Retour critique sur les répertoires de l`action collective

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Retour critique sur les répertoires de l`action collective
RETOUR CRITIQUE SUR LES RÉPERTOIRES DE L'ACTION
COLLECTIVE ( XVIIIE - XXIE SIÈCLES)
Michel Offerlé
De Boeck Université | Politix
2008/1 - n° 81
pages 181 à 202
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Offerlé Michel, « Retour critique sur les répertoires de l'action collective ( XVIIIe - XXIe siècles) »,
Politix, 2008/1 n° 81 , p. 181-202. DOI : 10.3917/pox.081.0181
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ISSN 0295-2319
Michel OFFERLÉ
Résumé - Le concept de répertoire d’action proposé par Charles Tilly a connu une immense fortune, au
risque d’une dilution et d’une perte de sens. Michel Offerlé s’attache dans ce texte, à partir d’un retour
aux propositions tilliyennes, à une évaluation critique du concept. À partir ensuite de ses usages par les
sociologues et les historiens, il montre ce que son utilisation peut nous apprendre quant aux terrains auxquels elle est appliquée et souligne dans quelle mesure on peut encore en user de manière productive. Il
propose également des pistes permettant de penser ensemble ce que la notion tend trop souvent à séparer – les actions collectives protestataires, les actions collectives non protestataires et les actions individuelles – pour réintroduire l’idée d’une pluralité de registres d'action « disponibles », dans le temps et
dans les espaces sociaux et territoriaux.
* Merci à toutes celles et à tous ceux qui m’ont permis, en France, en Turquie et au Brésil de comprendre
ce que pouvait être un répertoire de l’action collective. Merci à Olivier Fillieule pour sa relecture « bien
orientée ».
Volume 21 - n° 81/2008, p. 183-204
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Retour critique
sur les répertoires
de l’action collective
(XVIIIe-XXIe siècles)*
182 Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles)
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Bien plus fréquents sont les usages « faibles » de la métaphore (initiée par
Tilly en écho à un répertoire musical), qui revient à assimiler la notion de répertoire à un moyen d’action (la manifestation est un répertoire, la barricade aussi)
ou à la somme des moyens d’action effectivement utilisés ou utilisables par une
organisation ou un mouvement (les altermondialistes ont un répertoire d’action
comme la CGT en a un), par une catégorie sociale (les intellectuels ont un répertoire quand ils s’engagent par leur nom ou par leur œuvre). On dira que tel
groupe n’a pas accès à telle pièce du répertoire, on parlera de répertoire français
ou finlandais en sténographiant des styles nationaux de répertoires, voire de
répertoires localisés. Sans oublier le développement métaphorique de la métaphore pour parler du répertoire dit moderne en évoquant les répertoires au pluriel, les « répertoires d’action partisans », « d’offre d’engagement », « de modèles
organisationnels » ou « d’action administratifs ou étatiques ». On invoquera
aussi des répertoires « d’action démocratique », « de motifs et d’action », des
répertoires « discursifs », « d’action communautaires » (au sein de l’Europe),
« d’action victimaires », « ascétiques », « mystiques » « vernaculaires » ou des
répertoires rebelles. Et l’on parlera enfin « d’importation, d’adaptation, de changement, d’élargissement, de recomposition, de répertoire(s) ».
1. Pour une discussion de ces notions, cf. les textes discutés lors du congrès de l’Association française de
science politique à Lyon, en septembre 2005, dans la table ronde intitulée « Où en sont les théories de
l’action collective ? ». Ces textes sont disponibles à l’adresse http://www.afsp.msh-paris.fr.
2. Les références des ouvrages et articles cités sont dans la bibliographie en fin de texte.
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L
a plupart des notions utilisées par les sociologues de l’action collective
ont été passées au tamis de la critique et nombre d’entre elles semblent
avoir épuisé leur potentiel heuristique initial : cadrage, structure des
opportunités politiques, identité, etc.1 Celle de répertoire de l’action collective
paraît avoir été épargnée et est devenue une sorte d’expression incontournable.
En parlant de répertoire d’action, on fait référence implicitement ou explicitement à Charles Tilly qui a tenté, à la fin des années 1970, de styliser de manière
idéale-typique et macro-sociologique les différences qui peuvent opposer de
façon tranchée les façons de faire des contestataires des XVIIe et XVIIIe siècles à
celles des contestataires des XIXe et XXe siècles et de regrouper ainsi l’infinité des
moyens d’action dont ils se servent pour s’exprimer et exprimer leurs revendications, leurs peurs, leurs haines… La notion a beaucoup servi et, comme tout
terme à succès, elle a été contournée, retournée, aplatie. Tilly a d’ailleurs plusieurs fois souligné à quel point la réception des « répertoires » est rarement
advenue dans sa version « forte », laquelle renvoie à une stylisation macrosociologique de la transformation des formes de domination économique et
politique (le marché et l’État). Ainsi la notion d’urbanisation, utilisée dans
La Vendée (1970)2, entendait rendre compte des effets de l’extension simultanée
du marché économique et du marché politique.
Michel OFFERLÉ 183
Je souhaiterais dans cet article, en m’appuyant sur un large échantillon de
textes mobilisant la notion, revenir sur l’histoire de ses usages par les sociologues et les historiens, pour montrer ce que son utilisation peut nous apprendre
quant aux terrains auxquels elle est appliquée, et souligner dans quelle mesure
on peut encore en user de manière productive. Chemin faisant, je proposerai
des pistes permettant de penser ensemble ce que la notion tend trop souvent à
séparer – les actions collectives protestataires, les actions collectives non protestataires et les actions individuelles – pour réintroduire l’idée d’une pluralité de
registres d’action « disponibles », dans le temps et dans les espaces sociaux et
territoriaux.
Les itinéraires de Charles Tilly
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« Toute population a un répertoire limité d’actions collectives, c’est-à-dire de
moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés. […] Ces différents
moyens d’action composent un répertoire, un peu au sens où on l’entend dans
le théâtre et la musique, mais qui ressemble plutôt à celui de la commedia
dell’arte ou du jazz qu’à celui d’un ensemble classique. On en connaît plus ou
moins bien les règles, qu’on adapte au but poursuivi. […] Le répertoire en usage
dicte l’action collective. » (1986, p. 541-542)
Le « choix » des moyens d’action se fait sur la base de la préférence pour la
familiarité, mais sous contraintes, en fonction non seulement des ressources de
tous ordres dont dispose ou prétend pouvoir disposer le groupe (variables dans
le temps de l’interaction), mais aussi de la concurrence des autres groupes et
des contraintes situationnelles (anticipations et réalité des sanctions, potentiel
d’appui, d’approbation passive ou de délégitimation des participants potentiels
et des « opinions » mobilisables). Même si les premières définitions ne le mentionnent pas explicitement, un répertoire est toujours une co-construction
entre des mobilisés et les divers producteurs du maintien de l’ordre. La
« préférence » est donc le résultat et le produit des structures d’interaction.
D’un côté un répertoire local, patronné et situé, dans lequel les actions collectives sont le prolongement du temps quotidien ; de l’autre, un répertoire national, autonome, modulaire, dans lequel la spécificité d’un temps politique
ordonne les scansions de l’activité protestataire. Les composants de ces deux
répertoires peuvent fluctuer selon les travaux de Tilly. Cela n’est guère étonnant, eu égard à l’infinité des formes que l’on peut dénombrer (Offerlé 1998,
p. 101 ; Sharp 1973).
Comme le montrent le schéma de La France conteste et le tableau résumant
les principales propositions (p. 544-555 et p. 548), la grande coupure qui sépare
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C’est à l’occasion de ses travaux de recherche sur la France (1986) et sur la
Grande-Bretagne (1979, 1995a) que Tilly a systématisé des notions antérieures,
en proposant la notion de « répertoire de l’action collective » :
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les manières de protester de part et d’autre de la ligne imaginaire des années
1830-1850 en France est tout autant la transformation des formes particulières de
l’action collective que ce qui donne sens à leur opposition, résumée dans la double dichotomie « ancien versus moderne » et « répertoire local et patronné versus
répertoire national et autonome ». En 1995, Tilly a relevé qu’il avait peut-être
trop autonomisé les actions de « contestation ouverte collective et discontinue »
(au sens de ponctuelles) au détriment des « formes individuelles de lutte et de
résistance » et des formes non contestataires de l’action collective. De fait, nous
verrons qu’il convient de penser les répertoires sur des continuums en quatre
dimensions : individuel/collectif, discret/ouvert, continu/discontinu, contestataire/non contestataire. Certaines formes peuvent être classées sur les deux versants d’une même opposition comme ces « actions collectives individualisées »,
ces « illégalismes sectoriels » que l’on peut repérer chez les déménageurs à la
cloche de bois de la fin du XIXe siècle (Péchu 2005, 2006) ou dans les formes
d’auto-assistance au quotidien, les micro-mobilisations et les résistances que
mettent en œuvre les habitants des quartiers populaires et des gecekondu istanbuliotes (Pérouse 2005)3, ou encore dans ce mélange des genres que prétendent
mettre en œuvre des « consom-acteurs » actuels, lorsqu’ils se font acheteurs de
paniers de fruits et légumes bios (Dubuisson-Quellier et Lamine, 2004).
Plus récemment encore, dans le contexte d’un travail collectif mené avec
Sidney Tarrow et Doug McAdam (McAdam et al. 2001) visant à refonder la
sociologie des mouvements sociaux et à proposer un modèle général permettant
de « sauver » le paradigme de la contentious politics des critiques qui lui ont été
adressées, notamment par Goodwin et Jasper (2004 et 2005), Tilly a défendu
l’idée que la notion de « repertoires of contention » permet de penser ensemble et
de manière comparative, les moyens utilisés dans les mouvements sociaux, les
vagues de grève, les guérillas, les révolutions, les luttes de libération nationale
ou les mouvements de démocratisation, voire les guerres (Ibid., p. 4-5 et p. 33).
La notion est alors présentée comme un outil propre à désenclaver des secteurs
de recherche trop autonomisés les uns par rapport aux autres, et notamment la
sociologie des révolutions. Les « repertoires of contention » sont désormais des
« limited ensembles of mutual claim-making routines available to pair of
identities » (Ibid., p. 138) et leur usage peut être étendu à un lieu, une époque,
une population. À cette extension du domaine couvert par la notion, Tilly
ajoute enfin l’idée que les répertoires ne sont pas des choses figées. Si, dans ses
premiers travaux, la notion était conçue comme renvoyant à de la fixité, à du
connu, en même temps qu’à de l’innovation, il admet désormais, prenant en
compte l’une des critiques les plus communément adressées à son travail, la
nécessité de mettre « the static concept of repertoire in motion » (Ibid., p. 48).
3. Sur les limites des catégorisations, cf. Offerlé (2004).
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184 Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles)
Michel OFFERLÉ 185
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Dans un article récent, Tilly (2005a) souligne l’existence d’un répertoire du
mouvement social qui s’entremêle avec d’autres phénomènes comme l’activité
syndicale ou les campagnes électorales. Ce répertoire, écrit-il, combine et
adapte des pratiques antérieures (pétitionnements, pamphlets, appui sur des
associations de type religieux, défilés, port d’insignes de reconnaissance, réunions en plein air), en Scandinavie, aux Pays-Bas, en France aussi durant la
Révolution. Mais c’est sans doute la Grande-Bretagne qui peut revendiquer le
droit d’aînesse, en rendant disponible la matrice « mouvement social » et en
permettant sa diffusion, par réinvention, par transmission via des journaux et
des correspondances, des voyageurs, des marins, des étudiants et des exilés et,
plus tardivement, par orchestration par le biais d’organisations internationales.
Mais cette transmission de technologies et leur ré-interprétation restent encore
peu documentées historiographiquement.
Dans une autre mise au point (2005b), Tilly reprend la comparaison avec
le jazz en la précisant. Il existe un répertoire de jazz comme il existe un répertoire de l’action collective, comme il existe des programmes et des concerts de
jazz et des performances et événements de l’action collective. Relevons au passage qu’il n’est pas sûr qu’il y ait bel et bien une définition stabilisée du jazz
(ce qui impliquerait des instances légitimes de certification pour dire ce qu’il
est)… Ce qui vaut aussi pour l’action collective. Ce qui pose indirectement la
question de la structure des opportunités politiques et de l’analyse de son
degré d’ouverture ou de fermeture au regard des stratégies susceptibles d’être
pensables et envisagées comme payantes. Dans Regimes and Repertoires
(2006), Tilly entend faire une théorie générale des régimes politiques définis à
partir de deux axes : le degré plus ou moins important de governmental capacity (degré auquel les décisions des autorités politiques affectent la vie des
individus sur le territoire de l’État considéré) et le degré de démocratie ou de
non-démocratie. Les répertoires de protestation (repertoires of contention)
sont faits d’un assemblage multiple de performances (p. 35), à la fois nombreuses mais pas en nombre infini, apprises et routinières mais sans cesse
réinventées.
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Parmi ces répertoires de protestation, le répertoire du mouvement social
(Tilly 2004) tend à prendre une place centrale, sinon désirable. Il s’agit d’une
forme particulière de politique protestataire, d’une « institution inventée » aux
États-Unis et en Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle, combinant trois
éléments : une campagne dirigée vers les autorités, un ensemble de performances (des interprétations de pièces du répertoire de mouvement social) et des
démonstrations de WUNC (worthiness, unity, number and commitment), dont
l’auteur piste la trace sur deux siècles, en stabilisant la coupure américaine et
anglaise des années 1770-1830 et en cherchant à repérer (un peu à la manière
d’un Alain Touraine, mais avec une toute autre définition) si les mobilisations
récentes, en Inde, en Chine, en Indonésie ou aux Philippines « méritent » bien
d’être labellisées comme « mouvement social ».
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Ces répertoires ont partie liée avec l’histoire des régimes politiques dans lesquelles ils trouvent leur expression. Ils sont plus ou moins flexibles et l’usage du
mot permet de se différencier tout à la fois de la psychologie des foules (l’action
est expliquée par la pulsion momentanée) et des théoriciens du choix rationnel
(l’action est clairement pré-décidée). Les effets des transformations économiques, sociales et démographiques sur les répertoires sont filtrés par les changements dans le régime politique (particulièrement dans l’exemple anglais). La
réduction à une dichotomie entre deux répertoires n’est que le résultat d’un
artifice de présentation afin de résumer de multiples répertoires. Parmi le répertoire dit « moderne », le répertoire de mouvement social tend à être autonomisé et à conquérir une sorte de prééminence par rapport aux autres (Ibid.,
p. 87, p. 111, p. 175) : il est caractérisé par un ensemble de moyens d’action (y
compris le lobbying, réintroduit ici). Ces actions sont donc discontinues, publiques et collectives et les travaux de Tilly laissent dans l’ombre, même si cela n’a
pas toujours été le cas, d’autres formes de politique protestataire (backroom
deal, patron-client relations, organizing effort that precede claim-making…). Le
degré auquel les régimes concrets, analysés dans leur double dimension (capacité/démocratie), contraignent, répriment, interdisent, prescrivent, laissent
faire voire incitent, est ainsi directement en prise sur les inhibitions ou les transformations dans les répertoires. En définitive, la notion se révèle instable,
oscillant entre des aménagements multiformes et le maintien du point de vue
initial, idéal-typique, visant à la stylisation de deux groupes de moyens d’action
de protestation.
Critiques et limites d’une approche
en termes de répertoire
Un ensemble de critiques (Dobry 1986 ; Fillieule 1997 ; Mathieu 2004), outre
celles, récurrentes dans les travaux sur l’action collective, sur le caractère spongieux de la notion (Goodwin et Jasper 2001), lui ont été et peuvent lui être
adressées. Certaines sont générales et concernent le caractère réificateur du
terme : de par la généralité même des phénomènes dont son usage peut rendre
compte – les parcours possibles, pensables et utiles de la protestation sur plus
de trois siècles, référés aux transformations macro-sociologiques affectant l’État
et le marché et donc les formes de la protestation – on ne peut s’attendre à trouver un instrument fin, susceptible d’analyser l’infinité des occurrences concrètes dans lesquelles les pièces du répertoire sont activées, réinventées,
remotivées. On ne saurait demander à un type-idéal plus qu’il ne pourrait donner. Un type-idéal est un « tableau de pensée » qui donne à penser…
En second lieu, les dénominations mêmes données aux deux types-idéaux de
répertoire peuvent à juste titre rebuter tous les déçus de l’évolutionnisme, de la
téléologie voire du développementalisme. Entre ancien et moderne, comme
sont labellisés les répertoires, et archaïsme et modernité, il y a une évidente
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Mais les problématiques du comparatisme – qu’il s’agisse d’une comparaison construite par le chercheur, produite par les acteurs au cours des transferts
de technologies politiques toujours difficiles à saisir ou d’une comparaison
déniée, lors de la réinvention de formes déjà existantes – pose la question des
antécédences et le problème des significations (une forme facialement semblable à une autre revêt-elle la même portée dans une autre configuration
structurale ?). Barrer une route ne signifie pas la même chose pour des
« rebelles » français du XVIIIe siècle que pour des agriculteurs polonais ou des
piqueteros argentins contemporains. Mais ici comme ailleurs la comparaison
entre pièces des répertoires peut se concevoir dans le pays et les espaces – ce
que, certes, les idéaux-types de Tilly n’interdisent pas.
Tableau 1 : Comparer les pièces de répertoires
Espaces semblables
Espaces différents
Temporalité
semblable
Comparer une émeute
sur deux points du territoire français
au XVIIIe siècle
Comparer une manifestation
en France et en Turquie au XXe siècle
Temporalité
différente
Comparer une émeute au XIXe siècle
et une manifestation au XXe siècle
en France
Comparer une émeute en France
au XVIIIe siècle et une émeute
au Maroc au XXe siècle
On voit bien tous les effets heuristiques que peuvent produire ces gymnastiques anthropologiques, avec les risques de placage et/ou d’anachronisme et/ou
d’évolutionnisme. Le travail de Lucien Bianco pense la Chine du XXe siècle en
miroir de la France rebelle de l’Ancien régime étudiée par Jean Nicolas (2002),
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proximité – même si on ne peut accuser Tilly d’inclure une sorte de fin de l’histoire dans la stylisation des processus. D’aucuns ont pu considérer plus empathique l’approche d’E. P. Thompson (1971) raisonnant en termes « d’économie
morale des foules » ou de J. C. Scott (1985) travaillant sur l’éthique de subsistance des paysans malais contemporains. On ne saurait non plus masquer la
gêne que l’on peut éprouver – mais là encore Tilly n’est pas le seul responsable –
à entendre parler d’un répertoire de l’action collective et d’un seul à partir principalement des cas de la France, du Royaume Uni et des États-Unis, donc d’une
perspective occidentalo-centrée. Certes, la France et le Royaume Uni ont été, et
sont encore au XIXe siècle, des laboratoires pour les savants et les politiques qui
travaillent (sur) le corps social. Karl Kautsky, dans Les trois sources du marxisme
(1969 [1907]), rappelait que la France était la tête pensante politique de
l’Europe donc du monde, dans le cadre de la théorie marxiste. Cela n’interdit
pas de comparer dans le temps et dans l’espace – ce qu’a fait de manière programmatique Tilly pour l’Amérique latine (1998) ou de manière plus générale
dans Social Movements (2004) ; et ce que font désormais nombre de chercheurs
comme James W. White (1995) sur le Japon des Tokugawas ou Lucien Bianco
(2005) pour la Chine du XXe siècle.
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Le second répertoire identifié par Tilly pouvait être considéré comme trop
« prolétaro-centré », puisqu’il faisait la part belle au mouvement ouvrier qui
apparaît comme l’inventeur, le promoteur et l’occupant des pièces du répertoire et de son articulation. De nombreux chercheurs ont pu à juste titre faire de
l’affrontement de classes et de l’épopée ouvrière la clé d’explication de l’histoire
européenne des XIXe et XXe siècles. Mais cela est-il vrai partout et avec la même
intensité ? Cependant, dans d’autres textes, mouvement ouvrier et révolution
prolétarienne disparaissent quasiment face aux « vrais mouvements sociaux »
– qui annoncent sur le long terme la forme normale de protestation dans le
cadre des régimes démocratiques – que sont les mouvements américains précédant la guerre d’indépendance ou les mouvements anglais (autour de Wilkes ou
du chartisme). Revenant malicieusement sur les publications de l’école de formation du parti communiste de l’Union soviétique, Tilly (2004) pointe l’insistance mise sur la France dans les exemples sollicités dans les manuels ; à
l’inverse, on peut se demander si Tilly ne bouscule pas les précédents « palmarès » en suivant le fil égaré des mobilisations anglaises wilkites ou anti-esclavagistes (mais aussi états-uniennes) et en y détectant un premier mouvement
social mondial qui systématise les démonstrations existant antérieurement et
invente l’autonomie et l’organisation. Dans l’ordre des préséances, Français et
Hollandais ne sauraient être les co-inventeurs d’une forme de répertoire dont la
répression étatique empêche la stabilisation. Ce serait au bout du compte le
mouvement chartiste qui aurait fourni le « semis » et le « modèle » (ou le
patron, template dans le texte) pour les principales mobilisations populaires du
XIXe siècle (Tilly 2004, p. 48).
Les bas-côtés du second répertoire
La définition du second répertoire occulte surtout trois questions fondamentales et contradictoires. On ne peut en effet comprendre les transformations des répertoires sans avoir à l’esprit que les membres des groupes moteurs
dans les changements de répertoire sont, dans de nombreux pays européens,
des électeurs et, dans le même temps, se reconnaissent, dans une proportion
non négligeable, dans un discours – inégalement maîtrisé par les militants et
les adeptes – tourné vers la révolution. Comme le montrent bien les débats
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sans véritable état d’âme. Comment, par exemple, rendre compte du
« répertoire brésilien » de la première moitié du XXe siècle – donc post-esclavagiste (Reis 2006) – dans lequel se chevauchent, dans les villes, grèves, émeutes,
illégalismes et résistances populaires et où, dans les campagnes, s’entrecroisent
les mouvements millénaristes comme le Canudos dans l’État de Bahia en 18961897 ou le Contestado des États de Santa Catarina et du Parana dans les années
1910 (et jusqu’aux révoltes de Formosa dans le Goàis dans les années 19501960), le banditisme social et les débuts de mobilisations de ligues agraires
(Pereira de Queiroz 1977, de Souza 1981, Grunspan-Jasmin, 2001).
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On peut aussi considérer que ceux qui utilisent l’action collective n’anticipent pas de résultats concrets et font un usage non substantiel (Contamin 2001)
des moyens d’action qu’ils promeuvent : toute performance est l’objet d’investissements pluriels, que les metteurs en sens tentent d’unifier. On ne peut donc
pas faire comme si le même répertoire perdurait alors que le messianisme révolutionnaire s’estompe. Les diverses modalités pratiques et théoriques des révisionnismes doctrinaux ne sont certainement pas les causes des transformations
du répertoire ; ils en sont les symptômes et les accompagnateurs discursifs.
Aussi faut-il introduire cette variable dans la démonstration et relever que la
négociation (entre pouvoirs publics et compétiteurs, entre patrons et salariés)
est une composante essentielle du nouveau répertoire, que l’on peut considérer
comme alternatif au répertoire 2 chez Tilly. Les Norvégiens, les Suisses les Français ou les Turcs, n’ont pas de ce point de vue la même histoire, comme le montre d’ailleurs le Tilly de Social Movements.
Au delà, faut-il aussi passer sous silence le travail non protestataire que
mènent avec de tout autres méthodes les groupes plus intégrés et considérer
qu’il y a une coupure entre ces divers mondes sociaux et qu’on ne saurait penser sous une même rubrique des univers aussi différents (cf. Topalov 1995). Le
second répertoire ne prend pas en outre en considération d’autres groupes qui
peuvent revendiquer et se mobiliser, tels les catholiques. Ils peuvent, mais sous
une autre forme, utiliser des pièces du « répertoire ouvrier » ; ils peuvent aussi
avoir recours à des rassemblements entre-soi qui n’ont pas pour finalité directe
de demander quelque chose, mais qui peuvent être compris comme des indicateurs de la vitalité et de l’unité du groupe (assistance à la messe, sermons, pavoisements, fêtes votives, sonneries de cloches, pèlerinages, confessions publiques,
etc.).
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concernant la délimitation de la politique légitime à la fin du XIXe siècle, les
socialistes (puis ensuite les communistes) sont les détenteurs et les producteurs du master template (poutre maîtresse) révolutionnaire (Mc Adam et
Sewell 2001) qui colore et encadre le répertoire fin de siècle. Ils sont légitimés
par une base sociale dont ils contribuent à définir les contours – la classe
ouvrière en France –, à dire les revendications et l’identité (Boltanski 1982,
Offerlé 1998). Ils autorisent la possibilité de l’illégalité de masse à venir, tout
en garantissant, au nom de la construction et de la pérennisation de l’organisation révolutionnaire, le respect de la légalité présente et la délégitimation des
« illégalismes populaires ». Enfin, la définition même de ce qu’est alors une
action collective, non encore autonomisée des conflits privés menaçant
l’ordre, et des différentes sortes de délits, nous appelle à être attentifs à ce
grand partage qu’instituent l’autonomisation et la professionnalisation du
politique. C’est tout au long du siècle que se constitue, dans les pratiques
matérielles et discursives, la séparation entre les illégalismes populaires
(Foucault 1975, p. 299) et les formes tolérées ou intolérables de protestation
(Péchu 2005, Offerlé 2006).
190 Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles)
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Enfin avec ce répertoire 2, on n’aperçoit ni la Strassenpolitik étudiée par
Thomas Lindenberger (1995) ni la constitution à la marge de l’espace politique
d’un noyau de résistance – faut-il l’ériger aussi en répertoire alternatif ? – dont
les protagonistes refusent tout à la fois la légalité et la coupure temporelle
qu’introduit la reconnaissance, contrainte ou non, par les révolutionnaires,
d’une révolution à venir – présent à éclipse et dans certaines configurations
nationales seulement de manière significative, sous la forme et le mot d’ordre
indigène d’action directe, dans ses variantes nationales anarchistes et anarchosyndicalistes (Maitron 1955, Julliard 1971). Cette marge de l’espace peut toujours être repérée actuellement : faut-il parler de « champ militant » (Péchu
2006), d’« espace des mouvements sociaux » (Mathieu 2007), opposé au champ
politique ou au champ partisan ?
Usages historiens des répertoires
Nombre d’historiens français ont à l’égard du modèle de Tilly une approche
pour le moins prudente. Jean Nicolas (2002), auteur d’une immense compilation empirique autour des « rébellions » françaises, n’a pas le moindre regard
sur ses travaux. Contre les méthodes de Tilly, il entend travailler sur « un tissu
sans déchirure » (p. 16). Dans La politisation des campagnes (2000), ni Maurice
Agulhon ni Alain Corbin ne le sollicitent non plus. Il n’y a guère que Peter
McPhee (1996, 2000) pour faire travailler la notion sur 1848 ou Vincent Robert
pour « concilier l’étude des désordres et des régularités » (2005, p. 39) et chercher de la continuité dans l’événement, tout en critiquant la chronologie de
Tilly (1996). Dans la récente Histoire des gauches, le terme est sollicité explicite-
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L’analyse en terme de répertoire unique ignore par ailleurs totalement la
façon dont les paysans ont été progressivement intégrés dans les mécanismes de
la décision publique et ont été dépossédés de leur « droit à l’émeute » que pouvait sembler garantir l’ancien pacte de subsistance. Les paysans ne cesseront
pourtant pas d’être patronnés, mais sous une autre forme, puisque les organisations de la paysannerie sont dirigées bien plus par des notables que par
d’authentiques paysans. De la même manière, les pogroms antisémites n’apparaissent pas dans cette liste, alors même qu’il s’agit d’un registre utilisé dans
nombre de pays, y compris en France, au moment de l’affaire Dreyfus
(Birnbaum 1998). Sans même évoquer les violences inter-communautaires
anciennes ou actuelles (par exemple le massacre d’alévis à Kahramanmara en
Turquie en décembre 1978). Doit-on considérer qu’ils sont dans l’orbite du
répertoire dominant au point qu’ils ne peuvent agir qu’en se mesurant à lui et
au point que tous les commentateurs et donneurs de sens des politiques protestataires ne peuvent concevoir ces mouvements qu’au travers des instruments de
pensée et des évaluations imposées par la dominance même du mouvement
ouvrier ou désormais, selon le schéma mouvementiste de Tilly, à partir du
patron du mouvement social ?
Michel OFFERLÉ 191
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Est-ce dû au provincialisme français ou au fait que l’historien ne « s’endimanche pas » et préfère ne pas se mettre aux pieds de boulets conceptuels plus
contraignants que productifs et ce d’autant plus que des notions macro-sociologiques peuvent toujours apparaître comme inadéquates lorsqu’il s’agit de
travailler sur un laps de temps réduit. Toutefois William Sewell (1990) – mais il
est plus interdisciplinaire qu’historien – a interpellé Tilly en faisant valoir que la
période révolutionnaire, pourtant considérée (en France mais pas seulement)
comme une césure forte, ne saurait être minimisée lorsqu’il s’agit de répertoire.
Les pièces du répertoire dit d’Ancien régime ont été largement occupées voire
réinventées par les révolutionnaires ; de nouvelles manières d’agir sont devenues ensuite des classiques. Et la matrice cognitive qui donne du sens aux performances est devenue un réservoir de pratiques et de discours prêts à l’emploi
sous l’étiquette de révolution, le master template (Mc Adam et Sewell, 2001)
révolutionnaire. Bref, le répertoire, si répertoire il y a, a été chahuté pendant la
période révolutionnaire. Cela signifie-t-il qu’il faille reporter en amont, dans les
années 1790, la coupure qui sépare l’ancien du moderne ? Encore faudrait-il
trouver les indicateurs qui permettent de signifier son congé à l’ancien : à la
manière de Pierre Rosanvallon, étudier la façon dont le cadre cognitif 4 et les
façons de faire matérielles ont changé.
Ce débat n’est pas seulement une question de datation ; il implique une lecture particulière des mobilisations advenues durant la Révolution française,
selon que l’on insiste sur l’inventivité permanente des insurgés parisiens (et des
modes de perception immédiats de cette inventivité et de ces démonstrations)
ou que l’on privilégie les formes récurrentes des savoir-faire des rébellions ordinaires réitérées. Les mobilisations révolutionnaires seraient alors l’acmé du
répertoire d’Ancien régime. Dans le monumental Faubourg Saint Marcel
d’Haim Burstin (2005), on suit chronologiquement la multiplicité des événements protestataires qui ont pour lieu ou pour origine le quartier ; mais l’auteur
ne nous convie à aucune mise en perspective entre l’avant et le pendant révolutionnaire. Ainsi, écrit-il sans ponctuer : « L’émeute pour le sucre (de janvierfévrier 1792) était encore vue comme une manifestation traditionnelle et non
comme le premier acte d’une longue suite insurrectionnelle qu’il fallait tuer
dans l’œuf : il convenait de maintenir une sorte d’entente tacite et de compromis avec les autres forces de la section, cristallisée autour d’une image du fau-
4. Cette matrice cognitive a été peu étudiée par Tilly ; elle est parfois baptisée « répertoires discursifs »
(Steinberg 1995), « cognitifs » ou « praxis cognitive » (Eyerman et Jamison 1991).
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ment deux fois dans des sens détournés : par Emmanuel Fureix (2003, p. 201),
historien, quand il qualifie les banquets de « répertoire libéral encadré élitaire
bien que réformiste » et par Frédérique Matonti (2003, p. 692 et p. 698), politiste, quand elle stylise les répertoires d’action propres aux intellectuels.
192 Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles)
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Peut-on mesurer cela de manière quantitative (nombre d’incidents, nombre
de personnes dont on peut penser qu’ils pratiquent « autre chose » qu’auparavant ou qu’ils donnent une autre signification à des actes similaires) ? Ou de
manière qualitative, à partir de textes prophétisant une transformation ou à
partir des actes et dits des autorités qui sont chargées de traiter ces questions
(police, justice, libellistes, entrepreneurs de protestation) et qui balbutient un
« nouveau » que le chercheur certifiera ? Nicolas Bourguinat (2002), dans son
beau livre consacré aux multiples incidents liés aux grains (émeutes et troubles
frumentaires), prend pourtant au sérieux le schéma tillyien qui lui apparaît
néanmoins – effet de focale encore – trop général et trop peu attentif à la créativité des acteurs et « aux logiques critiques informulées des processus de domination qui sont en œuvre dans la violence collective » (p. 21). Sans utiliser le
lexique du petit monde des protest politics scientists, il redécouvre par d’autres
voies, nombre de problèmes posés par eux.
Rénitences plurielles
L’interprétation que donne Bourguinat des mouvements frumentaires
comme politiques pose toutefois problème. Cette proposition renvoie bien sûr
aux débats sur la politisation qu’entretiennent les historiens qui, dans une
période de réévaluation de l’autonomie de la paysannerie face à la ci-devant
hégémonie prolétarienne théorisée par Marx, tendent à élargir l’espace du politique, bien au-delà de la politique par le haut, définie et monopolisée par les élites urbaines. Bourguinat va encore plus loin, puisqu’il tente un parallèle, voire
établit une généalogie, entre ce « contrat social de subsistance » tacite qui circule entre les autorités et les émeutiers et le socialisme quarante-huitard. L’économie morale des paysans n’est pas plus archaïque que le socialisme de 1848,
sorte d’écho des « habitus frumentaires paysans », n’est utopique. Inversement,
Jean-François Soulet (1987), dans son travail sur les formes de résistance dans
les vallées pyrénéennes au XIXe siècle nie toute implication politique aux pratiques populaires de résistance à la pénétration de l’État dans une région très
enclavée. Il va pourtant dans le même sens en énumérant au long des neuf chapitres du second volume les formes diversifiées et parfois complémentaires de
contestation : moyens légaux de défense et de protestation (usage des fêtes,
enterrements, charivaris) ; rejet de la culture extérieure (vêtement, langue, reli-
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bourg au comportement exemplaire, sincèrement révolutionnaire mais, dans le
même temps, modéré » (p. 343). Ou encore, en parlant de la délégation de
masse d’hommes en armes et de bataillons de la garde nationale défilant à la
barre de l’assemblée : « Les comptes rendus contemporains de cet épisode, dont
le souvenir allait bientôt être émoussé par les événements du mois suivant, en
soulignent la nouveauté et le caractère exemplaire. Il s’agit, en effet, d’une pratique qui en est encore à ses premières apparitions, mais qui devait rapidement
devenir un standard et prendre place parmi les nouvelles formes d’expression
politique » (p. 351).
Michel OFFERLÉ 193
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Dans sa thèse, Pierre Karila-Cohen (2003) analyse avec finesse les modes
d’appréhension par les préfets des monarchies constitutionnelles de « l’opinion
publique » et les catégorisations dont ils se servent pour tenir informés leurs
supérieurs. La compilation factuelle des événements et des troubles à l’ordre
public constatés par certains préfets sur leur territoire renvoie tout à la fois aux
formes du travail préfectoral que l’auteur analyse et à l’incertitude qui pèse sur
les formes d’objectivations administratives, à un moment où un nouvel impératif de classification à partir de la catégorie de l’opinion commence à orienter
les modes de perception savants et ministériels, appelant à pointer et à prévenir
ce qui relève de la « vraie opinion », fondement d’une anticipation politique
raisonnée. On voit tout ce qui peut relever d’une étude du vocabulaire, comme
sous l’Ancien régime pour lequel Jean Nicolas (2002) code systématiquement le
vocabulaire utilisé, lequel renvoie à la gravité de l’événement et à la manière
dont les autorités le mettent en forme par les mots qu’ils lui attribuent, jouant
ainsi sur une échelle implicite qui le renvoie à l’insignifiance et à l’anodin ou lui
prête une coloration sinon politique du moins coordonnée (cf. aussi Farge et
Revel 1988) : rébellions, insurrections, séditions, émeutes, mouvements, émotions, révoltes. C’est finalement le terme de rébellions (2066 qualifications,
contre 1017 pour attroupements, 777 pour émotions et 776 pour séditions) qui
donne le liant et le nom de l’ensemble – alors que le vieux terme de rénitence,
désormais neutralisé, aurait pu permettre de penser ensemble, et sans connotations alourdissantes, la pluralité des moyens d’action utilisés.
La question du vocabulaire se complique encore lorsqu’il s’agit de traduire
d’une langue à l’autre soit des réalités approchantes (l’émeute, riot ou uchikowashi japonais et plus tard la « manif » donnée comme similaire à demonstration
en anglais ou à gösteri et eylem en turc). Sans parler des pièces de répertoire sans
équivalent, comme le dépôt d’outils chinois (jiaona nongju). Bianco consacre de
longs développements d’ordre terminologique dans son chapitre consacré aux
« répertoires » pour montrer les grandes variétés des dénominations données
par les autorités qui qualifient et enregistrent les événements en Chine et pour
traduire linguistiquement et culturellement ces mots du chinois vers le français.
Un troisième répertoire ?
Reste enfin la question d’un troisième répertoire. Non dans le sens que j’ai
soulevé précédemment, en pensant ensemble sur le temps long, déclin du master template et développement des pratiques de négociation ; mais au regard des
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gion et médecine populaires) ; transgression de la morale sexuelle (conduites
sexuelles déviantes, avortements, infanticide) ; esquive des nouvelles législations civiles et fiscales (contrebande, insoumission, délits forestiers, délinquance fiscale, stratégies de contrôle des naissances pour éviter le partage des
patrimoines) ; banditisme et self-justice ; intimidations à l’égard des étrangers ;
refus de coopé-ration avec les autorités ; émeutes, révoltes ouvertes.
194 Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles)
transformations contemporaines des pratiques de contestation dans les démocraties occidentales. Tilly lui-même l’évoque de manière dubitative. Dans La
France conteste comme dans ses derniers articles, il maintient l’idée de la continuité du répertoire 2 :
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Érik Neveu évoque dans Sociologie des mouvements sociaux, de manière prudemment interrogative, « un répertoire de troisième génération ? » fondé sur
« l’internationalisme », « l’expertise » et « la réinvention d’une activité symbolique
de mise en scène de l’identité du groupe » (2002, p. 24). Robin Cohen et Shirin
Rai (2000) ont aussi tenté de systématiser la nécessité de théoriser un troisième
répertoire qui s’intitulerait « transnational et solidariste » (cf. tableau 2). Les pièces du répertoire tilliyen n’y sont pas reprises systématiquement, et les performances du nouveau répertoire sont choisies de manière descriptive, faisant référence à
des événements produits par des groupes que les « transnationalistes » confondent souvent. En démonétisant des forces dites anciennes et des façons archaïques
de procéder, le second répertoire est décrété aussi obsolète que les acteurs, les causes et les intérêts qu’il contribuait à mettre en scène (cf. Siméant 2005).
Tableau 2 : Les trois répertoires de Cohen et Rai
1650/1850
Paroissial et patronné
Émeutes alimentaires
Destruction de barrières
d’octroi
Sabotage de machines
Expulsion de collecteurs
d’impôts
1850/1980
National et autonome
Grèves
Meetings électoraux
Réunions publiques
Insurrections
1980/2000 et au-delà
Transnational et solidariste
Concerts type Band Aid
Téléthons
Sommets de la terre,
des femmes…
Campagnes internationales
de boycott
D’après Siméant (2005)
Certaines pièces du répertoire 2 ont été réinvesties et réinventées par les dits
nouveaux mouvements sociaux. D’aucuns insistent sur l’importance prise
actuellement par les activités dites de type symbolique et sur la liaison forte
entre ces mouvements et les espaces médiatiques. On n’oubliera pas toutefois
que les manifestations dites de papier (Champagne 1984) sont aussi une composante non négligeable des démonstrations publiques au moment où se stabilise la forme manifestante (Offerlé 1990).
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« Et depuis ? Trois signes nous donnent à croire qu’une nouvelle transition se
produit : 1) l’importance croissante ces dernières décennies, de la guérilla
urbaine, des prises d’otages, des détournements d’avions, barrages de routes,
destructions de récoltes et occupations de toutes sortes ; 2) les innovations
extraordinaires – assemblées internes, comités de grève, graffitis, etc. – de maijuin 1968 ; 3) l’usage beaucoup plus important des médias par toutes les parties
de l’action collective […]. À y regarder de plus près, on s’aperçoit que toutes les
formes utilisées ont déjà une histoire. La nouveauté réside dans les changements
des groupes et des demandes. » (Tilly 1986, p. 540-541)
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Un retour actuel sur cette césure entre ancien et nouveau permet de comprendre le mélange de continuité, de rupture et de réinventions qu’a constitué
l’émergence de ces « nouveaux mouvements sociaux » et des « ONG » dans les
espaces politiques nationaux, transnationaux et internationaux. Car, comme le
rappellent Doug Imig et Sidney Tarrow (2001, p. 17), derrière la complaisance
du mot-valise « transnational », investi et chargé de profits sémantiques (dépassement du national, délégitimation des formes d’organisation dites archaïques,
revendication du label de société civile), ces divers mouvements jouent sur plusieurs espaces et restent très présents dans les espaces nationaux. De plus,
l’invention du transnationalisme est une réinvention des diverses formes
d’internationalisme pratiquées dans les congrès pacifistes et prolétariens et dans
leurs rassemblements de rue. En outre, la labellisation que donnent Cohen et
Rai est inégalement articulée aux précédentes. Si transnational fait écho à local
et national, solidariste est-il en résonance avec autonome et patronné ? Réticulaire n’aurait-il pas mieux convenu ? Enfin l’articulation avec le schéma tillyien
est plus suggérée que démontrée. À ce niveau de généralité, peut-on accepter de
dire que ce nouveau répertoire est un dérivé de la « mondialisation » entendue
comme expansion du marché international et comme restriction des surfaces
étatiques ?
On n’aura garde non plus d’oublier qu’à côté des formes manifestantes pacifiées, des actions dites symboliques et de la promotion des diverses formes
d’expertise, cohabite aussi comme forme contemporaine, dans nombre de
démocraties pluralistes stabilisées, l’usage de l’émeute (qu’elle soit utilisée dans
les affrontements entre « groupes ethniques » ou dirigée contre des cibles économiques et étatiques choisies). Les violences urbaines françaises de novembre
2005 ne sont que l’acmé de gestes désormais fréquemment répétés, qui constituent un savoir-faire émeutier sans mot d’ordre et sans revendications articulées, mais non sans significations, quel que soit le sens que les controverses
sociologiques et politiques peuvent leur attribuer. Sans même évoquer la question du « terrorisme ». De quelque manière que l’on ponctue les transformations des formes de l’agir ensemble, que l’on objective ou non, à dates variables,
selon les pays et selon les organisations, l’avènement d’un troisième répertoire,
on ne peut pas faire comme si les acteurs portant le second étaient génétiquement pacifiés et institutionnalisés dès la fin du XIXe siècle, et faire comme si la
démobilisation de la révolution, comme perspective future, et la mutation des
carrières militantes (et des dispositions et dispositifs militants) n’étaient pas des
variables clés pour comprendre aussi les répertoires de l’action collective.
Sortir des répertoires ?
Au terme de ce parcours critique, on peut soit entériner la version molle de la
notion de répertoire et qualifier comme tel n’importe quel moyen d’action utilisé par des protagonistes agissant dans l’espace politique. Peut-être peut-on
accepter de parler du répertoire d’action d’une organisation, c’est-à-dire de
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l’ensemble des moyens d’action qu’elle met effectivement en œuvre pour faire
aboutir ce pour quoi elle a été constituée. C’est ce que Tilly accepte de faire en
ponctuant ses derniers ouvrages de références à de multiples formes de répertoires, au pluriel. On doit alors se replier sur une position fondamentaliste et ne
retenir que deux types de répertoires d’action collective (sous-entendu dominant dans un laps de temps déterminé, sous-entendu protestataire). On peut
néanmoins considérer qu’il est possible de préserver la notion de répertoire à
des fins didactiques, en la dégageant de tout évolutionnisme – à condition de ne
pas considérer qu’il existerait un seul répertoire dans chaque société déterminée, mais plusieurs types de répertoires qui seraient en concurrence ou en ignorance mutuelles. Parmi ces types de répertoires, on pourrait considérer qu’un
d’entre eux a été investi par un acteur dominant qui en a fixé les contours et est
parvenu à en imposer un type d’usage : par exemple le répertoire 2 que l’on
peut assimiler à la période de dominance du mouvement ouvrier dans certains
pays. Cela signifie qu’il faut non seulement expliquer les bases matérielles et
symboliques de sa domination et les conditions de possibilité de son avènement. L’explication macro-sociologique par l’État et le marché doit être combinée avec la question des conditions de possibilité matérielles et politiques de
l’action collective (Tilly 2006). Mais cette prise en compte des interactions avec
les forces de l’ordre peut se faire de manière toute empirique (Fillieule et Della
Porta 2006, ou Uysal 2005 dans le cas turc). Le récent travail d’Aurélien Lignereux (2007) au travers du détournement de la question labroussienne (« 18001859. Comment naissent les rébellions ? ») étudie les 3 725 affaires de rébellions
avec voies de fait qui ont opposé les gendarmes français (Paris et Corse exclus) à
des groupes de personnes. Contre l’interprétation spontanée des autorités
d’une foule rebelle aux lois et prompte à se laisser entraîner par ses instincts,
l’auteur restitue, dans leurs complexités temporelle et géographique, la persistance, la transformation et la décroissance de rébellions, phénomènes explicables
à l’aide de macro-concepts (intégration à l’État-nation, processus de civilisation,
monopolisation de la contrainte physique légitime) et de micro-observations
permettant de comprendre les ajustements et désajustements dans les interactions entre gendarmes et populations revendiquant une certaine maîtrise de
leur entre-soi.
Il faudrait aussi déseuropéaniser l’approche générale et considérer qu’il
existe bel et bien des importations et/ou des réinventions du répertoire 2 européen ailleurs, et que le répertoire 1 européen n’est pas transposable dans le
passé (comment rendre compte d’un répertoire de l’action collective dans
l’Empire ottoman ou chinois ?) ou pis encore dans le présent de pays qui
connaissent des émeutes urbaines et/rurales actuellement.
Enfin si l’on garde l’idée de deux répertoires, sans doute faudrait-il « tuiler »
le passage de l’un à l’autre, sans se focaliser sur la date charnière des années
1830-1850 et en prenant en considération en aval la transformation du répertoire 2. D’abord par la rétraction dans nombre de pays du master template of
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Le répertoire 2 a été transformé dans la mesure où d’autres pièces s’y sont
adjointes, par exemple sur le registre de la contre-expertise et de la négociation,
ou sous le mot-valise de lobbying. Le colloque, comme type particulier de
monstration d’un capital scientifique et social, devrait dès lors être pris en
compte. Mais cela pose une autre question, celle du continuum pouvant exister
entre le(s) répertoire(s) contestataire(s), s’exprimant par des mobilisations visibles dans la rue et l’autre, ou les autres, répertoire(s) non contestataire(s),
s’exprimant dans des arènes plus discrètes voire sous la forme de mobilisations
silencieuses (Offerlé 1998). Ce qui a changé alors c’est l’amenuisement de la
place centrale occupée par le mouvement ouvrier dans les pays les plus développés dans la définition d’un répertoire légitime, déjà lui-même retravaillé depuis
plusieurs décennies. Et aussi l’apparition de nouveaux entrants, réinvestissant
l’ancien répertoire d’autres significations, et le jouant, pour filer la métaphore
musicale, sur de tout autres instruments (non-violence, actions dites symboliques, désobéissance civile). On peut en dire autant des moyens d’action non
contestataires : de ce point de vue, ce que l’on appelle l’humanitaire, a aussi
considérablement transformé les formes et la signification du don. On voit ici
aussi combien une perspective qui réintroduit un continuum entre les actions
collectives et individuelles, peut permettre de penser les répertoires de l’action
collective dans l’ensemble plus large des registres de résilience, comme réservoirs pratiques, individuel et/ou collectif, à la fois immense et situé socialement
et historiquement, dont disposent les agents sociaux pour nommer, affronter et
surmonter ce qui leur arrive (Offerlé 2006 ; cf. aussi Felstiner et alii 1980-81 ;
Scott 1985, 1990 ; Bennani-Chraïbi et Fillieule 2002).
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contention, ce qui change non seulement la configuration de l’ensemble, modifie la signification des pièces mais aussi induit l’apparition de nouvelles pièces.
Contrairement à ce qu’écrit Tilly (1986, p. 541), un même moyen d’action peut
avoir des significations totalement différentes selon ses usages. L’occupation
d’une usine aux États-Unis lors des mouvements de 1935 ou en Italie en 1920,
l’occupation de terres par le Mouvement des sans-terre brésilien actuel ou
l’occupation d’une agence pour l’emploi par des chômeurs français, ce n’est pas
la même chose. De même, la forme « manif » n’a ni le même agencement ni la
même signification, selon qu’elle est susceptible de basculer vers la « journée »
ou vers l’émeute, ou selon qu’elle est une occupation pacifique et temporaire de
l’espace public. Il faut « tuiler » aussi, parce que la séparation entre les temps
quotidien et politique qui clive les répertoires 1 et 2 n’est pas aussi brutale que
cela. La fête n’est pas absente des grandes grèves et toute mobilisation prolongée implique la recherche d’activation militante pour éviter le délitement du
mouvement, et la débandade des mobilisés ; le groupe se donne les moyens de
durer, et doit trouver des occupations ludiques et matérielles pour affronter le
temps (Perrot 1974).
198 Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles)
Références bibliographiques
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Action, Cambridge, Cambridge University Press.
BENNANI-CHRAÏBI (M.), FILLIEULE (O.), dir., 2002, Résistances et protestations
dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Sciences Po.
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Michel OFFERLÉ 201
202 Retour critique sur les répertoires de l’action collective (XVIIIe-XXIe siècles)
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Michel OFFERLÉ est professeur de science
politique à l’École normale supérieure (ETTCentre Maurice Halbwachs). Il est également chercheur associé au Centre de
recherches politiques de la Sorbonne
(CNRS – Université Paris 1).
[email protected]
Parmi ses publications récentes : Sociologie de la vie politique française, Paris, La
Découverte (collection « Repères »), 2004 ;
Les partis politiques, Paris, Presses universitaires de France (collection « Que saisje ? »), 2006 (5e édition).
* L’ouvrage Contentious Performances, dans lequel Charles Tilly revient sur ces questions, n’a pu être pris
en compte ici. Il paraîtra en 2008 à la Cambridge University Press.
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