alexandre Piette, « La glèbe et la plèbe » 2010).
2 – Un répertoire national et autonome pour des sociétés industrielles et démocratiques (1850-1980)
A partir des années 1850, la société s’urbanise, s’industrialise et se démocratise. Le conflit politique est pacifié par l’extension
du droit de vote à tous les hommes puis à toutes les femmes de plus de 21 ans, puis de plus de 18 ans. Les citoyens disposent
d’institutions intermédiaires, fédérées au niveau national, (syndicats, ordres, associations) qui servent de médiateurs entre eux et le
pouvoir central. De ce point de vue, on peut parler d’une institutionnalisation du conflit car ces groupes intermédiaires sont
considérés comme légitimes (les « partenaires sociaux »), les règles du conflit sont codifiés par la loi (la grève est devenue peu à
peu constitutionnelle, la manifestation est autorisée…) et les objets du conflit portent sur l’instauration de nouvelles règles. Le
conflit est donc régulé par des institutions.
En conséquence, un nouveau répertoire d’action collective autonome apparaît. Les flambées de violence spontanées laissent
la place à des actions collectives organisées dans des lieux symboliques du pouvoir politique national (manifestations de la
République à la Nation à Paris ou marche sur les champs Elysées jusqu’à l’arc de Triomphe…) avec des plateformes de
revendication. Les registres expressifs deviennent explicites. L’action collective s’autonomise vis-à-vis du local, des notables et des
rituels sociaux préexistants. Elle invente de nouvelles façons de protester : la grève, la manifestation, la pétition…La violence n’est
plus que résiduelle (échauffourées avec la police en fin de manifestation…).
3 – Un répertoire transnational et solidariste pour des sociétés post-industrielles et mondialisées (1980-20…)
A partir des années 1980, la société se tertiairise et se mondialise économiquement et culturellement. Le développement de
moyens de communication à l’échelle planétaire et le caractère viral de l’information vont modifier les modalités de l’action. De
national le conflit se déplace sur la scène internationale. Il remet en cause la mondialisation libérale qui détruit les solidarités
traditionnelles, les ressources naturelles de la planète et réduit l’individu à un rouage de la machine productive. Il s’agit d’établir de
nouvelles solidarités entre les peuples du monde popularisés par des sommets (Porto-Alegre en 2001, Seattle…) qui font pièce à
celui du monde capitaliste de Davos. Le mouvement écologiste (Greenpeace…) et le mouvement altermondialiste (les « indignés »,
le mouvement zapatiste…) sont représentatifs de cette nouvelle tendance.
En même temps, le répertoire d’action collective se renouvelle. L’action se désinstitutionnalise en remettant en cause les
grandes organisations ouvrières au profit d’une multitude d’associations ou de coordinations hostiles à toute délégation de pouvoir
et qui privilégient la démocratie directe (les Femen, Act-Up, les enfants de Don Quichotte, le mouvement Occupy Wall Street…).
Les formes de l’action sont plus individualistes et mobilisent des petits groupes qui recherchent la médiatisation (« Les répertoires
de l’action médiatique des mobilisations altermondialiste » Benjamin Ferron, 2012). Elles sont donc non violentes, symboliques et
spectaculaires sur un problème concret et précis (réquisition de logements vides pour l’association droit au logement, un préservatif
géant sur l’obélisque de la Concorde pour Act-Up, une manifestation seins nus pour dénoncer les conditions des femmes dans le
monde…).
Conclusion :
Rappel de la démonstration = Chaque société et chaque époque met en œuvre des modalités d’action qui leur sont propres.
L’évolution du conteste social, la civilisation des mœurs (Norbert Elias) et la démocratisation croissante ont rendus les répertoires
plus ouverts et plus explicites.
Ouverture = Cependant, le nouveau n’élimine pas l’ancien. Les anciens répertoires sont encore utilisés (émeutes de la faim et
révolutions arabes, grèves et manifestations pour défendre l’emploi à Florange ou à Aulnay…) et les répertoires présentés comme
nouveaux ont été utilisés par le passé (l’occupation des logements a été précédé par les occupations d’usines, les sommets
altermondialistes ont été précédés par l’internationale socialiste…).